ACTE D'ACCUSATION DES FAUTEURS DE L'INSURRECTION DE PALLUAU (INDRE) ♣ 1ère partie
DE LA VENDÉE DE PALLUAU
1er fructidor an IV
Acte d'accusation des fauteurs de l'insurrection de Palluau (INDRE)
NOUS, ANDRÉ JAYMEBON, président du tribunal criminel du département de l'Indre ; PIERRE NERAUD, NICOLAS-JEAN DUBOIS, JOSEPH-FRANCOIS POURNIN et CHARLES GUESNIER, juges au tribunal civil dudit département, appelés à cause du déport du citoyen BLANCHARD et de l'absence des citoyens PERROT-LIGODIERE, LECAPELAIN et SOUMAIN, juges audit tribunal criminel ; vu le jugement par nous rendu ce jourd'hui sur l'acte d'accusation dont la teneur suit :
JOSEPH-BERTRAND GREUILLE, accusateur public près le tribunal criminel du département de l'Indre ;
En vertu de l'article 598 du code des délits et des peines, et de l'article 7 de la loi du 30 prairial, au troisième, rappelée dans celle du premier vendémiaire dernier.
Expose que, dans les premiers jours du mois de ventôse, an IV, des hommes chargés de préparer les esprits à la révolte contre le gouvernement républicain, s'étant permis, dans quelques communes du ci-devant distric de Châtillon, département de l'Indre, de désarmer nuitamment les citoyens paisibles, d'abattre ou mutiler les arbres de la liberté, et d'enlever, de vive force, des édifices publiques, les piques, que la prévoyance de l'administration centrale y avait fait déposer, l'accusateur public, s'empressa de dénoncer au directeur du jury de l'arrondissement de Châteauroux, ces différens attentats à la sûreté individuelle des citoyens, en lui prescrivant d'en poursuivre les criminels auteurs avec une juste et nécessaire sévérité ; que par suite de cette dénonciation, et par le zèle actif de ce magistrat, plusieurs prévenus avaient été arrêtés, interrogés, et retenus sous mandats d'arrêt, lorsque la révolte embrassa tout-à-coup la presque totalité du ci-devant district de Châtillon, en prenant, d'ailleurs, tous les caractères de la guerre intestine et malheureuse qui a dévoré dans la Vendée, pendant de trop longues années, une multitude de républicains ; alors le directeur du jury crut devoir se désaisir de la connaissance de cette affaire, et la renvoyer devant le tribunal criminel par ordonnance du 8 germinal dernier, motivée sur les dispositions des articles 598 du code des délits et des peines, et 7 de la loi du 30 prairial, an IIIe ; en conséquence de cette ordonnance et des dispositions des lois précitées, l'accusateur public a, par autre ordonnance du même jour 8 germinal, converti en mandats d'amener par devant lui, non seulement tous les mandats de ce genre, mais encore les mandats d'arrêt décernés, soit par le directeur du jury, soit par les officiers de police judiciaires de différents cantons, contre plusieurs prévenus d'avoir pris une part active à la rébellion dont il s'agit ; il a entendu une foule de témoins, recueilli de diverses autorités constituées d'utiles renseignemens, lancé plusieurs mandats d'amener, interrogé cent-soixante-dix prévenus ; enfin il a retenu sous mandats d'arrêt, pour être présentés au jury de jugement cinquante-trois individus dont voici les noms :
Amable Nicolas Audouin, président de l'administration municipale de Palluau, y demeurant.
Anne Audouin sa fille, au même lieu.
Gabriel Avrillon, charpentier à Preaux.
Cyr Blanchet, propriétaire, commune de Noyers, au département de Loir-et-Cher.
Gilles Berthin, demeurant à Palluau.
Louis Bonnami dit Crèvebouchure, garde champêtre en la commune de Clion.
Choller la Salle, demeurant au village de Vineuil, commune de Montou, département de Loir-et-Cher.
Choller cadet, connu sous le nom de chevalier de la Joubardière, demeurant commune de St-Georges, même département.
Chollet-Rancay, demeurant à Villantrois.
Delphine Cholet, demeurant à Palluau
Marthe Chollet, demeurant à Palluau.
Silvain Cassault, laboureur, demeurant au domaine de Mont-Bois, commune de Villiers.
François Cassault, demeurant à la Marchandière, commune de Saulnay.
