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La Maraîchine Normande
22 octobre 2013

CASSEL, GARDE-DU-CORPS DE CHARETTE

CASSEL

Entre tant de traits d'héroïsme dont fourmille l'histoire de la Vendée militaire, sans contredit l'un des plus beaux est l'acte de dévouement de ce fidèle soldat qui, pour sauver Charette sur le point d'être fait prisonnier, saisit le chapeau à panache de son général, s'en coiffe, donne ainsi le change aux Bleus, les entraîne à ses trousses sur une fausse piste, puis se laisse prendre lui-même et tombe frappé à mort, tout joyeux à la pensée qu'en faisant le sacrifice de sa vie il a pu ménager, peut-être, une chance de salut au grand chef qui était le dernier espoir de la Vendée aux abois !

Le héros de cet acte sublime - quoique inutile, hélas ! - méritait bien, n'est-il pas vrai ? les honneurs d'une maquette dans notre Musée de la Grand'Guerre ...

Mais, tout de suite, une difficulté se présente : quel nom inscrire sur le socle ?

Crétineau-Joly, qui consacre huit lignes à notre héros, l'appelle Peffer ; l'abbé Deniau, tout en copiant Crétineau-Joly, change Peffer en Piffer ; un historien plus récent, M. Bittard des Portes, tient pour Pfeiffer ; et voici que, tout dernièrement, M. A. de Goué, racontant à son tour le dramatique épisode de la prise de Charette, propose une quatrième dénomination : Pieffer.

Il y aurait bien un moyen de trancher la difficulté : ce serait de recourir à l'acte de naissance. Mais comme personne, jusqu'ici, n'a pu dénicher le lieu d'origine de ce Peffer, Piffer, Pfeiffer ou Pieffer, on comprend mon embarras en face des quatre variantes - peut-être également inexactes - proposées par les quatre écrivains ci-dessus.

Heureusement qu'à défaut du nom précis nous avons le surnom dont se contente, d'ailleurs, le premier historien de Charette, Le Bouvier-Desmortiers, lequel était mieux que personne à même d'être parfaitement renseigné et nous apprend que notre héros "était un allemand surnommé Cassel". Le Cassel ainsi authentiqué me semble beaucoup plus sûr que les Peffer, Piffer, Pfeiffer et Pieffer plus ou moins écorchés par les historiens de seconde main ... Va donc pour Cassel !

Et maintenant que voilà le nom, ou tout au moins le surnom inscrit sur le socle, essayons-nous à la maquette.

Cassel était tout bonnement un transfuge passé aux Vendéens. Originaire d'Allemagne et naguère enrôlé, en Alsace, dans le régiment de La Marck, il avait suivi ce régiment qui, devenu le 72e d'infanterie, faisait partie des premières troupes dirigées contre la Vendée.

Ce fut le 7 mai 1793, après le combat de Pont-James (appelé aussi combat de Saint-Colombin), que Cassel tourna casaque, d'accord avec la plupart de ses camarades, en compagnie desquels il avait été fait prisonnier et qui, enthousiasmés par la vaillance de Charette, s'empressèrent de fouler aux pieds la cocarde républicaine en jurant fidélité au héros bas-poitevin.

Tous ces transfuges furent fidèles à leur serment et, dès lors, comptèrent parmi les plus braves soldats de l'armée du Bas-Poitou. Cassel, entre tous, se signala tout de suite par son intrépidité et celle-ci, jointe aux avantages de l'instruction militaire, lui valut bientôt une réelle popularité dans les rangs des rudes gâs de Charette.

Au nom baroque de Peffer, Piffer, Pfeiffer, Pieffer (ou quelque chose d'approchant) qui, sans doute, sonnait mal aux oreilles vendéennes, les nouveaux camarades du transfuge trouvèrent plus commode de substituer le sobriquet de Cassel, qui n'était autre que le nom de la dernière ville où l'ex-soldat allemand avait tenu garnison. C'était d'ailleurs une habitude, parmi les insurgés, de donner aux plus marquants d'entre eux un nom de guerre qui, peu à peu, finissait par éclipser tout à fait le nom véritable.

Capture plein écran 04062012 115237Charette se connaissait en hommes : il eut vite apprécié Cassel et ne tarda pas à l'attacher à sa personne, non point, ainsi qu'on l'a dit, comme domestique, mais plutôt comme homme de confiance "prêt à toutes les besognes, à tous les châtiments".

