LES CACHES SOUTERRAINES DES CHOUANS DANS LES DEUX-SEVRES (1832)
Plusieurs souterrains refuges pratiqués par les réfractaires sont longuement mentionnés en diverses pièces judiciaires relatives à la Chouannerie de 1832, déposées à la bibliothèque de Niort, passées sous mes yeux, il y a longtemps déjà. J'ai pensé, en un moment où l'on me demande un article pour l'un des prochains Bulletins que la description de ces caches pourrait offrir un certain intérêt. ...
L'idée m'étant venue de faire une recherche aux Archives départementales, j'eus l'heureuse chance de retrouver la description d'une ingénieuse cachette dans une lettre de Rouël, sous-préfet de Parthenay, au préfet des Deux-Sèvres, à la date du 1er octobre 1832 :
Un soldat requis se guinda par le haut de l'arbre, puis il se laissait glisser dans l'intérieur quand un réfractaire lui passa la tête entre les jambes et le fit avec lui remonter au sommet.
Ce Chouan venait annoncer qu'il se rendait avec ses camarades, ils sortirent tous bientôt et sans armes.
On a découvert avec des pioches cette demeure souterraine. Les terres qui en formaient la voûte étaient soutenues par des chevrons et des madriers.
Cette petite division de l'armée de Béchet ne se tenait pas toujours dans cette retraite, il y en avait une autre du même genre dans le voisinage ; elle a été indiquée par les réfractaires, on y a trouvé un mousqueton.
Les Chouans couchaient sur des feuilles de fougère ; une bayonnette qui servait de chandelier, deux cruches, deux vieux plats d'étain et un coin de sabot qui servait de salière étaient tous les ustensiles à leur usage. Les armes qu'on leur a prises sont en bon état, ils avaient une certaine quantité de munitions.
Feu l'abbé B. Drochon, dans La petite Église, Paris 1894, pp. 121-128, reproduit le brouillon d'un Rapport du préfet Dupin à Réal, ministre de la justice du 6 mars 1811, conservé aux Archives des Deux-Sèvres, Police secrète, n° 6377.
Une note du Rapport donne la liste d'environ 14 caches préparées, dit-on, pour recevoir des prêtres insermentés. On y trouve la mention d'un vaste souterrain près de la maison de La Roblinière, paroisse de Brétignolles, dont l'entrée est toujours couverte d'une meule de paille ou de fagots.
Il est bien probable que quelques-unes de ces caches reçurent aussi des réfractaires.
Après la lettre du 1er octobre 1832, les Archives de la Préfecture et le manuscrit de la bibliothèque se taisent sur les caches des insoumis jusqu'en 1834.
1834
Dans la nuit du 2 au 3 février 1834, François-Félix-Auguste André, procureur du roi près le tribunal de 1re instance de Bressuire, informé qu'une bande de Chouans avait des lieux de retraite (sic), dans la commune de Boismé, s'y était transporté avec une escorte prise dans les brigades de Bressuire, des Aubiers, d'Argenton-Château et de Coulonges-Thouarsais, sous le commandement du lieutenant de gendarmerie Etienne et cette battue donnait lieu à la découverte sur les dépendances de la métairie de la Tréboire, commune de Boismé, de trois caches de Vendéens. Deux huttes de paille dans le jardin de Pierre Delion, fermier de la Tréboire, ayant à bon droit paru suspectes, furent soigneusement explorées.
Dans l'une, on trouva sous quelques ustensiles, une petite claie en forme de trappe, donnant accès à un réduit souterrain. Le lieutenant cria de se rendre à ceux qui pouvaient s'y être réfugiés. Personne n'ayant répondu, un gendarme se glissa par l'ouverture et reconnut une cache pouvant contenir cinq à six individus mais absolument vide.
On fut plus heureux dans la seconde loge où, sous un tas de copeaux, se dévoila une véritable trappe en bois s'ouvrant sur un autre refuge analogue au précédent. Le lieutenant ayant renouvelé sa sommation, une voix répondit : Nous sommes quatre prêts à rendre les armes.
La trappe fut alors ouverte et les insoumis se conformant aux ordres reçus, donnèrent sans résistance, en les présentant par la crosse, 4 fusils de chasse à piston et 3 pistolets d'arçon à pierre, puis sortirent un à un et se livrèrent aux gendarmes, se déclarant être les nommés Merlet, Pierre Bonnin, Pierre Brault et Gorias que nous retrouverons aux prochaines assises.
