PIERRE-JOACHIM TROTTOUIN, DIT THUREAU OU SAINT-FÉLIX ♣ MAJOR GÉNÉRAL DE L'ARMÉE CATHOLIQUE ET ROYALE D'ANJOU ET HAUT-POITOU
MÉMOIRE AU ROI
SIRE,
On calomnie, on accuse un de vos sujets les plus fidèles. Votre majesté est juste, elle ne le condamnera point sans l'entendre ; elle daignera lire la justification d'un homme qui, en combattant pendant trois ans pour la royauté, fut assez heureux de rendre quelques services au parti ; qui n'a cessé d'exposer ses jours pour le service de la cause, et ensuite pour celle de votre majesté.
Mes ennemis, Sire, répandent dans le public que j'ai abandonné STOFFLET, que j'ai influencé la pacification de la Jaunais, et que pour cela j'ai reçu des sommes considérables de la République : ces deux chefs d'accusation sont également faux.
Je ne commandais point en chef, lors de la pacification : je n'étais, comme major général de l'armée de STOFFLET, que la sixième personne du conseil militaire, dont je n'étais que le rapporteur, qui était composé de Messieurs,
1 - STOFFLET, général en chef ;
2 - Chev. DE FLEURIOT, général d'infanterie ;
3 - Chev. de ROSTAIN, général de cavalerie ;
4 - BERARD, général ;
5 - Chev. DE LA BOUERE, lieutenant-général ;
6 - Et moi, major-général.
Ce conseil, ou cette armée d'Anjou, avait huit généraux divisionnaires ; SAVOIR ;
M. NICOLAS, fermier de Nouaillé, commandant celle de Cholet ;
M. MOSNIER, commandant celle de Saint-Macaire ou Montfaucon ;
M. CHASLON, sacristain de Chemillé, commandant celle de Chemillé ;
M. , dit le marquis de CARABA, tisserand de Beaupréau, commandant celle de Beaupréau ;
M. PRODHOMME, commandant celle du Loroux ;
M. RENOU, commandant celle des Aubiers ;
M. GUICHARD, commandant celle d'Argenton-le-Château ;
M. RICHARD, commandant celle de Cerisai.
La Convention avait fait répandre dans nos armées une amnistie ; je donnai ordre de la brûler au bout d'une pique, entourée de cinquante fagots, à chaque poste, vis-à-vis de l'ennemi.
La Convention nous envoya des parlementaires au pont de Vihiers, nous promettant l'intégrité de notre religion et la paix ; mais, ne voyant aucune promesse relative au dauphin, ce fut moi qui rompis l'entrevue, en renvoyant les députés chercher des pouvoirs relatifs à la monarchie ; et STOFFLET acheva, en leur défendant de paraître davantage, s'ils n'en obtenaient pas. Depuis six jours n'ayant pu rien obtenir de ce côté-là, ils nous firent demander à la Jaunais par CHARETTE. Nous arrivons à la Jaunais ; nous trouvons la trève signée par M. CHARETTE et M. SAPINEAU. M. FLEURIOT, général de notre armée, et oncle de M. CHARETTE, s'était rendu aux raisons de son neveu, et l'avait signée. Le chevalier DE LA BOUERE, lieutenant général de notre armée, avait aussi adopté le même plan de conduite. M. PRODHOMME, général de division du Loroux, avait, avec son état major, adopté les raisons de M. CHARETTE, avait réuni, par un traité, sa division à l'armée de CHARETTE, et avait signé la trève. M. RICHARD, général divisionnaire, venait d'abandonner l'armée de STOFFLET, de se déclarer faire partie de l'armée du centre, prétendant que la rivière de Sèvre le séparait du territoire d'Anjou, M. MOSNIER, général divisionnaire de Montfaucon, avait suivi l'impulsion de MM. GOGNET, aîné et jeune, commandant les camps de la Loué et de Saint-Julien, qui, avec tous leurs officiers, avaient accepté les mêmes propositions de réunion à M. CHARETTE, et avaient signé la trêve. M. OGER, commandant le poste intéressant de Saint-Florent, avait signé le traité pour son état-major.
Les choses, Sire, étaient dans ce malheureux état, lorsque nous nous rendîmes à la Jaunais.
Je fus député avec M. RENOU, général divisionnaire des Aubiers, M. DE LA VILLE-DE-BAUGÉ, grand partisan de M. CHARETTE, et M. MARTIN le jeune, vers les représentans de la Convention à Nantes, pour savoir quelles étaient leurs propositions.
RUEL, l'un d'eux, nous en rendit compte, et nous les montra acceptées de M. CHARETTE, M. SAPINEAU, et de tous les officiers que je viens de nommer.
Je retournai à la Jaunais rendre compte de ces propositions.
Je pris à part M. STOFFLET, M. DE ROSTAIN et M. BERARD, pour leur dire qu'en effet le traité était signé de tous ces messieurs. Nous fîmes beaucoup de réflexions sur l'inconséquence de MM. CHARETTE et SAPINEAU, d'avoir signé un pareil traité, sans nous en faire part.
