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La Maraîchine Normande
1 novembre 2012

INSURRECTIONS PAYSANNES DU LOT

Les insurrections du Lot ont été l’objet d’une enquête officielle, enquête méthodique et approfondie, faite par deux commissaires du roi, Godard et Robin, et dont ils ont consigné les résultats dans un rapport mal composé, mais où il y a une foule de faits aussi instructifs qu’authentiques .

    « Nulle part, disent ces commissaires, la destruction du régime féodal ne fut accueillie avec plus de transport que dans l’ancienne province du Quercy, parce que c’était là principalement que la féodalité avait les effets les plus terribles. C’était dans cette province que régnait, dans toute sa latitude, la maxime nulle terre sans seigneur, et qu’une girouette placée au-dessus d’un toit était le titre en vertu duquel le seigneur exigeait de ses vassaux des redevances énormes. »

C’est à la nouvelle du décret du 4 août qu’il y eut une première effervescence ; elle consista en des plantations de mais, signes de joie, mais aussi d’indépendance. Cette effervescence se calma, puis reprit au commencement de l’année 1790. Ainsi, à Montpezat-de-Quercy, le 30 janvier 1790, le château du marquis de Lostanges fut pris comme d’assaut par une bande de paysans, qui détruisit les archives, tous les titres seigneuriaux. La même bande se porta au domicile du commissaire à terrier qui travaillait pour le marquis, et anéantit ses papiers .

Mais les esprits se montèrent surtout quelques mois plus tard, à l’approche des dates ordinaires du paiement des rentes (c’est ainsi qu’on appelait le cens en Quercy). Le directoire du département fit, le 30 août 1790, une proclamation pour inviter les tenanciers à payer. Alors, dans le district de Cahors, les paysans plantèrent des potences, pour menacer ceux qui paieraient, et demandèrent à grands cris la production des titres primordiaux . Dans le district de Gourdon, on n’éleva qu’une seule potence, mais on planta beaucoup de mais (octobre-novembre 1790). Le directoire du département, sur la demande du directoire de ce district, envoya 100 hommes de troupes de ligne pour abattre les signes de l’insurrection. Le district interpréta qu’il fallait abattre même les mais, et, en effet, la troupe les abattit en quelques endroits. Furieux, les paysans s’armèrent. Quand les soldats se présentèrent devant le bourg de Saint-Germain-du-Bel-Air, ils le trouvèrent gardé par une troupe de paysans si nombreuse qu’ils durent renoncer à y entrer. Le maire dit qu’il ne laisserait abattre les mais que si on lui montrait un décret de l’Assemblée nationale ordonnant qu’on les abattit. Or, on ne pouvait produire que le décret du 3 août 1790, qui ordonnait la destruction de « toutes les marques extérieures d’insurrection et de sédition, de quelque nature qu’elles fussent », mais ne parlait pas des mais. La troupe se retira, et, poursuivie à coups de pierres, rentra à Gourdon.

Alors éclata une insurrection formidable. Une armée paysanne de 4 500 hommes se porta sur la ville de Gourdon, en décembre 1790, et l’assiégea. Elle avait pour chef un gentilhomme d’ancienne noblesse, Joseph de Linars , secondé par son frère Jean. Ce chef imposa au district un traité de paix (3 décembre), que l’armée paysanne approuva, puis il voulut emmener les paysans. Beaucoup le suivirent ; mais il en resta 500 ou 600, et, dans la nuit, arrivèrent des milliers d’autres paysans armés. Les voilà au nombre de plus de 10 000 : ils occupent la ville, assiègent les soldats dans l’église, où ils s’étaient barricadés. Le lendemain, 4 décembre, ils laissent partir les soldats, mais s’emparent des canons, brisent les affûts, pillent la maison d’un noble, M. de Fontanges, et celle de l’ex-subdélégué, M. Hebrey. Le 5, ils sont au nombre de 20 000. D’autres maisons sont pillées, celles du président jet du procureur-syndic du district, « celle même du curé ». Le 6, pillage du monastère des religieux de Saint-Clair. Le 7, les paysans quittent enfin la ville, et se répandent dans les environs, où ils pillent des châteaux.

