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La Maraîchine Normande
2 août 2014

L'ISLE-SUR-LA-SORGUE (84) - JUILLET 1793 - LE SAC DE LISLE

JUILLET 1793  -  LE SAC DE LISLE

L'ISLE SUR SORGUE



Le sac de la petite ville de Lisle, dans l'Avignonnais, est un des plus tristes épisodes de la "guerre fédéraliste" qui, en 1793, opposa les provinces du Midi aux troupes régulières et irrégulières de la Convention.

Voici les explications que donne à ce sujet, dans ses mémoires, le général Doppet, alors chef d'escadron et commandant "la légion des Allobroges", auxiliaires savoyards des troupes républicaines françaises. Au milieu de juillet 1793, Doppet est installé au camp de Pontet, à une demi-lieue d'Avignon. Il a sous ses ordres des "Allobroges", et aussi des bandes de sans-culottes de la religion.

Ma situation était, je l'avoue, un peu pénible ; car il y avait, disait-on, cinq ou six mille hommes armés dans Avignon, et on leur faisait espérer un grand renfort de Marseille. Mais ce qui m'embarrassait le plus, c'était la difficulté de discipliner ce grand nombre de citoyens qui s'étaient joints à la colonne. Irrités par le meurtre de leurs parents, indignés de se voir chassés de leurs foyers, quelques-uns  ne respiraient que vengeance. Aussi, de crainte qu'il n'arrivât quelque accident aux prisonniers qu'on était dans le cas de faire, donnai-je l'ordre suivant :

Au camp du Pontet, le 17 juillet 1793.
"Il est ordonné au citoyen Deveyle, adjudant dans la Légion des Allobroges, de se charger de tout détail concernant les personnes mises en état d'arrestation ; il veillera à la sûreté, à la détention et à la nourriture des détenus.
DOPPET".

Ce qui rendait encore ma position difficile, c'est que je n'avais avec moi ni chef de subsistances, ni commissaire des guerres ; c'étaient les municipalités environnantes qui nourrissaient ma colonne. Mais, pour éviter les fraudes et gaspillages, je donnai un ordre conçu en ces termes à ceux qui étaient chargés d'aller dans les communes :

Au camp du Pontet, le 17 juillet 1793.
"Les citoyens chargés de pourvoir de vivres le camp du Pontet sont chargés de faire respecter les propriétés. Ils auront soin de n'exécuter que les ordres que les propriétaires recevront signés des municipalités ou du commandement. Ils auront soin, en prenant du vin pour le camp, de le faire transvaser dans d'autres tonneaux, en y ajoutant une suffisante quantité d'eau pour ôter au vin sa violence.
Cet ordre impose de même l'obligation de ne prendre ni laisser prendre dans aucune maison d'autres subsistances que celles spécifiées dans l'ordre des municipalités ou du commandant, enjoignant aux porteurs de ces ordres de faire des reconnaissances à ceux dont ils requièrent les subsistances.
DOPPET".

J'observe que je faisais distribuer du vin à la troupe, et que je le mélangeais avec de l'eau parce que je n'avais point de vinaigre à distribuer, et qu'il faisait fort chaud.


Malgré la difficulté de la situation et le manque de moyens, je ne négligeais rien pour remplir mes devoirs ; je faisais tout ce qui dépendait de moi pour diminuer le fléau de la guerre, en disciplinant la troupe, empêchant le gaspillage, et protégeant les habitants. On peut s'en convaincre par l'ordre suivant, dont l'original, ainsi que tous les autres, existe dans mon livre d'ordres de ce temps-là, que j'ai encore :

