CHOUANNERIE 1815 - RELATION D'UN OFFICIER DE L'ARMÉE ROYALE D'ENTRE LOIRE ET VILAINE
CHOUANNERIE
1815
RELATION D'UN OFFICIER DE L'ARMÉE ROYALE
D'ENTRE LOIRE ET VILAINE.
Le mercredi 22 mars 1815, deux jours après la brusque rentrée de Bonaparte aux Tuileries, on voyait sur les cours de Nantes de nombreux détachements de volontaires accourus pour la défense du roi ; les cavaliers en habit bleu portaient le chapeau à la française rehaussé de galons d'argent, la culotte grise avec de grandes bottes aux éperons dorés. Les Volontaires royaux, équipés à la hâte, avaient été passés en revue par le prince de la Trémouille escorté des autorités civiles ; ils partaient pour rejoindre à Angers l'armée du duc de Bourbon. (M. de Couëtus, qui était à la tête du détachement de cavalerie, demanda et obtint de S.A. le duc de Bourbon l'autorisation de devancer l'appel avec ses hommes).
A onze heures, le Maire de Nantes leur remet un drapeau fleurdelisé portant comme devise : DIEV, LE ROI ET LA PATRIE, Madame de Barante, femme du Préfet, y attache l'écharpe blanche, et la troupe se met en marche aux cris mille fois répétés de Vive le roi !
La proclamation du duc de Bourbon, appelant les campagnes aux armes pour résister à l'usurpateur, avait été affichée la veille par ordre de la préfecture. Le 23, le Conseil général publiait un manifeste dont voici quelques extraits : "Habitants de la Loire-Inférieure. L'ennemi de l'Europe entière ou plutôt du genre humain nous apporte la guerre, le trouble et la discorde ; pourrions-nous rentrer de nouveau sous son esclavage ! Un appel est fait aux braves ; pour la première fois notre pays ne restera pas sans y répondre. Déjà la jeunesse Nantaise s'est empressée de s'enrôler ... Que nos campagnes suivent cet élan généreux et se rangent à la voix des chefs qui s'offrent à les diriger ! Réunissons-nous tous autour du trône et renouvelons notre serment de vivre et de mourir aux cris de vivent : le roi et la patrie." Signé des conseillers généraux : des Jamonières, Urvoy de Saint-Bedan, Bertrand Geslin, Méresse, de Monti de la Cour de Bouée, Mosneron Dupin, etc.
Dans les paroisses autour de Nantes, les volontaires répondirent en masse à cet appel ; la commune du Loroux en fournit à elle seule plus de deux cents.
Partout la résistance contre l'usurpateur s'organisait sous l'action régulière de l'administration, lorsque la marche rapide de Napoléon vint déjouer toutes ces mesures.
A la nouvelle que le roi avait repris le chemin de l'exil, la Vendée et le Morbihan courent aux armes ; en même temps, pour relier ces deux centres une levée de boucliers, se prépare entre la Loire et la Vilaine.
J'habitais alors le B... en Sautron. Bien que peu éloigné de Nantes, ce pays était encore fort sauvage ; avec ses landes et ses taillis coupés de ravins, il se prêtait fort bien à une guerre de partisans. Parfois, dans ces petits chemins creux qui serpentent presque sous terre, je rencontrais des cavaliers servant d'estafettes entre les différents chefs ; d'un mot on convenait d'un lieu de rendez-vous ; ces réunions avaient lieu d'ordinaire la nuit, dans les châteaux voisins, et l'on y venait de tous côtés. Du reste, tout ce mystère était presque inutile, tant le pays était pour nous. A Cambon, le dimanche 23 avril, quand le Curé voulut lire en chaire les ordonnances de l'Empereur, tous se levèrent, et le tumulte ne cessa que lorsqu'il eut renoncé à sa lecture. On avait affiché dans le bourg les lettres ministérielles ; elles furent déchirées en mille pièces. Puis, les hommes se portèrent en foule à la Mairie et, aux cris de vive le roi, arrachèrent le drapeau révolutionnaire, déclarant qu'ils n'obéiraient pas à l'usurpateur.
