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La Maraîchine Normande
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30 janvier 2014

SAINT-LAURENT-SUR-SEVRE (85) - SOEUR DOSITHÉE : UN PETIT COUTEAU, UN DÉ A COUDRE ET UNE PELOTE D'ÉPINGLES

SOEUR DOSITHÉE

Le 20 avril 1838, à la Maison-Mère des Filles de la Sagesse, à Saint-Laurent-sur-Sèvre, décédait une vieille religieuse. Soeur Dosithée, âgée de quatre-vingt-dix ans. Née en 1738, elle était entrée dans la Congrégation en 1770, c'est-à-dire depuis soixante-huit ans et bien longtemps avant la Révolution. Elle avait donc quarante-cinq ans à l'époque de l'insurrection vendéenne, aux préliminaires de laquelle elle avait assisté, comme spectatrice de premier rang, en plein foyer de l'incendie déchaîné tout autour de la "Ville Sainte" de la Vendée.
Cette survivante de la "Guerre des Géants" n'avait rien oublié des dramatiques évènements dont elle avait été témoin. Très alerte et très gaie en dépit de sa vieillesse, elle prenait plaisir à les raconter, non seulement à ses compagnes, mais encore aux bons Pères de la Compagnie de Marie, plus connus sous le nom populaire de Pères du Saint-Esprit, qui représentaient à Saint-Laurent, tout à côté de la maison de la Sagesse, la branche masculine de la double famille religieuse fondée par le Père de Montfort. Pères et Soeurs écoutaient avidement ces récits du temps de la "Grand'Guerre" ; on se les transmettait de l'un à l'autre, dans les deux Communautés, et c'est ainsi que, grâce à une tradition fidèle et ininterrompue, ils ont été conservés - je pourrais dire tout chauds - dans chacune des deux maisons religieuses.

Il y a trente ou quarante ans on trouvait encore là-bas, au Saint-Esprit comme à la Sagesse, quelques vieux auditeurs et vieilles auditrices de Soeur Dosithée, et je tiens à dire (car j'ai pour habitude de toujours donner mes références) que c'est en écoutant moi-même, jadis, ces véridiques confidents ; que j'ai eu la bonne fortune de pouvoir recueillir les éléments de la présente chronique.
Jadis ... c'est-à-dire il y a déjà bien longtemps, hélas ! et cela ne me fait plus jeune ! ...

Voilà tantôt un demi-siècle, en effet, que j'entendis parler pour la première fois de Soeur Dosithée ! ... A cette époque, mon père était médecin des deux Communautés de la sagesse et du Saint-Esprit ; je faisais souvent avec lui le voyage de la Verrie à Saint-Laurent, où, pendant la visite médicale, j'attendais à la pharmacie de la Sagesse, en tête à tête tantôt avec Soeur Elizabeth, tantôt avec Soeur Saint-François, qui, l'une et l'autre, aimaient à me tenir compagnie en me bourrant de gommes ... et en me racontant des "histoires" de la Grand'Guerre. Or, je me souviens que le nom de Soeur Dosithée revenait à chaque instant, au cours de ces "histoires" ...
Comme je n'étais alors qu'un bambin, il me serait difficile de préciser quoi que ce soit de ces premiers récits. Mais plus tard, en 1860, l'ex-bambin, fils du médecin, étant devenu, à son tour l'avocat des Pères de la Compagnie de Marie menacés d'expulsion, eut à passer au Saint-Esprit plusieurs veillées d'armes, au cours desquelles il entendit raconter de nouveau, par un vieux Père, quelques-unes des "histoires" de Soeur Dosithée ... L'avocat lui-même n'a malheureusement point tout retenu de ce qui lui fut alors conté, mais il peut du moins garantir la fidélité de sa mémoire quant à l'épisode que voici :

