MADAME LA COMTESSE DE LA ROCHEJAQUELEIN ♣ LE COMPLOT DE LANDEBAUDIERE ♣ 5ème et dernière partie
L'ARRESTATION ET L'ÉVASION
DE MADAME DE LA ROCHEJAQUELEIN
AU CHATEAU DE LANDEBAUDIERE (VENDÉE)
EN 1831
5ème et dernière partie
V - DERNIERES PÉRIPÉTIES
De fait, Madame de la Rochejaquelein l'échappait belle. Quelques heures après son évasion, le Procureur du Roi avait en mains des preuves écrasantes pour elle.
M. Tortat, arrivé à la Gaubretière au matin du 10 novembre après avoir voyagé toute la nuit, se rendit immédiatement à la Jambière où il donna des ordres en vue de recherches sérieuses. Puis, avec le capitaine de gendarmerie M. Fouré, et le maire de la Gaubretière, il se rendit à Rubion qu'occupait toujours un détachement du 32e régiment de ligne ; à peine y était-il arrivé que le fermier Murzeau l'entraîna dans la boulangerie et lui dit qu'il voulait tout avouer, mais sous le sceau du secret : "Les pierres à fusil sont là et bien d'autres choses ..." Murzeau n'était pas un "carliste", mais il avait accepté de cacher les paniers de pierres à fusil, n'osant pas refuser cela à Mme de la Rochejaquelein. Aussi, dès que Tortat, qu'ils connaissait, fut arrivé, il lui confia tout avec empressement. Il était d'ailleurs conseiller municipal et avait en cette qualité prêté serment de fidélité à Louis-Philippe. Mais, comme c'était un brave homme, Mme de la Rochejaquelein avait cru pouvoir compter sur lui.
Tout guilleret, Tortat ordonna aussitôt aux soldats de prendre des fourches, des baïonnettes, des baguettes de fusil. "Allons ! mes enfants, venez avec moi. Puisqu'on a inutilement cherché dans la maison, cherchons dans les jardins, dans les champs s'il le faut". Il entraîna ainsi les soldats vers l'endroit indiqué par Murzeau. C'était un grand champ de deux hectares qui s'étendait entre Rubion et le petit ruisseau qui longe la colline à l'Ouest ; il était planté de seigle, haut de vingt-cinq à trente centimètres, et l'emplacement du dépôt n'était indiqué que par trois pieds de navet. C'était une cache impossible à découvrir. Grâce aux indications de Murzeau, Tortat retrouva facilement les trois navets "Voyez donc, cria-t-il à ses hommes en jetant une pierre, il me semble qu'il y a là une élévation".
Les soldats se précipitèrent, cherchèrent avec ardeur et bientôt en effet on tira de terre trois paniers remplis de pierres à fusil, (il y en avait vingt mille environ) et cinquante livres de poudre dans des grandes bouteilles.
Enfin, on tenait des preuves véritables d'un complot de guerre civile ! Cette découverte était retentissante et Tortat ne cachait pas sa joie.
Tout guilleret, il venait de faire transporter ses découvertes à la ferme, quand le lieutenant Bussière accourut tout essoufflé et "pâle comme sa chemise". "Qu'y a-t-il, fit Tortat, subitement inquiet". - "Mme de la Rochejaquelein est partie !"
Et rapidement il mit M. Tortat au courant de ce qui s'était passé. Aussitôt l'arrivée du Procureur du Roi, il avait expédié un gendarme à Landebaudière pour faire connaître cette arrivée. On s'occupe aussitôt de redoubler de surveillance, suivant l'ordre de M. Tortat. On va chercher Marie Poirier, qui détient la clef, et en sa présence on ouvre la porte de la chambre de Mme de la Rochejaquelein ; l'appartement était vide.
