LETTRE DES PRETRES ♣ Détenus à bord d'un navire Hollandais dans le port de Nantes

LETTRE DES PRETRES

Détenus à bord d'un navire Hollandais dans le port de Nantes

aux Membres composant le comité révolutionnaire

de la ville de Nantes (3 germinal an 2)

Citoyens,

Il est mort ce matin un des 76 prêtres des départements de la Nièvre et de Maine-et-Loire, détenus vis-à-vis le poste, dans un bâtiment hollandais. C'est le quatrième qui succombe en six jours. Successivement tous succomberont aux mêmes accidents : si l'humanité réclame pour eux la visite et les secours prompts d'un officier de santé, l'intérêt public de cette ville ne l'exige pas moins, à raison de la contagion pestilentielle qu'occasionnerait indubitablement le plus long séjour de ces malheureux dans le navire.

Le tableau de leur situation fait frissonner ; plus de vingt malades ou moribonds, poussent des cris affreux pendant la nuit, gisent dans la fange, parce qu'on ne peut les soulever, ni les changer, n'ayant d'autre lit que les planches, couverts de plaies gangrenées, respirant un air méphitique et infect, glacés par le froid de la nuit, couverts de vermine pour la plupart, manquant de linge, suffoqués dans une habitation hermétiquement fermée aussitôt qu'il ne fait plus jour ; ne pouvant se livrer au sommeil sans cesse interrompu par les cris plaintifs et aigus de tant de malades ; telle est leur position. Il est impossible qu'instruits de leurs maux, qu'on ne peut qu'esquisser, vous ne vous intéressiez à leur prompte translation dans une maison de réclusion, et que provisoirement vous ne leur envoyiez l'officier de santé qui constatera ce qu'on vous représente, et qui donnera les secours de son art aux malades et infirmes menacés d'une mort prochaine. L'épidémie qui s'ensuivrait entraînerait nécessairement les plus robustes. Tous déjà souffrent, tous sont dans la langueur ; les plus jeunes n'en sont pas exempts, et si le pain tant réclamé n'eût été apporté ce matin, le nombre de morts eut augmenté sensiblement. Ils espèrent que dans la suite la distribution en sera régulière. Ne sachant à quelle autorité ils doivent s'adresser, ne pouvant agir par eux-mêmes, ils remettent leur cause entre vos mains. Citoyens, vous seuls pouvez leur obtenir la visite prompte de l'officier de santé et la translation de tous en un lieu plus salubre. ils se reposent sur votre sensibilité et votre humanité ; leur reconnaissance sera sans bornes.

Salut et fraternité

Les 72 détenus vis-à-vis la Sècherie. Le 1er germinal an 2 de la république une et indivisible.

Au dos est écrit : Renvoyé par le comité à la municipalité, pour y faire droit.

Le 3 germinal an 2

GRANDMAISON, secrétaire.

Quel tableau ! il n'y a rien à y ajouter. La mairie fit droit à cette réclamation, et ordonna de suite la translation de ces malheureux dans la maison des Irlandais.

(Archives curieuses de la ville de Nantes et des départements ...)