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La Maraîchine Normande
27 novembre 2012

LE TABLIER (85)

 

Lors de la division administrative établie, en 1790, par l'Assemblée Constituante, le Tablier fut désigné comme chef-lieu de canton. Cela n'empêcha pas les habitants de la paroisse de se montrer totalement réfractaires aux idées nouvelles. Et comme les gens de la Plaine, voisine du Tablier, avaient au contraire chaudement embrassé le parti de la Révolution, il en résulta presque tout de suite des prises de bec assez sérieuses entre aristocrates et patauds.

"Les bourgeois de Rosnay avaient formé une garde nationale et voulaient contraindre les gens du Tablier à en faire autant. Un jour, ils se rendirent en armes dans ce bourg et assemblèrent les habitants dans l'église. Ceux-ci se refusèrent formellement à se faire enrôler, et un nommé Dubreuil, frappant de toute sa force un coup de bâton sur la table, fit voler écritoire, plumes et papiers ; de sorte que la conférence se trouva terminée. Un nommé Pasquier, meunier de Rosnay, frappé des raisons alléguées par les gens du Tablier, donna un coup de sabre dans le tambour de la garde nationale dont il était le commandant, et s'écria : "Les gâs du Tablier ont raison ; ils sont plus fins que nous ! Allons, enfants, au diable la garde nationale ! Allons-nous-en chacun chez nous !" (A. de Brem : notes inédites, d'après le témoignage oculaire du sieur Moret, du Tablier.)

Les prises de bec ne se terminaient pas toujours aussi paisiblement, et l'on en venait parfois aux coups, surtout à l'approche de l'insurrection générale :

"Durant les jours qui précédèrent la levée de boucliers, il y avait des combats continuels à coups de bâton entre les paroisses de la Plaine et celles du Bocage, qui ne pouvaient souffrir que les Plaineaux vinssent chez eux parés de la cocarde tricolore. Ces combats avaient lieu surtout entre les gens du Tablier, royalistes déterminés, et ceux de la Couture et des villages situés entre Rosnay et la rivière du Lay, qui étaient républicains." (Ibid, d'après le témoignage de Louis Vincent, ex-insurgé de la paroisse du Tablier.)

Si les habitants du Tablier étaient demeurés fidèles à leur double foi de catholiques et de royalistes, ils ne le devaient assurément ni aux prédications, ni à l'exemple de leur curé, Louis-Etienne Serré. Celui-ci, en effet, avait donné dans le travers révolutionnaire et prêté des deux mains le serment schismatique, en attendant de jeter bientôt carrément le froc aux orties. L'observation vaut la peine d'être faite en passant, quand ce ne serait que comme réponse aux écrivains jacobins qui veulent à tout prix - et contre toute évidence - trouver la "main des curés" dans le soulèvement de la Vendée militaire.

Heureusement qu'à défaut de leur curé, pour lequel ils n'éprouvaient qu'un profond et très justifié mépris, les catholiques habitants du Tablier avaient à leur tête de vaillants notables, tout à fait différents de nos coqs de village actuels, et qui savaient donner à leurs concitoyens un courageux exemple d'opposition à la tyrannie révolutionnaire. Quelques-uns de ces braves gens se trouvent signalés dans un curieux document officiel de l'époque. Il s'agit d'un arrêté du 30 mars 1792, pris par le Directoire du département de la Vendée et ainsi conçu :

"Vu par le Directoire :

... La lettre écrite le 26 de ce mois par le sieur Caillaud, l'un des administrateurs du département et juge de paix du canton du Tablier, à l'effet de dénoncer les auteurs des manoeuvres qui compromettent la sûreté et tranquillité publiques, de laquelle lettre il résulte qu'André Martineau, notaire, est reconnu pour le moteur du refus des habitants de comparaître aux assemblées politiques établies par la loi ; que Louis Martineau, son frère, Jeanne Cautet, régente au Tablier, et la veuve Bordier, émissaires des sieurs Guitton, curé de Rosnay, et Bigot, de Saint-Florent-des-Bois, fomentent la discorde, répandent l'esprit de division et propagent l'esprit du fanatisme ...

Le Directoire ..., déclare dénoncer : ... André Martineau, notaire au Tablier ; Louis Martineau, son frère, habitant au même lieu ; la veuve Bordier, demeurant même paroisse ; Jeanne Cautet, régente au Tablier." (Archives du département de la Vendée).

Parmi les quatre bons catholiques (dont deux hommes et deux femmes) ainsi dénoncés par le policier Caillaud, je signale tout spécialement à l'attention du lecteur la "régente" Jeanne Cautet. Une "régente" au Tablier, avant la Révolution : voilà qui va, comme on dit, "boucher un coin" à nos suffisants - et encore plus insuffisants - primaires élevés à la triple école de Basile, de Tartufe et de Homais ! Car s'il est vrai qu'il y eût une régente au Tablier, c'est donc que les petites filles de la paroisse avaient la possibilité de s'instruire ? D'où il est difficile de ne point conclure que les primaires aux gages de Marianne mentent comme de vulgaires arracheurs de dents, lorsqu'ils font dater l'instruction populaire de cette soi-disant immortelle Révolution qui me fait l'effet de s'être surtout immortalisée par la façon dont elle eut recours à la guillotine, aux fusillades et aux noyades, sous le singulier prétexte d'assurer le règne de la liberté, de l'égalité ... et de la fraternité !

