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La Maraîchine Normande
27 décembre 2013

SANTERRE A REUILLY

SANTERRE A REUILLY

LA RUE SANTERRE

Au numéro II de la rue de Reuilly, en face de la caserne d'infanterie, une maison d'un seul étage surmontée d'une tour massive au toit conique attire l'attention du passant qui, intéressé par cette construction bizarre, s'arrête pour lire sur la façade : "Brasserie de l'Hortensia, Santerre, brasseur, 1772-1809." Cette demeure, séculaire comme les maisons voisines, est en effet celle du général révolutionnaire.
On a démoli l'année dernière un immeuble situé rue du Faubourg Saint-Antoine ; il était attenant par derrière à la brasserie de la rue de Reuilly, les deux bâtiments réunis par un jardin spacieux formait une propriété unique dont fut titulaire Santerre le brasseur (1).
Ce qui reste rue de Reuilly a bien plus de caractère que ce qui a disparu. La porte cochère s'ouvre sur une cour ; à gauche, au dessus d'une petite porte donnant accès dans les bureaux on pouvait voir encore il y a quelques années cette inscription sur un écusson ovale (2) :
SANTERRE
MD BRASSEUR

brasserie Santerre

 

On est bien dans la brasserie du commandant de la garde nationale, rien ou presque rien n'a changé : le toit conique, c'est le séchoir à l'orge, il est toujours debout, solide depuis plus d'un siècle ; les caves, les écuries sont aussi contemporaines de Santerre et le brasseur de l'Hortensia conserve par tradition tout ce que peut garder l'actuelle installation en faisant la part du goût moderne et des progrès scientifiques.

Santerre n'était pas du faubourg Saint-Antoine : il venait de Saint-Marcel, autre faubourg turbulent et industriel. Son père, Antoine Santerre, brasseur du Nord, était venu s'établir à Paris en 1747. Il avait acheté rue d'Orléans Saint-Marcel la brasserie de la Magdeleine, lorsqu'un mariage riche lui permit d'agrandir son établissement par l'acquisition d'un immeuble voisin, rue Censier, 17. En 1752, naquit Antoine-Joseph, le troisième de six enfants (1), deux filles et quatre garçons qui perdirent jeunes leurs parents (1770). Marguerite, l'aînée, avait alors quinze ans, elle éleva courageusement toute la famille, aidée par Baptiste, le plus âgé des garçons.

ACTE DE NAISSANCE DE SANTERRE



On fit étudier la chimie à Antoine-Joseph ; déjà, jeune élève du collège des Grassins, il rêvait de faire sortir la fabrication de la bière de l'espèce d'enfance où elle se trouvait. Cette préoccupation constante lui permit d'améliorer d'une façon considérable l'industrie paternelle. Émancipé en 1770 et fils de maître, il pouvait exercer librement la profession ; c'est ainsi qu'on peut le voir acquérir la brasserie du sieur Acloque à Reuilly, deux ans plus tard.

Un mariage d'amour suivi presque aussitôt de la mort de la femme aimée vint assombrir ses jeunes années ; un autre mariage moins heureux suivit sa première union ; sa seconde épouse, d'un caractère intraitable, dure aux serviteurs, autoritaire, rendit le foyer peu supportable au bon Santerre qui se consola en se mettant au travail avec énergie.
Un de ses frères : Jean-François, dit de la Fontinelle, l'aida dans ses perfectionnements industriels ; ce dernier avait étudié en Angleterre la fabrication de l'ale et du porter, boissons qu'ils s'occupèrent à imiter dans une maison située à Sèvres, louée spécialement pour les recherches des deux frères. [Un autre frère de Santerre, Armand-Théodore, se livra non sans succès à une industrie différente de celle de sa famille. Après avoir fondé à Essonnes une usine pour polir les glaces, il établit une raffinerie de sucre à Bercy, rue de la Grange-aux-Merciers, et non rue Grange-aux-Belles comme dit par erreur Carro dans son Histoire de Santerre.]
Lié avec quelques inventeurs de mérite : le docteur Collet de Vaumorel ; le mécanicien Dumas, chargé de diriger la pompe à feu de Chaillot ; le pharmacien Quinquet ; Antoine Santerre fut un des premiers à se servir, pour la dessication de l'orge, du coke si peu employé alors qu'il n'avait pas de nom en France : on lui donnait celui d'escarbilles sous lequel il fut longtemps connu.
Il employait, sans doute d'après les conseils de Dumas, une machine à vapeur dans sa fabrique de Reuilly.
Doux et bienfaisant, chez lui les employés étaient bien traités, son historien Carro fait l'éloge de son affabilité et de son humeur courtoise : - Obligeant, plein de franchise et d'aménité, on en abusait. Il ne fallait rien moins que l'ordre qui régnait dans sa fabrique, ainsi que les bénéfices importants qu'elle donnait, pour que ces habitudes de bienfaisance n'altérassent pas sa fortune. On conçoit aisément que c'était pour obéir à l'impulsion de son coeur et non dans la prévision d'un rôle qu'il aurait à jouer dans une révolution future, qu'il se faisait la providence des malheureux qui l'avaient surnommé leur "gros père" dans le quartier ; aussi quelle affection cette générosité lui valut auprès de la population voisine. Un cheval de la brasserie fournissait le trait d'une singulière obligeance : ce cheval avait des proportions gigantesques, on l'appelait le "Sans Pareil" ; tous les ans un pauvre père de famille venait l'emprunter pour le montrer à la foire Saint-Germain en l'affublant d'un équipement qui avait quelque ressemblance avec celui des éléphants de combat !

