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La Maraîchine Normande
28 novembre 2012

LE SEIGNEUR DE SAINT-PAL ♣ Dans sa Vie Privée et Publique ♣ 1ère partie ♣ Il enlève sa propre épouse !

 

A la fin de 1788, la Commission intermédiaire de l'Élection des Sables-d'Olonne, recevait du syndic de la paroisse du Tablier, une lettre ainsi conçue :

 

"La Barre-du-Tablier, le 8 septembre 1788.

Messieurs, la charge de syndic du Tablier que j'occupe maintenant et le désir que j'ai de m'acquitter des devoirs qui y sont attachés, joint à l'intérêt général de ma paroisse, me met à l'occasion de vous adresser la voix, pour vous donner connoissance d'un fait dont voici la substance :

M. Saignard, se disant seigneur de Saint-Pal, ayant fait une acquisition dans notre bourg, de maisons et domaines en dépendant (1), vient depuis trois mois d'y faire sa résidence et récemment de faire publier à la messe paroissiale, un dire par lequel il prétend jouir des prérogatives attachées à la qualité de noble, dont il se dit être du nombre : en conséquence, il demande à être dérollé l'année prochaine, ce qui vient d'exciter les cris publics et lui faire dire qu'il n'exige rien tant que d'en être instruit.

Pour ce faire, ils m'ont engagé de vous écrire et de vous marquer ce dont il s'agit, dans l'espérance qu'ils ont que vous daignerez nous instruire de la marche que nous devons tenir à cet égard, en nous disant s'il est à propos ou non de lui demander la notification de ces qualités, aux fins de pouvoir statuer sur le contenu et savoir à quoi s'en tenir.

Dans mon particulier, je puis vous dire très sincèrement que je ne désire rien tant que d'être instruit de la manière dont je dois me comporter, pour n'avoir aucun reproche à me faire, en même temps pour n'en point supporter de la part des paroissiens. J'espère de vous quelque satisfaction à cet égard ...

MARTINEAU, syndic du Tablier". (Archives départementales, série C, liasse 60, n° 4).

 

Le nouvel arrivé dans la paroisse du Tablier dont il est question, habitait auparavant la maison noble de la Linaudière, paroisse de Saint-Florent-des-Bois. Il s'octroyait les noms et qualités de Joseph-Claude-Léon de Saignard, seigneur de Saint-Pal, chevalier, qui, d'après une généalogie récemment publiée, se disait issu d'une vieille famille noble d'Auvergne, diocèse de Saint-Flour, et dont le premier membre connu vivait l'an 1022. Il aurait eu, comme père et mère, Claude-Joseph de Saignard, écuyer, seigneur de Saint-Pal, et dame Madeleine de Forestier, mariés par contrat, le 1er mai 1748, devant Ferret, notaire à Saint-Hermand-en-Poitou. Ces derniers habitaient Mareuil-sur-le-Lay.

 

Lui-même, à l'âge de 24 ans, aurait épousé Marie-Louise-Françoise de Rorthays (Linaudière) (2), comme il est prouvé par contrat passé le 4 juillet 1774, devant René-Étienne Chouteau, notaire royal et procureur à Mareuil-en-Poitou (Revue du Bas-Poitou, 1902, notes de M. Edmond Bocquier). La famille des Rorthays était une des plus nombreuses en Vendée, ce qui fit naître le dicton populaire : "Battez un buisson, il en sort un Buor, un Rorthays ou un lièvre.".

 

Quant à l'auteur de la lettre écrite au nom des paroissiens du Tablier, il avait pour prénom André, était âgé de 35 ans et exerçait la profession de notaire en cette localité. (André Martineau n'était plus à la tête de la paroisse en 1792 ; le maire d'alors se nommait Pierre Jeannet, marchand, célèbre par ses hauts faits comme aide-de-camp de Saint-Pal pendant l'insurrection).

 

Il n'a pas été trouvé trace de la réponse faite par la Commission intermédiaire des Sables à la lettre du 8 septembre. Y en eut-il même une ?