Cassin fils, demeurant à Pont-Levoi, département de Loire-et-Cher.
Jean Coulon, fendeur, demeurant commune de Mézières.
Simon Cronc, blâtier à Palluau.
François Cloué, agent de la commune de Géez.
Adrien Dupain, dit Fauconnet, ci-devant clerc tonsuré, natif de Paris.
Marie-Anne de Lannai, veuve Sorbier, demeurante à la Marchandière, commune de Saulnai.
Jacque Darnaud, cultivateur à Ecueillé.
Estevannes dit Legrand-Secherin, ci-devant curé insermenté de la commune de St-Martin, près Loches.
Floret, prêtre missionnaire, originaire du département du Cantal, retiré depuis trois ans dans le canton de Palluau.
Charles Guerry, secrétaire de la municipalité de Palluau et régisseur de Chollet-la-Salle, propriétaire de la Joubardière.
François-Lubin Guerry fils, déserteur des troupes de la République, demeurant à Palluau, chez son père.
Georges-Hippolyte Guerry, audit lieu de Palluau.
Augustin-Louis Giraudon, ministre du culte catholique, demeurant commune de Valençay.
Jacques Gangri, sabotier à Géez.
Gabriel Gérard, demeurant au Rabry, commune d'Heugnes.
Le nommé Gaultier, ci-devant salpêtrier à Mezières.
Cécile Gaugault, femme de Jacques Darnaud, demeurante à Ecueillé.
Alexandre-Hubert Puigirault, chirurgien à Vic-sur-Nahon.
Heraudet, prêtre insermenté, retiré à Palluau depuis la loi de la déportation.
Pierre-Augustin Legrand, propriétaire demeurant à Vallancay.
Louis Legrand ... idem
Pierre Lecomte, Journalier à Palluau.
La Neul'ville fils, demeurant à Genillé, département d'Indre-et-Loir.
Pierre-Louis Leroy, notaire public et assesseur du juge de paix à Montrichard, département de Loir-et-Cher.
Louis Maillet, ci-devant agent de la commune de Préaux.
Edmond Menou, propriétaire, commune de Pellevoisin.
Charles Moreau, journalier au Rabry, commune d'Heugnes.
Pierre Marolles, propriétaire dudit lieu du Rabry.
André Massé, charpentier à Palluau.
Charles-Joseph Penigault, curé de Géez.
Renaud père, meunier à Palluau.
Renaud frère du père ... idem
Renaud fils ... idem.
Gabriel Royer, garde ... idem.
Louis Rabier, président de l'administration municipale du canton de Jeu.
Silvain Souverain, laboureur, demeurant à Fraigne, commune de Saulnai.
Joseph Seintier, bûcheur à Préaux.
Joseph Ternier, journalier ... idem.
Vassaut, ci-devant agent de la commune de Vicq-sur-Nahon.
Et Madelaine-Adélaïde Vesdi, épouse de Pierre Pocquet, demeurante aux Fournaux, commune de St-Marc.
L'accusateur public déclare en conséquence, qu'il résulte des déclarations des témoins, des interrogatoires des prévenus, et de plusieurs procès-verbaux dressés par différentes autorités constituées, lesquels procès-verbaux demeurent au besoin annexés au présent acte.
Que dès le mois de nivôse dernier, des prêtres insermentés, la plupart étrangers au département de l'Indre, où ils semblaient n'être venus se réfugier que pour se soustraire à la loi de la déportation, ont abusé de la confiance qu'ils avaient su inspirer aux gens de la campagne, et particulièrement aux habitans du canton de Palluau, pour les porter ouvertement au mépris du gouvernement républicain, et à la désobéissance aux loix ; ces missionnaires de contre-révolution, en annonçant un zèle outré pour le rétablissement du culte catholique, étaient parvenus à persuader aux paysans, que l'intention des législateurs était de l'anéantir ; et à l'aide de cette imposture, formellement démentie par la charte constitutionnelle, ils faisaient tout à la fois germer dans les coeurs le fanatisme, l'amour de la royauté, et la haine de la république ; ils savaient aussi en affectant une hypocrite sensibilité, verser des larmes sur le sort des jeunes gens, que les besoins de la patrie enlevaient à leurs habitudes domestiques pour les réunir aux frontières sous les drapeaux de la victoire, et par ce moyen, ils caressaient, tout à la fois, et la tendresse des pères, et la faiblesse de leurs trop timides enfans.