Une exploration du réduit fut très fructueuse. A signaler parmi les objets trouvés dans la crypte ou sur les Chouans, 4 chapelets et une médaille en plomb à l'effigie d'Henri V.
Le fermier Pierre Delion montra même dans un petit champ dépendant de la Tréboire, un 3e refuge semblable aux deux autres mais plein d'eau. L'entrée, cette fois, était cachée par des fagots.
Le 20 du même mois de février 1834, deux détachements l'un de gendarmerie, l'autre du 44e régiment de ligne en garnison à Bressuire, découvraient au village de la Chauvelière, commune de Faye-l'Abbesse, dans la maison et sous le lit de Jacques Bonnin, cultivateur, une cache souterraine pouvant recevoir quatre ou cinq hommes, mais alors envahie par l'eau à la suite de grandes pluies.
Jacques Bonnin déclara que parmi les armes trouvées, tant dans son domicile qu'en un tas de paille derrière sa maison, un fusil à piston seul lui appartenait et que 3 fusils à pierre, un paquet de cartouches, 2 poires à poudre, 2 sacs de plomb, une boîte de capsules, un fourreau de bayonnette, un tournevis, une ceinture de cuir, une carnassière et 2 casquettes telles qu'en portent habituellement les Chouans etc. etc. avaient été laissés par Merlet, Bonnin, Gorias et Braud, venus plusieurs fois chez lui.
Et il faut dire que cette apparente dénonciation ne pouvait avoir rien de compromettant pour ces quatre chouans que Bonnin savait bien être dans la main de la justice depuis la nuit du 2 au 3 février, c'est-à-dire 17 jours avant que sa maison ne fut fouillée.
Là se bornent les renseignements officiels que j'ai pu recueillir sur les refuges de la dernière chouannerie. Il faut dire cependant que le souterrain de la maison de la Chauvelière n'est point un fait isolé et pour ne citer qu'un autre refuge analogue, beaucoup de Gâtineaux de ma connaissance, ont encore pu voir bien longtemps après 1840, la cache que le capitaine Robert s'était creusée dans sa maison de Saint-Pardoux, où il se terrait quand il était suivi de trop près.
Le champ de mes recherches ne dépassant pas les Deux-Sèvres, je n'ai point à décrire le réduit où la duchesse de Berry fut arrêtée à Nantes et dont une taque de cheminée mobile masquait l'entrée, système ingénieux dont on trouve des exemples fort antérieurement.
Il nous paraît aussi que la part qui revient à la chouannerie dans les caches intérieures que des circonstances fortuites font souvent découvrir dans les maisons est fort minime ; ne faut-il pas supposer un temps plus long que celui qui nous sépare de 1832 pour que le souvenir en soit perdu ?
Tous ces refuges ne se présentent toujours pas d'ailleurs sous forme de cryptes faciles à creuser, même en temps de guerre, sous les plus modestes chaumières. On en trouve dans des maisons plus importantes qui semblent de simples précautions contre un avenir toujours incertain, prises dès le temps de leur construction. Celles-ci se dissimulent entre les planchers de deux étages et non plus en terre.
L'élargissement de l'ancienne rue de Genève à Champdeniers, dont le nom est un souvenir du protestantisme révéla une retraite de cette nature dans une maison restée dans la même famille depuis des siècles sans que le souvenir en eût été conservé, et à cette époque mon ami Henri de Neuchaise me montrait une disposition semblable des planchers dans son château patronymique, commune de Saint-Denis, qui remonte au XVe siècle.
En sommes, de tous nos refuges de 1832, celui des environs de l'Absie offre seul une disposition ingénieuse, tous les autres exposent les réfractaires à mourir de faim pour peu qu'on les oublie.
On croit que le village de Bourdigalle, commune de Cours, fut détruit pendant la guerre de cent ans. Presque toutes ses maisons offrent des caches souterraines, mais là elles communiquent à la fois avec l'intérieur de la chaumière et avec l'extérieur par une seconde issue, grand avantage que n'offrent point les refuges des insoumis de 1832.
L.D.
Bulletin de la Société historique
et scientifique des Deux-Sèvres