LA CHOUANNERIE A MONTSECRET (61) ♣ ALEXANDRE BILLARD DE VEAUX
ALEXANDRE BILLARD DE VEAUX
"Les "taureaux" de Montsecret (on appelait ainsi les habitants) se soumettront comme les autres, avait juré Alexandre Billard de Veaux, l'un des chefs de l'armée royaliste, et je me charge de les y contraindre."
Le 31 Juillet 1798, vers 4 heures de relevée, il pénétrait dans la bourgade, suivi de partisans bien armés qui débouchaient par les routes de Flers et de Fresnes, sous la conduite de Toutain, de Vimoutiers.
Les patriotes, qui s'entretenaient des évènements du jour sous l'if du cimetière, prirent peur et s'enfermèrent dans une auberge. "Rendez-vous", leur cria Billard. Personne ne répondit. Alors par la porte et les fenêtres commença une fusillade bien nourrie. La maîtresse de maison, Françoise Constant, fut tuée, à la première décharge, d'un coup de feu dans le dos.
De son côté, Billard, qui était à cheval, reçut plusieurs balles qui brisèrent l'arçon de sa selle et coupèrent en trois endroits le ceinturon de son sabre de telle façon que la moitié du crochet pénétra dans le bas-ventre.
A cette vue, un désarroi bien compréhensible se répandit parmi les assaillants ; un soldat républicain en profita pour sortir de sa cachette et s'enfuir à toutes jambes. Billard se mit à sa poursuite et l'aurait promptement arrêté, si celui-ci se retournant ne lui eût lâché à bout portant un coup de feu dans la hanche droite. L'os iliaque fut entamé dans une grande épaisseur et la moitié de la tête de lion en cuivre argenté, qui décorait le ceinturon, pénétra dans la plaie.
De deux balles qu'il venait de recevoir, l'une sortit par le flanc gauche et l'autre se perdit dans le bassin. Malgré ces terribles blessures, Billard essayait encore de se tenir debout en s'appuyant sur son sabre, mais il retombait à chaque pas.
Pendant que l'un des siens poursuivait le fuyard à travers champs, lui envoyait une balle et l'étendait sans vie, un autre mettait son chef en selle et le conduisait à la ferme de la Sellerie en Cerisy-Belle-Etoile.
Sur ces entrefaites, son frère, Louis, guidé par un appelé Laplanche, arriva à la Sellerie pour prendre des nouvelles du blessé. L'entrevue fut émouvante entre les deux frères ; mais la joie ne dura pas. Le lendemain matin, en effet, une colonne républicaine, qui venait de Condé-sur-Noireau, prévenue par des espions, pénétra dans la maison où se croyaient en sûreté les deux royalistes.
Louis Billard fut facilement découvert, mais le convalescent demeura introuvable.
La fille Huard, domestique de la ferme, qui, au bas de l'escalier, avait prétendu que la maison ne renfermait aucun étranger, fut convaincue de mensonge, brutalisée et odieusement souffletée.
Le jeune Billard fut amené au bourg de Cerisy où son sort fut bientôt réglé :
"Qu'es-tu ? lui demanda-t-on
Royaliste.
Veux-tu servir la République ? Promets-nous de la servir et l'on ne te fera aucun mal.
J'ai sucé l'amour du roi avec le lait de ma mère, je ne puis.
Tu vas être fusillé.
Je m'y attends, et j'y suis préparé."
Arrivé près du cimetière où devait avoir lieu l'exécution, Louis Billard demanda et obtint la permission de faire sa prière au pied de la croix.
Quand il se releva, il dit aux soldats : "Je suis prêt".
"Mets-toi à genoux, lui cria-t-on.
Je ne m'agenouille que devant Dieu.
Crie : vive la République.
Je ne sais crier, que vive le Roi." - A ces mots, il tomba mort.
L'arrestation de son frère obligea le commandant Billard de quitter la maison où il était hospitalisé, il retourna dans son grenier où il tomba de nouveau si dangereusement malade que M. Gabriel Maucorps-Galland (1) lui administra les derniers sacrements.
Il guérit cependant et quitta la Sellerie, le 10 octobre.
Dans sa solitude de la Sellerie, Alexandre Billard aimait à dire à ses hôtes les vers qu'il avait autrefois composés dans la prison de Laval où il avait été incarcéré.
A dix-neuf ans, il faut mourir ;
Parfois cette idée m'importune.
Si l'on ne vient me secourir
Je subirai la loi commune.
J'en conviens, c'est un dur moment ;
Mais tant pis pour celui qui passe.
Quand je ne puis faire autrement,
Je me soumets de bonne grâce. ...
Parlant de son père et de sa mère :
Tous les deux n'oubliez jamais
Qu'en tous les instants de ma vie,
Plus que moi, je vous chérissais ;
Pourtant moins que ma compagnie.
Adieu mon brave général,
Adieu la Roque, la Rosière,
Adieu St Paul, adieu Pascal ;
Demain je quitte la lumière ...
Les historiens ont considéré l'attaque précipitée de Montsecret comme un grand malheur pour la Chouannerie. Frotté espérait soulever la Normandie, la défection de Billard ne lui en laissa pas le temps. Celui-ci, en effet, fit sa soumission, le 10 janvier 1800, entraînant avec lui une partie de la division qu'il avait commandée.
L'armée royaliste n'avait plus désormais qu'un moyen d'éviter un désastre, c'était de se dissoudre.
Cet évènement mémorable arriva avec la mort de Frotté, le 16 février 1800.
Bulletin mensuel d'histoire locale - Au Pays Virois - A. DUPONT, Curé de Montsecret

