UNE VICTIME DE LA TERREUR ♣ Jeanne Charlotte Louise Charonneau de la Noue
UNE VICTIME DE LA TERREUR
Acte de notoriété publique de la mort de Jeanne Charlotte Louise Charonneau de la Noue, épouse de M. Julien du Bois de la Véronnière, massacrée dans les premiers jours de l'an deux à Blain, Loire-Inférieure, par les canonniers républicains de l'artillerie légère, en présence de ses enfants et de leur gouvernante.
Par devant les notaires, publics, à Fontenay le peuple soussigné.
Furent présents le citoyen Louis Millouain fils employé aux vivres ôta de l'armée de l'Ouest demeurant en cette commune de Fontenay.
Le citoyen Louis Dueret, sous-lieutenant de la compagnie des carabiniers du premier bataillon de chasseurs de Saône-et-Loire.
Le citoyen Sain Cire, quartier-maître du bataillon.
Et le citoyen Antoine Cortay, caporal de la septième compagnie à ce même bataillon de chasseurs de Saône-et-Loire, en cantonnement en cette ditte commune de Fontenay.
Lesquels ont attestés et certifié ; savoir : le dit citoyen Millouain, que dans les premiers jours de nivôse, de l'an deux ; il était avec l'armée, dans la commune de Belain, département de la Loire-Inférieure.
Ayant été averti, par le citoyen Chevallier de Luçon aussi employé dans les vivres qu'on allait fusiller une femme de son pays, dans une auberge près de l'église, il s'y transporta de suite, et y étant arrivé, il demanda à cette femme qui elle était ; elle lui dit qu'elle était la femme du citoyen Dubois domiciliée à Vouvant, qu'elle avait avec elle deux enfants ; un petit garçon, une petite fille avec une gouvernante, qu'à l'instant où il lui eut parlé, des canonniers de l'artillerie légère la fouillèrent, lui prirent deux montres, de l'argent et d'autres effets ; et l'a tuèrent ensuite à coups de sabres, qu'étant de retour en cette commune de Fontenay et ayant annoncé cet évènement à différents citoyens, le citoyen Dubois qui en eut connaissance, lui écrivit pour savoir si les faits étaient vrais. Le remontrant qui se trouva malade alors lui fit faire réponse par le citoyen Cahors, alors commis chez son père, et sur cette réponse, le citoyen Dubois, vint trouver le comparant qui lui rendit compte de ce qu'il vient de dire, que d'après cette entrevue, le citoyen Dubois étant allé chercher ses enfants et les ayant amenés en cette commune, le remontrant est allé le voir, et les a parfaitement reconnus pour être les mêmes que ceux qu'il avait vus avec la femme Dubois et la gouvernante de Blain.
Le dit citoyen Ducret qui était aussi dans les premiers jours de nivôse à Blain, département de la Loire-Inférieure avec l'armée, en arrivant à son logement un citoyen lui dit que s'il voulait voir une jolie femme il n'avait qu'à aller à l'auberge en face de l'église ; à l'instant il s'y transporta et en y entrant il vit des canonniers de l'artillerie légère qui sortaient de la maison une femme qu'ils avaient tué, l'un deux lui remit un morceau de papier, pris dans les poches de cette femme qui se trouva un testament à elle fait par le citoyen Dubois,son mari, le 18 juin 1790 lequel il a depuis remis au citoyen Dubois, s'étant approché du feu il y trouva une gouvernante, et deux petits enfants, dont un garçon âgé de sept à huit ans et une fille de six à sept ans, que la gouvernante lui déclara qu'elle était à la suite de la femme qu'on venait de tuer, et que cette femme s'appelait Jeanne Charlotte Louise Charonneau épouse du citoyen Dubois, de la commune de Vouvent département de la Vendée et que les deux petits enfants qui étaient avec elle, étaient les enfants de cette femme et du dit citoyen Dubois, qu'ayant entendu les enfants dire à la gouvernante "qui sera donc notre maman à présent, ce sera donc toi, Rose" ? Qu'attendri par ces paroles il se rendit à son logement pour demander à son hôte de les recevoir chez lui, ce qu'il lui accorda, en conséquence, il retourna les chercher et les emmena tous trois dans son logement où ils soupèrent avec lui et les citoyens Sain Cire, Cortay, Pierché, ayant fait différentes questions aux uns et aux autres, la servante répéta que les enfants appartenaient au citoyen Dubois, habitants Vouvant, et que la femme que les canonniers avaient tuée était leur mère.
Que voulant les soustraire de la mort, ou leur éviter tous autres inconvénients qu'ils auraient pu éprouver, il leur fit le lendemain un certificat pour se rendre chez eux, qu'environ deux jours après, il les rencontra de nouveau, dans un village près de Nort, et qu'il leur fit donner un pain de munition et de l'eau-de-vie, et que enfin, le citoyen Dubois ayant fait venir ses enfants en cette commune, il est allé les voir et a reconnu que ce sont les mêmes qu'il a ci-dessu parlé.
