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La Maraîchine Normande
29 décembre 2013

LE TESTAMENT DU CONVENTIONNEL COUTURIER (1741-1818)

LE TESTAMENT DU CONVENTIONNEL COUTURIER

Jean-Pierre Couturier, député de la Moselle à l'Assemblée législative et à la Convention, est peu connu. Les biographies ne mentionnent ni le lieu ni la date de sa naissance. Je viens de trouver le testament autographe de ce conventionnel et je m'empresse de publier ce document qui nous apporte quelques renseignements sur la vie de Couturier. On y voit qu'il était né à Porcelette (Moselle) le 17 novembre 1741, et qu'il fut, avant la Révolution, avocat au parlement de Lorraine et lieutenant général civil et criminel du bailliage de Bouzonville. Mais, ce qui est curieux, c'est la profession de foi religieuse qui compose l'article 1er du testament. On remarquera aussi les singulières considérations qui accompagnent la clause relative à son enterrement.

acte de naissance Jean-Pierre Couturier



Je publie ce testament avec son orthographe fantaisiste. La rédaction est souvent obscure et incorrecte, ce qui est étonnant de la part d'un légiste. Quelques mots même ne sont pas français.

Couturier mourut à Issy (Seine), le 5 octobre 1818, deux ans après avoir rédigé son testament.

Acte de décès Jean-Pierre Couturier



"Testament.

Observations préliminaires relatives à mon testament olographe ci-après cosherants et ne faisant qu'un avec ce préliminaire.

Du quatre may 1816.

Je suis né à Porcelette, département de la Moselle. J'ay été baptisé sous le nom de Jean-Pierre, le 17 novembre 1741 ; mon parein étoit curé à Hargarten et mon père le plus célèbre cultivateur de tout le pays. J'ay été reçu avocat au Parlement en 1764 ; je me suis marié à Morhange, même département, le 19 septembre 1768, avec demoiselle Elizabeth Brésard, non seulement sous l'empire de la coutume générale de Lorraine, mais encore sous le régime par adoption expresse de la part de mon épouse et de moy, comme étant notre loi par prédilection pour nous dirriger jusqu'à la mort.

Elisabeth Brésard, ma très chère et honorée épouse, est décédée en 1774. Inventaire fut fait les deux et quatre juillet, suivant notre contrat de marriage, n'attribue que moitié du mobilié au survivant et l'autre aux enfans. Par arrêt d'appointé du Parlement du 19 aoust suivant, la moitié de mes enfans me fut adjugée moyennant le quart en sus et le placement de la valeur à intérrêts au prescrit de la dite coutume qui à cet égard est extrêmement pénible.

Quelque tems après je convolois en seconde nopce au dit Morhange avec Barbe Thirion, parente de ma défunte, qui n'avoit rien du tout, sans contrat de mariage, et la dite coutume en ce cas déferre les meubles au survivant.

Barbe Thirion décéda à Bouzonville le deux vendémiaire an six, où j'avois pris mon domicile sous le régime de la même coutume. J'y avois fait transférer tout mon mobilier et l'ay augmenté considérablement, proportionnellement à mon état et à la vastetée de la maison que j'y ay aquise avec mon office de lieutenant général. Et au décès de Barbe Thirion tout ce qui étoit de bon, de valeur et prétieux s'est trouvé dissipé et dillapidé pendant que j'étois à mon poste à Paris. Je ne suis pas moins comptable à mon fils de la moitié du mobilier à moi adjugés, ainsy que de ma gestion de tutelle et avances qu'il m'a faites dans les circonstances de différentes acquisitions avantageuses que j'ay faites et qui existent et sans lesquelles mon existence seroit bien chétive, surtout depuis 1800 ou 1801 que mon dit fils, au retour des armées, s'est installé dans la régie de ses biens patrimoniaux et de suite dans la régie des miens, dont il m'a toujours rendu fidel compte.

Par la coutume de Lorraine, titre XI aux nouvelles, on peut disposer de ses meubles et acquets au profit de qui le testateur juge à propos.