Le Maire essaya d'intervenir ; mal lui en prit. On savait qu'il appartenait à trois partis : républicain au fond, il affectait d'avoir beaucoup de sympathie pour les royalistes et se mêlait à leurs réunions ; mais chaque jour il correspondait avec le sous-préfet de Savenay et l'assurait de son dévouement à l'Empereur. Sommé de s'expliquer devant ses administrés, il prit un quatrième parti, celui de la fuite.
Le 18, une dernière réunion eut lieu chez M. Bonnet, de Bouvron ; là se trouvaient MM. de Sesmaisons, le marquis de Cambout de Couëslin, de Sécillon, maire d'Escoublac, Bourdic, Athanase de Couèssin, maire d'Assérac, Espivent de la Ville-Boisnet, maire de Prinquiau, Rouaud Villemartin, de Queihliac, maire de Bouvron, Le Marié, Vauguerin, Martel, ancien combattant de la Vendée, de Courson, de Guérande, etc. On convint tout d'abord de s'entendre directement avec les autres royalistes qui s'étaient levés dans le Nord et l'Est du département, et le comte de Couëslin fut chargé d'aller trouver MM. de la Rochequairie, de Landemont, de Fleuriot, et les principaux chefs d'Ancenis et de Châteaubriant. Puis, on envoya des émissaires dans le Morbihan et dans la Vendée près de M. de la Rochejaquelein.
Le 28 mai, M. de Couëslin était de retour. La veille, sa soeur Madame de Botderu avait traversé Pont-Château pour se rendre dans le Morbihan ; là, elle avait été l'objet d'une véritable manifestation : les paysans se portaient en foule sur son passage, assurant qu'ils étaient prêts à marcher et à se joindre à leurs frères de Bretagne. Les Couëslin étaient adorés dans le pays ; ils avaient le don de faire naître autour d'eux la sympathie et le dévouement, et c'est bien là la plus belle couronne de nos vieilles familles.
J'avais alors dix-huit ans et attendais avec impatience que le moment de l'action arrivât. Après avoir acheté d'un fermier de Bois-Garant un assez bon cheval, je me rendis au Buron chez mon voisin M. Ch. Hersart, que l'on désignait déjà comme capitaine des volontaires de Vigneux et Bouvron. Le lendemain, 21 mai, nous partions ensemble pour Cambon, qui avait été choisi comme point de ralliement, bien que très rapproché de la petite ville de Savenay, alors centre militaire et administratif du pays.
Ce que je vis en arrivant à Cambon ne ressemblait guère à une armée : des gentilshommes, en habit de chasse, promenaient leurs chevaux sur la route ; d'autres faisaient les cent pas en causant des évènements du jour ; les paysans, assis sur l'herbe, fourbissaient leurs fusils. On eût dit les préparatifs d'une battue.
Près de l'église, nous entendons une vive altercation : un petit Breton, lassé de servir de point de mire aux gouailleries des gars de Cambon, presque tous assez beaux hommes, avait provoqué à la lutte le plus grand de la bande. Bientôt, le Cambonnais, roulé de main de maître, voyait les rieurs se tourner contre lui.
Arrivé devant l'état-major improvisé, on me présente à M. de Couëslin, chef de notre petite armée, et je vais rejoindre mes futurs compagnons d'armes. De temps en temps arrivaient des nouveaux venus comme nous ; ils étaient chaleureusement accueillis sur leur passage. Nous étions en tout de trois à quatre cents.