religieuse 5Pendant la première période - la période triomphante - de l'insurrection, Soeur Dosithée n'avait point quitté Saint-Laurent : elle y remplissait le rôle d'infirmière à l'hôpital installé par les Vendéens dans le couvent de la Sagesse. Ce n'est qu'après les défaites autour de Cholet qu'elle dut fuir, avec ses compagnes, à la suite de la Grande Armée en déroute. Elle passa alors la Loire et assista à toutes les batailles qui se livrèrent de l'autre côté du fleuve, jusqu'au désastre du Mans.
Au milieu de l'effroyable désordre qui se produisit à cette dernière affaire, la pauvre Soeur se trouva abandonnée et réduite, avec cinq ou six de ses compagnes, à errer à l'aventure dans les environs de la ville, où elles ne tardèrent pas à tomber entre les mains d'une bande de bleus lancés à la poursuite des Vendéens échappés au désastre.
En pareil cas, d'ordinaire, l'affaire était tôt réglée ; autant de pris, autant d'exécutés sur place, sans distinction d'âge ni de sexe, et presque toujours à coups de sabre ou de crosse de fusil - histoire de ménager la poudre ! Aussi les pauvres prisonnières, qui avaient pu assister, de loin, à plusieurs de ces scènes sauvages, s'attendaient-elles à être massacrées sur-le-champ. Elles furent donc très étonnées en voyant qu'on se contentait de les hisser brutalement sur une charrette où se trouvaient déjà plusieurs femmes et qui, escortée des bleus, se mit en marche dans la direction du Mans.
Hélas ! elles n'étaient point sauvées pour cela et furent bientôt fixées sur le sort qu'on leur réservait !
Par un raffinement de cruauté, les bandits n'avaient renoncé à une exécution générale que pour se donner le plaisir d'une succession de massacres échelonnés tout le long de la route ! A mesure qu'ils avançaient, de distance en distance, ils faisaient descendre une prisonnière ; l'un d'eux s'en emparait, la traînait au bord du fossé et, tandis que le convoi prenait les devants, la passait par les armes ...
Le nombre des victimes se trouvant être égal à celui des bourreaux, il avait été convenu entre les bleus que chacun pourrait se donner ainsi les émotions d'un petit massacre ! ...
Déjà trois ou quatre des prisonnières avaient été expédiées de la sorte, lorsque vint le tour de Soeur Dosithée ...
Plus morte que vive et recommandant son âme à Dieu, elle descendit de la charrette en tremblant, se laissa traîner vers le fossé, fit un dernier acte de contrition, puis, résignée, s'adressant au bleu qui semblait prêt à la frapper : "Le Bon Dieu, lui dit-elle, ayant pardonné à ses bourreaux, je dois vous pardonner moi-même et je le fais de tout mon coeur. Pour vous le prouver, voici trois petits souvenirs que je vous laisse et auxquels je tenais beaucoup. Si vous êtes marié, ces objets pourront servir à votre femme."
Fouillant alors dans sa poche, Soeur Dosithée, en tira successivement un petit couteau guilloché, un dé à coudre et une pelote garnie d'épingles et d'aiguilles, qu'elle tendit au bleu.
Celui-ci, sans répondre un mot, se borna à pousser la pauvre Soeur dans le fossé ; puis, s'étant assuré par un coup d'oeil que le convoi était hors de vue, il s'empressa de relever sa pseudo-victime, et, toujours silencieux, l'entraîna jusqu'à une maison isolée qui se trouvait dans le voisinage et dont il ouvrit la porte en s'écriant : "Maintenant, tâchez de vous tirer d'affaire comme vous pourrez !"
Lorsque Soeur Dosithée, revenu de son étonnement, voulut courir après le bleu pour le remercier, celui-ci était déjà loin dans la direction où il avait laissé ses camarades !

Que ce bleu - vraiment extraordinaire - eût été attendri, au dernier moment, par la résignation de celle qui lui était échue comme victime, ou que son acte de pitié eût été résolu à l'avance, c'est ce que Dieu seul pourrait dire. Toujours est-il que Soeur Dosithée était bien sauvée ; car la maison où elle avait été conduite lui fut hospitalière, et elle put y attendre en sécurité la fin de la tourmente.
Elle conserva pieusement le petit couteau, le dé à coudre et la pelote dont l'offre in extremis lui paraissait avoir été providentielle, et, jusqu'à sa mort, elle ne laissa pas passer un seul jour sans adresser à Dieu une fervente prière pour le "bon bleu" auquel elle n'avait même pas eu le temps d'adresser ses remerciements !

La Vendée Historique
1914

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