La source de ma fortune dérivant notablement de celle de ma première épouse et des comptes que je dois à Pierre-Michel Couturier, notre fils unique, ne me figurant point qu'aucune loi subséquente pouroit à l'avenir, même avant de la connoître, m'empêcher de me conformer aux dispositions précises de la coutume générale de Lorraine, notre Régulatrice, et voyant ma santé chanceler et la survenance d'infirmités, désirant aussi atteindre autant que possible l'égalité entre des enfants de deux lits en ce qui concerne ma succession, dont les derniers, sans bourses déliées, absorberoient la moitié au nom de leur mère, et pardessus encore les trois autres quarts, comme coshéritiers de Pierre-Michel Couturier, quoique le tout ne provienne que des sources et secours avant dits ; j'avois pensé faire un testament le deux janvier dix huit cent deux pour remédier à une grande injustice, lequel testament j'ai fait dans l'opinion que j'ay ci-dessus manifestée.

Maintenant, quoique le code Napoléon ne soit survenu qu'en 1811, les gens de lois me disent que le code Napoléon annentit touttes les autres coutumes et usages contrairs, conséquemment mon testament, quoiqu'entérieur, qui d'ailleur seroit nul, n'étant pas sur papier timbré, conformément à ce code qui ne parle cependant pas de papier timbré pour les testaments olographes nullement assujétis à d'autres formes que celles d'être écrits, dattés et signés de la main du testateur.
Si les choses sont réellement ainsy, je me soumets à la loi ; si au contraire mon testament de 1802 pouvoit être valable, j'y persisterois, et si j'en recommence ici un nouveau écrit, signé et datté de ma main sur papier timbré, c'est pour ne pas l'exposer à nullité, donnant toujours la préférance au précédent en faveur de justice, s'il est valable. J'ay été moi-même de l'ordre judiciaire et je n'ai jamais été imbu du principe qu'il y ait rétroactivité des lois postérieurs sur les précédentes.

Testament olographe et précautionnel de ce jourd'hui quatre may dix huit cent seize, en remplacement de celui du deux janvier 1802, s'il est besoin.

Je soussigné Jean-Pierre Couturier, ancien conseiller du roi Louis seize, lieutenant général civil et criminel du Bailliage de Bouzonville, Lorraine allemande, maintenant du département de la Mozelle, domicilié à Paris, rue d'Argenteuil, n° 37, voulant en tant que possible prévenir l'heure incertaine de la mort pour mettre ordre aux tristes inconvéniens de ce monde entre famille dont j'ay donné un petit apperçu par mes observations préliminaires, je déclare que le présent acte de dernière volonté permit par la loi en est le résultat, si celui du 2 janvier 1802 ne peut valoir, comme étant sur papier non timbré.

Article premier

Je porte dans mon coeur l'adoration du tout-puissant, l'âme éternelle de touttes les merveilles qui frappent nos yeux et que notre esprit ne comprend ny ne peut définir, et dont j'adore la source divine, dégagé de tout fanatisme, superstition et hypocrisie. J'aime mon prochain, je respecte les lois sages et humaines, je pardonne de bon coeur à mes ennemis, je rends même grâce à plusieurs de m'avoir dans leur prospérité, par leur faste, méconnoissance et ingratitude, préservé de l'aire contagieux du luxe et de la méprisable vanité, si opposés à cette égalité qui ne se trouve que dans la fosse, tant pour les rois que les bergers. Memento, homi, quia pulvis es et in pulverem reverteris.

Article deux

Je donne et lègue par préciput et hors part en la mélieure forme possible à Pierre-Michel Couturier, mon fils, ancien commissaire des guerres, le maximum de tout ce dont la loi me permet de disposer, sans en rien préjudicier à ses droits d'héritiers et de créancier légitime de tout ce que j'ai acquis et que je n'aurois pas sans luy.
Bénis soyent les enfants qui honorent, respectent et secourent leurs pères et mères. Si mon testament précédent est valable, je luy donne la préférence sur le présent article.