Santerre passait en 1789 pour un des rois de l'équitation, il jouissait de la même réputation que Franconi, premier du nom, et le duc d'Orléans ; plus tard ses relations hippiques faillirent le compromettre. [28 mars 1794 - Des citoyens formant un groupe dans le jardin du Palais-Royal assuraient que Santerre avait été le plus chaud ami d'Orléans, que celui-ci l'avait traité plusieurs fois chez lui avec Pétion et qu'ils avaient fait ensemble des parties à la Rapée.]

Au début de la Révolution, dit M. G. Lenôtre, dans un article du journal "Le Temps", dans la région qui s'étend de la Bastille à la place du Trône et de Bercy à Ménilmontant, Santerre était à ce point connu et aimé que la gloire, soudain, vint à lui sans qu'il la cherchât. A l'assaut de la Bastille il ne parut pas : il se contenta sagement d'envoyer ses chevaux pour charrier la paille destinée à incendier les ponts-levis.

SANTERRE - Récit de Lenôtre



Cependant, la forteresse prise, c'est chez lui que les vainqueurs de la Bastille portent triomphalement les clefs des tours et les chaînes enlevées aux prisonniers : peut-être, après cette chaude journée, la fameuse bière rouge attirait-elle vers l'Hortensia les patriotes échauffés. Le jour même, dans l'église des Enfants Trouvés, Santerre est acclamé commandant de la milice bourgeoise du district ; au 29 août le scrutin lui confirme son grade par 332 voix sur 417 votants.

SANTERREPlus tard, Santerre, dont on craignait l'influence dans le faubourg, fut vivement pris à parti par Marat dans "l'Ami du peuple". Décrété de prise de corps pour l'affaire du Champ-de-Mars en 1791, il dut se cacher jusqu'à l'amnistie. Après le 10 août, la Commune le fit commandant de la Garde Nationale ; il sut, par son attitude modérée, empêcher bien des actes de vandalisme, et le farouche sectaire que Mme la comtesse d'Abrantès a représenté dans ses mémoires s'opposa à la stupide destruction des anciennes chartes. Lorsque les fureurs populaire furent déchaînées, le brasseur trouva toujours le moyen de s'interposer entre la foule et les victimes innocentes ; chez les religieuses de Saint-Antoine, Mme de Beauvau-Craon, abbesse, prévenue à temps fit fermer les portes. Les mégères et les tricoteuses qui voulaient fustiger les soeurs firent volte-face ; elles se dirigèrent vers le couvent des Trinitaires, Petite rue de Reuilly ; les clôtures cédèrent, mais Santerre était là. Ses historiens disent que la reconnaissance des pauvres femmes fut grande. On lui reprocha encore longtemps le fameux roulement de tambour qui couvrit les dernières paroles de Louis XVI, et dont le général Berruyer se vantait d'être l'instigateur. Les légendes se propagent beaucoup plus aisément que la vérité : on cite, outre le général Berruyer, un certain Baufrelut d'Ayat, anciennement page de Louis XVI, qui ordonna ce roulement ; Lamartine absout aussi Santerre ; Mercier accuse l'acteur Dugazon ; d'autres prétendent que les tambours battirent sans interruption avant que l'exécution n'ait commencé : personne n'eut donc à intervenir. C'est à cette dernière assertion qu'il faut se ranger, puisque le musicien Grétry, dans ses mémoires, dit : "Le cortège militaire qui conduisait le roi à l'échafaud passa sous mes fenêtres et la marche en 6/8, dont les tambours marquaient les rythmes sautillans en opposition avec le lugubre évènement m'affecta et me fit frémir."