Vers le soir, tout s'anima : on venait de hisser le drapeau blanc au clocher de l'église, et les cris, les acclamations éclatèrent de toutes parts, gentilshommes et paysans se serraient la main ; un même sentiment de foi dans la cause royale unissait tous les coeurs. Quand je pense à ce temps-là, j'ai peine à reconnaître nos royalistes d'aujourd'hui attendant, comme les grenouilles de la fable, qu'un vienne tomber du ciel.
Rien n'était prêt, les commandements n'avaient point été donnés, lorsque, le lendemain matin, la troupe tombe sur nous à l'improviste. On court aux armes, on essaye de prendre position. J'étais posté près des petits murs qui entourent le cimetière de l'église. M. de Queihllac, désirant prévenir l'effet de cette surprise, s'avance et demande à parlementer. Le commandant marche à sa rencontre. Ils venaient de se serrer la main lorsqu'un coup de feu partit, on ne sait d'où. Aussitôt, un détachement de ligne, vingt gendarmes, des brigades de Douane et des gardes nationaux cernent la place et font feu sur nous. Nous ripostons de notre mieux, mais une seconde décharge abat une dizaine de nos hommes. A cette vue, les paysans reculent, les officiers essayent en vain de les rallier à l'entrée du bourg, mais ils sont bientôt consolés, en voyant que les bleus battent en retraite de leur côté : c'était une déroute des deux parts.
Cet insuccès fut mis sur le compte de la surprise et n'empêcha point notre petite troupe de se reformer assez vite. Deux jours après, on envoyait à Blain un détachement dont je fis partie. La résistance fut plus bruyante que sérieuse ; en peu de temps nous étions maîtres de la place et le vieux drapeau de la France remplaçait les couleurs républicaines. Les brigades de Blain et de Guéméné se replièrent devant nous et, par un détour, vinrent se concentrer sur Savenay.
En peu de jours, le drapeau blanc fut arboré à Missillac, Fay, Cambon, la Chapelle-des-Marais, etc. Des renforts nous arrivaient de tous côtés et nous attendions impatiemment l'occasion de prendre une revanche.
Notre seconde affaire eut lieu dans les bois de Queihllac entre Bouvron et Quilly. Cette fois, les mesures étaient mieux prises, nous avions commencé à exercer nos hommes, les grades avaient été donnés sous la direction de M. de Couëslin, commandant de notre division. Pour ma part, j'avais reçu le grade de sous-lieutenant et il me fut conservé, lorsqu'au retour de Louis XVIII, j'entrai dans la garde royale.
Le 25 mai, vers midi, on apprend que la troupe est sortie de Savenay et se dirige sur nous. Le château de Queihllac, avec ses douves et son pont-levis, aurait pu résister assez longtemps, mais nous étions nombreux et l'on préféra se porter en avant.
Nous suivions une grande avenue de sapins qui traverse une prairie en pente bordée par des taillis, lorsque nous vîmes arriver un bonhomme qui marchait en se cachant derrière les fossés.
C'était un meunier, qui, du haut de son moulin, avait suivi les mouvements de la troupe. Arrivé à nous, il nous montra du doigt les bois et dit : "Les bleus sont là." Aussitôt nous nous alignons le long de l'avenue, cherchant de l'oeil ce front de bataille que les fourrés nous masquaient ; rien ne se montrait.
Impatienté de cette attente, M. Richard s'offre à faire une reconnaissance ; c'était un grand gaillard de près de six pieds de haut et une large balafre lui coupait la figure. Seul, il traverse la prairie, s'avance jusqu'à lisière du bois, et d'une voix formidable crie : Vive le roi ! en déchargeant ses deux coups de fusil. Un feu de peloton lui répond ; il se sauve sous une grêle de balles et nous rejoint sans avoir reçu une égratignure.