Nous vîmes que nous ne restions plus qu'avec cinq divisions, dont une même était sur le point de nous échapper ; celle des Aubiers, commandée par M. RENOU. Cette division joignait celle de RICHARD, et avait déjà demandé sa réunion à l'armée du centre. Le projet de M. CHARETTE étant d'affaiblir STOFFLET, en grossissant l'armée de SAPINEAU, et la portant, comme la sienne, à douze divisions au lieu de huit, et réduisant l'armée de STOFFLET à quatre ; d'ailleurs SAPINEAU était tout dévoué à M. CHARETTE. Cette division donc, influencée par deux officiers qui étaient ennemis jurés de STOFFLET, qui les avait fait arrêter pour les fusiller, sous le prétexte qu'ils avaient voulu, après la mort de M. DE LA ROCHE-JAQUELIN, prédécesseur de STOFFLET, ne pas le reconnaître pour général en chef, et se faire une armée à part de cette même division, et d'une partie de celle d'Argenton, où l'un de ces officiers avait toutes ses propriétés, en se réunissant à celle de M. DE MARIGNY, qui, après sa mort, se trouvait commandée par RICHARD : ces deux officiers s'étaient donc attachés à cette division comme volontaires, et étaient devenus les amis de M. RENOU. L'un d'eux avait fait quantité de voyages auprès de M. CHARETTE, pour l'engager à appuyer cette réunion ; et l'un et l'autre étaient tous les jours à l'armée du centre, pour se faire des partisans dans le nombre d'officiers qui s'y étaient retirés, de manière qu'il ne fallait plus compter sur cette division ; ce n'était plus que quatre.
Par la pacification de MM. CHARETTE et SAPINEAU, plusieurs officiers venaient de passer dans l'armée du centre, qui n'allait plus se battre, tandis que les dangers allaient s'accroître pour nous, lorsque nos forces diminuaient de moitié.
Lors de la mort de M. DE MARIGNY, plusieurs officiers avaient déserté l'armée de STOFFLET ; et tous ceux qui n'avaient pas obtenu des places qu'ils désiraient, lors de l'organisation, passèrent dans l'armée du centre, espérant les attraper, lorsque cette armée s'organiserait.
Nos gens ne voulaient plus se battre, et nous n'avions pu, la dernière fois que nous avons fait notre rassemblement, attacher le camp de Chiché : toute notre armée même, au nombre de quatorze à quinze mille hommes (quoique nous répandions partout que nous en avions encore trente mille sous les armes), toute notre armée, dis-je, attaqué par derrière, en sortant du bourg de Mausé, par deux cents dragons républicains, venant du camp de Vrines près Thouars, fut mise en déroute par cette poignée d'hommes ; et quelque chose que je pus faire et dire pour la faire retomber du côté de l'ennemi, il me fut impossible. Je fus obligé de voler à la tête de la colonne en déroute ; et après plusieurs menaces de brûler la cervelle à celui qui passerait la chaussée de l'Etang-de-Beaurepaire, un lâche la passe, et, en fuyant, entraîne tous les autres ; je cours à lui, et, à vingt pas de distance, je le jette par terre : ce moyen réussit. Nous marchâmes à l'ennemi, et le fîmes rentrer dans son camp ; mais cela ne montrait pas moins notre faiblesse.
Nous étions sans poudre. Le moulin à bras que nous avons fait construire dans la forêt de Saint-Aubin, ne suffisait pas pour entretenir nos gardes, le long de la Loire et du Layon, qui s'étendaient depuis Chauxe auprès Chemillé jusqu'à Nantes, et tous les avant-postes, du côté du levant et de partie du midi : à peine nos soldats avaient-ils, l'un dans l'autre, trois cartouches.
Les Anglais qui, lorsqu'ils nous envoyèrent M. DE TINTIGNAC, nous avaient promis bien des choses, ne nous envoyèrent pas seulement une pierre à pistolet.
Nous ne recevions plus de nouvelles des princes, et n'entendions seulement pas parler d'eux.
Toutes les puissances coalisées faisaient leur retraite ; et les forces républicaines, outre qu'il y en avait déjà assez de celles qui nous environnaient pour nous écraser, allaient descendre des frontières, et nous préparaient le même sort que nous avaient fait les garnisons de Mayence et de Valenciennes, lors du passage de la Loire.
Mrs CHARETTE et SAPINEAU, en signant le traité, s'étaient obligés de garder, le premier, la grande route de Nantes à Clisson, le second, la Favre nantaise, pour nous empêcher d'entrer dans leur pays. Nous nous trouvions très-resserrés ; et les républicains, nous attaquant par le même droit que l'année d'auparavant (Châtillon), nous forçaient encore à repasser la Loire, et nous n'avions plus les mêmes moyens et les mêmes forces.
Nous convînmes qu'il ne nous restait plus un seul officier, et que ce serait vouloir la destruction du parti, que de nous exposer au hasard d'une bataille, au lieu qu'il renaissait de ses cendres, par une trêve qui nous donnait le temps d'organiser une troupe soldée, et que nous comptions bien exercer.