Article trois

Madelaine Reizer, de Fontoy, département de la Mozelle, est entré à mon service en mil sept cent quatre vingt treize, quatre ans avant la mort de Barbe Thirion, ma seconde femme.
Connoissant ses talents pour la conduite d'un ménage, autant que sa probité, je lui ay promis un sort heureux pour sa vie, si elle vouloit se fixer dans mon ménage jusqu'à ma mort. Je lui offrit la nourriture au même pot et feux que moi, de l'entretenir en vêtemens et habillemens honnêtes et décents et, au lieu de gages en argent, je lui promit une pension viagère à ma mort suffisante et privilégiée sur touttes mes acquisitions à son choix. Elle accepta ma proposition et remplit si fidellement ses devoirs, sur tout à la survenance de mes infirmités en 1808 et qui continuent, que non seulement elle m'a beaucoup ménagé de dépenses de maisons, mais encore en m'économisant celle d'un domestique, dont je n'aurois pu me passer sans son incomparable activité, et je dois dire aussi que des gages pécuniaires annuelles m'ont servit d'accessoire aux secours reçus de Pierre-Michel, mon fils, pour m'aider à l'acquittement de mes acquisitions qui composent toutte ma fortune.
Madeleine Reiser, ayant fidellement tenu sa parole, c'est à moi maintenant à tenir la mienne. En conséquence je lui donne, lègue et constitue sur toutes les acquisitions qui composent la succession dont s'empareront mes héritiers et à son choix, tant pour les loyeaux services qu'elle m'a rendus que comme créancière privilégiée, une pension viagère, sa vie durente, de cinq cent francs, payable d'avance par quartier à son domicile ou à son fondé de pouvoir, solidairement entre tous ceux qui arracheront des lembeaux de ma dépouille, par moi acquise par ma conduite et économie et sans autre secours que celui de Pierre-Michel Couturier et des gages de Mademoiselle Reiser, remplacés par la dite pension. Outre cela, je lui donne et lègue et ordonne qu'à ma mort il lui sera fournit un habillement décent et complet de la tête aux pieds à son choix tant pour la qualité que la couleure, il lui sera délivré une de mes commodes à son choix, une glace, deux malles, une casette, un bois de lit, deux bons matelats, un someillier, un traversin, un oreillier avec trois paires de tayes, autant de bons draps de lit, deux bonnes couvertures de laine, quatre chaises, la moindre en pris de mes pendulles. Je déclare qu'elle a un duvet à elle en propriété et quand à sa garde robbes, nippes, leinges, habillements et effets à son usage, il sera ajouté fois à sa déclaration sans contredit, si on l'exige, et je la désigne spécialement pour gardienne, aussitôt que j'aurai les yeux fermées, et continuera pendant les opérations de justice à demeurer et vivre à la maison aux frais de la succession jusqu'à évacuation, au bout de laquelle je lui concède pour elle personnellement un des petits logements à cheminée au troisième de ma maison, si elle reste célibataire, parceque sans cela, en cas de vieillesse ou infirmités, sa pension ne suffiroit pas, et je ne veut pas qu'après avoir passé sa jeunesse à mes intérêts elle devienne misérable après ma mort, à la honte et confusion de ceux qui se saisiront du fruit de mes peines et de mes économies. En as d'aliénation de la maison ou d'évènemens majeurs imprévus, ou ce petit logement pouroit porter obstacle ou diminution notable de prix, Magdelaine poura en être privé moyennant cent frans d'augmentation annuelle de cent frans, à sa pension. Il lui sera aussy délivré aux fraits de la succession une grosse en bonne forme de ce qui la concerne au présent testament olographe, pour s'en aider au besoin. La dite pension seulement est rachetable moyenant payement contant de deux cent francs par chaque années de services que je luy doit.

Article quatre

Après le décès de Barbe Thirion, de retour à Paris, j'ai été prévenu qu'il étoit du quelques choses à la famille Metzinger et de Béson, de la connoissance des Lagravières, pour marchandises par eux fournies à la maison de Bouzonville. J'ordonne à mes héritiers d'en prendre connoissance et de payer.