L'affaire s'engage chaudement ; les balles ricochaient sur les troncs d'arbres et allaient atteindre ceux qui se croyaient bien à l'abri ; il y eut beaucoup de blessés de part et d'autre. [A l'hôpital de Savenay, les chirurgiens remarquèrent qu'un certain nombre de leurs blessés avaient reçu des balles d'un très gros calibre que l'on attribua au fusil de M. Richard. Les soldats ont conté depuis qu'en voyant marcher sur eux ce grand gaillard qui venait affronter tout un détachement, ils s'étaient dit : Si tous les chouans sont comme celui-là, nous sommes ... battus.] Je faisais le coup de feu avec mes hommes, et voyant que nos adversaires perdaient du terrain, nous commencions à nous porter en avant, quand mes paysans se retournent vers moi : "Lieutenant, les gendarmes !" et du doigt ils me montrent les tricornes par dessus une haie. Cette vue avait un peu ralenti leur ardeur. Mais bientôt la troupe battit en retraite et les gendarmes en firent autant. Ce fut une véritable petite victoire pour nous.
Le soir, lorsque la troupe revint à Savenay, où le bruit de sa défaite l'avait précédée, la consternation fut au comble. Le sous-préfet, pris de panique, fit déménager en toute hâte ses bureaux et ceux de l'enregistrement ; on les dirigea sur Lavau, prêts à passer la Loire. Des émissaires furent expédiés le soir même à Nantes pour demander des secours.
Les Savenaisiens avaient élevé une sorte de fortification en terre ou de blockaus, et, pour le défendre, on avait convoqué les gardes nationaux des cantons voisins. Il est vrai que nul n'était venu. A Donges seulement, on avait fini par recruter une vingtaine d'hommes, mais le jour où on leur avait distribué des fusils, leurs femmes avaient entouré le capitaine, menaçant de lui arracher les yeux si son escouade sortait du bourg.
A défaut de cette milice rurale, Savenay avait des détachements du 65e de ligne, des brigades de gendarmerie, des soldats de marine et des douaniers. Et maintenant, ces défenseurs étaient battus ; ils pouvaient voir du haut de leurs fameux blockhaus le drapeau blanc flotter partout au loin dans les campagnes.
Dans la ville, on s'attendait à une attaque pour le lendemain, et sans doute, après notre succès, il nous eût été facile de nous en emparer. Mais tel n'était point le dessein de nos chefs, qui avaient à opérer notre jonction avec l'armée bretonne. On laissa donc aux administrateurs de Savenay le temps de calmer leur terreur.
Le lendemain, je couchai à Carheil, chez le marquis de Couëslin, père de notre commandant. Nous étions soixante chefs avec nos chevaux et près de deux cents soldats. Toute cette garnison tenait sans trop de peine dans les vastes bâtiments du château.
Dans la nuit du 28 au 29, nous partions pour Pontchâteau, que l'on traversa sans s'y arrêter ; à l'aube, nous arrivions à Missillac et peu après, à la Bretèche, qui était le but de notre marche. Jamais je n'oublierai l'impression que j'eus, lorsqu'au soleil levant je découvris, au milieu d'un beau lac entouré de bois, les tourelles et les toits pointus du château de la Bretèche. Il semblait sortir du milieu de l'eau et, sur la plus haute tour, l'étendard fleurdelysé ondoyait sous le ciel et se reflétait dans le miroir du lac. Les futaies de chêne qui entouraient alors l'étang étaient les plus belles que j'aie vues et les vieilles bauches de la forêt du Gâvre ne peuvent leur être comparées.
Après avoir défilé sur une petite jetée au bord de l'eau, nous arrivions par un détour devant la poterne qui défend du côté de terre l'entrée du château ; le pont-levis fut abaissé, et nous entrâmes dans la vieille forteresse où nos fatigues furent bien vite oubliées.