L'espoir de pouvoir, sous le prétexte de la garde nationale, que le traité nous accorderait, comme aux autres généraux, augmenter nos chasseurs au nombre de 5 à 600, et nos dragons à 200 au plus, et ensuite nous procurer des poudres, des munitions, des armes et des vêtements pour habiller nos troupes soldées, nous détermina ; et il fut arrêté entre STOFFLET et nous trois généraux,
(J'atteste ces faits sur ce que l'honneur et la vérité ont de plus délicat.)
1° Que nous acquiescerions au traité aux mêmes clauses et conditions que M. CHARETTE et SAPINEAU ;
2° Que je retournerais à Nantes, pour traiter avec les représentans, de tous les articles que M. CHARETTE avait oubliés, ou qui étaient différens dans notre armée, comme du remboursement du papier royal, et l'étendue de notre territoire ;
3° Que je tâcherais de faire monter le plus haut possible le nombre de la garde territoriale ;
4° Enfin que je ferais tout ce que les circonstances et la nature d'une pareille affaire sembleraient exiger.
Nous convenons que le général STOFFLET convoquera le conseil général, pour la forme ; que je leur expliquerai, comme rapporteur, notre position envers Mrs CHARETTE et SAPINEAU, et nos faibles moyens de résistance envers les républicains, et que je ne donnerai rien à connaître sur les résolutions que nous venons de prendre ensemble, et que je terminerai par dire, qu'au surplus il faut savoir les propositions que les représentans avaient faites à Mrs CHARETTE et SAPINEAU
Nous nous donnons nos paroles d'honneur de ne point séparer notre cause. Nous mettons nos mains les unes dans les autres, et nous nous séparons, en disant tous Vive le roi ; même cri de nos soldats après les déroutes.
Nous entrons au conseil où étaient tous les officiers indistinctement, jusqu'au dernier sous-lieutenant.
Je fais mon exposé comme j'en étais convenu avec ces messieurs. Il n'y avait pas un seul officier de marque ; tous étaient des fermiers, des tisserands et fils de paysans, se battant bien, mais sans aucuns moyens militaires ; et la bravoure n'est pas seule suffisante pour faire la guerre, et sur-tout la nôtre, qui se fait plus par surprise et embuscades que par batailles rangées ; mais je dois le dire, à l'honneur de ce corps d'officiers, il n'y eut qu'un cri, pour ne point faire de paix. Ce moment m'électrisa, et je sentis qu'il ne nous restait plus qu'à mourir. Mais M. DE ROSTAIN, qui avait donné, dans différentes circonstances, des preuves de sa valeur, notamment à Cheslau, en arrêtant, avec ses dragons, la cavalerie ennemie, observa que mourir, sans faire service au roi, faire tuer un nombre infini de braves gens, sans en retirer aucun avantage, faire détruire un parti que l'on pourrait renforcer par une trêve, était trahir son Dieu et son Roi, au lieu de le servir. Le discours de M. DE ROSTAIN, dont on connaissait la valeur, fit changer les esprits, et il fut résolu qu'on traiterait avec les représentans.
En conséquence, nous nommons MM. RENOU, LAVILLEt-DE-BAUGÉ, MARTIN aîné, MARTIN jeune, et GIBERT, secrétaire-général, pour retourner à Nantes, régler les articles de la pacification avec les représentans, et faire adopter ceux qui étaient relatifs à notre armée. Quelques heures après, arrivèrent MM. DE ROSTAIN et BERARD.
Cependant, avant de partir pour Nantes, je voulais avoir une conférence avec M. CHARETTE, quoique je susse qu'il ne m'aimait pas, depuis qu'on lui avait fait accroire que c'était moi qui conduisais STOFFLET, et que la dignité et la force dont je l'avais entouré, étaient pour en faire le généralissime de la Vendée ; mais ce général m'estimait, et il avait toute ma confiance avec l'estime de tous. Je le savais incapable de rien faire contre l'honneur ; ce qui me fit suivre aveuglément sa marche.
Je le désabusai sur mon compte, et lui dis que tout ce que j'avais fait pour STOFFLET, n'était que pour le roi, et comme le seul homme de notre armée qui eût la confiance entière du soldat. Nous parlâmes franchement sur nos faibles moyens, comme sur l'impossibilité de continuer la guerre, et sur l'avantage d'une trêve, et sur-tout de la garde nationale. Je me rendis à ces raisons.
M. CHARETTE, interrogé par les républicains s'il me connaissait, répondit qu'oui ; que j'étais un honnête homme. M. CHARETTE, dans les mains des républicains, ne pouvait pas dire davantage de moi. Dans l'intérieur de la France, les papiers publics ont rendu compte, dans le temps, de cette réponse.