Cependant d’autres troubles ont lieu dans les environs de Cahors et aussi dans les environs de Montcuq, district de Lauzerte. Dans ce district, trente maisons ou châteaux sont pillés ou brûlés.

Le 17 décembre, des nobles, au nombre de onze, se réunissent au château du Haut-Castel, se forment en ligue armée de défense contre les paysans, rédigent un manifeste, qu’ils déposent à la municipalité de Lauzerte, se mettent à faire des patrouilles armées dans les villages.

Mais déjà le directoire du département du Lot avait écrit à l’Assemblée nationale pour lui demander secours. Le 13 décembre 1790, l’Assemblée décrète que le roi sera prié de donner des ordres pour que le tribunal du district de Gourdon informe contre les auteurs des troubles, et d’envoyer des troupes en nombre suffisant à Cahors et aussi d’envoyer dans le Lot deux commissaires civils, « qui se concerteront avec les administrateurs, prendront les éclaircissements qu’ils pourront se procurer sur les causes de l’insurrection et sur les remèdes qu’il convient d’y apporter, sans que cela puisse retarder l’information ».

Ces commissaires furent Godard et Robin, dont le rapport est la source de notre récit.

Contrairement à l’esprit et même à la lettre du décret, ils conçurent leur mission comme une œuvre d’apaisement et de conciliation.

Tout en appelant des troupes de ligne, notamment dans le district de Lauzerte, ils résolurent de rétablir l’ordre par des moyens de persuasion, par un appel à la raison.

En arrivant dans le Lot, ils répandirent une proclamation, qui se terminait ainsi « Rendez-vous dignes de cette belle Constitution, qui vous offre tant d’avantages et que vos infatigables représentants ont principalement établie pour vous ; ne les affligez plus, n’affligez plus un bon roi, qui a tant d’amour pour les Français, par des renouvellements de séditions et de désordres ; prenez bien garde que, si vous attentez à un seul point de la Constitution, tous les autres, qui vous sont si avantageux, s’écrouleront et tomberont d’eux-mêmes. »

Puis ils s’adressèrent ainsi aux curés par lettre circulaire : « Le ministère de paix qui nous est confié, nous ne voulons l’exercer que par l’empire de la raison, de la persuasion et de la loi. Une telle doctrine est celle de l’Evangile que vous prêchez, et notre mission momentanée se rapproche, en quelque sorte, de la vôtre… Vous recevrez, avec cette lettre, notre proclamation ; nous vous renouvelons ici l’invitation de la lire au prône de votre paroisse, et nous vous prions, de plus, de l’expliquer à ceux qui ne l’entendraient pas, de la traduire dans le langage qui leur est familier, d’user de la sainte influence que vous avez sur eux pour leur en faire adopter tous les principes ; et si nous parvenons, comme nous avons lieu de l’espérer, à voir la tranquillité rétablie et assurée dans toutes les parties du département, nous aimerons à publier partout que vous avez partage nos soins, notre sollicitude, et que vous avez été de puissants auxiliaires pour nous dans l’importante mission que nous avons à remplir. »

C’est dans le district de Gourdon que l’insurrection avait été le plus grave. Les commissaires envoyèrent aux maires et procureurs des communes de ce district une circulaire pour provoquer leurs observations et réclamations. Comme on avait contesté l’authenticité des décrets sur le paiement des droits féodaux, ils les firent imprimer et les répandirent dans les campagnes. Ils invitèrent les communes où il y avait eu des faits d’insurrection à envoyer à Gourdon des délégués, et nombreux, pour causer avec eux.

Leurs conférences avec ces paysans eurent lieu les 11, 12 et 13 janvier 1790, et le récit qu’ils en font est fort instructif.

