UNE FETE RÉPUBLICAINE A DIJON EN L'AN V OU UNE TEMPETE A PROPOS D'UNE RUCHE ...
UNE FETE RÉPUBLICAINE
A DIJON EN L'AN V
OU
UNE TEMPETE A PROPOS D'UNE RUCHE
Nous sommes au 28 fructidor an IV ; quelques jours nous séparent du 1er vendémiaire an V, et tous les bons républicains s'apprêtent à célébrer l'anniversaire de la fondation de la République "avec tout l'éclat que commande une époque aussi glorieuse, et aussi chère à tous les bons Français."
L'administration municipale est réunie ; chargée des dispositions à prendre pour fêter dignement ce jour qui est "l'époque de la régénération des Français", elle arrête le programme suivant :
FÊTE SOLENNELLE
DE L'ÉTABLISSEMENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Vu l'arrêté du Directoire exécutif, en date du 13 fructidor an IV, qui enjoint à toutes les communes de célébrer, avec la pompe et l'éclat que les localités pourront permettre, l'anniversaire de la fondation de la République et prescrit la forme avec laquelle on doit y procéder,
Arrête ce qui suit :
En exécution de l'art. Ier, la municipalité de Dijon demeure chargée des dispositions de la fête.
En conformité de l'art. 2, tous les fonctionnaires publics et employés dans les administrations se rassembleront le Ier vendémiaire, dans la maison commune, à l'heure de huit du matin ; ils se rendront de là en ordre, précédés d'un corps de musique et de plusieurs détachements de la garde nationale, sur la place d'Armes, où sera érigé un autel de la patrie et dans le cas de mauvais temps, dans l'édifice ci-devant Saint-Bénigne ;
Les instituteurs de la jeunesse, suivis de leurs élèves, chantant des hymnes et tenant en main des rameaux de chêne, se rendront dans le même édifice ou sur ladite place ;
Le président de l'administration municipale fera au peuple assemblé la lecture des droits et des devoirs de l'homme et du citoyen, et du premier article de la Constitution de l'an III ; cette lecture sera suivie de chants et musique patriotiques ;
Les auteurs qui, par des discours ou des poèmes auront contribué à accélérer l'établissement de la République, et qui seront présens seront couronnés sur la déclaration des membres composant le jury d'instruction aussi présens ;
La fête sera terminée par des courses, des jeux et des danses, qui se feront au cours du Parc et qui commenceront à trois heures de l'après-midi du même jour ;
La cérémonie sera présidée, dans les deux époques de la journée, par l'administration centrale du département de la Côte-d'Or.
Fait à Dijon, en séance de l'administration municipale, le 28 fructidor an IV, où étaient présens les citoyens Gevigney, Audiffred, Versey, Givoiset, Boillaud, et Thery, administrateurs, et Trullard, commissaire du Directoire exécutif.
Le Secrétaire : DUBLED.
Fiers d'un tel chef-d'oeuvre, nos officiers municipaux se retirent en chargeant leur secrétaire de faire connaître aux habitants les dispositions qu'ils viennent de prendre pour la fête du Ier vendémiaire.
Mais quel ne fut pas leur étonnement, lorsque le lendemain ils apprirent que l'administration départementale avait aussi de son côté rédigé un programme pour cette fête !
Convoqués immédiatement, ils se rendirent en toute hâte à la maison commune, impatients de prendre connaissance de ce document.
Aussitôt qu'ils sont réunis le président fait la lecture de la pièce suivante :
FÊTE DU Ier VENDÉMIAIRE AN V
ANNIVERSAIRE DE LA FONDATION DE LA RÉPUBLIQUE
L'Administration départementale de la Côte-d'Or,
Vu l'arrêté du Directoire exécutif, en date du 13 fructidor, relatif à la célébration de la fête de l'anniversaire de la République ; vu aussi le réquisitoire motivé des commissaires du Directoire exécutif près cette administration,
Considérant que la présidence de la fête est, par l'art. 7, attribuée aux administrations centrales dans toutes les communes de leur résidence, et qu'en conséquence il est de leur devoir de prescrire et de prendre toutes les dispositions qu'elles croiront le plus propres à donner à cette fête l'éclat et la pompe dont elle est susceptible, en raison de son importance,
Le commissaire du Directoire exécutif de nouveau entendu,
Arrête ce qui suit :
Article premier - Les autorités constituées, le jury d'instruction publique, les professeurs de l'école centrale avec leurs élèves, tous les citoyens appelés à la fête par l'arrêté du 13 fructidor, la garde nationale sédentaire et les corps militaires, se réuniront à la maison commune, à huit heures du matin, sous la présidence de l'administration départementale.