En ce temps-là, et surtout à l'armée du Bas-Poitou, on n'y allait pas de main morte ; la douceur n'était point de mise et Charette était bien obligé de se faire craindre pour se faire obéir ; il avait besoin d'agents dévoués, fidèles jusqu'à l'aveuglement, ne raisonnant jamais, façonnés à l'obéissance passive et, à l'occasion, prêts à tuer - comme à se faire tuer - sur un signe de leur général. Or Cassel, brave et intrépide mais allemand, c'est-à-dire naturellement brutal ; Cassel, qui avait fini par regarder Charette comme une sorte de demi-dieu, était bien l'homme à tout faire, l'exécuteur aveugle convenant au rude chef de partisans qui, engagé dans une guerre de continuelles représailles, avait en outre à compter parfois avec l'indiscipline de son armée. Aussi, qu'il s'agit de passer des prisonniers par les armes ou de sabrer un mutin, celui que Lucas-Championnière appelle le "féroce allemand" était-il toujours prêt à exécuter froidement la consigne.

De ces exécutions sommaires, qui avaient fait appeler Cassel le "bourreau de l'armée", je noterai deux exemples.

Au mois de mai 1795, Charette ayant ordonné la mort du fameux et énigmatique Launay ou Delaunay, son ancien divisionnaire révolté, c'est Cassel qui est chargé d'exécuter l'ordre, et il faut convenir qu'il s'acquitte de sa mission avec brutalité. Lucas-Championnière rapporte que Charette avait dit à son prévôt : "Va-t-en me fusiller cet homme ; s'il reparaît devant moi, je vous brûle la cervelle à tous les deux !" Or Cassel, qui est allé relancer le condamné jusqu'au domicile du général de Couëtus, trouve préférable de ménager sa poudre et tue froidement l'ex-divisionnaire à coups de sabre !

Trois mois plus tard, au commencement d'août, lorsque Charette, apprenant les massacres de Quiberon, se décide à user de représailles en faisant passer par les armes les républicains détenus à Belleville, c'est encore Cassel, l'"Allemand précieux par son service militaire, mais sans pitié", qui s'empare des prisonniers, en fait fusiller une partie, puis, toujours pour épargner la poudre, traîne les autres dans une lande, où ils sont assommés à coups de sabre et à coups de bâtons !

Bien que ces exécutions et ces représailles fussent légitimées, ou tout au moins excusées par les circonstances, et qu'en y procédant Cassel n'ai fait qu'obéir à la discipline, toutefois ce n'est point pour de tels exploits, je le reconnais, que le transfuge allemand mérite de passer à la postérité ; et je concéderai même volontiers que, dans les deux cas ci-dessus, on doit retenir à la charge de l'exécuteur le fait d'avoir interprété par trop brutalement les ordres donnés. Mais n'oublions pas que ce "bourreau de l'armée", ce "féroce" fut aussi un brave et un dévoué jusqu'à l'héroïsme, et que la bravoure et le dévouement dont il fit preuve, pendant toute la guerre, sont de nature à racheter bien des actes de brutalité, de cruauté si l'on veut, qu'on ne doit juger d'ailleurs, j'insiste sur ce point, qu'en tenant compte du milieu et des circonstances, sans parler du tempérament du personnage. L'amour de la vérité m'obligeait à ne point dissimuler le brutal : arrêtons-nous maintenant devant le héros.

On lit couramment, sous la plume des chroniqueurs plus ou moins fantaisistes de la Vendée militaire, que si Charette fut vaincu et fait prisonnier par Travot, c'est qu'il avait été, peu à peu, lâchement abandonné et, en fin de compte, bel et bien trahi par les siens. Cette accusation, que presque tous les "historiens pour rire" vont répétant à la queue leu leu sans qu'aucun ait jamais pris la peine de la contrôler, constitue en réalité une sanglante injure - doublée de calomnie - à l'adresse d'une phalange de vaillants dont la mémoire mérite d'être respectée et défendue comme faisant partie de l'héritage vendéen ; et je crois devoir profiter de la présente notice, consacrée à l'un des derniers fidèles de l'armée bas-poitevine, pour souligner dans une parenthèse la regrettable légèreté des accusateurs.