Au camp du Pontet, le 17 juillet 1793.
"La sûreté de l'armée repose sur l'exactitude du service des gardes qui l'environnent ; il faut donc que les chefs de poste fassent le service en soldats républicains. Il est défendu de sortir de l'enceinte du camp pour se porter dans les maisons des citoyens. Si l'on soupçonne des armes quelque part, on ne doit pas se permettre d'aller fouiller, sans avoir préalablement fait sa déposition chez le commandant du camp.
La police intérieure du camp ne saurait être trop exacte, parce que l'ordre en facilite la défense, et que sans discipline une armée ne saurait subsister. Tous les chefs de bataillons et de détachements sont invités à donner l'ordre qu'on lise par compagnie les règlements relatifs à la police et à la discipline dans les camps.
Il est ordonné de mettre de l'ordre dans les distributions, de quelque nature qu'elles soient. Le gaspillage des vivres nous conduirait bientôt au point de ne plus en trouver.
La maraude est un des vices les plus honteux ; elle révolte l'habitant, elle nous fait des ennemis dans les lieux où nous la permettons. Il est donc ordonné à tous les commandants, officiers et sous-officiers, de faire exécuter les règlements militaires envers ceux qui par la maraude tendent à perdre la cause de la liberté.
Il est défendu de maltraiter quelque habitant ou voyageur. S'il est coupable, il faut le faire arrêter par la garde ; mais il ne faut se permettre aucune voie de fait à son égard.
Il est ordonné à tous les chefs de veiller à ce qu'on ne se livre à aucun excès de boisson. On doit mettre de suite à la garde du camp tout soldat pris de vin.
Il est défendu aux officiers, sous-officiers et soldats de se porter en avant des postes de camp sans ordres. La bravoure est la vertu des soldats français ; mais il ne faut pas la changer en imprudence coupable.
Il est ordonné à chacun de prendre soin de ses armes et de ses cartouches. On délivrera des munitions à ceux qui n'en ont pas ; chaque capitaine s'assurera de cela dans sa compagnie.
Tous les chef de bataillons ordonneront qu'il soit apporté chaque jour chez le commandant du camp un état de situation exact ; ils y joindront le nombre des chevaux qui sont à la suite de ces bataillons, pour qu'on puisse se régler sur la quantité des subsistances de tout genre.
Il y aura chaque jour un sous-officier de planton chez le commandant du camp, pour pouvoir facilement faire passer les ordres à tous les bataillons.
LE CHEF D'ESCADRON DOPPET".

Certainement cet ordre n'est ni un code de brigandage, ni de désorganisation, ni d'anarchie. Il n'était pas en mon pouvoir d'empêcher ou d'arrêter la guerre ; mais je remplissais mes devoirs en homme probe, en officier républicain. Il y avait avec moi à ce camp trois chefs de bataillons qui, comme moi, sont dans la suite devenus officiers généraux ; ce sont les généraux Mouret, Patoux et Point. Nous ne négligions rien les uns et les autres pour remplir les ordres du général Carteaux.


Je ne gardai pas longtemps le commandement du camp du Pontet, et je n'en fus pas fâché ; car, dans les guerres de ce genre, il est toujours pénible de commander. Les gens passionnés oublient que le militaire est force obéissante, et ils se croient en droit de lui reprocher des mouvements qu'il n'a fait qu'exécuter d'après les ordres du gouvernement.


Quelquefois, et cela est plus bizarre encore, c'est le gouvernement qui le punit d'avoir exécuté ou fait exécuter ses ordres. Je ne dis pas qu'une telle inconséquence doive ou puisse se renouveler sous notre Constitution ; mais cela est arrivé dans un temps où personne ne voulait avoir eu tort.


Le 18 juillet au soir, l'adjudant général Fox arriva au camp du Pontet. je lui remis le commandement d'après les ordres du général, et je m'en tins à mes fonctions de chef d'escadron.


