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La Maraîchine Normande
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29 juillet 2013

ÉMEUTE DE FEMMES DANS UNE COMMUNE DE LA SARTHE EN 1795

ÉMEUTE DES FEMMES
DANS UNE COMMUNE DE LA SARTHE EN 1795

L'histoire de la Commune de Dollon reste à écrire. En attendant qu'un historien nous la donne, voici une page, détachée de ses archives, qui m'a parue curieuse et intéressante à publier.

Un mot de préambule.
Dollon (canton de Vibraye, arrondissement de Saint-Calais) (Sarthe), est actuellement une commune de 2000 habitants environ. Pendant et après la Révolution, elle n'en comptait guère que 1500.
Mais si peu important que paraisse ce petit centre, il n'en fut pas moins le théâtre d'une émeute au petit pied dont la municipalité d'alors - qui en fut la victime - a précieusement et heureusement consigné le souvenir sur le registre de ses délibérations.

Les héros de cette manifestation qui, par deux fois, troubla profondément la commune, sont des héroïnes, des femmes.

Grâce à Dieu, bien que l'année 1795 se signale par une famine d'autant plus horrible qu'elle était factice et que les campagnes, et notamment Dollon, en aient cruellement souffert, ce ne fut pas la faim qui provoqua cette sédition. Ce cri sinistre qui traverse un glas funèbre du XVIIIe siècle, du pain ! du pain ! ne retentit point dans la bouche des manifestantes.

Dollon

Le mobile de l'émeute, de la révolution à Dollon, le 22 mars 1793, fut d'un ordre plus élevé, religieux et politique.

A cette époque, la France se trouvait en pleine réaction. On réagissait à Paris contre les terroristes et le gouvernement révolutionnaire ; à Dollon, on réagissait contre la tyrannie locale, contre les Jacobins du bourg qui avaient fermé l'église, brisé, vendu ou emporté les objets sacrés.

Les femmes surtout, qui n'avaient point oublié les croyances de leur enfance, et que stimulait la foi ou la superstition, ne se faisaient pas faute de dire qu'on allait rouvrir leur église et la rendre au culte. Avec cette précipitation qu'engendre l'ignorance, elle ne doutèrent plus que la nouvelle loi réglant le culte, dont elles avaient entendu parler, dont elles connaissaient sûrement l'existence puisque la municipalité s'apprêtait à leur en donner lecture, ne les satisfit.

Aussi choisissent-elles le jour de la lecture de cette loi pour se réunir. Elles veulent signifier leurs volontés aux Jacobins qu'elles soupçonnent de se refuser à l'exécution de cette loi - telle du moins qu'elles la supposent.

Pour hâter la réouverture de l'église, forcer la main aux autorités, elles réclament le Christ du choeur, les Saints arrachés de leurs niches (1). Bientôt elles courent chez les athées du bourg et les somment de restituer les autels, dont ils se sont emparés. Toutes ces revendications ne s'exercent pas sans remuer les vieilles colères, les rancunes assoupies ou précédemment rentrées sous le régime de la terreur. Et devant le mauvais vouloir apparent des officiers municipaux, les passions se déchaînent librement avec l'accompagnement des menaces et des voies de fait.

Du reste, lecteurs, rassurez-vous, si les Dollonnaises révoltées se permirent quelques menaces de mort, qui n'étaient à cette époque que la menue monnaie courante des invectives, il n'y eut pas cependant de graves désordres à déplorer. Comme il n'existait à Dollon ni lanternes dans les rues, ni guillotine en permanence, personne ne fut pendu ni guillotiné. Tout se borna à quelques châtiments anodins, comme ceux d'obliger un Jacobin municipal à chanter les vêpres ou à baiser la terre. Mais il faut croire que les cerveaux étaient montés, que les passions étaient surrexcitées ; que les manifestantes ne badinaient pas, à en juger par l'émotion que révèle le procès-verbal ; et que, si les victimes se fussent montrées moins dociles, elles eussent pu courir de graves dangers ; par exemple se voir arracher les cheveux ou les poils de la barbe, ce qui n'a rien d'agréable, surtout pour des représentants de l'autorité.

Évidemment les risées que soulevèrent ces singuliers évènements achevèrent de confondre les pauvres officiers municipaux. C'est donc sûrement pour se venger des insultes et des hontes dont ils furent abreuvés dans ces mémorables journées, qu'ils entreprirent de relater ces faits sur le registre de leurs délibérations. Dante plaça, comme on sait, tous ses ennemis dans son Enfer, les Jacobins Dollonais voulurent punir leurs bourreaux en portant à la postérité le témoignage de leur méchanceté et dénoncer aux âges futurs les noms de toutes les plus mauvaises et malignes femmes de Dollon en 1795 !