Je dois ajouter qu'il n'y avait pas seulement une régente, mais encore un régent, et par conséquent deux écoles au Tablier, bien avant la Révolution. En 1792, le titulaire de l'école des garçons s'appelait Jean Arnaud. Non moins bon catholique que Jeanne Cautet, il s'enrôla plus tard parmi les insurgés et devint officier dans l'armée de Joly. Tombé au pouvoir des Bleus, presque au début de l'insurrection, il fut emmené en prison à Fontenay, puis condamné à mort comme rebelle, le 20 octobre 1793, et exécuté le lendemain, ainsi qu'en font foi les archives du tribunal criminel du département. Ces mêmes archives nous apprennent que Jean Arnaud fut condamné et exécuté en compagnie d'un de ses collègues, Louis Bouguereau, instituteur au Poiré-sur-vie.

De même qu'ils s'étaient refusés à donner dans les sophismes de la Révolution à ses débuts, les gens du Tablier regimbèrent carrément contre les bourreaux du 21 janvier : plutôt que de se laisser imposer le joug sanglant que tant d'esclaves subirent alors en France, ils résolurent de répondre à la force par la force ; et voilà pourquoi ils prirent leurs fourches, au mois de mars 1793, et, de concert avec les braves gâs des paroisses voisines, marchèrent sans hésiter contre le district de la Roche-sur-Yon, d'où les administrateurs - en vrais républicains - s'empressèrent de prendre vers Mareuil la poudre d'escampette.

A la différence de leurs voisins de Chaillé-les-Ormeaux, qui, "par une exception unique peut-être parmi toutes les paroisses du Bocage, avaient embrassé les principes de la Révolution" et qui, pour ce fait, étaient appelés dans le pays "les barrés de Chaillé" c'est-à-dire les "tachés" (A. de Brem : Notes inédites), les gâs du Tablier furent unanimes à prendre parti pour l'insurrection, et ce fut parmi eux que se recruta le premier noyau de cavalerie du contingent yonnais, grâce au marchands de sel, alors assez nombreux dans la paroisse. M. de Brem, aux notes duquel j'emprunte encore ce détail, le tenait lui-même de la bouche d'un ancien insurgé, le bonhome Poiraud, du village de la Brunetière en Saint-Vincent-sur-Graon.

Au début de l'insurrection, toutes les paroisses de cette contrée s'étaient mises sous les ordres de Saignard de Saint-Pal. Ce gentilhomme habitait Mareuil, où les insurgés étaient allés le relancer pour l'obliger à marcher à leur tête contre la Roche-sur-Yon ; mais il établit presque tout de suite son quartier général au Tablier, qui fut dès lors comme une sorte d'avant-poste du camp Yonnais.

 

♣-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------♣

 

La collection Dugast-Matifeux contient un grand nombre de lettres autographes de Saint-Pal, datées du Tablier et adressées par ce chef à ses collègues de la Roche-sur-Yon. Je vais en reproduire quelques-unes, choisies parmi les plus intéressantes.

A la date du "14 may 1993", Saint-Pal écrivait :

"Messieurs,

Nous vous prions de nous envoyer sur le champ Monsieur Grimaud, nous avons des gens très mal puisque nous envoyons chercher des prêtres pour les confesser.

Nous sçavons une maison à une demie lieue de Mareuil où il y a 18 barriques de vin et 8 tonneaux de bled. Comme il faut un détachement de la première force nous vous proposons de nous faire passer 100 hommes et nous mettrons 130 des nôtres. Nous yrons demain faire cet enlèvement à la barbe de l'ennemi et nous partagerions comme frères. Comme nous pensons que cette proposition vous conviendra, nous attendrons votre détachement à coucher ce soir.

Donné nous les nouvelles que vous pouvé sçavoir. S'il vous étoit parvenu de la poudre taché de nous en faire part. Une partie des gens du bourg ont emporté leurs armes et munitions à notre insçeu, ce qui nous fait grand tord.

Je suis tout à vous

De St PAL."

(Collection Dugast-Matifeux, 4e vol., n° 39).