Il me demanda ma parole d'honneur de souscrire le même traité que lui. Je lui demandai la permission de voir STOFFLET auparavant. Je fus de suite lui faire part des observations de M. CHARETTE, STOFFLET les goûta ; me donna de nouveaux ordres pour obtenir un nombre de gardes territoriaux, au moins égal à celui de M. CHARETTE ; et je partis, après avoir été donner ma parole d'honneur à M. CHARETTE, qui m'embrassa, et me dit que tout était oublié.
Nous étions à peine arrivés à Nantes, qu'il arriva du Lavoir deux courriers, l'un sur l'autre, envoyés par le curé BERNIER qui, du sein de la volupté, conseillait à ce général de se battre, sans penser qu'il n'avait que douze cents cartouches de reste, et qui lui faisait un crime de marcher sur les traces de MM. CHARETTE et SAPINEAU. Ces courriers se répandirent aussitôt parmi les chasseurs et les dragons qui faisaient la loi, et crièrent à la trahison, tant contre MM. CHARETTE et SAPINEAU, que contre les officiers généraux de l'armée d'Anjou ; et l'un fut jusqu'à dire qu'il fallait brûler la cervelle à STOFFLET. Ce crime ne paraître pas surprenant, si l'on cnsidère que nos soldats étaient pêle-mêle avec les escortes républicaines, dans la cour de la Jaunais. STOFFLET fut aussitôt environné de tout ce qui restait d'officiers, qui, ne consultant que leur bravoure, sans faire attention à leur petit nombre et au défaut de leurs moyens, le pressèrent de les remmener ; et, se trouvant seul au milieu d'eux, par l'absence de MM. DE ROSTAIN et BERARD (M. DE FLEURIOT et le chevalier DE LA BOUERE avaient acquiescé les premiers aux raisons de M. CHARETTE), fut obligé de monter à cheval et de s'en retourner.
Nous venions d'arrêter les articles à Nantes ; déjà nous avions obtenu le remboursement de tout notre papier royal, en faveur de nos paysans ; déjà nous avions obtenu cinq mille hommes de gardes territoriaux ; M. CHARETTE n'en avait que quatre, et M. SAPINEAU trois mille, ce qui faisait un corps de douze mille hommes pour la Vendée, qui devaient être nourris, soldés et entretenus par la République ; ce qui était un avantage considérable, ainsi que plusieurs autres articles, lorsque M. POINT, mon aide-major, vint m'avertir que STOFFLET était sur le point de s'en retourner à Maulévrier. Aussitôt nous montons à cheval, et quittant Nantes, nous retournons à la Jaunais, pour connaître la dernière résolution de STOFFLET ; mais quelle fut notre surprise, lorsque nous apprîmes que STOFFLET, s'étant rendu aux sollicitations de cette poignée d'hommes, s'était déterminé à s'en retourner !
Il fut aussitôt arrêté entre nous que MM. DE ROSTAIN et BERARD, qui, comme nous, s'était engagés avec les représentans, suivraient STOFFLET, et lui feraient apercevoir le tort qu'il ferait au parti, s'il laissait les républicains, qui, au nombre de soixante-dix à quatre-vingt mille hommes qui l'entouraient, allaient marcher contre lui. Barré au nord par la Loire, au couchant par M. CHARETTE, au midi par la Favre, gardée par SAPINEAU, et ayant à peine pour se défendre avec toutes ses forces, de cinq à six mille hommes et au plus sept mille, dont un tiers sans armes, comme nos armées avaient toujours marché, et les deux autres tiers n'ayant pas plus de trois ou quatre cartouches au plus, et quatre caisses de deux cents chacune, les seules qui fussent au magasin.
Mrs DE ROSTAIN et BERARD sortirent ; Mrs MARTIN les suivirent, et j'envoyai avec eux quelqu'un de confiance, pour venir me rapporter ce qui aurait été arrêté.
Mais quelle fut ma surprise lorsqu'on vint nous dire que STOFFLET, en s'en retournant, avait fait fusiller M. PRODHOMME, général divisionnaire du Loroux ; que M. MARTIN l'aîné, commandant le poste de l'Orient, JEAN le jeune, son aide-de-camp, étaient arrêtés, et qu'ils étaient sur le point d'être fusillés ; lorsqu'ils s'échappèrent ; que Mrs ROSTAIN et BERARD étaient gardés à vue ; que STOFFLET marchait sur le général divisionnaire de Cerisai ; enfin que la plus grande terreur était dans l'armée pour ceux qui avaient manifesté des intentions de suivre l'exemple de M. CHARETTE.
Cette variation dans la conduite de STOFFLET ne m'étonna point ; je l'avais vu fléchir plus d'une fois sur la volonté de ses chasseurs, notamment dans un règlement que le conseil militaire fit pour la viande, et qui ne fut point exécuté par l'obstination des chasseurs, tandis qu'il déployait le plus grand arbitraire contre les individus.