Il nous eût été facile de nous cantonner là et d'y tenir bon contre les bleus, mais, avant tout, il fallait songer à rejoindre nos compagnons d'armes de la division de Sol [L'armée royaliste du Morbihan était sous le commandement de M. de Sol de Grisolle.] - D'autres détachements vinrent se réunir à nous, et quelques tournées dans les environs, à Crossac et dans les paroisses voisines, nous fournirent de nombreuses recrues ; malgré ces renforts, nous n'étions guère plus de six cents. Le service commençait à se faire plus régulièrement, et une paye de cinq sous par jour était accordée aux hommes.
Nous nous rendîmes ensuite à l'embouchure de la Vilaine pour faire opérer un débarquement d'armes et de munitions. C'est sur cette côte que je fus témoin d'un trait de courage féminin qui fit notre admiration à tous :
On avait plusieurs fois essayé de rejoindre les bâtiments qui attendaient entre Hoedic et l'île du Met, mais nos barques avaient été forcées de revenir sous le feu des soldats montés dans des chaloupes de douane. Voyant qu'un plus long retard pouvait compromettre l'entreprise, madame de Botderu demande à M. de Couëslin ses instructions, monte dans une barque et bien en vue, traverse la croisière qui gardait l'entrée de la Vilaine. Elle rejoint au large la flotille, convient d'un point sur la rive pour le débarquement des armes, et revient saine et sauve rejoindre l'armée royaliste.
Le débarquement eut lieu la nuit suivante à Foleux en Béganne, sur la rive droite de la Vilaine. Il y avait près de 8.000 fusils, une pièce de quatre, un obusier, des munitions, des gibernes et des souliers. On partagea ce secours avec la division de Sol. Quand nos hommes eurent en mains ces gros mousquets calibre 12, qui faisaient un bruit de tonnerre, ils furent si enchantés qu'ils ne parlaient de rien moins que de marcher sur Paris.
Le 4 juin, l'armée royaliste arrivait devant Redon ; là se trouvaient MM. de Sol de Grisolle, commandant des détachements du Morbihan, de Langourla, Cadoudal, de Pioger, de Sécillon, de Penhouët et beaucoup d'autres gentilshommes bretons. Après une vive fusillade échangée dans les rues des faubourgs, les royalistes pénètrent au coeur de la ville ; les assiégés sont refoulés ; ils se retirent dans la cour auprès de la mairie et s'y défendent avec rage. On menace d'y mettre le feu s'ils ne veulent se rendre, mais on ne songeait guère à mettre ce projet à exécution et la résistance continua. Jusqu'au soir on échangea des coups de feu.
Le matin du 5, des renforts arrivèrent par les routes de Nantes et de Vannes ; il fallut se retirer. Les pertes des royalistes furent assez sérieuses ; M. de Langourla, un des chefs du Morbihan, fut tué ; M. de Pioger, le jeune, blessé à mort.
Cet échec nous privait d'un point important ; Redon eût servi à assurer une communication avec le Morbihan et à intercepter le passage de la troupe entre Vannes et Nantes.
M. de Couëslin résolut de réparer cette perte et le 8 juin nous arrivions à marche forcée sur la Roche-Bernard. Construite sur un coteau de deux cents pieds de haut, qui domine la rive gauche de la Vilaine, cette petite ville est protégée au sud par un ravin profond et cette position sur la pointe d'un triangle la rendait facile à défendre.
Après avoir gravi la route de Redon, qui donne accès dans le faubourg, nous voyons des groupes se former près du marché et l'on fait halte. Mais rien n'était concerté pour la défense et en peu d'instants nous étions maîtres de la place, sans coup férir. On chercha alors le maire ; des habitants nous prévinrent qu'il avait fait armer une embarcation ; avec des soldats de douane et des marins, il devait descendre la Vilaine. Cependant, la barque toute chargée de fusils était encore amarrée sur le bord. Enfin on réussit à le découvrir chez le docteur B... ; il se constitua prisonnier et nous prîmes avec lui quelques arrangements pour l'occupation de la Roche-Bernard.