Art. 2 - La cérémonie aura lieu au temple des ci-devant Bénédictins et le cortège, pour s'y rendre, traversera les rues de La Monnoie, la place d'Armes, les rues de la Liberté et Bossuet.
Art. 3 - Le cortège marchera entre deux haies de la garde nationale et sera précédé de l'institut national de musique et des tambours, lesquels exécuteront et battront tour à tour des marches guerrières.
Art. 4 - Le président de l'administration centrale prononcera un discours analogue à la fête, et celui de l'administration municipale lira ensuite la déclaration des droits et devoirs de l'homme et du citoyen, et le premier article de la Constitution de l'an III.
Art. 5 - Le jury d'instruction déclarera publiquement les noms des citoyens du département qu'il aura jugés avoir contribué par leurs écrits à l'établissement de la République, auquel effet il demeure invité d'en préparer le choix.
Art. 6 - L'institut national exécutera ensuite des airs patriotiques, et il sera chanté des hymnes républicaines, conformément au programme particulier qui sera fait par le commissaire près de l'administration centrale.
Art. 7 - Le cortège suivra à son retour les mêmes rues et il sera fait une pause au pied de l'arbre de la liberté, où l'institut chantera l'hymne : Veillons au salut de l'Empire.
Art. 8 - L'après-midi, les autorités constituées et autres citoyens se réuniront à trois heures sur la place d'Armes, pour de là se rendre, dans le même ordre que le matin, au cirque du Parc, en descendant par la rue de la Comédie.
Art. 9 - La garde nationale y paraîtra sans armes et seulement avec le fagnon des compagnies.
Art. 10 - Il sera fait par le commissaire de l'administration centrale, appel à la jeunesse pour concourir au prix de la course et autres exercices.
Art. 11 - Les vainqueurs seront couronnés par le président de l'administration centrale.
Art. 12 - Immédiatement après les courses et la distribution des prix, il sera établi dans divers points du cirque, des hautbois et des tambours qui joueront des airs de danse.
Art. 13 - Les autorités constituées et autres citoyens appelés à la fête, se dépouilleront de leurs marques distinctives et prendront part à l'allégresse commune et aux communications fraternelles qu'inspire et ramène le premier jour de l'an.
Art. 14 - L'administration municipale de la commune de Dijon demeure chargée, sous la surveillance du commissaire de l'administration centrale du Directoire exécutif de tous les détails d'exécution et de décoration, et de donner à la garde nationale toutes les réquisitions nécessaires, soit pour l'ordre de la marche, soit pour la police du cirque.
Art. 15 - Elle aura soin, pour éviter la confusion, de marquer, soit au temple des ci-devant Bénédictins, soit au cirque, les places assignées par la Constitution aux différentes autorités, ainsi qu'aux citoyens qui y sont nominativement appelés.
Fait à Dijon, le 28 fructidor de l'an IV de la République française une et indivisible.
Signé : Frochot, Laligant, Fremyet, Presevot et Musard.
A peine la lecture est-elle terminée que toutes les mains se lèvent pour demander la parole. Chacun veut protester contre cet arrêté qui est inutile, opposé aux lois, contraire à l'arrêté du Directoire exécutif, attentatoire à la Constitution, et injurieux à l'administration municipale. Le tumulte est à son comble, les motions les plus énergiques se succèdent sans interruption, et c'est à grand peine que le président peut obtenir le silence. Enfin le calme se rétablit et l'assemblée prend la résolution suivante :
L'Administration municipale de la ville de Dijon,
Vu l'arrêté de l'administration centrale du département de la Côte-d'Or, du 28 fructidor an IV, concernant la fête du Ier vendémiaire prochain,
Considérant que cet arrêté est tout à la fois inutile, opposé aux lois, contraire à l'arrêté du directoire exécutif du 13 de ce mois, attentatoire à la constitution, et injurieux à l'administration municipale ;
Inutile, puisqu'il était de la connaissance de l'administration centrale, que l'administration municipale s'occupait du programme de la fête concernant la fondation de la République ;
Opposé aux lois, en ce que l'art. 3 du titre 6 de la loi du 3 brumaire an IV porte que l'ordonnance des fêtes est arrêtée et annoncée à l'avance par les administrations municipales ;
