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La Maraîchine Normande
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31 juillet 2013

MONSEIGNEUR CHARLES-ÉMILE FREPPEL

MONSEIGNEUR FREPPEL

Mgr Freppel 3


Un homme vient de mourir, qui était un homme ; un évêque vient de mourir, qui était un évêque.

Il n'y a, parmi les catholiques de France, qu'un cri formé de mille cris : "Qui le remplacera ?"

On cherche déjà, on cherche encore, et nos yeux se reportent toujours sur ce cercueil d'Angers où Mgr Freppel est étendu à visage découvert, vieux soldat frappé au milieu de la grande bataille, fier et menaçant jusque dans la mort.

Mgr Freppel - mort


C'était notre champion, et nous savions tous que, quand on insultait là-bas Jésus-Christ ou l'Eglise, il y avait une âme qui vibrait, une voix qui protestait, un vaillant qui bataillait.

Ce "militant", qui confondait dans un même amour l'Eglise et la France, était né dans cette Alsace que l'Allemagne ne peut parvenir à défranciser.

maison natale de Mgr FreppelRien n'est plus charmant que cette petite ville d'Obernai où il naquit le 1er juin 1827. Les archéologues y signaient de nombreuses maisons du Moyen-Age et un bel hôpital du quatorzième siècle ; mais les chrétien y ont un plus riche trésor. Obernai n'est pas loin de la fameuse "montagne de Sainte-Odile", où d'innombrables pèlerins viennent, encore aujourd'hui, rendre hommage à cette auguste patronne de l'Alsace ; Obernai est comme imprégné du souvenir et des vertus de cette chère sainte que Mgr Freppel a dû prier bien souvent durant les âpretés de sa vie. On peut ajouter, avec certitude, qu'il l'a surtout invoquée depuis 1870.

Dieu avait placé près de son berceau une famille profondément chrétienne. Sa mère était une femme d'élite, qui voulut être le premier professeur de ce fils très intelligent que le Ciel lui avait donné. Alsacienne jusqu'au plus intime de son âme, elle communiqua à son enfance l'amour de l'Alsace française. Elle eut un jour la joie de le voir prêtre ; puis, la joie plus vive encore de le voir, plus tard, la mître en tête et la crosse en main. Elle fut témoin de ses combats et de sa gloire, et ne demanda à son illustre fils que la permission de vivre auprès de lui dans une humble chambre de ce beau palais épiscopal d'Angers. Tous les Angevins se souviennent de cette femme toute simple et qui traversait si modestement les rues de leur ville. J'ai prié près de sa tombe.

Il y avait un pensionnat à Obernai où le jeune Freppel fit ses premières études. On rappelait, ces jours derniers, que, dans toutes ses classes, "il fut toujours le premier" ; j'aime mieux rappeler ici le cri qui lui échappait souvent : "Je veux, je veux être prêtre."

C'était une sorte de phénomène, d'enfant prodige. Sa mémoire était merveilleuse, son esprit précoce. A dix-sept ans il était bachelier (ce qui était une rareté en cet heureux temps). Quelque temps après, il entrait au grand séminaire de Strasbourg, et était chargé d'enseigner l'histoire au petit séminaire. A vingt-deux ans, il était prêtre.

Nous sommes en 1849.

Tout Alsacien qu'il fût, Paris l'attirait, et il sentait que c'était là le grand champ de bataille catholique. Son évêque eut quelque peine à le retenir et n'y réussit que peu de temps. Ce jeune prêtre, qu'on avait chargé à vingt-trois ans de la direction d'un grand collège et qui venait de passer très brillamment ses thèses de docteur en théologie, cet historien, cet orateur tournait toujours vers Paris son regard plein de flammes. Une place de chapelain vint à vaquer à Sainte-Geneviève : il se précipita, concourut, triompha. C'est là, c'est dans la chaire du Panthéon rendu au culte que je l'ai vu pour la première fois. Il partageait avec l'abbé Alix cette rude tâche de conférencier où si peu ont excellé. L'auditoire qu'il évangélisait était presque uniquement composé de jeunes gens, et il sut leur plaire. Non pas qu'il y eût chez lui de ces accents tendres et émus qui font battre le coeur et monter la larme aux yeux ; mais il triomphait à coups de science, par l'admirable clarté de son exposition, par la seule force de sa doctrine. On vit sur-le-champ qu'il était fait pour être professeur, et on lui confia la chaire d'éloquence sacrée à la Sorbonne. Il était là sur son terrain ; il y régna. Dix volumes, pleins d'érudition et de vie, sont là pour attester l'étendue et la puissance de ce long enseignement. Il s'attaqua aux Pères apostoliques et ne s'arrêta qu'à ceux du quatrième siècle. C'est par ces dix nobles échelons qu'il s'éleva jusqu'à l'épiscopat. Doyen de Sainte-Geneviève en 1867, il fut sacré évêque d'Angers le 27 décembre 1869.