En lançant sur notre marché historique la légende de Charette lâchement abandonné et trahi, les auteurs de l'accusation, simples panégyristes non moins maladroits que trop zélés, avaient surtout en vue d'auréoler le général en chef du Bas-Poitou et ne paraissent point s'être doutés (ce qui est leur excuse) qu'ils clouaient au pilori, du même coup, non seulement Guérin, La Robrie, Rezeau et tant d'autres braves lieutenants qui s'étaient soumis, mais encore les milliers d'insurgés qui avaient si glorieusement combattu avant de déposer eux-mêmes les armes. Or, s'il est certain, en fait, qu'au milieu du mois de mars 1796, c'est-à-dire quelques jours avant la prise de Charette, celui-ci n'avait plus autour de lui qu'une poignée de fidèles et que, les uns après les autres, ses principaux lieutenants l'avaient abandonné pour faire leur soumission, ce n'est cependant pas une raison pour noter d'infamie - comme lâches doublés de traîtres - ceux qui avaient ainsi renoncé à la lutte.

La vérité est que, depuis longtemps, la guerre était devenue impossible et que, comme l'un des premiers partisans de la soumission, Hyacinthe de la Robrie, le dira plus tard dans sa justification imprimée, cette soumission était "commandée par charité et par l'état désespéré des affaires du parti." Comment on en était arrivé à cet "état désespéré" ?

"Au mois de juin, on avait encore repris les armes d'assez bon coeur : on s'était laissé prendre, une fois de plus aux promesses des Princes, et l'on comptait sur la prochaine arrivée du comte d'Artois. Mais on sait comment celui-ci, amené à l'île d'Yeu par une flotte anglaise, avait lâchement abandonné la partie et, sous prétexte que sa dignité ne lui permettait pas de "chouanner", s'était empressé de regagner l'Angleterre, où sa bravoure ne se trouvait bien à l'aise que ... dans l'alcôve de Mme de Polsastron ! A l'annonce de cette fugue inattendue, ç'avait été une explosion d'indignation dans le camp de Charette, et de nombreuses défections s'étaient produites : "A quoi bon, disaient les pauvres gâs découragés, se battre pour des Princes qui ne font que de belles promesses, reculent toujours devant le danger et ne songent qu'à sauver leur peau en faisant trouer celle des autres !"

"A partir de ce moment, la cause royaliste était bel et bien perdue. Tout historien impartial devra en convenir : les documents et les faits sont là, qui le prouvent avec la dernière évidence.

Restait la question religieuse, la seule, d'ailleurs, qui eût réellement été en jeu au début de l'insurrection. Sans doute, si on ne voulait plus se battre pour les Princes, on aurait encore volontiers fait le coup de feu pour le bon Dieu. Mais la politique habile et astucieuse de Hoche avait pris les devants : partout il donnait comme mot d'ordre de ménager les prêtres et de fermer les yeux sur le rétablissement du culte, dans les paroisses où l'on déposait les armes. De sa part c'était pure tactique, hypocrisie même, si l'on veut ; mais cela portait, faisait son effet, et la masse de la population mordait peu à peu à l'hameçon. Pour un curé qu'on voyait circuler librement avec un sauf-conduit, pour une messe qui se célébrait publiquement sans opposition, c'était, chaque fois, une paroisse de moins pour la cause de l'insurrection. Tant et si bien que, de jour en jour, le vide se creusait autour de Charette et que les chefs eux-mêmes, parmi les plus braves et les plus intransigeants, se laissaient insensiblement gagner par l'idée de la paix, en voyant leurs soldats déserter les uns après les autres."

De cette désertion générale provoquée par l'inertie prolongée des Princes, de ce courant populaire vers la paix habilement exploité par Hoche les vrais historiens de la Vendée ont loyalement proclamé les causes ; ils ont reconnu que depuis plusieurs mois déjà, à l'époque de la prise de Charette, la lutte était devenue impossible et ils n'ont point hésité, en conséquence, à justifier les soumissions successives que certains chroniqueurs superficiels, sur la foi de misérables potins, voudraient noter d'infamie en les taxant de lâcheté ou même de trahison.

La question ainsi mise au point, il n'en est pas moins vrai qu'on doit un spécial tribut d'admiration aux rares réfractaires bas-poitevins qui, malgré l'évidente inutilité de la lutte, se sont héroïquement sacrifiés en suivant jusqu'au bout - jusqu'à la mort - la fortune de leur général toujours insoumis quoique désormais sans état-major et sans armée.

