LES PERSÉCUTEURS : LES PHILOSOPHES
LES PERSÉCUTEURS :
LES PHILOSOPHES
"La Révolution, quand on la dégage des causes secondaires et des circonstances locales, apparaît comme un immense complot qui, jusqu'à présent, a réussi, non point par une fatalité historique ou par une cause supérieure aux responsabilités humaines, mais par l'audace des conspirateurs, et surtout par la défaillance, par l'aveuglement volontaire de ceux qui, au lieu de combattre, ont systématiquement fermé l'oreille aux avertissements du Pilote infaillible donné par Dieu à l'humanité" (Claudio Jannet)
Les premiers conspirateurs furent les sophistes du dix-huitième siècle, notamment Voltaire, Diderot et d'Alembert, qui formèrent le projet audacieux d'écraser Jésus-Christ et son Église. Dans cette unique intention, ils déployèrent, pendant toute leur longue existence, les plus persévérants efforts : la vieillesse ne ralentit jamais leur énergie. Pour dissimuler le véritable but de leur propagande, ils adoptèrent le nom de Philosophes, qui devait, mieux que le nom exact d'athées, faciliter le recrutement des adeptes.
Les promoteurs du complot s'attachèrent tout d'abord à propager leurs idées, en publiant un livre qui devait trouver sa place dans toutes les bibliothèques : ce fut l'origine de l'Encyclopédie. ils eurent soin de prendre pour collaborateurs des prêtres apostats, chargés d'attaquer la Religion du Christ avec tous les ménagements exigés par l'esprit public. Au nombre de ces collaborateurs, il faut citer l'abbé de Prades, Morellet, Condillac, Raynal, que les Jésuites avaient chassé de leur Société, etc., etc. Tous affichaient le nom de Dieu comme une attrayante étiquette ; ils savaient que leur athéisme dévoilé aurait éloigné les adhérents.
Les Philosophes cherchèrent ensuite des complices auprès du Trône ; ils gagnèrent facilement le duc de Choiseul, ministre de la guerre, et son cousin le duc de Praslin, ministre des relations extérieures : avec l'appui des ducs, ils arrivèrent jusqu'à la marquise de Pompadour. Grâce à ces puissantes relations, Voltaire, Diderot et d'Alembert réalisèrent la seconde partie de leur programme et firent expulser les Jésuites, qu'ils regardaient comme les plus fermes soutiens de l'Église (1762).
Ce grand succès ne devait pas assouvir leur haine du Christ : ils voulaient faire dissoudre toutes les congrégations religieuses : pour obtenir ce troisième résultat, ils avaient besoin de trouver un collaborateur dans l'épiscopat : Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse, séduit par d'Alembert, consentit à mettre son expérience et l'autorité de son titre à la disposition des Philosophes : il fut fidèle à sa promesse.
Sous prétexte que de nombreux abus s'étaient introduits dans l'organisation du Clergé régulier de France, les Conspirateurs firent créer par Louis XV une Commission des maisons religieuses, chargée d'étudier et de proposer les réformes nécessaires à l'amélioration du régime monastique ; Brienne fut nommé membre de cette Commission. La situation considérable qu'il occupait dans l'Église lui donna bientôt une influence prépondérante sur ses collègues : dès lors, il fit seul l'oeuvre de tous, apportant sa haine d'apostat dans l'accomplissement du mandat qu'il usurpait.
Loménie de Brienne fit signer un premier décret, en vertu duquel l'âge de la profession était sensiblement retardé, de manière à ralentir le recrutement des moines. Lorsque cette réforme eut produit son effet inévitable, Brienne obtint un second décret, par lequel devaient être fermés tous les monastères où se trouvaient réunis moint de vingt religieux pour les villes et moins de dix pour les campagnes.
Les conspirateurs réussirent ainsi à faire dissoudre plus de quinze cents communautés, parmi lesquelles, en Périgord, Les Vayssières de l'ordre de Grandmont : le Prieuré de Cénac, relevant des Bénédictins de Moissac : Babiot, qui dépendait de Cadouin, etc.