Le prêtre insermenté Floret était le plus astucieux, et le plus dangereux de ces hommes indignes de se dire les ministres d'un Dieu de paix et de bonté ; il joignait aux agrémens de la figure une voix douce et pénétrante, dont les perfides accens allaient dans ses sermons émouvoir le coeur d'une foule d'auditeurs ignorans, qui suivaient aveuglément l'impulsion qu'il voulait leur donner ; jamais il ne se montra le partisan de la république, mais il affecta dans le principe d'en respecter les loix, et ce n'a été qu'après une conversation qu'il a eue avec Chollet la Salle, lors d'un voyage que fit ce dernier à Palluau au commencement de pluviôse, qu'on l'entendit prêcher ouvertement le royalisme, et propager l'esprit de révolte et de sédition.
Ce Chollet-la-Salle, qui lors de l'exécrable tyrannie qui ensanglanta la France, avait eu soin de cacher tout à la fois, et sa peur, et sa haine pour la révolution, sous les couleurs d'un patriotisme exagéré, entretenait depuis quelque temps des liaisons avec un nommé Auguste Leveneur, se disant aide-de-camp de Condé et gouverneur pour le roi des provinces de Touraine et de Berry : celui-ci après avoir embauché à Tours à l'auberge de la Pomme d'or, Adrien Dupain dit Fauconnet, fils d'un épicier de Paris, ci-devant tonsuré, et depuis capitaine au service des chouans sous les ordres de Scépeaux dont il avait déserté les étendards, l'adressa à Chollet la Salle à sa maison de campagne près Montrichard, dans les premiers jours de ventôse dernier, en le lui désignant comme un homme audacieux, et propre à mettre à profit dans le département de l'Indre, les dispositions contre-révolutionnaires des habitans de Palluau. Dupain fut accueilli chez Chollet comme un brave champion du royalisme, comme un français appellé par l'honneur à rétablir dans le Berry le trône des Bourbons, et l'autorité du pape ; il le produisit le lendemain sous ce titre imposant aux initiés Leroi et Casin, avec lesquels Chollet s'entretint complaisamment de la révolte projettée dans le département de l'Indre, et de l'espoir qu'il avait de la voir couronnée du plus brillant succès.
Dans cette idée, Chollet-la-Salle conduit Dupain à son château de la Joubardière dans le canton de Palluau ; il l'y annonce comme étant un des parens de sa femme ; et son premier soin à son arrivée, est d'envoyer chercher le prêtre Floret, avec lequel il confère pour s'assurer de plus en plus de l'esprit des habitants de la campagne, et pour lui recommander de les maintenir dans leurs dispositions inciviques. Cette conversation eut lieu en présence de Dupain et de Legrand l'aîné, que le hasard ou la réflexion avait conduit à la Joubardière, mais dont à tout évènement, les intentions et les principes étaient sans doute déjà connus de Chollet, puisqu'il ne lui cacha, ni ses projets, ni ses espérances : Dupain et lui, ne furent pas plus discrets vis-à-vis de Renaud, l'un des meuniers de Palluau, de Charles Guerri et Lubin Guerri son fils ; ils soupent tous ensemble, et Chollet et Dupain ne leur dissimulent pas qu'ils sont venus exprès pour organiser dans le pays une révolte, à l'aide des jeunes gens de la première réquisition ; mais il veulent attendre un moment encore plus favorable pour la faire éclater ; en conséquence le surlendemain de leur arrivée, Chollet et son prétendu parent partent de la Joubardière. Dupain annonce, qu'il y reviendra sous peu, et Chollet recommande à Charles Guerri son homme d'affaires, de le bien recevoir à son retour, et de lui fournir tout ce dont il pourrait avoir besoin.
Cependant la présence momentanée de Dupain et de Chollet avait éveillé dans le canton l'audace des mécontens et des ennemis de la révolution, qui y étaient en grand nombre ; ils conçurent alors plus que jamais, l'espérance trompeuse d'un changement dans l'ordre politique, et par leurs soins empressés, par leurs démarches actives, des jeunes gens de la première réquisition accourent de toutes parts à Palluau qu'on leur avait indiqué comme le centre de la contre-révolution, et le rendez-vous des vrais amis du roi et de la religion ; et ils y sont nourris et logés par les meuniers Renaud, agents très prononcés de la révolte projettée !
... à suivre ...