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La Maraîchine Normande
3 octobre 2012

NUEIL-SOUS-LES-AUBIERS ♣ LA JOURNEE DE LA PEUR EN 1789

 

 

L'émotion populaire qui, dès le mois de juillet 1789, se manifesta dans les diverses provinces de France, a été appelée la Journée de la peur. Bien des revues locales en ont rendu compte, et M. Babaud-Lacroze a fait à la Société Archéologique de la Charente une curieuse communication sur ce qui s'était passé à Confoles à ce sujet.

Je trouve dans un manuscrit de ma collection un compte-rendu de ce qui eut lieu à Nueil-sous-les-Aubiers (Deux-Sèvres), à cette occasion ; c'est le journal de Guillaume Barbarin, natif de Confolens, et prieur de Nueil. Ce journal, très circonstancié, s'étend de la convocation des Etats Généraux à 1797. Barbarin revint à cette époque de Suisse, où il s'était réfugié.

Une observation digne de remarque, dans la narration de G. Barbarin, c'est qu'il considère le mouvement comme le résultat d'un mot d'ordre : on voulait armer la population. Et en effet, quelques semaines après eut lieu l'institution des Gardes nationales.

Ce qui donne encore du poids à cette appréciation c'est que cinq mille hommes, arrivant dans une localité d'un millier d'âmes, y trouvent, après quelques tâtonnements, de quoi subsister largement. L'idée de G. Barbarin paraît donc exacte ; mais d'où venait le mort d'ordre ? A cette question, on ne peut opposer que des conjectures et le narrateur n'y répond point.

Ce récit m'a paru curieux ; je ne l'analyse point, je le cite textellement :

Le jour de la Magdeleine (22 juillet 1789), jour à jamais mémorable pour l'allarme générale qui fut répandue sur toute la surface de la France, et dont le but était d'armer tous les citoyens, je reçu trois lettres venant de Maulévrier, de Somloyre et d'Isernay. Toutes les trois, à peu de choses près, ainsi conçues :

"M. le Prieur, vous êtes averti que vingt cinq mille brigands se sont emparés de Nantes et qu'ils y ont mis tout à feu et à sang. Clisson a subi le même sort, et cette troupe marche sur Chollet pour ensuite se répandre dans la campagne. Sans perdre de temps, faites sonner le tocsin, ramassés tout le plomb et toute la poudre que vous pourrés trouver, armés tous vos gens de fusils, de sabres, d'épées, de faulx et de broches de fer et volés au secours de Chollet pour repousser et combattre les Brigands qui se portent sur cette ville et qui menacent tous les bourgs et villages. Pour mesure de sûreté, vous êtes invités à faire transporter au château de Maulévrier tout ce que vous avez de plus précieux ; le château est sûr et sera bien gardé. J'ai l'honneur d'être, etc.

BIELMON, régisseur à Maulévrier."

Les deux autres lettres étaient la copie de celles qui avaient été adressées à MM. les curés d'Isernay et de Somloyre.

Lorsque les exprès chargés de m'apporter ces lettres arrivèrent à Nueil, j'étais sur le chemin de Châtillon ; on fit partir sur le champ mon domestique ; il me trouva à St-Aubin, chez Mlle de La Rochejaquelein où cette alerte était déjà parvenue, il me remit les lettres et la lecture que j'en fis augmenta la consternation que cette nouvelle y avait déjà répandue ; il m'annonce que le tocsin sonne de toutes parts et que mes paroissiens effrayés, rassemblés dans l'église, m'attendent avec la plus grande impatience pour scavoir à quoi se déterminer. Je retourne sur mes pas, mais quoique bien convaincu que c'était une fausse allarme, je ne pouvais cependant deviner quel en pouvait être le motif. Mon domestique était plus mort que vif et le peu qu'il scavait de cette tragique aventure joint au son lugubre des cloches augmentait sa frayeur et lui faisait craindre les plus sinistres malheurs. A mesure que nous avancions dans le bourg, nous trouvions sur le chemin des femmes et des enfants éplorés et tremblants qui se tapissaient derrière les haies et que le moindre bruit effrayait. Dès qu'ils m'aperçurent, ils se mirent à genoux et, joignant les mains, ils me demandèrent l'absolution tant il craignaient et croyaient mourir dans la journée. Je fis mon possible pour les rassurer, mais inutilement ; je parvins seulement à les ramener. J'arrive enfin chez moi, tout y était dans la confusion, ma cour, ma maison, l'église étaient pleine de femmes et d'enfants saisis de crainte et de frayeur ; leurs cris, leurs gémissements joints au son allarmant de la cloche fit sur moi une impression que je n'avais jamais éprouvée. Je me remis un peu et ma présence les rassura. De là je passai à la porte de l'église où tous les hommes de la paroisse m'attendaient armés de tout ce qu'ils avaient pu trouver chez eux d'armes et d'outils de fer. La consternation était sur toutes les figures. Dès que je parus il se fit un profond silence. Avant de leur porter la parole, je fis cesser le son de la cloche qui portait dans tous les coeurs la frayeur et le trouble et, étant monté sur la banquette du péristyle, je leur parlai ainsi : "Mes amis, il faut l'avouer, tout ce qui se passe est bien surprenant, mais cela ne me paraît pas vraisemblable ; je ne puis croire que vingt-cinq mille hommes se soient emparés de Nantes sans qu'on les ait apperçus. Ils n'ont pas fondu sur cette ville comme des aigles, ils y sont arrivés ou en troupe ou par colonnes. Dans l'un et l'autre cas on les eût vus quelque part, on eût été instruit de leur marche et une ville de plus de quatre-vingts mille âmes se fût tenue sur ses gardes et leur eut opposé une vigoureuse résistance. La frayeur exagère tout, il n'est donc pas raisonnable de l'allarmer ainsi sans scavoir quelque chose de plus positif là-dessus. Que si nous nous en tenons à ce que contiennent les lettres que je viens de recevoir, il est certain que nous sommes menacés des plus grands dangers, mais, mes amis, n'est-il pas possible que ceux qui me les adressent ayent été trompés eux-mêmes ? Dans une circonstance aussi grave, je ne veux rien prendre sur moi et pour qu'on n'aye rien à me reprocher, j'écouterai et suivrai avec plaisir les avis de chacun ; et puisque vous me demandez le mien, je crois qu'il est prudent, avant de nous porter à aucune démarche, d'éclaircir les faits. Aussi, si vous m'en croyez, vous choisirez parmi vous quatre ou six personnes qui méritent votre confiance et dont vous connaissez la sagesse et l'intelligence et vous les envoyerais, les uns à Maulévrier, les autres à Chollet et même plus loin, s'il est nécessaire, avec ordre de revenir sur le champ nous rapporter ce qu'ils auront vu et entendu."