Le lendemain arrivèrent des brigades de soldats de marine ; en apprenant que nous étions maîtres de la ville, ils se replient sur Savenay où leur retour imprévu jeta l'alarme ; on les prit pour des royalistes, ce qui ne les empêcha pas de pénétrer sans peine jusqu'au coeur de la place. Là, ils annoncèrent la prise de la Roche-Bernard.
Nous restâmes trois jours à la Roche ; et le soir du 10 juin, nous passions la rivière pour rejoindre les détachements du Morbihan que l'on apercevait sur l'autre rive. L'armée royaliste traversant Questembert et Peillac, arriva à Rochefort-en-Terre où elle prit un peu de repos. Tout le pays était pour elle et les habitants de Rochefort traitèrent de leur mieux les défenseurs du roi.
Le 17, nous regagnâmes les bords de la Vilaine, que l'on passa entre Foleux et le vieux château de la Dame. De là, M. de Couëslin, à la tête de 400 hommes, vint à Saint-Gildas, qui fut pendant quelques jours notre point de concentration. Des recrues nous arrivaient des paroisses voisines et jusque de Sucé et de la Chapelle-sur-Erdre. Malgré cela, notre position était critique : à droite les forces concentrées à Savenay marchaient sur nous par la route de Pont-Château ; à gauche les troupes envoyées de Nantes allaient nous séparer de nos auxiliaires d'Ancenis et de Châteaubriant, et nous prendre entre deux feux.
Le 22 juin, je faisais une reconnaissance sur la route de Plessé avec une quarantaine de soldats. Un cavalier tout poudreux passe au grand galop près de nous. Il nous avait à peine dépassé que dix hommes sortent d'une embuscade, sautent à la tête de son cheval et l'arrêtent. Je me portai bien vite en avant. Ces hommes n'étaient point de notre bataillon, mais ils avaient comme nous la cocarde blanche au chapeau et leur chef avait une large écharpe blanche et deux pistolets à la ceinture. Je lui demandai de quel droit il arrêtait cet homme - "Et vous, mon camarade, de quel droit, me dit-il, vous qui êtes des nôtres, vous opposez vous au service du roi ?" Il m'expliqua que pour se renseigner sur les mouvements des troupes, il guettait ce courrier qui, par un détour, portait des dépêches de Savenay au gouverneur de Nantes, le major Hogendorf. Parmi les papiers dont il venait de s'emparer (était-ce de bonne guerre ?) plusieurs lettres donnaient des renseignements précieux pour nous. Le sous-préfet de Savenay était aux abois ; il annonçait que tout le pays était pour les royalistes. "Des secours, écrivait-il, des secours à marche forcée, ou nous sommes perdus ! Le drapeau blanc flotte dans toutes les communes ; les gardes nationales refusent de s'enrôler."
J'examinais cet homme pendant qu'il prenait rapidement quelques extraits de la correspondance officielle. U de ses soldats lui présentait une petite bouteille d'encre et il écrivait sur son genou. Il déchira une feuille de papier, y traça quelques lignes qu'il me montra, puis le tendant au courrier : "Voilà pour tes patauds de chefs." Ce billet contenait ces mots : "C'est par mon ordre que les dépêches de cet hommes ont été visitées. Pacory, dit Coeur de roi."
C'était le fameux chef des bandes d'Issé, dont la bravoure entreprenante est restée légendaire dans le pays de Châteaubriant.
De Saint-Gildas, nous nous rendîmes à la Chapelle-des-Marais, et le 24 à 5 heures du soir nous entrions à Herbignac. Les gendarmes, les douaniers et quelques cavaliers essayèrent de résister ; ils furent bientôt désarmés.
Le lendemain nous passions par Ferel, Camoël et nous atteignions Penestin à l'embouchure de la Vilaine. Là nous fîmes lever l'impôt du sel au nom de S.M. Louis XVIII. Pendant ce temps, la division de Sol suivait la même direction par la rive droite du fleuve.