C'était la catastrophe : à l'instant où, après des mois de recherches infatigables, on trouvait enfin des preuves éclatantes, le principal coupable se volatilisait. Tortat se répandit d'abord en imprécations contre le malheureux lieutenant de gendarmerie, - puis il prit rapidement des mesures énergiques. Le capitaine de gendarmerie M. Fouré se rendit aussitôt à Landebaudière qu'on bouleversa de la cave au grenier : on fit de grands feux dans les cheminées, on sonda les murs et les parquets, on enleva les tapisseries : Mme de la Rochejaquelein restait introuvable. Les soldats furent déshabillés, - on pensait qu'on leur avait donné de l'argent. Les domestiques furent menacés ; il ne dirent rien. Geste peu élégant, mais habituel sous le règne de Louis-Philippe, on leur offrit de grosses sommes d'argent ¤ en leur demandant de dénoncer Mme de la Rochejaquelein : tous savaient, pas un ne parla, - belle leçon aux agents du gouvernement. Fouré accabla de questions Mlle de Fauveau qui, pour s'en débarrasser, - ingénieuse idée - accusa les soldats d'avoir tué Mme de la Rochejaquelein, et menaça de les poursuivre devant les tribunaux. Décontenancé, Fouré la laissa tranquille. Pendant ce temps des patrouilles étaient lancées en tous sens à travers la campagne, et un signalement rédigé en hâte par Tortat était expédié à toutes les brigades de gendarmerie.
Le résultat fut nul. La police ne put jamais rattraper Mme de la Rochejaquelein, qui vécut pourtant quinze mois dans le Bocage errant de ferme en ferme, passant ses journées dans les champs de genêts, sous la protection loyale de toute une population. Au début de 1833, malade, mais toujours indomptable et ne perdant jamais l'espoir de la revanche, elle quitta la Vendée et gagna la Suisse ; elle ne se constitua prisonnière que le 4 mars 1836.
Dans le pays de la Gaubretière, les paysans se racontèrent à l'oreille comment Mme de la Rochejaquelein s'était échappée ; c'est sans doute par René Buissonnière, le meunier qui avait conduit la fugitive à Chambrette, qu'on le sut dans le pays. Or fait remarquable, la police pourtant fidèlement renseignée par les patauds de l'endroit, ne put jamais savoir comment Mme de la Rochejaquelein s'était évadée. Le passage secret ne fut découvert que par hasard, huit jours après l'évasion, par des officiers qui étaient venus visiter les lieux où s'était accomplie l'énigmatique évasion. Mais jamais on ne comprit comment la prisonnière avait fait pour sortir de la maison. Tous les fonctionnaires philippistes qui avaient participé à cette affaire, s'accusèrent mutuellement d'avoir aidé Mme de la Rochejaquelein. Ce fut impayable : le préfet accusa M. Tortat, - M. Tortat accusa le préfet et les officiers, - les officiers accusèrent le préfet et M. Tortat, - M. Lescaméla accusa M. du Retail, maire de la Gaubretière, - M. du Retail accusa M. Lescaméla et M. Bussière, - les gendarmes accusèrent les "lignards", - les soldats du 32e régiment de ligne accusèrent les soldats du 29e et vice versa et ainsi de suite. Toutes ces accusations se retrouvent glissées avec plus ou moins de perfidie dans les dépositions que j'ai sous les yeux.
Accusations qui firent parfois leur petit bonhomme de chemin, en fin de compte Bussière, Lescaméla et Tortat payèrent pour les autres. Bussière et Lescaméla firent chacun un mois de prison, pour négligences dans l'accomplissement de leur devoir. Quant à Tortat, il perdit sa charge de Procureur du Roi.
Ce n'était pas la peine de tant s'accuser : Mme de la Rochejaquelein s'était évadée par ses propres moyens, avec l'aide de ses domestiques ... et de son vin. Mais ce ne fut que très longtemps après que Tortat connut la vérité sur cette évasion.