 

Quoique MM. de la Boutetière (Vie de Sapinaud, p. 30) et Chassin (Histoire de la Guerre de Vendée. Dictionnaire au mot Saignard) qualifient simplement le sieur de Saignard du titre de "Bourgeois de Mareuil" et que l'on n'ait pas trouvé son nom sur la liste des électeurs de la noblesse en 1789, il est fort possible - d'après la longue généalogie citée ci-dessus, dont il est difficile toutefois de prouver l'autorité absolue - que le dit de Saignard avait quelques droits à faire valoir pour se faire inscrire au nombre des privilégiés. Il serait bon cependant de faire quelques réserves, car il existe en France beaucoup de généalogistes qui ont une étonnante facilité pour découvrir, en échange d'espèces sonnantes, des filiations et des origines dont l'authenticité ne peut supporter le moindre examen. Avait-on des raisons pour suspecter celle-ci ? Le notaire-syndic André Martineau, semble l'indiquer.

 

On peut trouver singulier, toutefois, que, son père se disant simplement écuyer, ce personnage se fasse désigner sous le titre de chevalier, dans les actes notariés retrouvés. Cette discussion, sur un titre de noblesse, n'offre du reste aucun intérêt à être prolongée plus longuement ici ; l'homme qui se l'attribuait n'en pourrait retirer aucun bénéfice direct, et, ce que l'on a à dire de lui, n'a rien à voir avec son origine noble ou roturière.

 

Une de ses soeurs s'était mariée à Marie-Gaspard-Mathieu Lasnonnier, praticien notaire et procureur de la baronnie de Mareuil et de la châtellenie de La Bretonnière. Celui-ci devint, avec la Révolution, électeur du canton de Mareuil, administrateur du district de La Roche-sur-Yon, membre suppléant au Conseil du département (novembre 1792), et apparaît comme procureur syndic et commissaire de son district, près l'armée de Boulard, au mois d'avril 1793. Les vendéens le massacrèrent à Beaulieu-sur-Mareuil, quand cette localité fut livrée à Charette, le 9 juillet 1795, par la garnison républicaine et son capitaine Louton.

 

Mercier du Rocher, d'après une note de son journal personnel, prétend que de Saint-Pal fut accusé d'avoir fait commettre ce crime, ce qui est loin d'être prouvé, comme on le verra plus loin. Il dit également que "ce bourgeois de Mareuil" fut arrêté à Paris, au mois de décembre 1789, pour avoir mal parlé à La Fayette. Cette dernière allégation est beaucoup plus vraisemblable, vu le caractère exubérant et braillard du sieur de Saignard.

 

Le mariage de 1774, peut-être heureux au début, fut troublé dans la suite par les dilapidations du mari, par les mauvais rapports qu'il entretint avec sa femme, et sans doute aussi par un libertinage plus délicat à dévoiler. Il en naquit cependant deux filles, dont l'une, Anne-Henriette va se trouver mêlée d'assez près à l'incident qui suit.

 

Vers les premiers mois de l'année 1791, en effet, peut-être même bien avant, la dame de Saint-Pal, fatiguée "de plusieurs contrariétés", quittait le toit conjugal du Tablier et allait, en compagnie d'une de ses filles, se réfugier dans un couvent de Luçon, d'où elle ne voulut plus sortir, malgré les supplications et les démarches de toutes sortes de son mari. C'est de là que partent les premières pièces du procès entamé par elle, pour obtenir une séparation de corps, le contrat de mariage ayant stipulé le régime de la non communauté des biens. Pendant de nombreux mois, on échange donc, avec acharnement des deux côtés, forces grimoires et papiers timbrés.

 

Le sieur de Saignard ne peut s'accommoder très longtemps d'une pareille situation qui contrarie vivement ses intérêts, car la plus forte partie de la fortune vient des Rorthays. La douceur et la persuasion étant impuissantes pour amener un rapprochement, ne pouvant d'autre part percer les murs du couvent où sa femme est enfermée, il décide d'avoir recours à quelque moyen violent pour faire rentrer au logis l'épouse récalcitrante. Un petit complot est alors organisé avec la connivence de sa soeur, Madame Lasnonnier et celle de la belle-soeur de celle-ci, femme du sieur Jean Descravayat, tous les trois habitants de Mareuil.