J'informai aussitôt M. CHARETTE de la résolution qu'avait prise et de la conduite qu'avait tenue M. STOFFLET ; il me dit que c'était un ambitieux, que les conseils de BERNIER perdraient. Je lui observai que je ne pouvais plus le rejoindre sans courir de risques. Ce général me conseilla de me jeter dans l'intérieur de la République, pour observer et avertir les royalistes des mouvemens que feraient contre eux les républicains, en faisant quelques actes qui puissent leur inspirer de la confiance ; au surplus, ajoute-t-il, vous trouverez toujours avec ces messieurs (Mrs MARTIN étaient avec moi) une place dans mon armée. Mrs MARTIN sont encore à l'armée de M. D'AUTICHAMP ; ils peuvent, il doivent dire la vérité de ce discours. J'écrivis dont une lettre à STOFFLET et aux généraux divisionnaires qui restaient avec lui, par laquelle je l'engageais à suivre l'exemple de M. CHARETTE, et j'eus le soin de la faire remettre aux treize représentants qui étaient à la pacification ; mais ces scélérats la firent mettre dans tous les papiers publics, en la tronquant et la syncopant. Le curé BERNIER aura sûrement l'original. Je conviens qu'il peut servir à m'accuser ; mais toujours est-il vrai que mon intention était pure, et que j'ai bien fait de l'écrire, car elle a servi à me sauver en 1795. Si CORMATIN et plusieurs autres avaient eu la précaution de faire de même, les uns n'eussent pas été fusillés et les autres ne gémiraient pas dans les prisons, depuis cette époque, et tous auraient servi la cause, comme je n'ai cessé de le faire depuis le commencement.
Toutes ces allégations, Sire, pourraient paraître des excuses, si ma conduite, depuis le moment ne les justifiait : c'est cette conduite que je vais avoir l'honneur de mettre sous vos yeux.
Cependant, ce général ne fut pas long-temps à sentir la force de nos raisons ; car de retour dans son pays, ayant voulu faire un rassemblement, il trouva les esprits peu disposés à le suivre. Depuis long-temps cet enthousiasme, nécessaire à notre parti, n'existait plus comme du temps des DELBÉ, des BONCHAMP, LESCURE et LA ROCHE-JAQUELIN : le paysan fatigué avait réellement besoin de repos momentané. Nos paysans ne marchaient plus que par la crainte de passer aux verges, exemple que nous étions obligés de renouveler de temps en temps ; et quoique cette fois STOFFLET portât la peine de mort contre quiconque ne marcherait pas, il put à peine faire un rassemblement de six à sept mille hommes, avec lesquels il marcha sur Saint-Florent.
Les propositions de pacification se renouèrent facilement. Les représentans qui furent informés que STOFFLET ne s'en était retourné que d'après l'arrivée du courrier du curé de St-Lô (BERNIER), aperçurent le défaut de la cuirasse, et en profitant, prirent l'homme par la partie sensible, en s'adressant à lui. BERNIER, certain que l'on ne se battrait pas, vint à la tête de l'armée de STOFFLET à côté de ce général, et répondit aux propositions, qui se signèrent trois heures après, dans un grand dîné à Varade, où le curé joua le rôle du général.
Le curé BERNIER avait cherché par tous les moyens possibles à m'enlever l'amitié de STOFFLET, depuis que, par un règlement connu sous le nom de règlement de Trémentine, parce qu'il fut discuté et arrêté dans cette paroisse, je l'avais exclu des délibérations du conseil de guerre, et l'avais réduit à la charge de commissaire général pour le civil ; cependant je faisais strictement mon métier ; je faisais moi-même faire l'exercice aux chasseurs, qui valaient des troupes de ligne ; je faisais tous les règlemens militaires ; je veillais à l'habillement ; j'avais organisé la trésorerie et la comptabilité. On ne pouvait plus prendre à toutes mains dans la caisse royale, ce qui ne plaisait pas à tout le monde.
D'un autre côté, j'avais organisé l'armée de STOFFLET ; il n'y avait que huit divisions à donner, et il y avait cinquante compétiteurs. STOFFLET préféra des gens de son pays et de sa connaissance ; on crut que j'avais dirigé le choix, tandis que je m'y étais opposé, ce qui me fit des ennemis.
J'étais parvenu, par un peu de désespoir que l'on prit pour de la bravoure, au grade de major général. STOFFLET et le conseil m'avaient nommé à l'unanimité ; plusieurs officiers prétendirent être plus anciens de service ; je refusai la place trois semaines ; je fus enfin forcé d'accepter par le refus du conseil d'en nommer un autre. Je donnai deux fois ma démission, et une je déchirai mon brevet au conseil, en le suppliant de faire taire l'intrigue et la cabale, en nommant un autre officier, et j'indiquai celui qui la briguait le plus, en donnant ma parole d'honneur que si le conseil me croyait utile, je resterais aide-major de cet officier : le conseil s'y refusa.
Ma fermeté à faire exécuter les ordonnances militaires et du conseil, et à faire faire le service à tous ces messieurs, retourna contre moi ; on chercha à me faire faire un mauvais parti par les chasseurs.
Mais j'avais pour principe que mourir en faisant exécuter une ordonnance, en faisant son devoir, ou mourir dans une bataille, c'était mourir pour son roi ; ainsi j'allais mon train.