Article cinq

D'après ce qui est relatif au méprisable temporel si honoré et qui seul fait le malheur de l'humanité dans tous les états sans exception, par les passions honteuses qui découlent en dégradant l'homme jusqu'au dessous de la brute la plus féroce, quoiqu'en dise la Genèse, qui subordonne tous les animaux à son empire, je passe à ce qui fait suite à la mort de l'homme, qui ammène enfin les dominateurs, les usurpateurs, les courtisants, les égoïstes et les puissants par la barque à Caron à cette vraie égalité tant honnie dans cette vie passagère traversée sans fins par les tribulations, les rapinnes, les haines, les vengeances, les guerres, la peste et la famine, et qui, cependant, après la mort même, veulent encore donner un spectacle d'ostentation et de vanité dans le mode fastidieux à placer avec distinction leurs cadavres infectes qui ne voit, n'entend ny n'a plus la moindre sensation, qu'ils soient rendu simplement à la terre d'où ils ont été tirés ou réduits en poussière. C'est les rétablir dans leur état originaire. A quoi bon les sonnettes pinchardes multipliées dans la tour Saint-Roch constament et sans relache en activité comme le mouvement perpétuel, pour abréger les jours des malades, et procurer aux autres des insomnis insupportables, sans aucune utilité, tout en déprétiant les loyers des maisons adjacentes et par suite diminuant les contributions publiques, par opposition directe à la loi, ce qui peut s'appeller, comme dit Boileau, faire mourir les vivants pour honorer les morts. C'est d'après de pareilles réflexions et le souvenir des clochettes qui m'ont beaucoup nuit que je borne pour moi touttes cérémonies funèbres à la présentation respectueuse de mes restes inanimés au temple de réunion des fidèles avec récitation du speaume (sic) Miserere mei Deus, avec une messe basse pour toutte ostentation, dont l'économie qui en résultera soit distribuée aux membres de Jésus, qui sont les pauvres et de cinq francs à chaqu'un des prêtres de Saint-Roch qui pourroient loger chez moi pour honoraire et chaqu'un d'une seule messe basse. Quand à mon corps mort, qu'il rentre dans le sein de la mère communne, surtout d'un coin dont je sois propriétaire, tel que le jardiné en face de mon appartement avec un sol pleureux sur ma tombe, ou que ces restes soyent réduits en cendre. Il me semble entendre ceux qui liront mes dernières volontés dire : il est bien bon ce citoyen de s'occuper pendant sa vie de ce qui se passera après sa mort pour faire rire ses héritiers. Il n'est pas moins vrais que je suis du sentiment du patriarche Abraham qui, à la mort de Sara, son épouse, quoiqu'on lui offrit la liberté d'inhumer sa morte dans les plus beaux sépulcres du pays, préféra acheter une caverne pour quatre cent sicles, affin d'avoir la possession du sépulchre. Il y a donc quelques choses attachées à l'existance actuelle de l'homme sensible et non brute dont le souci s'étant jusqu'après la mort avec la répugnance d'être précipité dans le tophet de Jérusalem, pel mel avec les brigants, les voleurs et les assassins, sans même être couvert de terres et sans craindre les miasmes péstilentiels.

Article six

Pour exécuteur de mes dernières volontés actuelles, j'indique Me Goujet Desfontaines, mon avoué, comme ayant connoissance de mes affaires, demeurant maintenant rue Richelieu, n° 47.

Fait, rédigé, paraphé, et signé de ma main à tête reposée dans l'appartement que j'occupe au rez-de-chaussée à Paris, rue d'Argenteuil, n° 37, ce dit jour quatre may dix huit cent seize.

COUTURIER

Par suitte du même jour 4 may 1816 je déclare que si je ne me suis pas précisément conformé au placement à intérêts et des intérêts à intérêts de l'administration des revenus de Pierre-Michel Couturier, mon fils, c'est que non seulement mes absences continuelles pour intérêts publique m'en ont empêché, plus encore les dengers d'encourir des faillites, mais au lieu de cela j'ay constamment, aussitôt que j'avois des denniers, soit de lui soit de moi, je les emploiois en bonnes et solides acquisitions en bien fonds.

COUTURIER

Par continuation du dit jour, attendu que la classe de ceux que je regardois comme les membres de Jésus ce sont à Issy coalisés avec les troupes étrangères pour effectuer le piliage et les dévastations qui ont eu lieu avec une barbarie sans exemple en chantant le verset du Magnificat (Esurientes implevit bonis), je révoque la disposition que je voulois faire en faveur des plus indigens qui couchent aujourd'huy sur de bons matelats et plumonts, en se reprochant souvent dans leurs querelles leurs vols. Il sera délivré en place à un de mes frères consanguins, Sébastien Couturier, qui a tout perdu dans la Révolution, une somme de trois cent francs avec ma garde robe à l'usage d'homme, sans préjudice aux biens faits annuels que je charge mes héritiers de lui faire suivant leurs moyens, s'il vit.

COUTURIER

La présente volonté aura lieu, quelque soit le testament qui sera exécuté.

COUTURIER

signature Jean-Pierre Couturier



ETIENNE CHARAVAY
La Révolution française
Revue historique
Dirigée par Auguste Dide
Tome septième
Juillet-Décembre 1884

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