Voici la teneur de la délibération dont il s'agit. Elle est intitulée en marge : Procès-verbal du rassemblement des femmes, aujourd'hui deuxième germinal an III de la République française (23 mars 1795).

"Le conseil général de la commune s'est assemblé, aujourd'hui, au lieu ordinaire de ses séances, à l'effet de dresser procès-verbal des injures commises contre la nation et les corps constitués de la commune de Dollon dans la dernière décade.
Lors de la lecture des lois, à l'heure de midi, une foule de femmes sont entrées dans le temple l'air furieux et courroucé. Toutes, d'une seule voix, ont crié au citoyen Arnouilleau, officier municipal, qui s'apprêtait à lire les lois du haut de la chaire : - Descendez de là, vous ne lirez pas les lois aujourd'hui !
Le citoyen Arnouilleau a répondu : - Pourquoi ne les lirais-je pas ? - Nous vous le défendons, l'église n'est pas faite pour cela : c'est au mai de la liberté qu'il faut les lire. Après plusieurs tentatives infructueuses, le citoyen Arnouilleau a été obligé de descendre.
Elles ont déclaré alors à la municipalité qu'il fallait qu'elle fasse rétablir l'église telle qu'elle était et qu'elles ne donnaient que dix jours, faute de quoi plusieurs têtes tomberaient. En nous montrant le poing elles s'écriaient : - Où sont nos saints ? La municipalité leur a répondu qu'ils étaient rompus.
Elles ont dit au maire : - Tu as coupé le Christ pour t'en chauffer ; il est sur le ciel de ton four. Le citoyen Chervis, officier municipal a réparti : - On vous a trompées. C'est sur le four du clocher, autrement dit la voûte du clocher qu'il se trouve. - Nous voulons le voir ; que vous et le maire alliez le chercher ! Ils y sont allés. Quand il a été descendu, elles ont dit au citoyen Pichon, officier municipal, en le prenant au collet : - Viens baiser la terre au pied du Christ, elles ont adressé la même sommation au citoyen Arnouilleau. Mais ils s'y sont refusés en disant : - Si nous la baisons, c'est que vous allez nous jeter par terre, car autrement nous ne le ferons pas.
Après toutes ces menaces, voyant que les esprits s'échauffaient, le citoyen Arnouilleau leur a dit : - Vous avez demandé que l'on fit la lecture des lois au mai de liberté, suivez-moi, je vais vous les lire. Alors plusieurs se sont écriées : - Attention ! il veut se sauver !
Etant au mai de liberté, on a commencé par leur donner lecture de la loi des cultes. Plusieurs ont dit au maire : ce n'est pas là la loi ! On leur a répondu : Il y en a parmi vous qui savent lire, qu'elles la lisent elles-mêmes, si elles doutent.
Après la lecture des lois la dispute a recommencé.
Elles ont dit aux citoyens Pichon et Arnouilleau, officiers municipaux : - Si vous ne faites pas rétablir notre église votre bien nous en répondra. Elles nous ont menacé de nous couper les cheveux et de nous arracher tout le poil sur le corps. Ensuite elles ont dit : - Faut aller chez le maire ; il s'est caché. Ne l'ayant point trouvé chez lui, parce qu'il était à la chambre commune pour y chercher des lettres et arrêtés du district que nous avons réunis pour détruire tout ce qui était signe de féodalité et fanatisme, elles ont dit à son fils : - Où est ton père ? Nous voulons le voir ainsi que sa femme. Il faut qu'il rétablisse nos saints et la croix brisée, ou ça n'ira pas bien !"
Elles se sont alors retirées ...
Le Dimanche (deux du courant) les mêmes femmes se sont rassemblées et ont fait remonter le Christ. Ensuite le nommé Michel Monguin fils s'est rendu chez le citoyen Chesneau, officier public, et lui a dit : - Il faut que vous veniez chanter le Te Deum, le Christ est remonté et on vous attend. Comme il tardait, un groupe de femmes est retourné chez lui et lui a déclaré : - Il faut que tu viennes nous chanter les vêpres. Elles ont tenu le même langage au citoyen Arnouilleau, qui passait dans la rue. Voyant qu'elles le menaçaient, il a été chanter les vêpres. Elles lui ont dit : si vous ne voulez pas chanter de bonne amitié, vous chanterez de force. Il leur a répondu que ce n'était pas aisé.
Après les vêpres, elles ont été chez le citoyen Coutelle (l'ancien curé constitutionnel et ont dit, en son absence, à son garçon, le citoyen Crétois : - Il faut que vous rapportiez l'autel que Coutelle conserve ici.
Elles sont alors retourné chez le citoyen Ralle, maire. Ayant trouvé sa porte fermée, elles ont jeté des pierres dedans en le traitant de mâtin et sa femme de mâtine.
Elles ont été plus loin pour rencontrer les citoyens Pichon et Touruel. Leurs portes étaient fermées. Plusieurs ont dit : - il faut défoncer la porte à Pichon ! D'autres, ont dit : elle tient trop !
De là, elles se sont rendues chez le citoyen Guillon, afin d'emmener sa femme avec elles. Elles ont dit à Guillon : Si tu ne la trouves pas, tu vas nous accompagner. Ayant trouvé la Guillon, elles l'ont conduite à l'église et lui ont fait baiser la terre et lui ont dit : Tu n'en est pas encore quitte.
Puis elles sont allées chez le citoyen Vollet Julien pour le forcer d'apporter un autel qu'il avait acheté. Cela fait, elles ont été chercher à l'auberge le citoyen Ralle fils, l'ont pris par le cou et lui ont déclaré : - c'est à toi que nous en voulons ! Elles l'ont mené dans l'église où elles lui ont fait baiser la terre. Une des principales meneuses lui a dit : - Il faut que tu la baises trois fois ; ce qu'il a été obligé d'exécuter.
Et elles ont signifié qu'elles recommenceraient tous les jours les mêmes scènes, jusqu'à ce que leur église fût tout à fait rétablie.
Les principaux chefs sont les nommées : Reine ou Rène de chez Cognard ; la Vallée de chez Boiton ; la femme Guedé, la femme Roger, des Cheminées ; la femme de Pierre Saucereau, la femme Saucereau Julien, la femme Guilmin, de la Testière, la femme de Vincent des Marçonnières, la veuve Avignon, la femme Clot, la femme Berouard, la femme Grélet, la femme de Jean Blin, menuisier, la femme de Michel Manguin et celle de Jean Manguin, la femme Desveaux, la veuve Henri, qui sont, à notre connaissance les plus malignes et qui ont fait le plus de menaces. Il y en a plusieurs qui sont aussi mauvaises, mais nous ne les connaissons pas ...
Fait et arrêté, en la chambre commune de Dollon, lesdits jours et an que dessus.
Etaient présents les citoyens : Ralle, maire, Augustin Rousseau, Louis Pichon, Louis Arnouilleau, officiers municipaux, et François Beauvais, Jean Guillon et Mathurin Chesneau, notables."