N'étant plus chargé du commandement du camp, je faisais des patrouilles avec des détachements de dragons sur les bords de la Durance, pour surveiller et arrêter le passage des renforts de Marseille, qui cherchaient à gagner Avignon. Etant le 21 juillet en patrouille du côté de Caumont, on m'apporta une lettre de la municipalité ; et comme elle a en partie donné lieu à un cruel évènement, je ne dois pas la passer sous silence :
"Citoyen, nous vous adressons cette lettre pour vous donner information qu'il doit arriver deux détachements de gens de rébellion, un de l'Haine, et l'autre d'Apt. Nous sommes été avertis par un citoyen de l'Haine, parti de suite pour nous donner l'avis. Ainsi nous vous prions de nous donner du renfort pour les arrêter."
On voit par le style de cette dépêche qu'elle n'était pas d'un orateur de club, comme quelques-uns pourraient le penser ; elle était de simples et francs villageois qui, instruits d'une marche qui intéressait la sûreté de notre camp, nous en donnaient le fraternel avis ; elle était de gens qui craignaient dans leurs foyers l'arrivée de ces détachements  : les assassinats commis à Avignon ne leur donnaient pas envie de pareilles visites.
Je vins tout de suite faire part de cet avis au commandant du camp, et, d'après son instruction, je fus le même jour à Caumont avec un détachement, au lieu d'avoir pris la route d'Avignon, s'étaient rendus à Lisle.
Les uns faisaient monter cette troupe à cinq cents hommes, d'autres à six cents ; tous assuraient qu'elle avait du canon.
Une ordonnance fut expédiée sur-le-champ pour instruire de ce mouvement l'adjudant général Fox. Je lui annonçai que je me portais même sur Lisle, s'il voulait m'envoyer du renfort. Il importait en effet à l'armée du général Carteaux de ne pas laisser l'ennemi former un autre noyau près de nous, et surtout si près d'Avignon qui, par sa position, sa population, ses forces et son importance, attirait toute l'attention du général.
Le commandant du camp me répondit le soir en m'annonçant qu'il ferait partir le lendemain de bon matin cinq cents hommes avec une pièce de huit et une de quatre ; que je les rejoindrais avec mon détachement au Thor, petite ville peu distante de Lisle.
Après m'être concerté avec les divers commandants de détachements, nous partîmes de Thor, et nous arrivâmes près de Lisle sur les sept heures du soir, le 22 juillet. Lorsque nous fûmes environ à portée de canon des murs de la ville, j'arrêtai la colonne ; la troupe fut placée militairement, pour nous tenir sur une bonne défensive, en attendant la réponse des deux dragons parlementaires que je venais d'envoyer à Lisle.
Il y avait à peine un quart d'heure que j'avais fait partir ces deux dragons que j'aperçus un grand mouvement parmi les troupes les plus avancées de ma colonne. Ce mouvement fut de suite changé en tumulte ; et sans avoir donné d'ordre, sans que je susse encore ce que c'était que cela, les canons et la plus grande partie de la troupe étaient déjà presque sous les murs de la ville. En cherchant à rétablir l'ordre et à m'instruire de la cause du mouvement, j'appris que l'un des deux dragons parlementaires avait été tué dans la ville d'un coup de pistolet, et que c'était la nouvelle que venait d'en donner l'autre en revenant au grand galop qui avait excité l'indignation de la troupe.
Quoique je ne fusse pas moins que tous mes camarades révolté de ce trait de violation du droit des gens et de la guerre, je leur fis à tous sentir le danger de nous porter contre nos ennemis sans précaution et dans l'aveugle impétuosité de la vengeance ; je tâchai de la ramener à la distance nécessaire pour ne pas recevoir des coups de fusil à pure perte. Pendant que je faisais ces dispositions, un de nos canonniers fut tué d'un coup de carabine, et j'eus deux ou trois soldats blessés.
Certes je ne pouvais plus douter alors que la ville de Lisle ne fût occupée par les rebelles ; l'assassinat du dragon, et le feu continuel qu'on dirigeait sur nous, sans que nous eussions encore tiré un coup de fusil ni un coup de canon, me le prouvaient suffisamment.
Je ramenai la colonne à la distance d'une portée de canon des murs de la ville, pour nous mettre à l'abri des coups de fusil. Nous passâmes la nuit à prendre nos dimensions avec les autres chefs de bataillons, et nous disposâmes tous nos moyens d'attaque pour le lendemain matin.
Le lendemain matin, 23 juillet, voyant que la ville faisait toujours feu sur nos avant-postes, nous commençâmes l'attaque. Le canon ne pouvant pas renverser la porte de la ville, je commandai un piquet pour l'abattre à coups de hache, et je protégeai leur travail avec mon artillerie. Le commandant du piquet m'ayant rapporté que les haches étaient inutiles, et que la porte était renforcée  en dedans par des poutres, des charrettes et autres obstacles, je fis porter de la paille et des fagots près de la porte, pour y mettre le feu.
J'étais pendant ce temps auprès des pièces de canon, dont je faisais diriger le feu sur les endroits d'où nous venaient les coups de fusil et de carabine. La porte fut longtemps à brûler ; et, sans que j'en eusse d'abord été prévenu, quelques soldats avaient trouvé une brèche au mur et s'étaient introduits dans la ville.
Je faisais continuer le feu de l'artillerie, lorsqu'on m'avertit que plusieurs militaires étaient dans la ville, je fis alors cesser les canonniers. Cependant la porte n'était pas entièrement brûlée ; je ne voulais pas entrer par la brèche parce que je ne voulais pas quitter l'artillerie, dont j'étais responsable. Je craignais de plus que l'ennemi n'eût évacué par les derrières, pour nous tomber dessus au moment où toute la colonne et moi entrerions dans la ville.
Enfin la porte fut brûlée, et j'entrai avec plusieurs officiers. Nous trouvâmes, en entrant dans la ville, presque toutes les portes des maisons enfoncées. Ce fut en vain que je demandai un tambour pour battre la générale ; il n'y en avait pas un à son poste.
Tous les commandants de détachement et autres officiers virent mes efforts pour arrêter le pillage ; ils me secondèrent dans ces efforts ; mais le soldat était indigné ; plusieurs des nôtres avaient été tués, et nos remontrances furent inutiles.
Je me rendis de suite à la municipalité ; elle était vacante. Je fis appeler quelques citoyens qui étaient restés dans la ville ; je les invitai à se constituer en municipalité provisoire, et je les priai d'afficher et de faire de suite avec moi la proclamation suivante :
"Citoyens, des rebelles outrageaient la souveraineté du peuple, en ne voulant plus reconnaître la Convention nationale. C'est au nom de cette Convention que nous combattons ces rebelles ; c'est parce que nous aimons le peuple que nous donnons notre vie pour défendre ses intérêts.
Nous vous annonçons, citoyens, que nous ne sommes ici les vainqueurs que des royalistes ; nous sommes les frères et les amis des patriotes. Paraissez donc autour de nous, bons citoyens. Venez avec nous venger les républicains morts aujourd'hui ! Rétablissez d'abord les magistrats du peuple, que l'écharpe tricolore reparaisse sur le corps des citoyens ! Jusqu'à cette heure les patriotes seuls sont victimes de cette journée ; éclairez-nous sur les lâches qui ont conspiré contre la liberté.
Et vous qui avez souffert, et qui souffrez encore, bientôt vous verrez parmi vous les députés de la Convention nationale ; et soyez assurés que la République est trop juste pour ne pas venir au secours des victimes des maux de la guerre !
Vous, mes frères d'armes, rentrer dans le devoir ! d'autres victoires nous attendent. Qu'au premier son de tambour ou de trompette, tous se rendent sur la place ! Que les lauriers cueillis à Lisle ne nous fassent pas oublier que nous avons donné un rendez-vous militaire à Avignon ! Lisle, le 25 juillet 1793.
LE CHEF D'ESCADRON DOPPET."