 

Un vendredi de novembre, les complices sont réunis dans cette localité, les plans bien arrêtés et les dispositions prises : on vient d'apprendre, en effet, que Mme de Saint-Pal est momentanément hors du couvent et qu'elle a loué un cheval pour aller rendre visite à Péault, au sieur Espinasseau (3). L'occasion ne peut donc être plus propice, il s'agit simplement de connaître l'heure à laquelle ladite dame regagnera sa retraite. Le sieur François Fontenay, domestique du citoyen Lasnonnier, est dépêché à cet effet vers le bourg de Péault pour s'informer et prendre des renseignements précis : il a l'ordre de prévenir aussitôt qu'il sera fixé, et d'indiquer le moment auquel il y aura lieu d'intervenir. Pendant ce temps-là, les sieurs de Saint-Pal et Décravayat prennent leurs dispositions, se munissent de provisions qu'ils renferment dans un bissac, enfourchent leurs montures et vont au plus vite se poster dans le bois de Barbetorte, situé précisément sur le bord de la route qui conduit de Péault à Luçon : ils s'y installent commodément, de façon à pouvoir surveiller tous les passants. L'attente n'est pas très longue, heureusement, car une pluie froide et serrée commence à tomber, des nuages épais obscurcissent l'horizon, il fait un temps affreux : les complices grelottent déjà.

 

Le zélé domestique avait à peine eu le temps de revenir en toute hâte pour donner le résultat de son enquête à Péault, qu'une dame à cheval, accompagnée d'un homme à pied débouche dans le lointain, au détour du chemin. Fontenay n'a même pas pu descendre de cheval : il en est réduit à n'avertir ceux qui l'ont chargé de commission, que par des signes dissimulés et à feindre de continuer, négligemment et à petite allure, sa route dans la direction de Luçon, afin d'éviter toute alerte inopportune de la part des voyageurs qui se dirigent de ce côté. Quand ceux-ci sont bien à portée, les deux hommes, à couvert dans le bois, s'élancent de leur cachette et, sautant à la tête du cheval de l'amazone, le prennent par la bride et l'arrêtent instantanément, sans aucune résistance. La noble dame est prisonnière.

 

Le premier moment de frayeur passé, on se reconnaît de part et d'autre, et l'on commence à causer. La conversation prend bien vite une animation réciproque, et une altercation des plus vives s'élève entre le mari et la femme. Le sieur de Saignard signifie sèchement et avec autorité, à Mme de Saint-Pal, l'ordre de le suivre à Mareuil : celle-ci, se rebiffant, déclare, non moins catégoriquement, avec de fortes invectives et d'énergiques protestations, qu'elle ne veut, à aucun prix, retourner vivre au Tablier, et qu'elle ne s'y rendra que forcée et contrainte ; qu'en tout cas elle n'occuperait jamais la même chambre que son mari. "Vous viendrez au Tablier avec moi, madame, lui répondit-il ; vous n'aurez point de mal et, si vous ne voulez pas absolument coucher avec moi, nous avons plusieurs chambres et plusieurs lits, vous coucherez où vous voudrez ..." A un tel ordre, on ne peut répliquer utilement. Malgré sa répugnance bien évidente, la dite dame est donc obligée de suivre ses audacieux ravisseurs et de se diriger, bon gré mal gré, du côté de Mareuil, où on les attendait. Elle a beau faire signe, à la dérobée, au domestique du sieur Espinasseau, qui l'accompagne, de fouailler le cheval qu'elle monte et de tourner bride vers Luçon, elle ne peut l'obtenir, car les sieurs de Saint-Pal et Descravayat, qui se sont aperçus de cette mimique, signifient au particulier que, s'il se permet de toucher au cheval, "ils lui couperont le col". Ces messieurs étaient donc armés : l'enlèvement avait été exécuté dans toutes les formes.

