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La Maraîchine Normande
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31 janvier 2014

LOUIS-ESPRIT BONAMY - PHARMACIEN MILITAIRE (1750-1809) - UN NANTAIS A SAINT-DOMINGUE

LOUIS-ESPRIT BONAMY, PHARMACIEN MILITAIRE (1750-1809)

 

acte de naissance Louis-Esprit Bonamy



Louis Esprit Bonamy, sixième enfant d'une famille qui en compta treize, naquit le 22 octobre 1750 à Nantes (paroisse Saint-Nicolas). Il appartenait à une famille d'apothicaire : son arrière-grand-père Michel Bonamy (1647-1700), son grand-père François Bonamy (1676-1743), son père Michel-Mathurin étaient maîtres-apothicaires à Nantes. Il fut à son tour reçu maître en pharmacie le 25 juin 1777 à Nantes ; nous ne savons s'il y exerça.


Il passe à Saint-Domingue en 1782 "pour ses affaires", dit son brevet d'apothicaire-major. Peut-être allait-il y rejoindre son frère Alexis. Dans cette colonie il est "employé au service des hôpitaux du Cap" de 1782 à 1791. Mais Bonamy ne put en apporter la justification lors de la liquidation de sa retraite : "L'incendie du Cap a consommé les preuves", écrit "Madame Bonamy, au nom de son mari aveugle", en réponse à une note ministérielle du 25 février 1809.

 

incendie du Cap


En 1792, Bonamy de retour en France est "employé à la fabrication des assignats" ; il prête le serment civique décrété par l'Assemblée Nationale le 14 septembre. Le 19 janvier 1793, à 42 ans, il est nommé apothicaire-major, avec apparemment les attributions de pharmacien en chef de l'expédition des îles du Vent, - qui devint armée des Antilles.
Mais le 10 floréal an III (29 avril 1795) "les représentants du peuple près les Côtes de Brest et de l'Orient" font destituer Bonamy de son emploi, comme "ayant participé aux horreurs commises sous la tyrannie qui a précédé le 9 thermidor". - Bonamy proteste.
Le 6 frimaire an IV (27 novembre 1795), le Conseil de Santé rend compte au Ministre de la Guerre que Bonamy n'a jamais perdu sa confiance, et demande sa réintégration "dans la place de pharmacien en chef de l'expédition des Indes occidentales".
La demande n'est pas suivie d'effet. Le Conseil de Santé, dans un second rapport signé par huit de ses membres, dont Bayen et Parmentier, "remet sous les yeux du ministre la proposition qu'il lui a faite le 6 frimaire d'ordonner la réintégration du citoyen Bonamy ... comme cet officier de santé n'a jamais démérité dans l'exercice de sa place". La minute porte la mention "Pressé. Séance du 11 pluviôse an IV" (31 janvier 1796). Sept jours plus tard Bonamy est réintégré.


Le 22 ventôse (13 mars 1796), il embarque pour Saint-Domingue sur la frégate "La Renommée", arrive au Cap Français le 21 floréal (10 mai), n'y fait qu'un court séjour, réembarque le 15 nivôse an V (4 janvier 1797) sur la corvette "La Sagesse" et débarque à Rochefort le 8 ventôse (26 février).
Le 16 thermidor an V (3 août 1797) il est réformé.


Bonamy est rappelé à l'activité comme pharmacien de 1re classe à l'hôpital militaire de Rennes le 28 pluviôse an VI (16 février 1798).
Le 14 brumaire an IX (5 novembre 1800) il est nommé pharmacien en chef de l'expédition de Brest, mais peu après, le 14 ventôse (5 mars 1801), il redevient pharmacien de 1re classe à l'hôpital militaire de Quimper et est réformé le 14 germinal (4 avril 1801).
Il ne reste pas longtemps dans cette position. Le 11 brumaire an X (2 novembre 1801) le ministre de la Guerre (Berthier) informe Bonamy, "pharmacien de 1re classe actuellement à Rennes", que sur proposition du Conseil de Santé il le désigne "pour être employé à l'expédition de Saint-Domingue en qualité de pharmacien en chef". Berthier ajoute : "Vous vous rendrez sur le champ à cette destination par Brest."
Ainsi Bonamy devient pharmacien en chef de l'armée dont Bonaparte donne le commandement à son beau-frère le général Leclerc. Le ministre de la Guerre désigne d'autre part un médecin en chef (Gilbert) et un chirurgien en chef, mais ce dernier ne prit point le départ. Le ministre de la Marine désigne de son côté, pour servir à Saint-Domingue, les officiers de santé en chef Peyre médecin, Trabuc chirurgien, Bouvier pharmacien.