On était en pleine aurore du Concile, et jamais évêque ne fut nommé en des conjonctures aussi bien faites pour le mettre en plein relief. Quel moment ! Et avec quelle netteté je m'en souviens !

Deux écoles se partageaient alors les catholiques de France, et à Dieu ne plaise que je réveille ici des passions qui, je l'espère, sont depuis longtemps éteintes. Mais enfin qu'allait faire le nouvel évêque ? Dans quel camp allait-il combattre ? Il passait pour libéral, et n'avait pas été de ceux que l'Univers pouvait légitimement considérer comme ses amis. Allait-il s'obstiner dans ce libéralisme qui venait (chose étrange) de se déclarer violemment contre le dogme espéré de l'infaillibilité pontificale ? Allait-il au contraire ... ? On n'attendit pas longtemps, et les journaux de Rome nous apportèrent bientôt une nouvelle décisive. Un évêque, tout récemment consacré, venait de prononcer en Concile un long discours en faveur de l'infaillibilité, discours qui avait fait une profonde impression et où l'on ne savait ce qu'il fallait admirer le plus, la latinité de l'orateur, la vigueur de l'argumentation, la solidité de la doctrine. C'était le début épiscopal de Mgr Freppel.

abbe_freppel2Ce discours mémorable assura au jeune évêque une place d'honneur sur les bancs de cette illustre assemblée dont il n'est permis de médire qu'à la seule médiocrité et à l'aveugle passion. Mgr Freppel fut, par là, populaire à Angers, avant de faire son entrée dans sa bonne ville. A Rome, on se le montrait comme un des "influents", et c'est ainsi qu'il nous a été donné de le saluer, dans cette procession de sept cents évêques que nous vîmes, un jour, se dérouler, superbe, dans la sacro-sainte basilique de Saint-Pierre. Quelle heure dans l'histoire, et la reverra-t-on jamais ?

Mais, hélas ! il en est de l'humanité comme de ce Dieu fait homme qui, quelques jours seulement avant les affres de sa passion, avait connu le triomphe radieux et l'hosanna de son entrée à Jérusalem. Nos plus poignantes douleurs succèdent ainsi, et trop soudainement, à nos plus vives joies, et le nouvel évêque d'Angers, à peine sorti de l'alleluia du Concile, dut immédiatement chanter le Dies irae de la guerre de 1870.  Il se montra plus grand dans l'adversité que dans le triomphe. Le cas est rare.

Avec cette initiative pétulante, qui fut toujours un des caractères les plus originaux de cette âme puissante et complexe, cet Alsacien, qui portait au coeur la double plaie de l'abaissement de la France et de la perte de son Alsace, cet évêque au long regard qui ne pouvait rester insensible aux victoires du protestantisme allemand, ce patriote exalté, ce prêtre sincère et clairvoyant, crut que le moment était venu de frapper un grand coup. C'est alors qu'il écrivit cette Lettre pastorale qui fit tant de bruit, et dont quelques esprits grognons et étroits ont seuls été capables de lui faire un grief. Elle était hardie, cette lettre, et, pour tout dire, magnifique autant que sage. L'Evêque ordonnait, en termes simples, que "tous les élèves de son séminaire qui étaient dans les rangs de la cléricature se tinssent à sa disposition pour faire office d'infirmiers", et il exhortait très vivement les autres à "s'engager dans la garde mobiles ou dans les légions de Cathelineau et de Charette." Rien n'était moins contraire aux Canons, malgré le "qu'en dira-t-on" de certains caponistes ; rien n'était à la fois plus modéré et plus ardent. Cet évêque sonnait du clairon, et il en sonnait en évêque, en Français, en Angevin : "C'est le moment pour les fils de la Vendée et de l'Anjou de renouveler les prodiges de leurs pères. Servir l'Eglise et la France, c'est tout un." Voilà de fiers coups de trompette !

La guerre prit fin, et Mgr Freppel fut frappé en plein coeur. Cet Alsacien dut renoncer à être un jour enterré dans sa chère Alsace, et cet évêque eut le loisir de mettre virilement la main à d'autres oeuvres. La vérité me force à dire qu'il se jeta dans la politique. Honni soit qui mal y pense !