 

Ce cortège, le sieur Descravayat en tête et de Saint-Pal en queue, quoique retardé par la boue des chemins et la lenteur forcée de la marche, arrive assez tôt au bac qu'il faut prendre pour passer la rivière du Lay et entrer dans le bourg de Mareuil : on le hale aussitôt et l'embarquement est bientôt fait. Sur l'autre rive, bavardent à qui mieux mieux force commères et laveuses qui, s'étonnant d'une pareille cavalcade, abandonnent vite leur caquetage et s'approchent pour venir considérer le débarquement d'une dame à cheval, la tête couverte d'un capot, que personne ne reconnaît et qui ne dissimule pas le moins du monde, par ses gestes, son mécontentement de la conduite trop empressée dont on l'honore. On s'interroge à voix basse, on chuchote, on tâche de mettre un nom sur cette silhouette, qui ne semble pas cependant étrangère, mais aucune de ces particulières, à son grand regret, ne peut identifier la voyageuse.

 

L'une d'elles, cependant, Rose Roblin, femme de pierre Greffon, serrurier et fermier du bac, qui ne criait pas la mois fort et qui, de service, surveillait l'entreprise de son mari, se détache du groupe et tend la main aux passagers pour recevoir son droit de péage : de Saint-Paul s'arrête devant elle et, du haut de son cheval, en lui versant la taxe exigée, lui demande si elle reconnaît la dame qu'il accompagne. Celle-ci ayant répondu que non, "à cause qu'elle a la tête couverte d'un capot", le dit sieur s'écrie : "Comment ! vous ne connaissez pas Mme de Saint-Pal ! ... Je la tiens bien, ce coup-là, et je l'emmène". Sa figure rayonnait de satisfaction narquoise.

 

La berge à pic, qui sépare la rivière du bourg, est escaladée des plus facilement et l'on gagne, sans causer davantage, la maison Lasnonnier, où tout le monde met pied à terre. C'est à qui s'empressera autour de la dame de Rorthays pour lui dire des amabilités, l'assurer qu'elle sera admirablement traitée, que tout est disposé pour la recevoir et qu'on espère bien lui voir abandonner le mauvais projet de retourner dans son couvent. Mais ces bonnes paroles, loin de la satisfaire, la font entrer dans une grande colère contre tous ceux qui avaient organisé le piège dans lequel elle était tombée si facilement. Elle les accuse vertement d'avoir agi comme des voleurs de grand chemin, "et accable de sottises tous les gens de la maison" pour s'être occupés de choses qui ne les regardaient nullement ; elle couvre surtout d'injures le pauvre domestique du sieur Lasnonnier, qui, comme on l'a vu, avait feint de gagner Luçon, après avoir donné les renseignements nécessaires à l'entreprise, mais qui était revenu bientôt sur ses pas ; elle le reconnaît pour être celui qui, se présentant comme voyageur, lui offrit son cheval, afin de permettre à l'homme du sieur Espinasseau de reconduire à Luçon la bête qu'elle y avait louée. Cette offre, du reste, n'avait pas été acceptée par la dame, sous le prétexte, juste ou faux, que cet animal, trop vigoureux, "la jetterait par terre et l'estropierait."

 

... à suivre ... 

2ème partie : ICI

(2) Marie-Louise-Françoise de Rorthays était la fille aînée de René-Gilbert de Rorthays, chevalier, seigneur du Plessis, mort avant 1773 et de dame Marie-Charlotte Jaudouin, dame de Marmande.

(3) En 1876, vivait encore Ch. Espinasseau, chevalier, seigneur de la Jolivetière, demeurant à la Merlerie, paroisse de Chaillé, marié à Rose Rampillon : leur fils aîné, Timothée-Charles-Modeste, chevalier, seigneur des Giraudières, prit part au soulèvement de 1793. C'est probablement chez ce dernier, que s'était transportée Mme de Saint-Pal.

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