Voici ce qu’ils apprirent des paysans sur le paiement des droits féodaux, désignés en Quercy sous le nom de rentes :

Dans quelques-unes, on avait payé les rentes de 1789, et l’on était prêt à payer celles de 1790, si le propriétaire les demandait ; mais, dans presque toutes, on n’avait payé ni les unes ni les autres ; on n’en refusait pas cependant le paiement, mais on ne voulait l’effectuer qu’après la vérification des titres, Plusieurs municipalités étaient même, à cet égard, en instance avec leur ci-devant seigneur ; leurs conclusions étaient la demande du titre primordial. Ces mots de titre primordial sortaient à la fois de toutes les bouches, lorsque nous prononcions celui de rentes ; et la raison pour laquelle les habitants de la campagne réclamaient avec tant d’instance et si uniformément ce titre premier, c’était à la fois le taux excessif des rentes actuelles et les surcharges énormes portées dans les reconnaissances. Dans certains endroits, nous a-t-on dit, le paysan paye au seigneur le tiers de ce qu’il récolte, c’est-à-dire trois boisseaux sur neuf ; et les surcharges sont de moitié et môme des deux tiers de ce qui est porté par le titre primordial ; en sorte que celui qui, d’après ce titre, payait autrefois douze quarts de blé, est obligé, et après les reconnaissances à en payer dix-huit ou vingt. Les surcharges mettaient les paysans dans le cas de demander des restitutions considérables ; voilà pourquoi ils ne se soumettaient point à la loi qui ordonne le paiement provisoire. Les restitutions étaient si fortes, suivant eux, qu’il était possible que le bien du seigneur ne fût pas suffisant pour répondre de ces restitutions, et que, par conséquent, ils risquaient par un paiement provisoire de perdre encore la somme qui en serait l’objet. Il y a plus, ces restitutions leur paraissaient si évidemment justes, qu’ils croyaient avoir le droit de les exercer eux-mêmes et sans l’intervention de la loi. Dans quelques endroits, ils étaient allés par attroupement les demander au ci-devant seigneur ou à son fermier et les avaient obtenues.

Telle était à peu près la doctrine du pays sur les rentes.

Et les mais ? Etaient-ce vraiment des signes d’insurrection ? Voici comment les commissaires résument ce que, dans ces colloques, les paysans leur dirent à ce sujet :

   Quant à l’idée qu’on y attache, il n’est pas d’efforts que nous n’ayons fait pour la découvrir. Lorsque nous faisions quelques questions à ce sujet, les mots de liberté, de signe de réjouissance pour la liberté étaient à la fois prononcés par tous. Demandions-nous si on ne croyait pas, comme nous l’avaient dit quelques personnes, que, lorsqu’un mai était planté pendant un an et un jour, on se trouvait au bout de ce temps affranchi du payement de la rente, et si ce n’était pas là le motif de cette plantation universelle de mais, et de l’attachement qu’on montrait pour eux ? On repoussait par le sourire une pareille question ; on ne concevait pas que nous pussions avoir une telle idée ; on nous répondait qu’un morceau de bois, planté dans la terre, ne pouvait pas plus détruire un titre qu’en augmenter la valeur ou en créer un nouveau ; et cette réponse simple nous a paru si bonne, que nous nous en sommes presque toujours servis, en la développant, pour convaincre de leur erreur le très petit nombre de personnes qui avaient la superstition de croire que la plantation d’un mai, pendant un an et un jour, dispensait ensuite de payer les rentes.

    En général, l’idée qu’on attachait aux mais, lorsque nous avons paru dans le district de Gourdon, c’est celle de la conquête de la liberté ; les mais presque partout sont ornés de rubans, surmontés d’une couronne de laurier ou d’un bouquet de fleurs et portent l’inscription civique : Vivent la nation, la loi et le roi ! Dans toute l’étendue du district, il n’y avait que trois communes dont les mais portassent un signe d’insurrection : Saint-Cirq, Milhac et Léobard. A Saint-Cirq et à Milhac, les mais portaient des cribles, ce qui avait quelque rapport à l’affranchissement des rentes. A Léobard, le mai était surmonté d’une girouette enlevée par les habitants sur le château du seigneur, ce qui était une espèce de trophée de cette voie de fait, et une sorte d’invitation d’en commettre de semblables. Dans ces trois endroits, on nous a promis que ces signes de sédition ou de désobéissance à la loi disparaîtraient.