Cependant, il faudrait s'entendre, et résoudre tout de bon cette question, qui est si singulièrement agitée de nos jours. Un évêque a-t-il le droit, comme le dernier palefrenier de France, de s'occuper des affaires de son pays, de s'y intéresser, d'y prendre part, et même à l'occasion, de prétendre à les diriger ? Cesse-t-il d'être citoyen, le jour où l'huile sainte coule sur son front sacré ? Abdique-t-il sa qualité de Français, en cette heure auguste où il reçoit la prérogative de faire des prêtres et où il répand sa première bénédiction sur les foules prosternées ? Peut-on lui contester son titre d'électeur, parce qu'il communique l'Esprit Saint aux fidèles, et sa qualité d'éligible, parce qu'il enseigne et gouverne spirituellement des milliers et des milliers d'âmes ? Mais il y a plus, et il y a mieux. N'est-il pas utile, n'est-il pas nécessaire que, dans une "chambre des représentants de la nation", toutes les classes de cette nation soient sérieusement représentées ? N'est-il pas utile, nécessaire que pour défendre les intérêts de tel ou tel, dans l'Assemblée nationale, un défenseur attitré, un avocat sorti de ses rangs, qui soit au courant de tous ses besoins et de toutes ses revendications, et qui les expose avec toute compétence et autorité ? Et quel homme, mieux qu'un prêtre, mieux qu'un évêque surtout, peut connaître les souffrances, les aspirations, les griefs, les protestations et les espérances de ces millions de catholiques qui forment, en réalité, le fonds auguste de la race française ? Nos ancêtres ne s'y étaient pas trompés ; ils avaient appelé des évêques dans les grands Conseils du royaume. Et c'est avec un grand esprit de sagesse que des gouvernements plus récents avaient également appelé nos Cardinaux à siéger, de droit, dans la première assemblée du pays. Tous les peuples chrétiens ont agi de même.

Mgr Freppel l'avait compris, et souhaita d'entrer dans cette fournaise qui s'appelait l'Assemblée constituante et s'appelle aujourd'hui, d'un nom plus modeste, la Chambre des députés. Sa candidature échoua en 1871 : elle triompha en 1880, et c'est depuis lors, en effet, que l'évêque d'Angers est député du Finistère.

FREPPELDonc, Mgr Freppel crut remplir son devoir d'évêque en briguant et en exerçant, durant onze ans, les fonctions malaisées de représentant de la nation. Depuis le jour où Gambetta eut l'impertinence de lui dire, en façon de salut : "Monsieur le député Freppel a la parole", jusqu'à cet autre jour, si voisin de nous, où la gauche tout entière eut l'impertinence, encore plus criminelle, de ne pas prêter l'oreille au dernier discours de ce vaillant qui allait mourir, entre ces deux termes de sa carrière parlementaire, l'évêque d'Angers n'a pas prononcer moins de cent vingt discours. Il ne s'enferma point dans les limites, si vastes qu'elles fussent, de la seule question religieuse, et prétendit traiter à la tribune toutes les questions où il eut le loisir de conquérir une véritable compétence. On se rappelle le succès avec lequel il discuta le problème ardu de notre politique coloniale et le projet de loi consacré aux pensions de retraite. Mais, malgré tout, c'était l'Eglise qui le passionnait par-dessus toutes choses. Dès que l'honneur de l'Eglise était en cause, il bondissait à la tribune, et répondait fièrement aux insulteurs. S'il suffisait d'un mot pour les mettre à la raison, ils disait ce mot sans quitter le banc où il avait pour voisin M. de Mun. La dernière fois qu'il protesta de la sorte, ce fut en ce jour où le président de la Chambre outragea grossièrement la mémoire de Pie IX, en le traitant de franc-maçon. Le pauvre évêque était déjà bien malade, il était à bout de forces, il n'avait plus qu'une semaine à vivre ; mais il eut encore l'énergie de jeter un cri suprême et de donner un vigoureux démenti à ces affirmations puisées dans le Dictionnaire de Larousse. Ce Larousse est, décidément, le bréviaire de nos hommes d'Etat.

