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La Maraîchine Normande
15 novembre 2012

DEUX OBSCURES VICTIMES DE LA TERREUR - LE MÉNAGE QUÉTINEAU ♣ 1ère partie

Quand, le 29 avril 1793, une dépêche de son collègue Ligonnier apprit au général républicain Quétineau que d'Elbée et La Rochejaquelein se disposaient à marcher le lendemain sur Bressuire, avec douze canons, trois cents cavaliers et une infanterie considérable, l'émoi se répandit chez les citoyens qui faisaient profession de foi républicaine, et singulièrement parmi la garnison, qui avait quelques excès à se reprocher (Quelques jours auparavant, le farouche bataillon des Marseillais avait enlevé de leurs lits onze habitants de Bressuire, soupçonnés d'avoir des accointances avec les royalistes, et les avait massacrés à coups de sabre, près de la porte de la Bûte, malgré l'opposition de Quétineau et des autorités civiles) ; mais le moins embarrassé ne fut pas le général Quétineau.

C'était un homme sage et modéré, ennemi des partis extrêmes, qui montrait plus d'honnêteté que de talents militaires. En vérité, il n'était point né pour la guerre. Il exploitait paisiblement avant la Révolution, une ferme de deux mille toises, sur la paroisse de Montbrun, près du Puy-Notre-Dame, son village natal. A la formation du premier bataillon des Deux-Sèvres, le 6 octobre 1791, ses concitoyens l'avaient élu capitaine. A trente-cinq ans, il était donc parti pour l'armée du Nord, où Dumouriez l'avait attaché à son état-major, puis nommé lieutenant-colonel en second, le 11 janvier 1793. La joie que lui causait ce brillant avancement s'était traduite par une démarche malencontreuse, au moins pour l'avenir ; celle de donner à son dernier enfant le nom de Dumouriez.

Quétineau se trouvait en congé dans son pays au moment de l'insurrection vendéenne. Les districts de Bressuire et de Thouars le mirent à la tête de leurs gardes nationales, qui formèrent, avec celles de la Charente, de la Vienne et des Deux-Sèvres, une division de quatre à cinq mille hommes, ignorants et indisciplinés, mal armés, parmi lesquels l'arrivée des "braves Marseillais" du 10 août et des volontaires du Var achevait bientôt de jeter le désordre. Ils apportaient le pire esprit des clubs dans une armée déjà fort mal disposée, et où il n'y avait de militaire qu'une partie de la 35e brigade de gendarmerie, composée d'anciens gardes-françaises. Seule, elle n'avait pas lâché pied à la vue de l'ennemi, aux Aubiers, dans la première affaire sérieuse, le 13 avril 1793.

Quétineau avait inauguré, aux Aubiers, une tactique à laquelle il devait, malheureusement, demeurer fidèle : celle de la retraite. Il avait rassemblé ses troupes tant bien que mal, s'était replié sur Argenton et Bressuire. Ses collègues, d'ailleurs n'étaient pas plus heureux : Gauthier se faisait battre à Beaupréau, Ligonnier, abandonné par sa brigade, était immobilisé à Doué, et le général en chef, Berruyer, attendait aux Ponts-de-Cé des troupes sérieuses, qui n'arrivaient pas. Il écrivait lettre sur lettre à la Convention nationale : "En quittant Paris, je croyais trouver des troupes sinon aguerries, du moins parfaitement organisées. Rien de tout cela n'existe ; ce sont des rassemblements de citoyens cultivateurs qui ne connaissent ni la discipline, ni l'obéissance ... Presque tous veulent s'en retourner chez eux." Et encore, au ministre de la guerre : "Nos volontaires, pour la plupart pères de familles, sont impatients de s'en retourner ; beaucoup même d'entre eux ont quitté leurs drapeaux sans permission." Enfin, le 21 avril : "La désertion est à son comble ... Quétineau est abandonné par ses troupes. Ligonnier et Gauvillier sont dans le même cas."