Profitant de l'autorité que lui donnait son rôle prépondérant dans la commission des maisons religieuses, Brienne n'hésita pas à s'immiscer dans les élections importantes de toutes les abbayes ; il se plaisait à provoquer les réclamations des jeunes moines contre les règles traditionnelles, semant ainsi des ferments de discorde, qui produiront leurs tristes résultats, lorsque arrivera la convocation des États généraux.
Cependant le nombre de conspirateurs se multipliait, et la propagande des Philosophes se développait sur l'Europe entière, notamment en Prusse, Autriche, Suède, Russie, etc.
Depuis le règne de Louis XIV, la littérature française avait largement pénétré dans tous les pays civilisés. Les promoteurs du complot surent profiter de cette circonstance pour répandre dans tous les royaumes leurs théories antireligieuses. Ils composèrent et firent composer une foule de livres et de brochures, qu'ils mirent en vente à des prix dérisoires et qu'ils envoyèrent jusque dans les petites paroisses de France.
Afin de donner plus de crédit à leurs publications impies, ils firent recevoir comme membres de l'Académie Française la plupart de leurs collaborateurs habituels, tels que : l'abbé Millot, Suard, Chamfort, Guillard, Renou et Loménie de Brienne lui-même, au sujet de qui Voltaire écrivait à d'Alembert : "On dit que vous nous donnez pour confrère l'archevêque de Toulouse, qui passe pour une bête de votre façon, très bien disciplinée par vous".
Parallèlement à la secte des Philosophes voltairiens, se développait en ce moment, dans l'Europe entière, la secte des Économistes qui avait trouvé de nombreux adhérents même dans les congrégations religieuses. Les Philosophes s'allièrent aux Économistes : à dater de ce jour, les conspirateurs jugèrent que rien ne résisterait à leurs plans de transformation générale. Ils remirent au roi Louis XV un projet longuement motivé, tendant à modifier de fond en comble le régime scolaire des paroisses rurales ; aux connaissances élémentaires enseignées dans les écoles primaires : catéchisme, histoire, géographie, calcul, ils voulaient faire ajouter l'enseignement pratique de l'agriculture, des arts et des métiers ; ils voulaient surtout, en faisant accepter cette réforme, obtenir du Roi la mission de diriger l'enseignement primaire, confié jusqu'alors au clergé paroissial : ils auraient pu, de la sorte, propager librement leurs théories antireligieuses et sociales. - Louis XV eut plusieurs fois le bon sens d'échapper à la pernicieuse influence de son entourage et de suivre la généreuse impulsion de son coeur. Il avait en ce moment auprès de lui, comme administrateur de sa cassette, un noble périgourdin, Henri de Bertin, qu'il honorait de toute sa confiance.
Le Roi chargea secrètement Bertin d'examiner la proposition des Philosophes et de lui soumettre après étude approfondie, des conclusions conformes aux véritables intérêts du peuple.
Le consciencieux ministre a rédigé, sur cette intéressante question, un long mémoire où l'on trouve les passages suivants :
"... Il y avait longtemps que j'observais les diverses sectes de nos Philosophes : quoique j'eusse bien des reproches à me faire sur la pratique des devoirs religieux, j'avais au moins conservé les principes de la religion ; je ne doutais pas des efforts que faisaient les Philosophes pour la détruire. Je sentis que leur objet était d'avoir eux-mêmes la direction de ces écoles, de s'emparer par là de l'éducation du peuple, sous prétexte que les évêques et les prêtres, chargés jusqu'alors de l'inspection des maîtres, ne pourraient pas entrer dans des détails peu faits pour des ecclésiastiques. Je conçus qu'il s'agissait bien moins de donner aux enfants du laboureur et de l'artisan des leçons d'agriculture, que de les empêcher de recevoir les leçons habituelles de leur catéchisme et de la religion.
