PLANTATION D'UN ARBRE DE LA LIBERTÉ A CHINON (2 avril 1848)
Un Arbre de la Liberté coiffée d'un bonnet rouge avait déjà été planté à Chinon le 29 mai 1792, jour de la Pentecôte en présence de la Garde nationale en armes. La cérémonie eut lieu le même jour dans toute la France. Il fut abattu le 12 juin 1793 par les Vendéens, qui ne restèrent que 24 heures à Chinon pour libérer les prisonniers royalistes qui y étaient détenus. Dès le retour des Républicains, le 22 juin, il fut replanté ; un autre le fut le 26 juillet "au Camp de la Prée de Saint-Mexme" en présence des députés Tallien et Turreau et de six généraux. Le 25 octobre 1799, les patriotes mirent des planches autour de l'arbre, craignant que les Chouans ne viennent le couper, comme ils venaient de le faire au Mans.
Il était normal que la Seconde République en fasse de même. Le compte rendu de la cérémonie fut donnée avec une foule de détails par le "Journal de Chinon" du 6 avril 1848.
La plantation de cet Arbre place de l'Hôtel-de-Ville se fit en grande solennité le dimanche 2 avril 1848 devant une foule nombreuse venue de tout l'arrondissement, estimée à 8 à 9.000 personnes, sans compter 6.000 gardes nationaux. Dès la veille, un détachement d'artillerie de la Garde nationale de Tours arrivait vers 17 heures par la route, saluée à Saint-Jean par une salve de quatorze coups de canon et par la cloche du château, Marie-Javelle, qui avait déjà sonné en 1790 à l'occasion de la réunion des États-Généraux. Nouvelle salve d'artillerie de vingt-trois coups de canon à l'arrivée en ville, les artilleurs chantant des hymnes patriotiques exécutés par la musique de Tours.
Dès 6 heures du matin, l'artillerie, les tambours, les clairons retentissaient dans toutes les rues. La ville se pavoisait aux couleurs nationales. Les Gardes nationaux rurales arrivaient ensuite de toutes parts, tambours en tête et drapeaux au vent, se massant sur la place de l'Hôtel-de-Ville.
Un arbre de vingt mètres de haut avait été donné par le citoyen Gaudichon-Desprez mais il fallut le concours des pompiers menés par leur capitaine Deligny et des hommes de bonne volonté pour l'apporter et le planter en terre. Les tambours battirent aux champs, le canon grondait au bas de la place, les musiques de l'artillerie de Tours et de la Garde nationale de Chinon jouaient la Marseillaise tandis que des cris : "Vive la Liberté !", "Vive la République !" éclataient dans la foule.
Puis ce furent les discours. Le citoyen André Marchais, commissaire du gouvernement, prenait la parole : "Arbre des forêts, il y a soixante ans, nos pères plantaient à cette place même un de tes frères. Nos pères fondèrent la Liberté, ils ont donné à ton frère le beau nom d'Arbre de la Liberté. Nous voulons, nous, fonder aussi l'Égalité et la Fraternité ... Au nom du Peuple souverain, je te consacre aujourd'hui Arbre de Liberté, d'Égalité, de Fraternité. Vive la République !".
Le citoyen Boisseau, vicaire de Saint-Etienne, prit ensuite la parole puis l'arbre fut béni solennellement par le clergé de Saint-Etienne et de Saint-Maurice réunis. Il fut suivi par des discours vibrants du citoyen Raveau, sous-commissaire de l'arrondissement, du citoyen Léon Joubert, maire de Chinon, du citoyen Michel Gillot, capitaine des Grenadiers, qui avait déjà vu planter au même endroit celui de 1790.
Entre ces discours, les élèves du lycée exécutèrent en choeur le Chant des Girondins, auxquels répondirent les airs républicains exécutés par les musiques de Tours et de Chinon. L'hymne des Travailleurs fut chanté par un de nos concitoyens et accueilli avec l'enthousiasme accoutumé. Puis commença autour de l'arbre, devant toutes les autorités réunies, le défilé des Gardes nationales qui dura une heure. Les cultivateurs en blouses, vestes grises et chapeaux ronds, avec la cocarde nationale, brandissaient leurs armes en saluant le symbole de la République.
Les rangs rompus, une partie de la foule se transporta sur le Champ de Foire où avaient été préparés un mât de cocagne et des danses publiques. L'autre se dirigeait vers le quai où avaient été dressées les tables du banquet pour 800 convives ; une table au milieu pour les autorités et deux autres immenses tables parallèles, chacune pour 350 citoyens, des deux côtés du quai. Le ciel était par bonheur de la fête.
Différents toasts furent portés à la fin du banquet par le sous-commissaire Raveau, le maire Léon Joubert, les citoyens Naintré, Marchais, Foucqueteau, Beguin (de Bourgueil), Massacry-Angelliaume, à l'humanité, à l'émancipation des peuples, à la France républicaine, à la résurrection de la Pologne, à la fraternité universelle ...
Un feu de joie eut lieu au Champ de Foire aussitôt après le banquet et le soir tous les édifices publics et les maisons particulières furent illuminés. Le lendemain, les artilleurs de Chinon offraient un banquet d'adieu à ceux de Tours, qui traversèrent ensuite la ville pour regagner Tours, accompagnés jusqu'à Saint-Jean par la population.
L'on ne sait pas à quelle occasion et à quelle date exacte il fut abattu mais une délibération du Conseil municipal en date du 11 mars 1849 s'opposa à la plantation d'un nouvel Arbre de la Liberté.
Raymond MAUNY
Bulletin de la Société des amis du Vieux Chinon.
1980