Or, parmi ces derniers braves, parmi ces héros de la lutte quand même, CASSEL mérite de figurer au premier plan. Vrai garde-du-corps de Charette pendant toute la guerre, et ayant plus d'une fois exposé pour lui sa propre vie, non seulement il faisait partie du demi-cent de fidèles qui composaient toute l'armée au jour de la capture, mais, ce jour-là, il trouva moyen de s'affirmer fidèle entre les fidèles, en payant de son sang l'une des plus belles pages de cette fin de la Grand'Guerre.

Capture plein écran 09082012 202816Nous sommes au matin du 23 mars 1796 ... Charette, errant et fugitif, n'ayant plus autour de lui qu'une cinquantaine de soldats, a momentanément trouvé asile chez le métayer Jean Pogu, au village de le Pellerinière en la paroisse des Lucs. Il y a passé la nuit et s'y repose encore, lorsque tout à coup retentit le cri : Voilà les Bleus !

Charette et les siens ont le temps de s'enfuir vers Saint-Sulpice-le-Verdon et, grâce à leur parfaite connaissance des lieux, ils réussissent à dépister la troupe lancée à leur poursuite. Mais bientôt, entre les deux villages de la Guyonnière et du Sableau, ils se heurtent à un second détachement commandé par l'adjudant-général Valentin. Quoique très inférieurs en nombre, ils acceptent le combat et luttent avec acharnement pendant plus de deux heures, en s'abritant de leur mieux derrière les haies et les fossés.

A la fin, décimés et ne pouvant plus, faute de munitions, riposter au feu de l'ennemi, ils battent en retraite et cherchent à gagner le bois de l'Essart, dépendant de la paroisse de Saint-Denis-la-Chevasse. Mais les Bleus les poursuivent et, tout en courant, concentrent leur tir sur Charette, qu'ils ont reconnu à son panache.

C'est alors que Cassel, profitant d'un accident de terrain qui dérobe un instant les fuyards à la troupe républicaine, échange sa coiffure contre celle de son général auquel il crie : "Ils me prendront pour vous et me tueront, sauvez-vous si vous pouvez !" (Le Bouvier-Desmortiers) Et l'héroïque soldat, après avoir agité fièrement son chapeau d'emprunt et défié de loin les Bleus, s'élance à toutes jambes dans une direction opposée à celle que suit Charette ! ...

Les Bleus donnent tout d'abord dans le piège, et tous se lancent à la poursuite de celui qu'ils prennent pour le chef brigand dont la tête est mise à prix, tandis que Charette, suivi de sa petite troupe, s'échappe grâce à cette manoeuvre et réussit à prendre quelque avance.

Alerte et vigoureux, Cassel s'était flatté de faire durer longtemps cette chasse au panache ; mais il avait compté sans les balles républicaines et bientôt, blessé et n'en pouvant plus, il tombait percé de coups ! Alors seulement, devant le cadavre de l'héroïque victime, les Bleus s'aperçurent de leur méprise : au lieu du général qu'ils croyaient avoir atteint, ils furent stupéfaits de voir qu'ils n'avaient tué que "son Allemand" !

Cet acte de sublime dévouement devait être inutile, hélas ! Moins de deux heures après, Charette, qui avait échappé à la troupe de l'adjudant général Valentin grâce au généreux subterfuge de son fidèle "Allemand", Charette, exténué de fatigue, trouvait tout à coup en face de lui une nouvelle colonne, celle du général Travot ; il se voyait rejeter par elle dans le bois de la Chabotterie et y était fait prisonnier, - tombé blessé "entre deux cadavres", dit le rapport du général Grigny.

Quelles que soient les réserves commandées par les antécédents de celui qu'on appelait communément "le bourreau de l'armée", la mort héroïque du "féroce Allemand" me semble devoir racheter bien des cruautés, ces cruautés eussent-elles été autre chose que de simples représailles. Le geste final de Cassel est plus qu'un beau geste : il est vraiment sublime ! J'ajoute qu'il doit être retenu comme honorant à la fois son auteur et le grand guerrier qui l'avait inspiré : quand un soldat se dévoue jusqu'à se faire tuer pour sauver son général, c'est qu'apparemment le général méritait un pareil dévouement de la part du soldat !

La Vendée Historique
1910-1911

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