ISAAC CORNUAUD
"CORNUAUD, Isaac, 1743-1820, d'une famille du Poitou réfugiée à Genève en 1697 ; bourgeois [de Genève] en 1784. Monteur de boîtes [dans l'horlogerie], puis maître d'arithmétique et teneur de livres, il fut mêlé aux troubles de 1770, et se voua entièrement à la politique en 1780. Il détacha des Représentants ["parti" des petits bourgeois opposés aux patriciens qui accaparent le pouvoir dans la ville] une partie des Natifs [habitants nés à Genève, trop pauvres pour acheter la bourgeoisie, non-privilégiés] pour former un parti, entra en relation avec le résident [ambassadeur] de France, puis s'allia aux constitutionnaires. Directeur des messageries de France, 1782-1787, il cessa son activité politique, qu'il reprit pendant la période révolutionnaire. Président du Cercle de la Grille, suppléant à la commission révolutionnaire, membre de la commission nationale [à Genève]. Nommé secrétaire de général dans la préfecture du Léman en mai 1800 [Genève, annexée à la France, est chef-lieu de ce département dès 1798] , il rentre dans la vie privée en octobre 1801.
Isaac Cornuaud a joué un grand rôle au milieu
des lamentables dissensions politiques qui ont été la plaie
de Genève au siècle dernier; il a beaucoup travaillé à agiter
les esprits : de 1777 à 1798. il a publié plus de cent trente
brochures; on les trouve énumérées dans le catalogue
dressé par M. Rivoire : Bibliographie historique de Genève au
18* siècle. La dernière de ces brochures est la seule dont on
se souvienne; elle a pour litre : Lettre d'un Genevois au
citoyen M'", à Paris, sur la réunion de Genève à la France,
16 pages ; elle est datée du 28 prairial an VI (1(5 juin 1798)
et signée I. C.
« Nous étions arrivés, y est-il dit à ce point de corruption
où les petites Républiques périssent nécessairement dans les
convulsions de l'anarchie. Au lieu de ces fléaux humi-
liants au devant desquels nous marchions tête baissée, que
nous est-il arrivé d'abandonner notre misérable existence
politique particulière, qui était enfin devenue la source
incurable de tous nos maux, pour participer à celle d'une
grande et triomphante Nation. Nous n'avons pas à pleurer
la perte d'une existence heureuse, à abandonner le ciel
tempéré qui nous vit naître, à obéir à un Conquérant »
Cet assentiment si net donné à l'annexion de Genève à la
France, frappa beaucoup les contemporains; et plus tard ils
se rappelèrent avec amertume les paroles de Cornuaud.
quand elles eurent été cruellement démenties par la suite
des événements, quand les conscrits genevois, pour obéir à
un conquérant, allèrent mourir sous le soleil d'Espagne ou
dans les neiges de la Russie.
Cornuaud a laissé des mémoires manuscrits en dix volumes.
M. Karcher en a donné une courte analyse dans le Bulletin
de Vlnstitui genevois, tome XXYIII, — Dans une de ses bro-
chures (Défense apologétique, 4 novembre 1789), Cornuaud
avait esquissé son autobiograpliie en quelques pages inté-
ressantes ; mais ce récit est antérieur à la seconde moitié de
sa carrière.
Extrait de Correspondance secrète, politique et littéraire, volume 16, Par François Métra,Guillaume Imbert de Boudeaux,Alexandre Balthasar Laurent Grimod de La Reynière :
Les heureux Genevois ne sentent pas encore leur bonheur. Les auteurs de la dernière révolution & ceux qui l'ont aidée sont toujours détestés. Le nommé Isaac Cornuaud, distingué entre ces derniers, vient de subir un châtiment qui, pour attester l'impuissance du parti qui l'a infligé, n'a pas dû lui être moins sensible que s'il eût été prononcé par les organes de loix. Il est bon de le publier pour l'instruction des Cornuauds présens & avenir.
La peine de mort venoit d'être prononcé contre des voleurs, & en conséquence on avoit dressé une potence, la veille du jour de l'exécution, dans une place où se font ces judicieuses corrections. Le lendemain on y trouva bien & duement attaché le portrait d'Isaac Cornuaud, ayant entre ses mains les présens corrupteurs, prix de sa conduite, avec ces mots : Isaac Cornuaud traître à sa patrie ; le tout peint, comme on voit, de main de maître.
Le Sanhedrin Genevois, averti de l'usage économique qu'on avoit fait de sa potence, ordonna aussi-tôt à ses huissiers, d'aller dépendre le portrait d'Isaac Cornuaud. Les huissiers de Genève sont des gens d'honneur ; ils assistent bien à l'exécution d'un pendu, mais ils n'ont garde de toucher la potence, fallût-il en ôter un innocent. Ils ont refusé avec fermeté d'obéir, il ne s'est trouvé que le bourreau pour dépendre l'effigie Cornuaud, & la porter à l'hôtel-de-ville aux pieds de ses maîtres actuels. Une foule de gens de tout état, étoit accourue pour juger des talens du peintre, & comme le chemin depuis le lieu où se font les exécutions jusqu'à l'hôtel-de-ville, est fort long, les mouches du gouvernement (qui en est richement fourni) ont eu le loisir d'examiner l'effet de cette vengeance sur l'esprit de ses nombreux témoins. On croit que dorénavant les potences ne seront pas ainsi laissées à la discrétion des mécontens. ...