LA CHASSE DES MORTS
Voici que la nuit vient étendre ses ténèbres,
La lune au long des bois met sa lueur d'argent,
Et l'immobile attente, aux inconnus funèbres,
Plane sur la forêt, dans un calme effrayant.
Fuyez, fuyez, la nuit maudite est arrivée,
Dans chaque sentier, pâle, une ombre s'est levée,
Elle glisse lugubre au rendez-vous des morts.
Mais voilà qu'au lointain sonnent d'étranges cors,
Malheur à l'homme errant qui dans les bois s'attarde,
Les ombres pâles vont le voir, que Dieu le garde !
Quel qu'il soit, bûcheron revenant harassé,
Ou berger ramenant son long troupeau pressé,
C'est un homme qu'il faut à ces ombres pour proie.
Elles vont, cette nuit, chasser, hurlant de joie,
Le malheureux qui fuit dans les grands bois perdu.
A l'aventure, il court, suppliant, éperdu
Sur les sommets boisés, que la lune livide
Plaque d'espaces blancs, tristes comme le vide,
Par les sombres fourrés, où le sentier se perd,
Dans les ravins profonds, noirs comme trous d'enfer ;
Le sang aux yeux, râlant, les oreilles tintantes,
Il fuit en criant grâce aux ombres ricanantes.
De longs doigts froids, osseux, montent au long de lui ;
La mort, l'atroce mort, c'est la mort qui le suit !
Il rampe maintenant dans la vaste clairière,
Et se traîne épuisé, pitoyable, rompu :
Agonisant, hideux, dans un spasme tordu,
Il tombe étreint enfin par l'angoisse dernière.
A vous, la curée, à vous, fantômes des morts !
Alors du fond des bois, clament, pleurent et râlent,
Hurlent éperdument toutes les ombres pâles ;
Dans l'horreur de la nuit, plus fort sonnent les cors,
Ils sonnent l'hallali ; la farouche harmonie
Va d'échos en échos annoncer l'agonie.
Mais le jour a paru ; tandis qu'à l'horizon
Se lève dans la brume un incertain rayon,
Qu'au loin paraît l'aube indécise et sanglante,
Les fantômes des morts emportent, en hurlant,
L'âme du pourchassé, pauvre âme gémissante,
Par delà les forêts, vers l'aurore de sang.
Henri DACREMONT
Revue d'Ardenne et d'Argonne