 

chirurgien en chef 3La flotte lève l'ancre le 23 frimaire an X (14 décembre 1801), arrive dans la baie de Samana le 9 pluviôse (29 janvier 1802). Le corps expéditionnaire est divisé en plusieurs groupes. Le général Leclerc débarque avec ses chefs de service au Cap Français et trouve la ville pillée et incendiée.
Le 28 pluviôse Leclerc attaque et remporte des succès partiels. Ses soldats rentrent au Cap vers la fin de germinal (avril 1802). Les premiers cas de fièvre jaune éclatent aussitôt (Dr P. Bonnette : Le calvaire médical de Saint-Domingue et de la Guadeloupe, an X et XI, in Hippocrate, 1938).
"Le général en chef de l'Armée, capitaine général de la colonie de Saint-Domingue, voulant organiser d'une manière définitive et stable les hôpitaux militaires et civils de la colonie et simplifier tout ce qui concerne l'art de guérir appliqué aux individus qui y font séjour", prend le 14 floréal an X (4 mai 1802) un arrêté aux termes duquel il crée un Conseil de Santé colonial et un inspecteur du Service de Santé de la colonie, fixe leurs attributions respectives et désigne les titulaires : Gilbert, Trabuc et Bouvier sont nommés membres du Conseil de Santé colonial, et Peyre, inspecteur.
Bouvier est donc préféré à Bonamy. Avant leur désignation pour Saint-Domingue, le premier était "second pharmacien en chef" au port de Lorient, tandis que Bonamy était "pharmacien de 1re classe" en réforme.
De plus, le service pharmaceutique de l'armée avait fort mal fonctionné au débarquement. Le Conseil de Santé (Coste) écrivait en germinal à Bonamy : "Il a été pénible pour nous, citoyen, d'apprendre que votre service n'était pas assuré, et que sans quelques médicaments que la Marine a pu vous fournir, vous en auriez totalement manqué".
De cette carence Bonamy n'était sans doute pas responsable. Dans le compte rendu de son administration, l'Ordonnateur en chef de l'Armée expéditionnaire (H. Daure) dit : "Les approvisionnements promis à l'armée avant son embarquement et qui devaient être tirés de Rennes et de Morlaix n'arrivèrent à Saint-Domingue que longtemps après l'expédition, et quoique déjà insuffisants, ils se trouvèrent encore de mauvaise qualité".
La situation déplorable du service pharmaceutique ne pouvait rendre le commandant de l'armée favorable à son chef, Bonamy. Celui-ci reçoit de Daure la notification suivante, datée du 11 prairial an X (31 mai 1802) :
"Il n'est conservé qu'un seul pharmacien en chef. C'est le citoyen Bouvier, nommé par le ministre de la Marine qui a été désigné pour faire partie du Conseil de Santé. En conséquence, je vous préviens que vous êtes de nouveau à la disposition du ministre de la Guerre, à qui j'en donne avis.
Je suis bien aise de trouver cette occasion pour vous témoigner combien je suis satisfait de vos services, et désire vous donner des preuves non équivoques de mon estime".


Que se passa-t-il par la suite ? ... Tandis que Bonamy attend son rapatriement, la fièvre jaune fait au Cap de très nombreuses victimes. Deprépetit, chirurgien de 1re classe de la marine, dans sa Dissertation sur la fièvre jaune (Thèse de médecine, Paris, 1804), dit : Que de personnes qui avaient vivement sollicité de l'emploi dans les colonies et qui étaient parties avec autant d'empressement que de courage, ont bientôt changé de manière de voir et d'agir ! Ils ont été ébranlés par la terreur et par un effroi insurmontable".
Dans cette ambiance, Bonamy écrit le 22 prairial an X (11 juin 1802) au général en chef :


"Votre arrêté qui crée le Conseil de Santé colonial a annulé mes fonctions. Je ne dois et ne peux en remplir aucune qui ne soit relative à mon grade ... Rien ne peut me retenir. Je ne veux pas mourir ici infructueusement pour ma famille. Ma femme n'a que moi dans l'univers, et je lui dois mon travail et mon existence. Relégué à l'hôpital des Pères, je n'y respire que la mort. Toutes nos chambres ne sont infectées que de morts et de mourans. La nuit dernière, je n'avais dans les chambres qui m'avoisinent que les hoquets de trois moribonds. Ce matin, mon premier spectacle a été un cadavre. Ma présence est absolument inutile ici, parce que je ne consentirai jamais à remplacer les subalternes qui meurent. Je préfère sacrifier l'arriéré de France qui m'est dû, la gratification de campagne que je n'ai jamais reçue, et pour obtenir mon retour en France, vous prier d'accepter ma démission.
J'ai l'honneur de vous saluer très respectueusement".