Je n'hésitai pas à déclarer au Roi que les intentions des Philosophes étaient bien différentes des siennes. Je connais ces conspirateurs, lui dis-je : gardez-vous, Sire, de les seconder. Votre royaume ne manque pas d'écoles gratuites ou presque gratuites ; il en est dans les plus petits bourgs et presque dans tous les hameaux.
Résolu à donner au Roi une preuve certaine qu'on le trompait, je cherchai à gagner la confiance des marchands forains qui courent les campagnes et vont étalant leurs marchandises dans les villages et aux portes des châteaux. Je soupçonnais surtout ceux qui vendent des livres de n'être que les agents du philosophisme auprès de ce bon peuple. Dans mes voyages à la campagne, je m'attachai surtout à ces derniers. Lorsqu'ils m'offraient des livres à acheter, je leur disais : Quels livres pouvez-vous donc avoir ? Des catéchismes, sans doute, ou des livres de prières ? On n'en lit pas d'autres dans les villages.
A ces mots, j'en vis plusieurs sourire : Non, me répondirent-ils : ce ne sont guère là nos livres : nous faisons bien mieux notre fortune avec ceux de Voltaire, Diderot et autres philosophes.
Je reprenais : Comment ! Des paysans achètent Voltaire et Diderot !!! Mais, où prennent-ils donc de l'argent pour des livres si chers ?
La réponse à cette question fut constamment : Nous en avons à meilleur compte que les livres de prières : nous pouvons donner le volume à dix sous, et nous y gagnons encore joliment.
Sur de nouvelles questions, plusieurs m'avouèrent que ces livres ne leur coûtaient rien ..."
Il est évident que Paris et Versailles devaient, encore mieux que la province, ressentir l'effet de cette propagande incessante. Les princes, les plus nobles seigneurs, les riches bourgeois se laissèrent gagner par les théories athées des philosophes et prirent rang parmi les conspirateurs. Philippe d'Orléans, Crillon, les Princes de Sahn et de Ligne ; les ducs d'Uzès, de Choiseul, de La Rochefoucauld et de Praslin, Malesherbes, Lamoignon, Maurepas, etc .. etc .. entrèrent dans le complot tramé par Voltaire contre le Christ. Les uns, comme Philippe d'Orléans, devinrent conspirateurs par haine du roi : les autres, comme Malesherbes, par ambition. Mais tous, dès qu'ils furent pris dans l'engrenage obéirent aveuglément aux chefs, jusqu'à ce que, devant l'effondrement complet de la France, quelques-uns aient enfin compris l'énormité de leur faute et vainement essayé de la réparer.
Le premier des conspirateurs avait adopté, comme devise, dans sa correspondance avec ses plus fidèles adhérents, ces lettres : "Ec. l'Inf.!", qui voulaient dire : Écrasons l'Infâme ! L'Infâme, c'était Jésus-Christ.
Les progrès du complot devenaient chaque jour de plus en plus redoutables. Lorsque Louis XVI fut monté sur le trône (1774), Voltaire, sans s'écarter de la vérité, put écrire à Frédéric II, roi de Prusse : "Je ne sais si notre jeune roi marchera sur vos traces, mais je sais qu'il a pris pour ses ministres des philosophes, à un seul près, qui a le malheur d'être dévot. Il y a surtout M. Turgot qui serait digne de parler à Notre Majesté. Les prêtres sont au désespoir. Voilà le commencement d'une révolution". (Correspondance de Voltaire : Lettre du 3 août 1775)
L'unique dévot, c'était le maréchal de Muy, qui mourut l'année suivante. Il fut remplacé par Maurepas, et dès lors, les divers ministères du roi Louis XVI furent composés de conspirateurs : c'est à peine si l'on y trouve, de loin en loin, quelque rare ministre, tel que Vergennes ou Saint-Germain, pris en dehors des Philosophes.
Extrait du livre : Le Clergé Périgourdin pendant la persécution révolutionnaire - de R. DE BOYSSON - 1907