Pour se consoler de la perte du principal coupable, la police lança une foule de mandats d'amener. Mlle de Fauveau, M. de la Pinière, Mathurin Rondard, Murzeau et les trois domestiques de Landebaudière furent conduits à Bourbon. Jules de Guerry de Beauregard fut arrêté à Bourbon le 12 au matin, au moment où il y arrivait venant du château des Gâts ; M. de la Tour du Pin fut arrêté à Bordeaux, comme il se préparait à gagner l'Espagne. On arrêta aussi la mère et une soeur de Félicie de Fauveau, et un jeune agent de change parisien, M. Eugène Sala, compromis par des lettres saisies chez Mme de Fauveau.
Seuls, M. de Bonnechose et Tancrède de Guerry échappèrent aux poursuites. Partis de Landebaudière à cheval, le 9 au matin, ils tombent à peu de distance du château dans un détachement de lignards qui vient de battre la campagne et qui leur barre le chemin. Les deux jeunes gens croient qu'on est à leur poursuite, ils paient d'audace : ils s'arrêtent et Guerry crie au sergent qui commande ce détachement : "Eh ! mon brave, venez-vous à la noce ? On danse encore aujourd'hui !" Les soldats s'écartent, étonnés de tant d'amabilité, et les deux carlistes partent au galop, ravis de cette plaisanterie.
"Ce n'était pas assez au gré de leurs vingt ans. A peine hors de vue, ils rebroussent chemin et tombent au milieu de la fête. Plusieurs centaines de paysans étaient là, pas un ne les trahit, pas un n'y songea". Bonnechose et Guerry déjeunèrent tranquillement, puis, remontant à cheval, ils s'enfoncèrent dans la campagne, vers Saint-Laurent et Châtillon. M. de Bonnechose devait tomber le 19 janvier 1832, dans une métairie de Saint-Georges-de-Montaigu, sous les balles des "rouges", - comme on appelait les philippistes.
Telles furent donc les péripéties de ces curieuses journées des 9 et 10 novembre 1831 à Landebaudière. Le récit que j'en ai fait, est presque uniquement tiré de l'instruction officielle de "l'affaire la Rochejaquelein" énorme dossier, bourré de documents qui se trouve au château de l'Ulière (Chavagnes-en-Paillers, Vendée) ; tous les détails qui se trouvent dans ce récit, - ou presque tous -, proviennent des dépositions de ceux qui ont joué quelque rôle dans cette affaire. Je me suis aidé aussi de quelques documents tels que les "Souvenirs" de M. Tortat ; les "Souvenirs" du comte de Chabot, petit-neveu de Madame de la Rochejaquelein, m'ont donné quelques détails sur l'évasion. En outre, arrière-petit-fils de Tancrède de Guerry, l'un des conjurés de Landebaudière, je connaissais par la tradition quelques détails pittoresques sur l'affaire. Il n'y a donc pas dans ce récit un seul détail qui ait été inventé par moi pour enjoliver l'histoire. Je n'ai fait que reproduire les documents que j'ai entre les mains.
Les lieux où se sont déroulés ces évènements ont peu changé. Le château de Landebaudière est resté à peu près intact. La ferme de Rubion est aussi telle qu'elle était en 1831 ; on voit toujours la boulangerie et le four où furent prises Madame de la Rochejaquelein et Mademoiselle de Fauveau. Les fermiers connaissent très bien l'histoire de cette arrestation. Il est donc très facile de suivre ce récit sur les lieux mêmes, à Landebaudière et à Rubion.
Maintenant, puissent ces pages avoir un peu remis en lumière la figure si sympathique de Madame de la Rochejaquelein, - en attendant qu'une biographie lui ait rendu la place qui lui est due dans l'histoire des Guerres de Vendée.
L'Ulière, 15 juillet 1938
AMBLARD DE GUERRY DE BEAUREGARD
Revue du Bas-Poitou
1939 - 3ème livraison