 

SAINT-DOMINGUE 3


La réaction de Leclerc est immédiate. Ce même 22 prairial il écrit au commissaire ordonnateur en chef :
"Vous trouverez ci-joint, citoyen Ordonnateur, la lettre du lâche Bonamy, qui a cru ne pouvoir rester à Saint-Domingue parce qu'il n'était pas pharmacien en chef de l'armée, quoiqu'il en eut les appointemens. Cet homme a cru apparemment, en arrivant à Saint-Domingue, n'avoir à y cueillir que des roses ; cet homme qui craint la mort, est indigne de servir dans une armée française. Je le destitue, et vais écrire au ministre de la Marine (sic) afin qu'il désigne, à la France entière, l'homme pusillanime, qui a préféré une vie déshonorée, à la gloire de rester à son poste dans un moment de danger.
Je charge le chef de l'Etat-major de l'Armée de renvoyer cet homme en France, et de lui signifier que j'ai pour lui le plus profond mépris.
Qu'une conduite aussi basse n'a point trouvé d'imitateurs dans les officiers de santé de l'Armée, du zèle et du dévouement desquels le général en chef est très satisfait.
Je vous salue".


A cette époque de la désastreuse campagne, le moral de l'armée était très bas. Le commandement devait réagir : Les deux lettres ci-dessus furent reproduites dans l'ordre du jour du 30 prairial (19 juin 1802) du général commandant en chef, et ainsi portées à la connaissance de toute l'armée.
Cependant dans les Lettres du Général Leclerc ... de Saint-Domingue, publiées en 1937 par Paul Roussier, il n'y en a pas où mention soit faite de Bonamy. On en trouve pourtant dans lesquelles Leclerc juge sans ménagements des officiers nommément désignés. De l'un il dit "officier très médiocre qui ne pensait qu'à l'argent" et d'un autre : "il est impossible de voir un homme plus nul et ayant moins de capacité".
La seule allusion à l'affaire Bonamy peut être trouvée dans la lettre LXXVII du 22 prairial au ministre de la Marine : "Il faut que vous m'envoyez quatre-vingts officiers de santé. La maladie emporte tous les miens, mais envoyez-moi des officiers de santé courageux ..."
D'autre part, le certificat suivant, que présenta Bonamy au moment de sa demande de retraite, témoigne que le blâme de Leclerc parut injuste aux officiers de santé de l'armée expéditionnaire.


"Au Q.G. au Cap Français, le 11 messidor an X (30 juin 1802).
Je soussigné, chirurgien en chef de l'armée certifie que le citoyen Louis Esprit Bonamy, pharmacien en chef de l'armée de Saint-Domingue, n'a cessé pendant tout le tems où il a été mon collègue de donner des preuves de son intelligence, de son zèle et de son assiduité dans l'exercice de ses fonctions ; qu'il a constamment visité les hôpitaux militaires du Cap et fait tout ce qui dépendait de lui pour que le service de Santé ne fût point entravé, dans un moment où le dénuement le plus absolu rendait cette tâche extrêmement difficile.
Je certifie, en outre, que j'ai toujours trouvé dans le citoyen Bonamy un homme probe et dont la moralité peut être attestée par tous ses collaborateurs.
(Signé :) Trabuc".
"Vu par le Pharmacien en chef membre du Conseil de Santé Colonial.
(Signé :) Bouvier".
"Nous, officiers de santé de tous grades employés à l'armée de Saint-Domingue, certifions la vérité du contenu ci-dessus, attestons en outre que le citoyen Louis Esprit Bonamy n'a cessé, pendant l'exercice de ses fonctions, de montrer tout le zèle et l'encouragement possible envers ses collaborateurs, et que ce n'est pas sans peine que nous voyons partir cet officier de santé en chef de l'armée, dont la moralité encourageaient ses collaborateurs dans la tâche pénible qu'ils ont à remplir dans le moment présent.
Suivent quinze signatures avec indication du grade des signataires".
"Vu et vérifié le présent par moi Commissaire des Guerres chargé de la police supérieure des hôpitaux militaires de l'armée et attesté que les citoyens qui ont signé sont tels qu'ils se qualifient ; en foi de quoi j'ai soussigné le présent.
Au Cap le 12 messidor an X.
(Signé :) Reybaud".