Notre petit corps d'armée alla ensuite se cantonner aux environs de Guérande. On avait concentré sur ce point des détachements de la ligne, et tous les postes de douane de la côte, depuis le Croisic jusqu'à Mesquer, y étaient réunis. Je fus un jour chargé d'aller réquisitionner des munitions chez un lieutenant de douane, du côté de Saillé. En arrivant, une bonne femme me prévint que le lieutenant était bien armé et se préparait à résister. J'entrai brusquement chez lui ; sa femme, demi-morte de peur, m'apporta bien vite tout ce qu'il avait de cartouches et de plus un sabre et des pistolets. Je m'en retournais avec ce butin lorsqu'un de mes hommes arrive au galop, monté sur le cheval du lieutenant. Je le renvoyai aussitôt reconduire sa capture où il l'avait prise et je rejoignis les nôtres.
Dans la ville, tout avait été bien préparé pour la résistance ; outre la troupe, il y avait la gendarmerie des environs, les douaniers, pour la plupart anciens militaires, et la garde nationale. Nous n'étions guère en mesure de faire le siège en règle d'une citadelle, bien protégée par ses grands murs et entourée de larges boulevards. Ce fut un conseil de femme qui, en piquant l'amour-propre des chefs et en suggérant le dessein de se signaler par un brillant fait d'armes, décida que l'on donnerait l'assaut à la vieille forteresse.
Dès que cette nouvelle fut connue, nous fûmes rejoints par Terrien Coeur de lion et ses hommes ; malgré ce renfort, nous n'étions guère que douze cents.
Le matin du 8 juillet, l'attaque commence ; nous avions deux pièces de campagne que l'on essaya de mettre en batterie devant la porte Saint-Michel. Mais les détours que forment les rues du faubourg empêchaient de se poster à bonne distance ; de plus, les boulets, trop petits pour le calibre des canons, venaient s'amortir sur les battants des portes, solidement barricadées et rembourrées d'une épaisse couche de fumier.
Les deux grosses tours qui protègent à cet endroit l'entrée de la ville forment le donjon où le château de la place et tous nos efforts se concentrèrent sur ce point. Nos tirailleurs, embusqués dans les maisons et les jardins environnants, commencent un feu nourri et si bien dirigé qu'en peu de temps les défenseurs disparaissent derrière leurs murs. Aussitôt, une dizaine des nôtres s'élancent, la hache à la main, traversent le large boulevard qui précède le château et pénètrent entre les tours. La fusillade avait cessé ; on n'entendait que le bruit des coups de hache ébranlant les vieilles portes de chêne. Nous nous tenions serrés, l'arme au poing, prêts à nous précipiter dès qu'elle livrerait un passage. Nos braves se maintenaient héroïquement à leur poste périlleux et frappaient à coups redoublés. Tout d'un coup, une grêle de moellons, arrachés aux murailles et lancés par les mâchicoulis, vient tomber sur les assiégeants, M. de Lesquen y est tué ; plusieurs grièvement blessés ; il fallut chercher un autre point d'attaque.
Vers midi, j'accompagnais le commandant de Couëslin qui faisait le tour des remparts ; de temps en temps des coups de fusil partaient du haut des terrasses. M. de Courson, qui était près de nous, fut reconnu par un homme qui l'apostropha des noms de brigand et de chouan. En même temps, une pierre lancée avec force vient l'atteindre à la tête et lui fait une sérieuse blessure.
Nos tirailleurs embusqués près des boulevards guettaient si bien les assiégés que ceux-ci ne pouvaient guère se montrer sur les remparts ; ils jetaient leurs coups de fusil à la hâte et se cachaient aussitôt. Un M. N.... se moquait fort de leur maladresse ; il vint se planter au beau milieu du chemin et montrant le bas de son dos aux soldats apostés sur les murs : "Tirez-là, cria-t-il, je ne bougerai pas." Des coups de feu partirent et nous vîmes le malheureux plaisant se rouler à terre en poussant des cris de douleur ; une balle trop bien ajustée avait atteint en plein le but.