Le procès-verbal est signé : Ralle, maire, Arnouilleau, officier municipal, Rousseau, officier municipal, Pichon, officier municipal, M. Chesneau.

Deux ans plus tard, de nouvelles manifestations - cette fois sans intérêt ni portée - mais où des femmes, des Jacobines, jouèrent un rôle prépondérant se produisirent dans cette même commune de Dollon, la plus remuante et la plus exaltée du district. Les 30 frimaire et 5 nivôse an VI - 20 et 25 décembre 1797 - une trentaine de femmes et de filles patriotes renouvelèrent les saturnales de la Terreur. A l'occasion de la plantation d'un nouvel arbre de la liberté, elles se livrèrent à des danses effrénées en vociférant les chansons les plus révolutionnaires.

Le soir, un "souper" réunit ces belles "patriotes" dont la présence, les charmes et les délicates attentions durent verser un baume salutaire sur les blessures d'amour-propre des officiers municipaux de 1795.

(1) En 1793, un nommé Ralle, maire en 1795, s'amusait dans l'église à faire tomber les saints. Il leur jetait une corde autour du cou et s'écriait : Encore un fainéant que je vais descendre !

R. DESCHAMPS LA RIVIERE
Revue illustrée des provinces de l'Ouest
1891

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Commentaires
F
Merci de nous faire partager ces évènements !!!!<br /> <br /> On dirait la révolte des femmes dans Germinal !!!<br /> <br /> En moins sanglant bien sûr !!!<br /> <br /> Mais des femmes qui, à l'époque, "assuraient" !!<br /> <br /> Même si c'est un côté grenouilles de bénitier qu'elles assumaient !!!<br /> <br /> Merci encore
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La Maraîchine Normande
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