Mon avis fut applaudi et rassura tout le monde et nos hommes partirent sur le champ pour remplir leur mission. Alors, reprenant la parole, je dis : "Mes enfants, je vous engage à retourner chacun chez vous rassurer vos femmes et vos enfants. Soyez tranquilles, si l'allarme qu'on répand est fondée, je ferai sonner la cloche, vous prendrez vos armes et vous vous rendrez ici. Si ce n'est, comme je le crois, qu'une fausse terreur, vous n'entendrez point sonner les cloches d'ici à demain et vous ne bougerez point de chez vous."

La confiance que mon discours inspira fut inexprimable, la sérénité succéda à la frayeur sur la figure de tous ces braves gens, et, rassurés, ils gagnèrent leurs foyers et reprirent leurs ouvrages.

Il n'en fut pas ainsi dans les autres paroisses. On prit tout à la lettre. La peur ne raisonne pas. On s'arma de pied en cap et on se rendit à toute hâte, de tous côtés, au bourg des Aubiers. L'affluence fut si grande qu'à une heure après-midi, il s'y trouva quatre ou cinq mille personnes pour y combattre des moulins à vent.

Cependant nos émissaires revinrent et nous rapportèrent que, partout, on répandait les mêmes bruits, la même terreur, mais que nulle part on n'avait apperçu les Brigands. A chaque instant il m'arrivait des villes et bourgs circonvoisins des exprès pour s'informer auprès de moi de ce qui se passait, mais comme je ne scavais rien de bien positif, je n'osais prendre sur moi de les rassurer sur les dangers qui semblaient nous menacer. Je fus moi même assez inquiet. On me rapporta que cette multitude d'hommes rassemblés aux Aubiers, surpris de n'y voir personne de ma paroisse, murmuraient hautement contre moi de ce que, au milieu d'un si grand danger, j'avais renvoyé tous mes gens au lieu de les conduire au rendez-vous général. Les plus modérés nous taxaient d'indifférence et de lâcheté, les autres me faisaient un crime de ma conduite et allaient jusqu'à dire que s'il arrivait quelque chose, ils sauraient bien m'en punir. Quelques injustes que fussent ces propos, ils ne laissèrent pas que de m'affecter et, quelque danger qu'il y eût pour moi de paraître aux Aubiers, je me décidai à y aller pour détruire la mauvaise impression qu'on avait contre moi, comme si je devais être coupable pour avoir mieux vu que les autres. Dès que j'entrai dans le bourg, j'entendis quelques murmures, mais quelques personnes m'ayant abordé, je leur fis part de ma conduite et c'en fut assez pour fermer la bouche au plus grand nombre ; cependant plusieurs, par amour-propre, se trouvèrent mortifiés de ce que nous n'avions pas donné, comme eux, dans le panneau. Bientôt la faim se fit sentir à cette troupe si tumultueuse rassemblée. Eh ! comment pourvoir aux besoins d'un si grand nombre ! Personne n'avait apporté de provisions, pas même du pain ; ce dénuement donna des inquiétudes et aurait surement occasionné du désordre si quelques personnes prévoyantes n'avaient eu l'intention, en voyant une si grande affluence, de faire faire sur le champ du pain et d'en faire venir des bourgs voisins. Toutes les maisons, ainsi que les auberges étaient pleines et il n'y eut personne qui ne s'empressât de fournir aux besoins de cette multitude armée pour la défense commune. On ne se sépara pas sans boire, ce qui fit que la retraite ne fut pas des plus paisibles et que les jeunes gens commirent quelques désordres dans les fermes qui se trouvèrent sur leur passage.

On sait que c'est à la suite de cette journée extraordinaire que se formèrent partout les gardes nationales. ..."

A. FAVRAUD

Bulletin et mémoires

de la Société archéologique et historique

de la Charente.

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