Près du faubourg Bizienne, une fusillade assez vive fut dirigée sur nous. M. de Couëslin, sans faire quitter le pas à son cheval, fit emporter les blessés et l'on regagna la porte Saint-Michel.
L'attaque continua tout le jour, mais il eût fallu une véritable artillerie pour s'emparer de cette citadelle. Du reste, beaucoup de ceux qui étaient avec nous appartenaient à de vieilles familles guérandaises, et ils employèrent toute leur influence pour éviter à leur ville les dangers d'un siège en règle. Le soir à 7 heures, on cessa le feu et le lendemain matin nous nous retirâmes.
Le 9, cinq cents hommes de la Jeune Garde arrivaient de Nantes à marche forcée pour secourir la ville. Presque en même temps, les nouvelles politiques nous furent transmises et bientôt le drapeau blanc fut arboré sur les murs de Guérande, placée sous le commandement de M. de Courson.
Nous restâmes sous les armes jusqu'à ce que le pays fut apaisé et toutes les choses rentrées dans l'ordre. Notre quartier général fut d'abord à Pont-Château, puis à Guérande et à Savenay, où nous étions le 30 juillet. Là nous fûmes rejoints par une partie des royalistes d'Ancenis ; avec les hommes levés dans le pays, nous avions près de 3.000 soldats. Les administrateurs de Savenay voyaient d'un oeil jaloux l'autorité qu'exerçait le général de Couëslin ; il leur fallut se résigner. Ce ne fut que le 9 septembre que l'armée royale d'entre Loire et Vilaine fut définitivement licenciée. Ces cinq mois de campagne me parurent bien courts, et je pense toujours avec plaisir à ce bon temps où nous étions prêts à nous faire tuer pour ravoir notre roi.
En 1823, M. Walsh publia une liste malheureusement bien incomplète, de ceux qui rallièrent nos braves paysans pour la défense du roi.
ARMÉE ROYALISTE, 1815 - sous le commandement de M. le marquis de Couëslin - à Guérande, à Savenay.
MM. le comte de Chevigné et son fils Auguste, âgé de 16 ans ;
Richard de la Pervenchère ;
de la Violaye (Alexandre) ;
Athanase de Couëssin ;
Louis de Couëssin ;
Richard de la Roulière (François) ;
Fourché de Quehillac ;
Hersart du Buron (Charles, capitaine des bandes de Vigneux ;
de Soussay (César) ;
de Courson (Jean-Marie) ;
de Vauguérin (A.) ;
la Peccaudière ;
Cadoret (Alexandre) ;
Bessart du Parc (Julien et Fidèle) ;
P. Bouchaud ;
Guilloré (Benoît) ;
de Lisle du Dréneuc (P.) ;
L. Jambu ;
Huet du Pavillon (deux frères) ;
Tregret (Rolland) ;
le Chef-du-Bois (Louis-Valentin) ;
le Lesquen (Joseph et Bernardin) ;
Tenaud (Claude-François) ;
Blanchard (Pierre-Auguste) ;
Acheril, capitaine ;
Champuleaume aîné ;
le Carheil (Jean-Marie) ;
Ménard (Michel) ;
le Bahezre (Jean-François) ;
Pigeaud (deux frères) ;
Richard (Jean) ;
le Marié (François) ;
les Rivières ;
Jollan de Clairville (les deux frères) ;
Jeffredo (Auguste) ;
le l'Escly ;
Dumoustier ;
Monnier (Julien) ;
Martin (Pierre), lieutenant au 65e régiment.
Revue de Bretagne et de Vendée
29e année - 6e série - tome VIII
1885 - 2ème semestre
Voir également : http://shenandoahdavis.canalblog.com/archives/2013/12/25/28738724.html