Une seconde lettre, datée du 1er juin 1793, "l'an Ier du règne de Louis 17", donne de curieux détails sur le poste du Tablier et les relations de Saint-Pal avec Royrand :

"Messieurs,

Je reçois une lettre de Monsieur de Royrand en réponse à celle que je luy ay écritte au sujet de la demende que vous m'avé faitte de rentrer à la Roche, ce que je ne pouvois faire sans au préalable luy en donner advis, d'après ces ordres de garder ce poste et d'être sur la deffensive. Il me marque en termes précis que 100 hommes ne sont pas suffisant pour garder icy et que si leurs projets sur les Sables s'effectuent le poste du Tablier et celuy de la Roche deviendront inutilles, que leurs projets s'effectueront sous peu et qu'il nous en donnera advis afin de joindre nos forces aux siennes ; d'après quoy j'estime que les Sables ne seront pas longtemps à être attaqué, et nos courriers nous ont assurés que l'attaque devoit commencer aujourd'huy à Luçon. Mais ces mêmes courriers nous ont grandement inquiettés en nous apprenant que nos ennemis etoient rentrés à Fontenay, cependant Monsieur de Royrand ne nous en parle pas. Sy cela est vray notre poste va devenir plus intéressant que jamais parce que certainement nos ennemis vont chercher à se reprendre aux branches dans cette partie.

A chaque instant, il nous vient des gens du Champ-Saint-Père, de Beaulieu-sur-Mareuil, Luçon et autres lieux de la plaine qui nous disent que sy nous nous portions en avant que nous aurions bientôt bien du monde qui ne sont retenus que par la craintte seulle de voir piller leurs propriétés ainsy que vous le verré par la lettre cy jointte. Pourquoy nous croyons qu'il seroit intéressant que nous ferions souvent des marches sur le Champ-Saint-Père pour épouvanter nos ennemis et appeler à nous avec confiance ceux qui tiennent à notre party et finir de ramasser les grains dans cette partie.

Quand à moy je suis toujours disposé à aller de bon coeur ou la raison et le besoin m'appelleront soit à la Roche ou ailleurs. Je porteray tous ceux qui me sont attachés à me suivre n'ayant en vue que le bien publicq, mais je ne vous dissimulleray pas que levant le camp d'icy cela nous fera perdre bien des gens qui se disposent de toutes parts à nous venir joindre ; pourquoy je crois qu'il seroit prudent de rester icy encore quelques jours, à moins qu'un besoin pressant m'appelle ailleurs. Au surplus je suis prest à tout faire.

Nous avons icy actuellement environ 350 hommes, mais nous avons une infinitté de femmes et d'enfants des paroisses de la Couture, Saint-André de Mareuil, Bellenoüe et Rosnay qui ont suivis leur père et leurs maris, qui nous consomment presqu'autant de pain que la trouppe. Il nous est impossible de les faire retourner chez eux parce que disent-ils les citoyens nous emmèneroient ce qu'ils ont fait et font tous les jours par des sorties qu'ils font de Beaulieu de Mortevieille de huit à dix, nocturnement. Nous avons encore les "nourriciers" (?) des "batards" (?) qui nous désolent et qu'il faut leur donner du bled. Je croirois qu'il seroit prudent de ramasser tous les bleds indistinctement et d'en faire un ou deux magasins pour les faire convertir en farine, car sans cette précaution on se trouvera en grande peine l'eau commençant à manquer à la rivière et le vent n'est pas d'un grand secour dans le bocage.

Aujourd'huy nous marchons pour ramasser des grains, chose que nous ferons journellement comme urgente. J'attends votre réponse et suis tout à vous.

De St PAL."

(Collection Dugast-Matifeux, 4e vol., n° 199).

 

L'abandon projeté du poste du Tablier n'eut point lieu, et la lettre suivante prouve que Saint-Pal était encore à son quartier général le 20 août :

"Messieurs,

Je vous donne avis que je dois être attaqué cette nuit ou demain au matin. Il se fait un rassemblement aux Moutiers pour cela et je viens d'en être averti par différentes voix. D'après cela marquez moi votre avis. Je ne sçais si les forces sont puissantes ou non. J'apprends aussi que les citoyens sont à Bournezeau, qu'ils y font un camp. D'après cela, je crois que leur dessein est de me barrer le chemin. Je vois bien que le plus prudent seroit d'évacuer, mais cela est bien dur à faire. Voyez quel parti je dois prendre. Faites avertir ces Mess. de Nesmy et du bigny (sic) et les engagez à venir me joindre sur le champ. Faites-moi parvenir votre réponse sitôt la présente reçue par un de vos courriers, les miens sont tous à la découvertes et je ne puis vous en envoyer. C'est de la dernière conséquence. Je suis tout à vous,

De SAINT-PAL."

Au Tablier, le 20 aoust 1793."

(Collection Dugast-Matifeux, 6e vol., n° 169).

Cette fois le poste n'était réellement plus tenable contre les forces républicaines, que le désastre de Luçon avait rendues maîtresses du pays. Saint-Pal dut se replier sur la Roche-sur-Yon, dont les Bleus s'emparèrent le 23 août. L'armée yonnaise se disloqua alors et rejoignit Royrand, qui dut lui-même rallier la Grande Armée, avec laquelle les gens du Tablier firent le coup de feu à Torfou, puis aux différentes batailles autour de Cholet. Saint-Pal avait conduit ses soldats jusqu'à Beaupréau, mais il refusa de passer la Loire et revint dans son pays. De nombreux gâs du Tablier se séparèrent alors de leur chef pour suivre la Grande Armée au delà de la Loire.

LA VENDÉE HISTORIQUE

1904

 

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