En effet, à peine cantonnée à Bressuire, l'armée de Quétineau diminuait à vue d'oeil. Sous prétexte d'affaires urgentes les rappelant chez eux, la plupart des volontaires poitevins exigeaient des congés, et cela sur un ton très menaçant. Le pauvre Quétineau était fort perplexe : il avait affaire non à de simples soldats, mais à des citoyens. Il tenta une démarche diplomatique auprès du Conseil général de la Vienne, en lui dépêchant le citoyen Bourgeois, capitaine de cavalerie de Poitiers, avec mission "de prendre la plus grande précaution et se concerter pour empêcher la désorganisation entière de la cavalerie et même de l'infanterie.

Mais les autorités civiles n'avaient garde de mécontenter des patriotes, leurs administrés, leurs maîtres. Qu'était-ce à leurs yeux, qu'un général ? Une sorte de tyran. Quétineau, au surplus, devenait suspect depuis la défection de Dumouriez. Il avait eu beau, en manière de blâme, débaptiser solennellement son fils, on mettait cette abjuration sur le compte d'une habile hypocrisie et il n'en restait pas moins "l'ami, la créature de Dumouriez". Le Conseil de la Vienne répondit à son mandat en décrétant "qu'il était juste d'accorder à des citoyens la liberté de retourner dans leurs foyers où des affaires de première nécessité les rappelaient ; qu'en conséquence, le général serait invité et requis de donner des congés de retour à tous les pères de famille qui en demanderaient, même aux garçons qui auraient de fortes raisons pour demander leur retour ; qu'il serait envoyé deux cents hommes à l'armée de Bressuire pour remplacer ceux qui obtiendraient des congés." Le député montagnard de la Vienne, Piorry, haineux et jaloux, se chargea de faire approuvé l'arrêté par la commission compétente de la Convention.

Dans une lettre courageuse, Quétineau dit leur fait "avec une franchise républicaine" aux citoyens administrateurs de la Vienne et à leur député ; mais cela n'eut d'autre résultat que de lui susciter de nouveaux ennemis.

On conçoit maintenant qu'avec une pareille armée, dans une ville découverte, il se soit trouvé fort inquiet à la nouvelle que les "brigands" menaçaient de l'attaquer. Ce n'était pas qu'il redoutait rien pour lui-même ; il venait de s'acquérir, par sa sensibilité, des droits à la reconnaissance des royalistes : M. de Lescure, M. de Donnissan, son beau-père, et M. de Marigny étaient gardés à vue, comme suspects, dans la maison d'un habitant de Bressuire, le sieur Alin, et Quétineau avait réussi à les dérober à la fureur de ses terribles Marseillais ; mais il lui était désagréable de se faire battre, et il sentait bien qu'il n'était pas en force. Il lui parut que, pour remédier à cet inconvénient, la seule ressource était d'employer la manoeuvre qu'il avait déjà mise en pratique aux Aubiers, et que son armée semblait le plus apte à exécuter, en faisant retraite sur Parthenay ou sur Thouars. Cette dernière ville, sans être fortifiée, était du moins entourée de solides murailles à l'abri desquelles il pourrait se retrancher. Il sollicita, sur le champ, des ordres de Ligonnier dans ce sens.

Ligonnier répondit "qu'étant lui-même aux ordres du général Berruyer, il allait lui proposer la question du citoyen Quétineau et lui demander des ordres qu'il transmettrait, aussitôt, au citoyen Quétineau ; mais que provisoirement, et dans le cas que la supposition se réalisât, il pensait que l'avantage de la République exigerait que le citoyen Quétineau se repliât plutôt sur Thouars que sur Parthenay".

Le lendemain, Argenton, Parthenay et Thouars également affolés, réclamaient à Quétineau des secours qu'il était bien incapable de leur donner. Son refus fit encore des mécontents.

Les journées du 1er et du 2 mai se passèrent sans que Berruyer confirmât la dépêche de Ligonnier, et pour cause : dénoncé à la Convention, le 27 avril, pour "la lenteur de son action militaire", il venait d'être rappelé à Paris. Le 3 mai, comme le temps pressait, Quétineau réunit un conseil de guerre auquel assistèrent les commissaires départementaux. L'évacuation de la ville, mise aux voix, fut décidée à l'unanimité.

Quand la nouvelle s'en répandit, les patriotes s'en montrèrent furieux ; ils crièrent "qu'avec l'armée on pouvait se défendre ; mais qu'ils voyaient bien que Quétineau les sacrifiait pour sauver Thouars, où étaient ses biens et sa fortune". Quétineau passa outre. Il quitta Bressuire à six heures du matin ; à neuf, les royalistes s'y installaient et délivraient Lescure, Donnissan et Marigny.