Les commissaires invitèrent les paysans à en référer aux juges et, en attendant, à payer, conformément à la loi. Les raisonnements qu’ils leur tinrent nous renseignent sur l’état d’esprit, non seulement de ces commissaires philanthropes et philosophes, mais des paysans eux-mêmes, si pleins de bonne volonté dans leur rudesse. Voici quelques-uns de ces raisonnements :

    Nous disions encore à ces habitants égarés de la campagne : L’Assemblée nationale a ôté aux seigneurs tous les droits de supériorité qu’ils avaient sur vous, et vous êtes aujourd’hui leurs égaux ; mais les seigneurs sont vos égaux aussi, et ils ont droit, comme vous, à la sûreté de leurs personnes et de leurs propriétés.

    Enfin, leur disions-nous, voyez ce que l’Assemblée nationale et le roi ont fait pour vous. Ils ont détruit la dîme, les corvées, la gabelle, une multitude de droits seigneuriaux aussi onéreux qu’humiliants, ce droit exclusif de la chasse, qui dévorait à l’avance le fruit de vos travaux. Leur donneriez-vous le repentir de tant de bienfaits, en attentant à des propriétés qu’ils ont déclarées sacrées et en ébranlant, par l’anarchie et le désordre, les fondements d’une Constitution qu’ils ont principalement établie pour vous ?

    Sire, nous éprouvons une bien douce satisfaction à vous le dire, votre nom et celui de l’Assemblée nationale produisaient tout à coup dans les esprits une impression qui, sans nous étonner, nous pénétrait d’attendrissement. A peine avions-nous prononcé ces noms, qu’il ne faut plus désunir, que le sentiment de la joie, du bonheur et de la reconnaissance se peignait sur tous les visages. Ces noms, enfin, qui rappelaient tant d’actes de bienfaisance et de justice, étaient, pour les bons habitants de la campagne, les meilleurs de tous les raisonnements et nous ont suffi, plus d’une fois, pour toucher leur âme et convaincre leur raison.

    Tous ont promis de renoncer pour toujours aux voies de fait et aux violences, de n’exercer jamais leurs réclamations que par les voies légales, d’avoir un saint respect pour les propriétés d’autrui ; plusieurs aussi ont promis de payer les rentes, même avant la vérification des titres. La plupart, nous devons le dire, ne nous ont pas fait cette dernière promesse ; et ils donnaient pour raison l’énormité des restitutions qu’on avait à leur faire, la contradiction qu’il y avait de payer quelque chose à son propre débiteur, et la misère sous laquelle ils gémissaient, tant par les surcharges scandaleuses qu’ils payaient depuis des siècles, par deux années de disette. Mais ce qu’ils ont juré solennellement, c’est de se soumettre avec respect aux décisions des tribunaux, et de les exécuter dans le cas même où elles leur seraient entièrement contraires.

Les commissaires continuent à faire appel à la raison :

Partout, soit dans la campagne, soit dans les villes, nous n’avons agi que par l’empire de la persuasion et de la loi.

Les principes de bonté qui caractérisent Votre Majesté semblaient d’abord nous commander cette marche.

Mais nous avons cru voir aussi, dans l’esprit de la Constitution, qu’il n’y en avait pas d’autre à suivre, et que c’était à la raison, qui avait élevé le nouvel ordre de choses sous lequel nous allons vivre, à le soutenir contre ses ennemis et à en assurer la perpétuelle durée. Nous avons pensé que l’esprit de l’homme, étant le même dans tous les pays, était également partout susceptible de recevoir la lumière qui lui était offerte, et qu’il fallait seulement plus ou moins de précautions pour dissiper les nuages qui, dans quelques lieux, l’obscurcissent encore. Nous avons pensé, en un mot, que si, dans les villes, en général, on entend la loi plus facilement que dans les campagnes, si on l’y observe avec plus d’exactitude, lorsqu’un esprit de parti n’y égare pas les citoyens, c’est que l’instruction y est plus répandue ; qu’il fallait donc également la répandre dans les campagnes et ne pas commencer par punir des hommes à qui peut-être on n’aurait à reprocher que des torts qui ne sont pas les leurs, mais ceux d’une longue oppression et d’un avilissement qui n’est que la suite de cette oppression même.