Pendant que je prenais avec les officiers municipaux provisoires les moyens de rétablir l'ordre, on vint m'avertir que le feu était à un bâtiment sur la place. Je donnai de suite l'ordre suivant au citoyen Patoux, chef de bataillon :
"Le citoyen Patoux fera de suite battre la générale ; il fera de suite commander deux cents hommes pour coopérer à éteindre le feu. Je suis à la maison commune.
LE CHEF D'ESCADRON DOPPET."

Je prenais, comme on le voit, tous les moyens possibles pour rétablir l'ordre dans cette malheureuse cité. Il n'y avait pas plus d'une heure que j'y étais entré, lorsque je reçus du général Carteaux, qui venait d'arriver au camp du Pontet, l'ordre de revenir au camp avec l'artillerie et de laisser seulement un détachement à Lisle. Comme son armée n'était pas nombreuse, il craignait une sortie d'Avignon ; il avait besoin de son artillerie et de ses troupes. Il est encore à observer qu'à ce moment Carteaux avait soumis le Saint-Esprit, et qu'il était de retour de son expédition.


A la réception de l'ordre du général Carteaux, que je communiquai à tous les chefs de détachement, nous fîmes nos efforts pour rassembler la troupe, et je remis au citoyen Chastel, capitaine dans la Légion des Allobroges, l'ordre suivant :
"Il est ordonné au capitaine Chastel de rester à Lisle avec deux cents hommes d'infanterie. Il y veillera à la sûreté de cette ville, y empêchera les incursions des rebelles, y protègera les patriotes, y fera exécuter les arrêtés de la municipalité provisoirement constituée pour assurer le repos public. Il restera jusqu'à nouvel ordre. Donné à Lisle le 23 juillet 1793.
LE CHEF D'ESCADRON DOPPET".