La distance entre Bressuire et Thouars est de quatre lieues, par des chemins malaisés, bordés de haies d'ajoncs et de gros pommiers noueux, dont les bras difformes s'entrecroisent, forment une voûte épaisse. Pendant la courte étape, l'armée de Quétineau se trouva encore diminuée. Les pères de famille de Poitiers, profitant de la débandade, jetaient là leurs fusils et s'arrêtaient en route, à Airvault ; d'autres tiraient sur Parthenay ; d'autres sur Saint-Maixent, très déterminés à retourner à leurs affaires. Et, chose singulière, ces guerriers si prompts à décamper devant l'ennemi reprochaient à leur général de ne pas les mener au combat. Mais quand les municipalités d'Airvault et de Parthenay, effrayées de ces désertions, leur firent de beaux discours patriotiques pour les engager à rejoindre Thouars, ils restèrent sourds aux prières comme aux menaces. L'armée de Quétineau ne comptait plus que trois mille hommes, officiers compris, le 3 mai, en arrivant à Thouars.

La ville s'étage au bord du Thouet. Dressé sur un rocher, le château de la Trémoille la domine, massif imposant, redoutable. L'armée de Quétineau prend possession de l'esplanade, se répand par les rues, s'installe dans les couvents, dans les églises.

Le lendemain, l'ennemi ne paraît pas ; tout est calme et tranquille, le temps radieux, la campagne, qu'on découvre des terrasses du château, fleurie et douce à souhait. Abritée derrière les solides murailles, l'armée de Quétineau se rassure. Le général, lui, goûte les joies du foyer : il a retrouvé sa femme, sa fille, son jeune fils, le ci-devant petit Dumouriez. Il loge avec eux chez le commandant Journault en famille.

Mais le 5, dès l'aube, le tambour bat. On court aux armes. Quétineau, à la tête des Poitevins, court occuper le Gué-aux-Riches. On n'aperçoit pas encore l'ennemi ; mais on entend des cantiques, l'hymne de la Passion : Vexilla Regis prodeunt monter des chemins couverts. Sont-ils nombreux ? mystère ...

La fusillade commence, espacée, du côté du Pont de Vrine et du Gué-aux-Riches. Ainsi, on annonce que les Vendéens ont passé le Thouet. A cette nouvelle, les braves Poitevins jettent leurs chapeaux, leurs sacs et prennent la fuite. Quétineau se lance derrière eux, les dépasse, les arrête au pied du moulin Le Comte, pour faire face à la cavalerie de Bonchamps. La fusillade reprend, très active.

Vers les trois heures, le canon tonne du côté de la porte des Prisons, Quétineau fait donner l'ordre aux gendarmes d'escorter sa femme et ses enfants qu'il envoie à Saumur. Presque au même instant, on voit surgir de toute part, pareils à des fourmis dont on vient de bouleverser les galeries souterraines et qui sortent du sol par milliers, des paysans armés de faux, de fourches, de bâtons, de vieux fusils. Issus on ne sait d'où, ils se ruent vers les remparts, d'un élan irrésistible. Ce sont les gars de Donnissan et Marigny, massés au port Saint-Jean ; ceux de Cathelineau, de d'Elbée et Stofflet au Bec-du-Château. Par le Pont-Neuf, ils s'avancent vers la porte de Saumur, pendant que Lescure et La Rochejaquelein débouchent par le Pont de Vrine, bousculent les Poitevins, obligent Quétineau à se replier sur le château.

Les "brigands" de tous les points de l'horizon, accourent sans interruption. Leur flot déferle contre les murailles, qu'ils attaquent à coups de piques. Monté sur les épaules d'un paysan, Texier, Henri de la Rochejaquelein donne le signal de l'assaut. Des grappes d'hommes s'accrochent aux pierres des remparts, se hissent au sommet, tombent dans les jardins, débordent dans la ville. Les bleus les fusillent à bout portant ; mais ce flux de vingt mille hommes monte toujours plus pressé, plus terrible. Les bleus reculent ; ils se forment en carré sur la place d'armes ; alors, les grandes faux des paysans les moissonnent.

Les habitants, fous de terreur, se barricadent chez eux.