L'affaire de la Jaunais étant donc arrivée, je fus appelé traître, vendu à CHARETTE, et ayant reçu des sommes considérables de la République pour cette pacification.
Il est bien vrai, Sire, que le représentant DELAUNAY, d'Angers, m'offrit six millions en papier ; mais il est également vrai, Sire, que je repoussai avec indignation cette proposition, en lui disant que tous les trésors de la République ne pourraient jamais payer la perte irréparable que j'avais faite en mon épouse. Il me parla de celle de mon état ; je lui répondis que j'en avais pris un nouveau, que je ne quitterais plus.
Au moins, me dit-il, vous est-il dû une indemnité des pertes pécuniaires que vous avez faites ; et il est vrai, Sire, que je lui ai dit que le tort que la République m'avait fait dans la vente de mes meubles, de ma maison de ville et de mes deux campagnes, se montait à 54 ou 55,000 liv., d'après ce que m'avait marqué mon homme d'affaires, et que ne voulant point me vendre, je me contenterais de cette somme, qui m'a été effectivement payée.
Mais, Sire, si les regrets, si les reproches que je me suis faits à moi-même d'avoir accepté cette somme, peuvent être pris par votre majesté en considération, elle verra que je suis bien éloigné d'être coupable ; je sais que j'eusse dû mourir de faim plutôt que de rien prendre.
Je ne dirai point, pour m'excuser, que j'avais tout perdu dans la guerre de la Vendée ; Que j'y avais emporté la dot de mon épouse qui était toute en numéraire ; sa garderobe et ses bijoux avaient été pillés, et toute ma bibliothèque brûlée dans le parc Chaslon ; qu'étant morte dans les prisons de la Vendée, après avoir fait comme moi toute la guerre de la Vendée, il me fallait restituer une dot que je n'avais plus, ou être poursuivi par deux beaux-frères, scélérats jacobins ; qu'à la surprise du faubourg de Dol, je perdis mon porte-feuille, qui renfermait tous mes billets et obligations ; que sortant de la Vendée avec 15 liv. de numéraire et 120 liv. assignats dans ma poche, après avoir eu entre les mains tout le trésor de l'armée, je rentrai dans la République, sans moyens d'existence et sans état.
Mais je dirai, Sire, que je ne faisais comme M. CHARETTE, d'accords avec la République, que pour pouvoir mieux l'écraser dans un autre moment.
Vous étiez, Sire, persuadé de cette vérité, lorsque vous écriviez à ce général (le 8 juillet 1795, de Vérone), se justifiant comme moi : "J'ai reçu ... le témoignage de votre attachement ; celui de votre fidélité m'était inutile, et je ne mériterais pas d'être servi par vous et vos braves compagnons d'armes, si j'avais eu le moindre doute à cet égard."
Oui, Sire, vous aviez raison, une fois que l'on a embrassé votre juste cause, il est impossible, pour peu qu'on ait de sang dans les veines de devenir traître, ou de ne pas le verser pour elle jusqu'à la dernière goutte.
Ce serait abuser des momens de votre majesté, de lui rappeler tout ce qui m'est arrivé pendant la révolution ; cela tiendrait du roman.
Mais, Sire, c'est de vous prouver que je suis, que j'ai été, depuis la pacification de la Jaunais, le même homme qu'auparavant, toujours attaché à mes rois, toujours ennemi déclaré des républicains, et plus encore, s'il est possible, de l'usurpateur.
Quatre-vingts personnes étaient à table à Nantes, lorsque le général CANCLAUX et les députés pacificateurs me proposèrent d'aller de suite, en qualité d'adjudant-général, à l'armée du Rhin ; tous entendirent et applaudirent à ma réponse ; la voici :
"Messieurs, vous nous dîtes hier au soir que vous nous estimiez ; que nous étions de braves gens ; que nous nous étions loyalement battus pour notre parti. Comment pouvez-vous aujourd'hui venir me proposer de me déshonorer, en acceptant une place qui me forcerait à me battre contre une section de notre armée ? car, Messieurs, n'en doutez pas, les émigrés, les Vendéens et les Chouans ne font qu'un."
Toute la ville de Saumur sait que, rentrant dans cette ville avec les représentans, au bout du pont, tout le monde criait, vive la paix ! vive l'union ! un grenadier vint à moi, et me posant la pointe de son sabre sur l'estomac, me dit : Crie vive la République ; que je fis un pas en arrière en tirant mon sabre, et que ma seule réponse fut, vive la paix, en me mettant en garde.
Les représentans firent mettre en prison ce grenadier ; c'était DUROCHET qui commandait la place, qui le fit exécuter.
Tout le monde sait que les républicains voulant aller dans la Vendée, vinrent me sommer d'accompagner les représentans DORNIER et GALLET et les généraux, et que je refusai absolument, en disant que j'avais promis de ne point marcher contre les républicains ; mais que je ne m'étais point engagé à marcher contre les miens : ils s'adressèrent à deux autres.