Je partis le même jour, 23 juillet sur le soir, pour me rendre au camp du Pontet avec l'artillerie et ce que je pus rassembler de troupes. Ce passage de mes Mémoires est sans doute affligeant ; mais qu'on lise le paragraphe suivant avant de me juger.

Arrivé au camp du Pontet le 23 juillet au soir, je fis mon rapport au général Carteaux, qui prit des mesures pour découvrir et punir les moteurs et auteurs du pillage de Lisle, et toute la troupe eut l'ordre de se trouver le lendemain matin sous les armes au camp du Pontet, pour faire un prompt exemple des coupables en présence de toute l'armée.


Le lendemain matin, 24 juillet, le général fit former un bataillon carré. Il était accompagné d'un ou deux représentants du peuple ; je ne me rappelle pas s'il y avait Albitte et Poultier, ou Albitte et Rovère, ou bien Albitte seulement. Ces députés se le rappellent peut-être mieux que moi ; et, en cas de besoin, je ne doute pas qu'ils ne s'empressassent de donner leurs témoignages.


Après un discours énergique, fait par un représentant du peuple sur les horreurs du pillage, le général Carteaux ordonna à tous ceux qui connaîtraient les auteurs du pillage de les dénoncer. Personne ne portant la parole dans les rangs, j'entrai dans le milieu du bataillon carré ; je demandai au général la permission de prendre la parole. Ayant rendu à haute voix compte de ma conduite, j'interpellai tous les officiers et soldats de dire si j'avais ordonné à quelqu'un de piller ... Un "non" général se fit entendre. J'interpellai ensuite les chefs de bataillons et autres officiers de la colonne, de déclarer si je n'étais pas entré dans Lisle avec les canons, si à mon entrée tout le mal n'était pas déjà fait, et si je n'avais pas employé tous mes efforts pour avoir un tambour, afin de faire battre la générale, et rappeler les soldats à l'ordre ... Les officiers quittèrent leurs rangs sur mon interpellation, et se rendant au centre du bataillon carré, ils confirmèrent tous les rapport que je venais de faire.


Après cette information faite en face de l'armée, et après avoir dit au général que j'avais laissé un commandant à Lisle, il me demanda mon rapport par écrit sur l'expédition de Lisle ; il le fit imprimer, et le signa lui-même ... Cette dernière démarche du général prouve qu'il ne me trouva point coupable ; car, dans ce dernier cas, il m'eût livré à la loi ; il eût fait imprimer mon jugement, au lieu de signer et d'approuver mon expédition militaire.


Voilà sans doute des détails qui suffisent pour éclairer ma conduite dans de malheureux évènements de Lisle. J'ai prouvé que j'avais fait dans ce cas tout ce que permettent les forces humaines (et surtout les pouvoirs d'un chef en révolution) pour arrêter les excès. Mais, pour parer à toutes les objections que pourraient faire mes ennemis, je ne dois pas omettre les réflexions suivantes.


On me demandera peut-être pourquoi, dans mon séjour de deux heures à Lisle ; pourquoi pendant l'attaque de la place ; pourquoi dans mon entrée je tins si fort à rester près de l'artillerie ... C'est parce que j'étais responsable des canons ; et voici l'ordre qui m'imposait cette responsabilité :
L'adjudant général Fox,
au chef d'escadron Doppet.
Au camp de Pontet, le 22 juillet 1793.
"Je viens de recevoir votre lettre, mon cher camarade, et j'ai ordonné de suite au citoyen Mouret de se mettre à la tête d'un détachement suffisamment fort, avec deux pièces de canon, qui partent sur-le-champ, pour se rendre au Thor où je vous prie de vous rendre vous-même aussitôt la présente reçue, et de là vous vous consulterez ensemble sur vos moyens et sur la marche que vous avez à tenir pour parvenir à cerner les coquins dont vous allez faire la chasse.
Je vous recommande surtout beaucoup de prudence, et de ne pas aventurer notre artillerie. Vous en sentez la conséquence, et prévoyez facilement les suites qu'aurait une défaite.
Instruisez-moi, de deux heures en deux heures, par des ordonnances à cheval, de ce qu'il y aura de nouveau, et mandez-moi vos besoins.
Faites le moins qu'il vous sera possible de prisonniers, si les scélérats résistent. Ce serait un embarras, et quelques-uns pourraient s'échapper.
Adieu. Je fais les voeux les plus ardents pour la réussite de votre expédition et le bonheur de la République.
EDOUARD FOX."