    Sire, dans l’application que nous avons faite de ces principes, nous avons constamment éprouvé que l’instruction pouvait être aujourd’hui un des principaux ressorts de notre nouvelle organisation ; qu’à l’avenir une éducation vraiment nationale peut rendre ce ressort encore plus actif. Nous avons embrassé avec transport l’idée d’un grand peuple, qui n’obéira désormais qu’à l’empire de la raison, et qui se montrera vraiment digne de la liberté, en rendant inutile celui de la force ; et nous sommes heureux de pouvoir mettre sous les yeux de Votre Majesté des vérités aussi douces pour une âme bonne, franche et loyale comme celle de Louis XVI.

Cette éloquence raisonnable des commissaires du roi fit impression sur l’esprit des paysans, qui promirent de suivre leurs conseils. Les troubles avaient pris fin, quand les commissaires quittèrent le département du Lot. Rentrés à Paris, une lettre du procureur de la commune de Gourdon (qui était Cavaignac, le futur conventionnel) leur apprit que la tranquillité était devenue parfaite, et que les paysans commençaient à s’adresser aux tribunaux.

Le Moniteur des 9 et 17 mars 1791 publia deux lettres de Cahors, datées des 2 et 9 mars, où on lisait :

1° Une nouvelle bien importante, et qui achève de prouver l’heureux succès de là conduite sage et ferme et des exhortations patriotiques des commissaires civils, c’est que, dans le district de Gourdon où avaient commencé les troubles, les paysans s’adressent chaque jour aux tribunaux pour les réclamation qu’ils ont à former contre leurs ci-devant seigneurs. C’était la marche que leur avaient tracée MM. Godard et Robin. Lorsque les paysans venaient vers eux se plaindre des usurpations de leurs droits, ils leur répondaient que c’était devant les tribunaux qu’ils devaient les réclamer, que ce n’était que par les formes de la justice qu’ils pouvaient rentrer dans l’exercice de ces droits, et que tout acte de violence les rendrait coupables et les exposerait à la juste et inévitable punition des lois. Les paysans, frappés de la justesse de ces raisons, avaient donné des signes de repentir et promis de renoncer à toute voie de fait. Ils se montrent chaque jour fidèles à leurs promesses ; ils manifestent le plus grand respect pour la loi ; ils portent avec, empressement leurs réclamations devant les juges, qui, par une intégrité connue et une grande exactitude à remplir leurs devoirs, ont obtenu leur estime et leur confiance.

2° Le département entier continue de jouir de la plus parfaite tranquillité ; il n’y a plus ni voie de fait ni insurrection. Tous les signes alarmants placés sur les mais ont disparu ; il n’en existe plus un seul, et partout on leur a substitué un écriteau portant ces mots : Vivent la nation, la loi et le roi ! L’adresse par laquelle MM. les commissaires civils ont terminé leur mission a fait sur tous les esprits la plus utile impression, et le peuple s’étudie à en pratiquer les principes. On attend maintenant avec une grande impatience le rapport de MM. les commissaires civils, parce qu’on espère que, sur ce rapport, il interviendra un décret favorable au département. M. Godard, dans une de ses dernières lettres, annonçait qu’avant le 15 mars ce rapport serait remis au roi.

Les rares historiens qui ont signalé et utilisé le rapport de Godard et Robin semblent croire que le rétablissement de la tranquillité dans le Lot fut définitif, et que les paysans se soumirent, en effet, à l’obligation de continuer à payer les droits féodaux.

— C’est une erreur.

M. Fourastié, archiviste du département du Lot, a bien voulu faire pour moi, à ce sujet, quelques recherches dans la série L de ses archives.