Le premier acte que je fis, quelque temps après la pacification, fut de manquer d'un coup de pistolet (ce ne fut pas de ma faute) un capitaine de gendarmerie, qui osa dire devant moi, dans une ville, à une boutique où j'allais payer des marchandises, qu'il couperait avec son sabre la tête à tous les rois, comme il la coupait à celui-là (il tenait dans le moment, entre ses mains, un assignat à face royale, auquel il coupait la tête avec son couteau). Le procès-verbal du juge de paix, et les dépositions des témoins contre moi, constatent le fait. Je fus obligé de quitter la ville.
Je viens à Paris ; je fais imprimer de petits ouvrages contre les cinq sires ; je suis arrêté et mis en jugement. Je me défends au moyen d'une lettre écrite à STOFFLET ; je fus assez heureux pour être innocenté. Un jugement du mois de décembre 1795 atteste le fait.
J'achetai une campagne à deux lieues de Paris ; je m'y retire. Ma maison devient bientôt le refuge des émigrés rentrés et des condamnés en vendémiaire. Je suis dénoncé, arrêté, conduit bureau central ; rien ne déposait contre moi ; renvoyé avec injonction d'être plus circonspect à l'avenir.
Je reprends ma plume, et j'imprime. Mon arrestation du bureau central m'avait fait faire la connaissance d'un membre qui, depuis, m'a rendu de grands services. Je suis soupçonné, au style de la brochure, qui n'est rien moins qu'élégant et spirituel, d'en être l'auteur : le membre m'en instruit ; j'ai le temps de me mettre en règle ; visite chez moi, on ne trouve rien. Le procès-verbal de perquisition du juge de paix du Plessis-Piquet et deux autres mouchards en fait foi.
Je ne puis résister au désir de contribuer au 18 fructidor ; je me rends chez Mme D .... qui est du Périgord, où allaient tous les députés bons, qui préparaient le coup. Je cours les cafés et les places publiques ; je placarde les rues ; je suis dénoncé. Mon homme de la police m'avertit que je dois être arrêté, je pars pour cette province. La lettre de l'officier de police, qui est dans mes papiers prouve ces faits.
J'ai déjà eû l'honneur, Sire, de dire à votre majesté, que j'étais parti, avant le 18 fructidor, pour aller dans la Dordogne, me mettre à la tête des jeunes gens de Sarlat, Bergerac et Périgueux. La députation des jeunes gens qui appartiennent aux premières et aux plus anciennes familles, déposeront de cette vérité, quand votre majesté l'exigera.
Après la réussite de cette journée, forcé de me cacher dans Bordeaux, je revins à Paris, quelque temps après. Je me retirai à la campagne, où je conçus le projet d'organiser toute la France comme j'avais fait la Vendée.
J'achetai la collection complète des cartes de CASSINI, et je me mis à diviser la France en quinze arrondissemens, soixante-dix sous-arrondissements, deux mille huit cent quatre-vingts légions ; et je fis un plan à la main de chaque, contenant les oriens, les rivières, les grands chemins et les forêts.
Deux secrétaires bien royalistes, et dont l'un (le chevalier d'Antibes) est des quatre otages offerts pour le roi, et connu par un ouvrage pour la reine ; l'autre, mon ami et mon parent faisaient les copies.
STOFFLET reprend les armes ; il ne fait point d'appel à ses officiers, et je n'apprends sa reprise d'armes que par sa prise et sa mort.
Je me mets en route pour rejoindre CHARETTE, comme il me l'avait promis, lorsqu'à Orléans j'apprends qu'il est tombé entre les mains des républicains. Deux personnes d'Orléans, dont j'en emmenais une avec moi, attesteront le fait.
Un officier désire avoir une organisation pour les montagnes de l'Auvergne, je la lui fais d'après les mêmes bases que les miennes.
J'organise aussi séparément la Saintonge et l'Angoumois.
Enfin, la Vendée et les Chouans se réorganisant, je conçois le projet d'aller insurger le Berry ; j'en fais part à M. GIBERT, secrétaire général de la Vendée, qui, quoique pacifié à la Jaunais, est aussi bon royaliste que qui que ce puisse être ; il s'occupe de mon projet ; il en parle à plusieurs émigrés ; et MM. GUERIN, DEPOIX, marquis DE MONTJEAN et un autre, sont députés vers moi, au nom de la jeunesse et des émigrés d'Orléans, pour me prier de me mettre à leur tête ; je réponds que je ferai mes efforts pour répondre à la confiance qu'ils me témoignèrent, mais qu'auparavant il faut que je me fasse autoriser.
On me dit que M. DUBOIS (le chevalier de COIGNY) a les pouvoirs de MONSIEUR ; j'en réfère à M. DUBOIS, qui s'oppose à mon projet, sous prétexte que M. DE JOUCLAR est nommé par le roi pour commander cette partie. J'observe à M. DUBOIS que M. DE JOUCLAR est mort, qu'en outre il devait commander dans l'Orléanais, et que moi je serais dans le Berry. M. DUBOIS ne veut point m'autoriser.