Soudain, vers cinq heures, on voit paraître sur une des terrasses du Château, Quétineau, escorté des membres de la municipalité et du juge de paix, Redon-Puy-Jourdain, qui porte le drapeau blanc des parlementaires. Les autorités civiles, d'accord avec le général, ont décidé de capituler et le cortège se dirige vers la porte de Paris, à la rencontre de d'Elbée commandant en chef des "brigands". Un incident se produit alors : de belliqueux volontaires du Var, de turbulents Marseillais veulent arracher le drapeau blanc ; Quétineau, à trois reprises, s'interpose, menace ; enfin, des pourparlers s'engagent avec les chefs vendéens ; administrateurs et municipaux assurent que la ville n'avait point de mauvaises intentions et demandent grâce pour les habitants. Le feu cesse, presqu'aussitôt.

Pendant que les généraux des deux armées se retirent chez Journault, l'hôte de Quétineau, les Vendéens fouillent les maisons, arrêtent les bleus, les désarment, les parquent dans la vaste cour du château. Il est cinq heures et demie. L'épouvante règne parmi les prisonniers, qui s'attendent à être fusillés.

Seuls, quelques privilégiés, laissés libres, errent par la ville, où s'allument des feux de joie, où retentissent les cris de victoire. Ils viennent rôder autour de la maison Journault devant laquelle se presse une foule compacte. Ils apprennent que Quétineau soupe là, avec les chefs des brigands, "clos et fermés" ; qu'on y discute les conditions de la capitulation ; qu'on y prépare le traité qui sera soumis à l'approbation de Carra, le représentant en mission à Saumur.

Lescure, qui se souvient des bons procédés de Quétineau, pendant son séjour à Bressuire, insiste pour que le général demeure parmi les royalistes. Ancien cultivateur, n'a-t-il pas sa place dans le parti de ceux qui défendent la propriété contre les anarchistes qui prétendent la piller ? Honnête et sensible, approuve-t-il l'exécution du roi ? Non ; alors, pourquoi servir la République ? ... Quétineau se défend : officier républicain, il ne trahira pas sa cause, bien qu'il en reconnaisse et désapprouve les erreurs. Soit, concède Lescure, ne combattez pas la République ; mais restez prisonnier chez nous, sur parole ; vous réfléchirez ensuite ... Quétineau s'entête : il suivra sa destinée jusqu'au bout.

La nuit passe : une nuit claire et calme, nuit d'angoisse pour les prisonniers du château.

Le lendemain, 6 mai, enfin les portes s'ouvrent. Les trois mille républicains, aux cris de "vive le roi", sont mis en liberté, munis de passeports. De leurs officiers, on exige le serment de ne plus porter les armes contre Louis XVII. Beaucoup, moins scrupuleux que Quétineau, s'engagent aussitôt dans l'armée royaliste. Quatre mille fusils, dix pièces de canon, le contenu des caisses publiques (plus de 500.000 fr.) restent aux mains des vainqueurs. Ils retiennent jusqu'à la ratification du traité, quinze otages par département, dont, pour la Vienne, Thibaudeau, frère du député.

Quant à Quétineau, prisonnier à Thouars jusqu'au 8, les chefs royalistes lui donnèrent un sauf-conduit qui lui permettait "d'aller où bon lui semblerait", à condition de ne plus porter les armes contre le roi, "à moins qu'un échange ou un autre arrangement de droit ne l'eût délivré de sa captivité". Aussitôt libre, il gagna Doué, pour rendre à Ligonnier, - qui depuis le départ de Berruyer remplissait, bien malgré lui, les fonctions de général en chef, - compte de "sa malheureuse affaire".

Ligonnier lui fit prendre les arrêts "pour sa propre sûreté".

Trois jours après, sur la réquisition des commissaires civils d'Indre-et-Loire, le dénonçant, sans aucune preuve, comme traître, Quétineau était arrêté par le commissaire national près le tribunal du district de Tours, F. M. Japhet, et conduit à Saumur, devant le représentant Carra. "Cet ancien forçat évadé, devenu journaliste et député, était assez bien disposé en faveur de Quétineau. Au lieu de l'enfermer au château, il lui donna "la ville pour prison".

... à suivre ...

Voir la 2ème partie ICI

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