Il m’écrit que cette tranquillité ne fut pas de longue durée. Le 9 avril 1791, les administrateurs du district de Lauzerte déclarent que « le départ des soldats a été suivi de nouveaux troubles dans le canton de Bourg-de-Visa ». Les paysans ne s’attaquent plus seulement aux nobles, mais à ces bourgeois qui ont maintenu les droits féodaux. Ainsi les mêmes administrateurs mandent que les immeubles du sieur Mazaré, négociant à Miramont, et Daubanes, riche laboureur à Saint-Urcisse, viennent d’être attaqués, pillés, incendiés. La lutte des classes s’annonce  .

Mais c’est surtout aux ci-devant seigneurs qu’on en veut. En mai 1791, à Castelnau-Montratier, deux nobles, les frères de Ballud, sont assiégés dans leur habitation . L’un se tue. L’autre, emmené prisonnier à Cahors, y est pendu par le peuple.

En juillet 1791, les châteaux sont de nouveau attaqués et incendiés, les propriétés sont dévastées, notamment à Montclar, à Saint-Urcisse, à Cahors. En août et novembre, nouveaux troubles à Lauzerte .

Des désordres analogues ont lieu dans diverses communes du district de Figeac pendant l’année 1791 .

Ces désordres continuent, s’aggravant plutôt, pendant l’année 1792. Le 4 avril 1792, le directoire du département du Lot mande au Ministre de l’Intérieur que le « district de Figeac est en proie à de nouveaux troubles ». L’on y a pillé ou incendié toutes les maisons des ci-devant nobles, l’on y exige la démolition des pigeonniers, et les malfaiteurs menacent les maisons de campagne qui ont quelque apparence. La ville de Figeac elle-même n’est pas à l’abri de ces excès, et différents particuliers en ont été victimes. Une société populaire s’est permis « de mander à sa barre, pendant la nuit, un administrateur du district, de lui faire subir debout un interrogatoire de trois quarts d’heure, et d’envoyer des commissaires chez lui pour s’emparer de ses papiers » . Dans un autre rapport du même directoire, sans date de jour, on lit : « Le district de Figeac principalement s’agitait d’une manière alarmante. Plusieurs paroisses en corps s’attroupaient, accouraient chez les ci-devant seigneurs, leurs fermiers, ou ceux des ci-devant décimateurs, les forçaient à rembourser la rente et les dîmes de 1789, et les arrérages antérieurs depuis 29 ans. Les municipalités marchaient à leur tête . » Deux commissaires, envoyés par le département, usèrent, non sans succès, des mêmes moyens de persuasion dont avaient usé les commissaires du roi.

Mais le département du Lot continue à être troublé. Le 5 décembre 1792, le directoire du district de Gourdon écrit au directoire du département « qu’il vient d’être instruit par la voix publique que les bois des ci-devant seigneurs de Vaillac et de Saint-Chamerand ont été dévastés et rasés, que ceux, du sieur Durfort, dans la commune de Saint-Germain, se dévastent journellement, que des brigands même se sont emparés du château des Sept-Fons (commune de Saint-Germain), démolissent les granges et menacent même, après cette opération finie, de tomber et faire main-basse sur les maisons et propriétés d’autres riches citoyens de ce canton ». « Rien de tout cela ne nous a été dénoncé par aucun corps constitué, ni par aucun fonctionnaire public ; nous ne pouvons cependant pas douter de la vérité des faits ci-dessus. Nous craignons bien que le mal ne gagne de proche en proche, et que les mal intentionnés, se voyant en force, ne préparent des insurrections pareilles à celles arrivées en 1790, nous vous prions de peser dans votre sagesse les moyens propres à arrêter des malheurs et des troubles si contraires aux intérêts de la République. »

Ainsi se continuèrent, tant que le régime féodal ne fut pas entièrement aboli, les troubles du Lot.

Extrait du livre :

LA REVOLUTION FRANCAISE ET LE REGIME FEODAL

Alphonse Aulard (1849-1928)

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