Contraire à l'arrêté du directoire exécutif, puisque cet arrêté, conforme à la loi de brumaire, dont il ne pouvait s'écarter, charge par l'art. Ier les administrations municipales de faire les dispositions relatives à la fête, et qu'il ne donne aux administrations centrales que le droit d'y présider ; que d'ailleurs l'arrêté de l'administration départementale contrevient dans plusieurs de ses dispositions à l'arrêté du Directoire exécutif, notamment en annonçant que la fête sera célébrée dans un lieu couvert, tandis que le voeu du Directoire s'était prononcé pour une place publique, afin qu'un plus grand concours de spectateurs pût prendre part à la fête, et que ce n'était que dans un cas de mauvais temps qu'il était permis de choisir, pour le lieu de la cérémonie, un édifice ;
Attentatoire à la constitution, I° en contrevenant aux lois et en modifiant les actes de l'autorité supérieure ; 2° en investissant le commissaire du Directoire exécutif près l'administration centrale du droit de surveiller l'administration municipale dans les détails d'exécution et de décoration, tandis que, par la constitution, ce fonctionnaire n'a d'autre pouvoir que de surveiller et requérir l'exécution des lois ;
Et enfin, injurieux à l'administration municipale, en lui donnant un surveillant dans le minutieux emploi de diriger le détail d'exécution et de décoration d'une fête ;
Ouï le commissaire du Directoire exécutif,
L'administration centrale est invitée à rapporter son arrêté du 28 fructidor, présent mois, et d'en donner connaissance à l'administration municipale dans les vingt-quatre heures afin qu'elle puisse faire les dispositions concernant la fête de l'anniversaire de la fondation de la République française, conformément à son arrêté du 28 de ce mois qui a été livré à l'impression le même jour.
Fait à Dijon, en séance extraordinaire du 30 fructidor an IV de la République française, où étaient présens : le citoyen Gabet, président ; Gevigny, Audiffred, Versey, Givoiset, Boillaud, Thery, administrateurs, et Trullard, commissaire du Directoire exécutif.
Cet arrêté, quoique très bien motivé, ne modifia en rien les résolutions de l'administration centrale, car le lendemain elle y répondait en ces termes :
L'Administration centrale du département de la Côte-d'Or,
Vu la délibération de l'administration municipale de la commune de Dijon, en date du 30 fructidor dernier, par laquelle elle invite l'administration centrale à rapporter son arrêté du 28, relatif à la fête du Ier vendémiaire,
Considérant que tous les motifs sur lesquels l'administration municipale s'appuie pour demander le rapport dudit arrêté sont mal fondés, qu'ils ne sont suggérés que par une interprétation fausse et vicieuse tant de la constitution que de la loi du 3 brumaire an IV, de l'arrêté du Directoire exécutif du 13 fructidor dernier, et des intentions de l'administration centrale qui n'ont jamais été de faire un acte injurieux à l'administration municipale ;
Le commissaire du Directoire entendu,
Arrête :
Qu'il n'échet de délibérer, et que l'administration municipale est chargée d'exécuter en tout ce qui la concerne, l'arrêté du 28 fructidor dernier et de concourir, conformément à icelui, à la célébration et à la pompe de la fête du Ier vendémiaire.
Fait à Dijon, en séance du Ier jour complémentaire de l'an IV où étaient présens : les citoyens Presevot, président ; Frochot, Fremyet, Laligand, et Musard, commissaire du Directoire exécutif.
Cette délibération peu faite pour calmer l'irritation de l'administration municipale, lui fut adressée immédiatement avec le programme particulier de la fête, rédigé par le commissaire près de l'administration centrale.
Ce programme, précédé d'une proclamation aux habitants et d'un appel à la jeunesse, renfermait tous les détails de la cérémonie : choix des hymnes patriotiques, règlement pour les courses et les jeux, et ordonnait, entre autres dispositions, pour la décoration du temple, de placer au-dessus de l'autel à la patrie une ruche d'or, emblème de la République.
La lecture de ces deux pièces soulève une tempête formidable dans l'assemblée municipale ; chacun se sent piqué au vif dans sa dignité de magistrat du peuple et dans ses sentiments patriotiques ; on n'entend répéter que les mots : abus de pouvoir, ruche, trahison, conspiration royaliste ; enfin les esprits se calment et l'arrêté suivant est adopté à l'unanimité.