Bonamy rentre en France. Le 9 frimaire an XI (30 novembre 1802) le Conseil de Santé propose au ministre de la Guerre de "mettre à la réforme le citoyen Bonamy ... proposition fondée sur ce que la réforme" (il n'est pas question de destitution) "prononcée par le général Leclerc doit être confirmée par le directeur ministre".
Le 5 brumaire an XII (28 octobre 1803) le ministre de la Guerre (Dejean) prononce "la cessation d'activité" de Bonamy à la date du 30 du dit (22 novembre 1803).
Par décision ministérielle du 11 novembre 1806, Bonamy est rappelé à l'activité comme pharmacien en chef de l'hôpital de Wesel ; mais Bonamy est malade ... Le ministre annule la décision.
Le 5 mars 1808, les officiers de santé en chef de l'hôpital militaire de Rennes certifient que Bonamy "est atteint de la perte de la vue des deux yeux, a toute l'habitude dans un état d'empâtement et la surface de la peau couverte de pustules dartreuses, plus ou moins élevées, particulièrement à la face, aux mains, aux oreilles, aux bras, aux cuisses, aux jambes et aux pieds. Le gonflement des extrémités tant supérieures qu'inférieures l'empêchent de se servir et de marcher. Cette affreuse maladie, étrangère à notre climat, a résisté depuis trois ans à tous les traitements qu'il a faits, d'après les conseils des hommes de l'art les plus érudits, et ne laisse aucun espoir de guérison."
Un an plus tard, le 25 février 1809, les officiers de santé en chef de l'hôpital militaire de Rennes, examinant à nouveau Bonamy, ajoutent à leur description précédente : "A cet état externe se joint la plus grande difficulté dans la déglutition, la respiration et l'expectoration".
Cette "affreuse maladie étrangère à notre climat" serait la "lèpre", que Bonamy contracta à Saint-Domingue auprès des "malades attaqués de la même maladie", ainsi que l'atteste un certificat daté de Rennes, 20 mars 1809, signé d'un médecin que nous n'avons pas identifié, qui s'intitule "médecin principal des divisions du nord, de l'ouest et du sud de l'armée française à l'isle de Saint-Domingue sous le commandement du général Leclerc".


Bonamy, en position de réforme au traitement annuel de 1.800 francs ayant demandé sa mise à la retraite, la liquidation de sa pension suivant les règles administratives en vigueur ne devait être que de 645 francs (10 ans de services auxquels s'ajoutent 4 ans pour 2 campagnes aux colonies). Transmettant le mémoire de proposition, le général commandant la 13e Division ajoute :
"Il est de la justice de son Excellence, le ministre de la Guerre d'accorder à M. Bonamy une solde de retraite qui puisse le mettre à même d'exister et de payer les personnes qui veulent bien prendre soin de lui.
A Rennes le 27 février 1809.
(Signé :) Truvot".
Le 6 avril 1809 la retraite de Bonamy est liquidée à 1.800 francs. Il ne devait pas en jouir (!) longtemps. Il mourait à Rennes le 8 mai de la même année.


En rapportant nos recherches (1) sur Louis Esprit Bonamy, nous entendons rendre hommage à sa mémoire. S'il ne succomba pas à Saint-Domingue de la fièvre jaune, comme tant d'autres officiers de santé, il y "gagna" la lèpre, dont il mourut. A ce titre, son nom est à ajouter à la liste des pharmaciens tués ou morts de maladies épidémiques contractées aux armées.

Pharmacien-général R. MASSY

(1) Archives nationales (Dépôts de la Guerre et de la Marine) ; Archives du Ministère de la Guerre ; Archives du Musées du Val-de-Grâce ; Archives du Ministère de la France d'Outre-Mer.
Communication faite le 23 octobre 1957 à la Commission d'Histoire de la Pharmacie Militaire,
par le Pharmacien Général MASSY

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