Le dit citoyen quand Saint Cire arrivant à son logement au dit Belani qui était celui du citoyen Ducret, celui-ci lui dit : Je viens de voir une belle femme que les canonniers ont tuée dans l'auberge après l'église, si je fus arrivé plus tôt j'aurai pu lui sauver la vie ; et il ajouta en surplus de ce qu'il vient de déclarer ; qu'il a également vu les enfants et la servante dans leur logement et soupé avec eux, et leur avoir entendu dire que leur maman avait été tuée et qu'enfin il est allé voir ces enfants chez le citoyen Dubois en cette commune, et qu'il les a reconnus pour être les mêmes que ceux avec qui il a soupé.
Le dit citoyen Cortay : qu'il a également vu la gouvernante et les enfants dont on a parlé ci-dessus dans son logement qui était celui du citoyen Ducret, qu'il a soupé avec eux, et leur a entendu dire que leur maman avait été tuée, et que le lendemain, suivant la colonne, il vit cette femme morte à la porte de l'auberge, qu'elle avait été tuée, qu'enfin il est allé chez le citoyen Dubois en cette commune voir les enfants, et il les a reconnus pour être les mêmes que ceux qu'il avait vus à son logement et avec lesquels il a soupé.
Déclare au surplus avoir entendu dire à la gouvernante des enfants que la femme dont il vient d'être parlé était l'épouse du citoyen Dubois domicilié à Vouvant, et que le citoyen Ducret lui a fait voir ainsi qu'à plusieurs autres personnes un morceau de papier pris dans sa poche par les canonniers de l'artillerie légère qui était un testament à elle fait par le citoyen Dubois son mari.
Desquelles déclarations que les comparants affirment sincères et véritables ils ont requis acte, que nous notaires leurs avons octroyé pour valloir et servir ce que de raison.
A ces présentes est intervenu le citoyen Claude Sarret, commandant du 1er bataillon de chasseurs de Saône-et-Loire, lequel a attesté que les citoyens Ducret, Sain Cire et Cortay sont : le premier sous-lieutenant ; le second quartier maître ; et le troisième caporal au dit bataillon, et qu'ils étaient avec le dit bataillon et le surplus de l'armée à Blain à l'époque qu'ils ont déclarés.
Fais et passé au dit Fontenay en études, l'an trois de la République Française une et indivisible et le sept ventôse après-midi ; lu aux comparants qui ont signé ; excepté le dit citoyen Cortay qui a déclaré ne le savoir de ce requis.
La minute des présentes demeurée à Vinet, l'un des Notaires sous-signé est signée : Sarret chef de bataillon, Ducret sous-lieutenant, Sain Cire quartier maître ; et Millouain fils, des dits Notaires ; et a été enregistrée au dit Fontenay le huit ventôse an troisième par Palierne qui a reçu vingt sous, approuvé le mot Palierne chargé d'encre, et rejeté trois mots rayés comme nuls.
FILLON LE JEUNE VINET.
Jeanne-Charlotte-Louise Charonneau de la Noue avait été séparée de Julien du Bois de la Véronnière, son mari, par les évènements de la guerre civile, et comme tant d'autres avait suivi l'armée vendéenne avec ses enfants, et passé la Loire.
Nous venons de voir quel sort lui fut réservé : le coeur se brise devant ces deux orphelins témoins du massacre de leur mère.
La pauvre Rose, à laquelle en pleurant ils demandaient de la remplacer, mourut quelques jours après, les laissant seuls, et quand Monsieur de la Véronnière vint les chercher, c'est dans un toit à porc qu'il les retrouva, n'ayant d'autre nourriture que celle de leurs immondes compagnons.
La charité qui les avait recueillis, ne s'était pas étendue au delà de cette hospitalité qui paralysait la Terreur.
Je dois à l'obligeance de Madame la marquise de Cintré, petite-fille de la victime, la communication de cette page sanglante des papiers de famille de ma mère.
Les du Bois étaient originaires de Fontenay.
La seconde femme de Savary de Mauléon, seigneur de Fontenay, était Amabilis du Bois, également de Fontenay, il en eut un fils héritier d'une partie de ses grands domaines du Bas-Poitou.
Le nom de cette famille, éteinte, aujourd'hui, se trouve mêlé aux évènements de sa ville natale depuis le moyen âge jusqu'au XVIe siècle, époque où elle fut anoblie. Sa maintenue de noblesse lui donne pour armes : D'or à trois fusées de sable posées en devise.
GABRIEL DE FONTAINES