PAYSANS MACHINISTES : RENÉ PITHAU, SOULLANS - ANDRÉ-FRANCOIS LAIDET, CHALLANS
PAYSANS MACHINISTES
Avant la révolution, il existait, dans les environs de Soullans, près du Marais, un paysan nommé René Pithau, qui, né dans l'indigence, et sans avoir jamais rien appris, sans être jamais sorti de son pays, était devenu machiniste, sculpteur, peintre et musicien. Son mérite transcendant, son génie créateur le firent bientôt sortir de l'obscurité, et attirèrent sur lui les regards de tous ceux qui s'intéressaient au progrès des sciences et des arts ; mais ces curieux n'étaient rien moins que des Mécènes, et son mérite ne put percer au-delà des bornes du Bas-Poitou.
Je ne prétends point parler ici de toutes ses découvertes ; je me bornerai à décrire le mécanisme d'un moulin très-utile, dont on peut regarder l'invention comme un chef-d'oeuvre dans un pareil ouvrier.
Ce moulin très-compliqué avait une infinité de ressorts qui, malgré leur multiplicité, se mouvaient très-facilement. Un seul ouvrier, avec cette machine, pouvait, dans une aire, battre autant de blé que six moissonneurs vigoureux. Huit battoirs tombaient successivement en cadence sur les épis, et en faisaient sortir le grain sans l'écraser. Leur mouvement était très-rapide, et ressemblait à celui d'un bras nerveux qui frappe la terre avec un fléau.
Trois roues, placées triangulairement sous cette machine, la faisaient rouler rapidement dans l'aire, et parcourir ainsi tout l'espace où les épis étaient étendus. Un seul homme suffisait pour la faire mouvoir dans tous les sens.
Cette machine a fait long-temps l'admiration des ingénieurs qui l'ont examinée et démontée ; elle était sans doute susceptible d'être perfectionnée, et son inventeur méritait d'autant plus d'être encouragé, qu'elle pouvait épargner un jour aux moissonneurs les travaux du battage des gerbes, presque intolérables dans les grandes chaleurs. Pithau est mort pauvre et presque oublié. Si la Providence l'avait fait naître aux portes de Paris, sa fortune aurait égalé sa réputation. Il a justifié cette maxime que l'homme à talent devient inutile, s'il n'est point élevé sur le chandelier.
On a encore de Pithau un orgue très-harmonieux ; cet instrument n'a que trois jeux, mais on ne peut être que surpris, en songeant à l'ouvrier qui l'a fabriqué. Il faisait aussi des serinettes et des clavecins.
Sans le secours d'aucun maître, il avait appris la musique vocale et instrumentale, il jouait passablement du violon et de la flûte, et touchait l'orgue de l'église paroissiale. Il savait dorer à l'huile et à la colle, sculptait assez bien en bois, dessinait, et même peignait le portrait et le paysage. Il a voulu aussi faire des vers, mais ses succès en cette partie ont été très-incomplets. Son meilleur morceau est la traduction en vers des sept psaumes pénitentiaux. On y trouve de l'expression, de la verve, mais aussi on y rencontre de trop fréquentes incorrections.
Un autre Vendéen, natif de Challans, nommé André François Laidet, tailleur d'habits, s'est aussi signalé par un génie extraordinaire pour la mécanique. Son chef-d'oeuvre est une pendule en cuivre qui sonne un carillon de trois coups au premier quart sur trois timbres différens et tous d'accord. Ce carillon est de trois airs qui se succèdent, si l'on veut, par le moyen d'un cylindre noté. A la demi-heure, une statue ouvre une porte et frappe six coups. Elle en frappe neuf aux trois quarts. Le carillon entier sonne et continue tant que dure le passage des figures dont je vais parler. Au premier coup de carillon paraît saint Pierre avec une clef à la main. Il ouvre une porte, se retire un peu, baisse la tête et salue les spectateurs. On voit aussi les onze autres apôtres qui font une espèce de procession. Après eux paraît, sous un dais porté par deux anges, un prêtre tenant un Saint-Sacrement, et qui donne la bénédiction. Deux suisses paraissent ensuite avec des hallebardes ; ils sonnent, avec des marteaux, l'heure sur un timbre ; et, dès qu'elle est sonnée, tout disparaît. Cet exercice se répète à chaque heure.
Extrait :
Histoire des guerres de la Vendée
et des Chouans
depuis l'année 1792 jusqu'en 1815
Pierre-Victor-Jean Berthre de Bourniseaux
1819