Plus je vais, plus je m'étonne de voir certains catholiques traiter, avec une outrecuidante liberté, la personne et le rôle de leurs évêques. Je ne sais quel vent d'indépendance souffle dans l'air ; mais je suis stupéfait quand j'entends ces étranges chrétiens condamner avec dédain les plus illustres champions de l'Eglise. Combien de fois ne leur ai-je pas entendu dire que Mgr Freppel n'était pas un véritable orateur ; qu'il écrivait tous ses discours ; qu'il était trop familier avec ses adversaires, et qu'après tout, il aurait mieux fait de rester dans son diocèse, qui réclamait sa présence et ses soins. Ce sont là de singuliers reproches et dont nous devrions laisser à nos pires ennemis l'initiative coupable et téméraire. La vérité est que Mgr Freppel n'a pas négligé sa chère Eglise d'Angers ; la vérité est qu'il y a multiplié les grandes fondations et les belles oeuvres ; la vérité est que son souvenir restera vivant dans un diocèse dont il a vraiment été la lumière et la gloire. Je puis en témoigner, et j'en témoigne.

Armoiries-Mgr-FreppelParmi ces fondations auxquelles son nom restera attaché, on ne saurait omettre cette Université catholique d'Angers, à laquelle il avait donné, depuis 1875, une si grande part de son coeur. Encore ici, les critiques n'ont pas manqué. Quand un évêque se borne aux humbles labeurs de son apostolat, il y a de bonnes âmes qui s'en étonnent : "Ce n'est, disent-elles, qu'un administrateur". Mais dès qu'un évêque s'élève au-dessus de ses devoirs ordinaires et tente quelque généreuse entreprise : "Il veut faire trop grand", observent ces mêmes persifleurs, race stérile et dangereuse. Ce n'est pas là, en vérité, un langage catholique, ni une appréciatiuon équitable. Mgr Freppel n'a pas été sans défauts ; j'y consens ; il a été parfois trop vite en besogne ; je le veux bien ; il a pu se tromper et s'est trompé ; je l'avoue. Mais on ne m'ôtera pas de l'esprit qu'il a été un très grand évêque et qu'il a honoré la sainte Eglise.

A côté de l'Université catholique, les établissements d'enseignement secondaire que lui avait légués son prédécesseur n'ont rien perdu de leur prospérité ni de leur splendeur. Près de Montgazon, de Combrée, de Beaupréau et de Baugé, le Collège ecclésiastique de Saumur, fondé par Mgr Freppel, attire aujourd'hui toute la jeunesse du Saumurois et est en pleine floraison. Le sol angevin se couvre, tous les jours encore, de la robe blanche des églises nouvelles ; tous les jours on y ouvre quelque école libre et, tous les jours aussi, quelque noble asile de la charité ou de la science. Qui oserait dire que cet incomparable diocèse d'Angers est aujourd'hui moins fécond qu'au jour où Mgr Freppel en a pris le gouvernement ? Qui oserait dire qu'il donne à l'Eglise moins de prêtres, moins de religieux, moins de missionnaires, moins de saints ? Qui oserait le dire, et surtout, qui pourrait le prouver ?

Tant de créations, tant de labeurs, tant de soucis avaient usé le vigoureux tempérament de cet Alsacien si bien trempé. Depuis un an surtout, sa famille épiscopale s'inquiétait vivement de ce douloureux affaiblissement. La voix était moins sonore, le pas moins ferme, l'allure moins vive. Ils commençaient pour lui, ces terribles derniers jours de la vie humaine, alors que l'homme se voit progressivement envahi par les symptômes visibles de la mort, alors qu'il est contraint de se dire : Oportet me minui. Cette séance de la Chambre où un cruel et léger auditoire se refusa à l'écouter, où l'on n'eut pitié ni des défaillances de sa voix, ni des approches de sa fin, cette horrible séance avança cette fin. L'Ordination du 19 décembre lui porta le coup mortel. Il savait bien qu'il ne pourrait pas résister à une aussi longue et aussi âpre fatigue ; mais il se disait aussi qu'il ne voulait pas causer à ces jeunes prêtres de demain la cuisante douleur de retarder leur première messe : "J'irais plutôt sur mes genoux", disait-il, et il y alla. Il en est mort.

Le lundi 21, un coup de sonnette retentit soudain, à neuf heures du soir, dans la chambre de l'évêque. Son domestique entra, et le trouva plus qu'à moitié mort. Le vieux et vaillant prélat venait d'être terrassé comme par la foudre. Il ne reprit ses sens que pour recevoir les derniers sacrements et balbutier quelques derniers adieux ...

ACTE DE NAISSANCE FREPPEL

ACTE DE DECES FREPPELMonseigneur Freppel est décédé le 22 décembre 1891


Un homme vient de mourir, qui était un homme ; un évêque vient de mourir, qui était un évêque.

Portraits du XIXe siècle
Léon Gautier - III
1894-1895

coeur de Mgr Freppel

statue Freppel

tombeau Freppel

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