J'ai transcrit toute cette lettre, parce que d'un côté elle prouve que je suis responsable de l'artillerie ; parce qu'elle démontre que je ne me trouve pas à Lisle sans ordre de mes chefs ; parce que d'un autre côté, et surtout dans la dernière phrase, on me donne des ordres violents à exécuter.
Certes la mesure la plus cruelle à prendre envers un ennemi, c'est d'attenter à la vie des prisonniers de guerre ; et si l'on se croyait en droit de m'autoriser à cette violence, on n'était plus en droit de me demander compte de quelques armoires brisées. Cependant je n'eus jamais l'intention d'exécuter de tels ordres ; je les ai regardés comme un effet d'effervescence de la part de celui qui les avait écrits ; je ne cite pas même sa lettre pour l'inculper.


On pourrait me demander encore comment et pourquoi, sur l'avis de la municipalité de Caumont, je juge que Lisle est en état de rébellion et pourquoi j'appelle des forces pour y marcher ... Voici ma réponse :
Je connais que Lisle est en rébellion contre les troupes de la République marchant par ordre de la Convention nationale, parce qu'on fait feu sur les deux dragons que j'envoie en pourparler, et qu'on en tue un ; parce que les habitants de la ville font feu sur nous sans que nous ayons tiré ; parce que j'y saisis, en entrant, deux pétards (ce sont des bottes dont on se sert ordinairement pour les réjouissances) montés sur des affûts comme des pièces de canon, et chargés chacun de deux ou trois douzaines de balles à cartouches ; parce qu'il y avait parmi les rebelles des hommes décorés de la croix de Saint-Louis. Cela est si vrai, qu'un Allobroge m'en apportera une que je remis à un représentant, et qui a été offerte en mon nom à la Convention nationale.


J'avais surtout jugé de son état de rébellion par l'ordre suivant, que j'avais reçu des représentants du peuple :
"Les représentants du peuple requièrent les citoyens Doppet et autres de seconder le citoyen Tiran, de Lisle, dans ses efforts pour délivrer ses concitoyens de l'oppression.
A Sorgues, le 22 juillet 1793.
F. POULTIER, J.-S. ROCERE."

Voilà une réquisition qui démontre suffisamment que ma colonne ne fut pas dirigée sur Lisle par mon caprice seul ; mes ordres démontrent que je n'ai pas voulu le désordre ; et ma justification faite dans le temps et en face de l'armée, atteste mon innocence. Mais c'est assez m'arrêter sur un évènement affligeant.
Quelque funeste et cruelle qu'eût été l'expédition de Lisle, elle fut cependant favorable aux opérations du général Carteaux ; car, en se fédérant contre la Convention, toutes les villes craignaient le même sort. Cette opération servit de plus à faire replier sur Marseille les forces qui venaient se joindre à celles d'Avignon, et conséquemment cette dernière ville devenait moins difficile à réduire.


A son arrivée, le général Carteaux somma la ville d'Avignon d'ouvrir ses portes aux troupes de la République, et de reconnaître la Convention nationale. La réponse fut insolente et négative. Le général fit donc ses préparatifs d'attaque, et le combat commença à deux heures du matin le 25 juillet.


La résistance fut vigoureuse ; les Avignonnais rebelles nous tuèrent du monde. Cependant, à l'activité qu'y mettait Carteaux, et à la fermeté de nos troupes, l'ennemi finit par n'opposer que la fuite, qu'il lui fut d'autant plus facile d'exécuter que nous n'avions pu cerner la ville pendant l'attaque, à cause du Rhône et de la Durance. Le général m'ordonna de poursuivre les fuyards et de placer un piquet à la barque de Barbantane. Ses ordres furent exécutés ; les Allobroges firent beaucoup de prisonniers, et leur enlevèrent deux pièces de canon.


Je n'entre dans aucun détail relativement aux opérations politiques du général et des représentants du peuple après notre entrée dans chaque ville soumise à la Convention nationale. Ce que je peux dire avec vérité, c'est que j'ai vu l'un et les autres prendre toutes les mesures pour rendre moins affreux les maux de la guerre.

GÉNÉRAL DOPPET

Extrait :
Revue : Lisez-moi Historia
Numéro 57 - juillet 1936

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La Maraîchine Normande
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