Le style prestigieux de M. Lenôtre, évocateur d'une époque qu'il connaît si bien, fait revivre la physionomie du brasseur devenu, le 30 juillet 1793, général de division ; qu'il veuille bien me pardonner de le citer encore, son texte décrit merveilleusement le portrait de Santerre publié ici : "Quand il se mire dans son bel habit national, la poitrine bombant sous les revers de casimir blanc, ses larges épaules frangées d'or, ses jambes moulées dans la culotte de peau et, sur la tête, le bouquet frissonnant de plumes rouges, il s'imagine égaler les plus fameux capitaines : comme eux n'a-t-il pas la hardiesse, la voix forte, des chevaux superbes et des idées stratégiques ? Car il croit à l'efficacité certaine de ses conceptions ingénues et se voit déjà vainqueur des ennemis de la République."

SANTERRE PORTRAIT



On sait ce que fut cette désastreuse campagne ; décidément le pauvre Santerre n'avait de Mars que la bière, comme disaient les Parisiens moqueurs ; il fut plaisanté, chansonné ; voilà tout ce qu'il rapporta de son expédition contre les Chouans.

SANTERRE - vitrail Vihiers



Chanson inédite sur Santerre :

I
Cadet Santerre est bon enfant (bis)
Aussi l'a-t-on fait commandant (bis)
Intrépide comme sa mère,
Sa valeur est héréditaire
Ah ! ah ! ah ! mais vraiment
Cadet Santerre est bon enfant

II
Ce brave et vaillant général (bis)
A tout l'esprit de son cheval (bis)
Il se croit au moins un satrape
Ou premier moutardier du pape.
Ah ! ... mais vraiment, etc.

III
Il faut le voir dans les combats (bis)
Comme il vous mène les soldats (bis)
En vrai héros du deux septembre
Toujours sans sortir de sa chambre
Ah ! ... mais vraiment, etc.

IV
Sur le théâtre en un bon soir (bis)
C'est là qu'il faisait beau le voir (bis)
En véritable homme de guerre
Dicter des ordres au parterre
Ah ! ... mais vraiment, etc.

V
Au palais de l'Egalité (bis)
Ah ! c'est là qu'il s'est bien montré ! (bis)
Comme il couroit de chambre en chambre
C'était un petit Alexandre
Ah ! ... mais vraiment, etc.

VI
Avec son chapeau de travers (bis)
Il feroit rire l'univers (bis)
Mais quand il eut joué son rôle
Chacun s'écria qu'il est drôle.
Ah ! ... mais vraiment, etc.

VII
Il veut faire tuer les chiens (bis)
Parce qu'ils ne sont pas citoyens (bis)
Si l'on détruit toutes les bêtes
Il peut bien trembler pour sa tête
Ah ! ... mais vraiment, etc.

Rappelé par le Comité de Salut public, il fut arrêté et emprisonné aux Carmes de la place Maubert ; la future impératrice Joséphine était sa voisine de cellule, d'autres femmes encore attendaient la mort dans l'ancien couvent : c'étaient la duchesse d'Aiguillon et la veuve du général Custine ; le 10 Thermidor délivra les prisonniers.

Suspect en 1795, accusé d'être l'homme de tous les partis, Santerre dut s'exiler volontairement ; un de ses beaux-frères lui donna une petite manufacture de papiers peints dans un faubourg de Senlis, mais, dans le grand mouvement révolutionnaire, le brasseur avait en partie perdu sa fortune et sa clientèle ; il sollicita vainement un emprunt au ministère.
Dès lors c'en est fait de sa carrière politique. Il devient gênant, et on l'oblige à vendre sa brasserie du faubourg à un sieur Cousin, rue de Harlay. Le faubourg Saint-Antoine oubliera désormais son héros et lorsqu'il mourra, en 1809, son convoi ne sera suivi que de quelques rares parents.

ACTE DE DECES SANTERRE



La maison de la rue de Reuilly dont les jardins communiquaient avec l'habitation particulière a disparu l'an dernier. Le conseil municipal de Paris a fort bien fait de donner le nom de Santerre à une rue voisine ; il est juste que dans ce curieux quartier de Paris où il eut son heure de gloire, son souvenir puisse subsister. Le temps a fait son oeuvre et le nom du brasseur n'excite plus ni le mépris, ni l'indignation sous lesquels certains historiens croyaient l'avoir enseveli pour toujours.

 

général Santerre notes 1 et 2



HENRI VIAL
La Correspondance historique et archéologique
13e année - 1906

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