Je parviens, Sire, à découvrir le moyen d'écrire à votre agence, et j'ai l'honneur de lui soumettre mon projet. Pressé par une seconde et troisième députation, j'écrivis en même temps à M. DE BOURMONT, pour avoir une autorisation provisoire : l'envoyé (BERTONNIER) pénètre difficilement auprès de M. DE BOURMONT, et n'y arrive qu'au moment où la paix allait se signer.
Je veux empêcher cette paix de se conclure ; je démasque HÉDOUVILLE ; j'envoie un officier auprès des Vendéens, tandis qu'un autre se rend auprès des Chouans, pour les avertir de se tenir sur leur garde ; et pendant ce temps-là j'attaque directement l'usurpateur, et j'imprime ma brochure intitulée, la Vérité au Corse usurpateur du trône de LOUIS XVIII ; brochure qui a fait tant de bruit, moins par son style et son esprit, que par la vérité des faits.
Je suis dénoncé ; ma maison est cernée deux jours consécutifs, les scellés apposés ; quinze jours après, mes meubles vendus.
J'avais vendu ma maison de campagne, pour payer mes frais d'impression, mes secrétaires, la dépense des officiers envoyés d'Orléans, ceux que j'envoyais près des Vendéens et des Chouans, mes frais de voyage du Périgord, de Bordeaux, ceux de mes différens logemens dans Paris après que j'étais dénoncé, enfin trois cents fusils et de la poudre qui me furent enlevés dans le faubourg Saint-Honoré, et que je destinais à armer les prisonniers allemands de Courbevoie, que j'avais fait sonder, et dont je comptais faire un noyau, en les emmenant d'abord dans la forêt de Sercotte, ensuite dans celle de Chambort.
La pacification se fait ; je passe en Allemagne pour venir prendre des ordres de votre majesté et de votre agence, qui me demande un mémoire. Je le lui fais, elle vous l'envoie. Je m'occupe à faire cinq ou six petits ouvrages de circonstance, que je lui adresse. J'attaque par-tout les amis de BONAPARTE ; je défends les princes calomniés ; je deviens en horreur à tous les partisans du Gouvernement actuel.
Je le demande à mes ennemis, quel est celui d'entre eux qui a une conduite aussi soutenue, sans être affaiblie par les circonstances ?
Quoi ! Sire, tant de dangers encourus, tant de services rendus à l'humanité, tant de malheurs éprouvés, seraient détruits par un moment d'erreur ! (les 54 ou 55,000 liv.)
La restitution de ce qui m'appartenait légitimement, serait regardée comme le prix d'une trahison !
Si, commandant en chef, j'avais reçu cette somme pour faire la paix ; si j'eusse signé seul le traité, ou enfin si j'eusse signé avant les deux autres armées, on pourrait en tirer quelques inductions ; mais, loin de là, je ne signai que le cinquième de six officiers généraux, n'ayant pas même reçu de délibérations. Trois généraux divisionnaires, de huit, avaient signé avant moi ; la moitié des commandants des camps et postes avaient signé avant moi ; les seuls officiers qui composaient la députation, ont signé avec moi, et les deux autres armées avaient signé six jours avant moi.
Et je me trouve moi-même, malgré tout cela, avoir perdu la confiance et l'estime de mon roi.
Sire, je vous ai dit toute la vérité ; il n'est pas une syllabe de ce récit qui ne soit marquée au coin de la plus grande franchise ; et lorsque je priai votre agence de demander à votre majesté un passe-port pour moi, c'était, Sire, pour aller me jeter à vos genoux, vous avouer ma faute et solliciter mon pardon ; vous rapporter tous les détails de cette pacification, les intrigues qui l'avaient précédée, la division des chefs, et une infinité de particularités qu'il vous eût été nécessaire d'apprendre, pour donner à votre majesté la connaissance des forces, des choses et des hommes de ce pays-là.
Eh bien ! Sire, ne pouvant embrasser vos genoux, voyez m'y implorant mon pardon, pleurant sincèrement sur ma faute ; je n'en ai point d'autre à me reprocher ; je n'ai fait que de bonnes et belles actions outre celle-là ; encore était-elle pour me donner les moyens que je ne pouvais avoir de vous servir ; aussi l'ai-je employé, et aujourd'hui j'ai moitié moins de fortune que lorsque j'ai passé dans la Vendée.
Si je n'obtiens pas ma grâce, si vous ne dites pas, Sire, que vous approuvez ma conduite, je ne puis plus vous servir, je ne puis plus verser mon sang pour vous ; si je ne puis plus vous servir, je suis déshonoré, et si je suis déshonoré, il ne me reste plus que le moyen prompt de cesser de vivre.
Les réponses que votre majesté me fera, décideront de mon sort.
Papiers saisis à Bareuth, et à Mende, département de la Lozère
publié par ordre du gouvernement
Paris - de l'Imprimerie de la République
Ventôse, an X