L'Administration municipale s'étant fait représenter son arrêté du 30 fructidor dernier,
Vu l'arrêté responsif de l'administration centrale du premier jour complémentaire de l'an IV,
Vu aussi le programme particulier de la fête du Ier vendémiaire du commissaire près de l'administration départementale, portant qu'il sera élevé au fond du choeur des ci-devant Bénédictins, un autel à la patrie, surmonté d'une ruche d'or, emblème de la République,
Considérant que l'administration centrale, loin de répondre par sa délibération du Ier jour complémentaire aux puissantes raisons qui ont déterminé l'administration municipale à prendre son arrêté du 30 fructidor, se contente de dire vaguement que ses motifs sont mal fondés et suggérés par une interprétation fausse et vicieuse de la constitution et des lois ;
Que cette réponse est insignifiante par elle-même, et contraire à l'intention de l'administration municipale, qui jamais ne s'est écartée de ce principe constitutionnel, qu'il est défendu aux corps administratifs et judiciaires d'interpréter la constitution et les lois ;
Que d'ailleurs il était inutile d'interpréter la loi dans le cas dont il s'agit, puisqu'il est évident que l'arrêté de l'administration centrale est par lui-même une contravention frappante à la loi de brumaire, et qu'il renferme des dispositions textuellement contraires à l'arrêté du pouvoir exécutif ;
Considérant encore que la pièce dite Programme particulier de la fête du Ier vendémiaire, en ordonnant que l'autel de la patrie soit surmonté d'une ruche d'or, présente à l'esprit, par ce signe équivoque, l'emblème de la royauté mieux encore que celui de la République, puisque la tradition vulgaire met une reine à la tête d'un essaim, et que la réunion des abeilles est plutôt considérée comme l'image de la société, que comme celle d'un gouvernement républicain.
Ouï le commissaire du directoire exécutif,
Arrête :
Qu'elle entend se pourvoir près du ministre de l'intérieur et de la police contre les arrêtés de l'administration départementale du 25 fructidor dernier et premier jour complémentaire, et contre les actes du commissaire du directoire exécutif, intitulés : Programme particulier de la fête du Ier vendémiaire, et, Proclamation, Appel à la jeunesse, comme étant attentatoires aux droits de l'administration municipale, et contraires aux loi et arrêté du Directoire exécutif.
Mais pour lever les incertitudes que les citoyens auraient pu avoir à la vue des programmes faits par les deux autorités constituées, qui eussent différé nécessairement dans quelques-unes de leurs dispositions, et eussent empêché que la fête n'ait tout l'éclat et la pompe qui conviennent, déclare qu'elle se conforme à l'ordonnance de la fête tracée par l'arrêté de l'administration centrale du 28 fructidor dernier et aux actes du commissaire du Directoire exécutif près ladite administration, des 30 fructidor et deuxième jour complémentaire.
Néanmoins, comme il importe de ne pas présenter au peuple des images équivoques, arrête que la ruche d'or, prescrite par l'art. 3 du programme particulier, sera supprimée et remplacée pr un obélisque sur lequel on lira ces mots : A la République française.
Le présent arrêté sera envoyé à l'administration centrale.
Fait à Dijon, le deuxième jour complémentaire de l'an IV.
G. GABET, président.
L'administration municipale, en acceptant le programme du commissaire du Directoire exécutif, sauf la ruche, espérait mettre fin à cette discussion, mais il n'en fut rien, car la veille de la fête elle recevait de l'administration centrale la délibération suivante :
Vu la délibération de l'administration municipale de la commune de Dijon du deuxième jour complémentaire an IV,
Considérant que la délibération de l'administration municipale est un acte d'insubordination et d'anarchie,
Considérant qu'il n'y a que des ignorants qui puissent croire à l'existence de la reine des abeilles,
Qu'il n'y a que des malveillans qui puissent supposer à l'administration départementale l'intention de représenter la République par des emblèmes équivoques,
Que le choix de celui indiqué par le programme du commissaire du Directoire exécutif près l'administration départementale est suffisamment justifié par la loi du 27 octobre 1792,
Ouï le rapport et le commissaire du Directoire exécutif,
Arrête :
Que l'administration municipale de Dijon est rappelée à l'ordre,
Que la délibération par elle prise le deuxième complémentaire est cassée et annullée,
Que défense lui demeure faite de contrevenir aux ordres de l'administration centrale.
Fait à Dijon, le cinquième jour complémentaire de l'an IV de la République française.
Signé : PRESEVOT
Après une telle réponse, tout espoir de réconciliation devenait impossible, et il ne restait à l'administration municipale qu'à se pourvoir contre les arrêtés de l'administration centrale, c'est ce qu'elle fit par la délibération suivante :
Vu l'arrêté de l'administration départementale de la Côte-d'Or, de ce jour, qui rappelle à l'ordre l'administration municipale de Dijon,
Considérant que, loin d'avoir commis un acte d'insubordination et d'anarchie, l'arrêté de l'administration municipale est au contraire la stricte exécution de l'arrêté de l'administration départementale qu'elle pouvait se dispenser d'exécuter, puisque cet arrêté est contraire à la loi du 3 brumaire et à l'arrêté du Directoire du 13 fructidor ;
Que, si une disposition dudit arrêté de l'administration municipale porte qu'il n'y aura pas de ruche sur l'autel, aucune loi ni arrêté du Directoire, et pas même de l'administration départementale, ne prescrivait cet emblème ; que cette décoration n'émane que d'un acte purement arbitraire du commissaire du Directoire exécutif près ladite administration, et qui ne peut en aucune manière obliger l'administration municipale ;
Qu'il suffirait qu'une ruche parût un signe équivoque à quelques citoyens, pour en ordonner la suppression,
Qu'il n'y a en cela ni ignorance, puisqu'il est certain que le peuple et même des naturalistes distingués regardent comme assuré qu'il y a une reine à la tête d'une ruche, et que cette opinion vulgaire doit faire envisager cet emblème comme équivoque ; ni malveillance, puisque l'on ne suppose rien à l'administration centrale, qui dans son arrêté ne s'est occupée d'aucune décoration ;
Considérant que le rappel à l'ordre, après une conduire aussi pure, est l'abus le plus criant d'autorité, et une suite de vexations que l'administration départementale exerce depuis longtemps contre l'administration municipale,
Ouï le commissaire du Directoire exécutif,
Arrête :
1° Qu'elle entend se pourvoir contre l'arrêté de l'administration départementale de ce jour, ainsi que contre ceux du 28 fructidor et premier jour complémentaire ;
2° Que le présent arrêté sera imprimé et affiché où besoin sera.
Fait à Dijon, en séance extraordinaire, le cinquième jour complémentaire an IV, où étaient les citoyens Gabet, président ; Audiffred, Givoiset, Boillaud, et Thery, administrateurs, et Trullard, commissaire du directoire exécutif.
Le Secrétaire en chef de l'administration municipale
DUBLED
Conformément à cette délibération, un mémoire fut rédigé et adressé avec pièces à l'appui, au ministre de l'intérieur qui termina le débat en donnant gain de cause à l'administration municipale.
"Paris, 22 vendémiaire an V
Le Ministre de l'intérieur,
à l'administration centrale du département de la Côte-d'Or.
J'ai pris connoissance, citoyens, de tout ce qui s'est passé à Dijon, à l'occasion de la célébration de la fête du Ier vendémiaire, et j'ai vu, avec regret, que vous avez dépassé vos pouvoirs. En effet la Municipalité de Dijon ayant justifié de sa soumission à la loi et à l'arrêté du Directoire exécutif, par un programme rédigé à tems et qui n'offre rien de répréhensible, il convenoit de la laisser faire. Dans le cas où, par une mauvaise volonté évidente, l'exécution n'eût pas répondu aux préparatifs annoncés, et surtout à ce qui étoit prescrit par le Directoire, vous pouviez alors en informer le Gouvernement qui auroit pris les mesures convenables. L'Administration centrale ne pouvant donc se cacher à elle-même qu'elle a dérogé à la loi dans cette circonstance, et pris un arrêté contenant des expressions humiliantes pour la Municipalité, je ne puis m'empêcher de désapprouver ses opérations.
Au surplus la lecture des pièces m'a convaincu qu'il y avoit eu des torts respectifs. J'écris en conséquence à la Municipalité. Je lui conseille, et je vous conseille à vous-mêmes de tout oublier par amour pour le bien général.
Salut et fraternité !
Signé : BENEZECK."
Comme dernier écho de ce conflit nous voyons dans les registres de l'administration municipale, que le Ier vendémiaire, avant le départ du cortège, un membre de l'administration municipale chercha à réunir dans un banquet fraternel les autorités dissidentes, mais en vain ; l'auteur du programme avait trop à coeur son travail et sa ruche, les municipaux étaient peut-être trop attachés à leur obélisque, assez insignifiant d'ailleurs ; et, le président de l'administration centrale ayant encore parlé d'insubordination et d'acte anarchiste, on se sépara de nouveau, moins amis peut-être qu'auparavant.
La population initiée à toutes ces misérables querelles, par des affiches venant de l'administration municipale, ne se préoccupa guère de ce combat, qui ne pouvait que la faire sourire de pitié, car la question de ruche ou d'obélisque lui était bien indifférente.
Cette tempête qui avait duré du 28 fructidor an IV jusqu'au matin du Ier vendémiaire an V, n'empêcha pas la célébration de la fête, qui, pour nous servir d'une expression employée de nos jours, fut encore une bonne journée pour la République.
Ph. Milsand
Une fête républicaine à Dijon en l'an V
Libraire-Editeur Jules Martin
1882