LE PERRIER SOULLANS ... (85) - ANTOINETTE CORNUAILLES, PRINCESSE VICTOR ... EN VENDEE
L'épisode qu'on va lire, et qui est tiré scrupuleusement de nombreux documents, absolument authentiques, que l'auteur a eus en sa possession, ou qu'il a copiés aux Archives de la Vendée, présente les faits les plus étonnants et les plus complets en ce genre, que l'on puisse imaginer. l'invraisemblance, l'indélicatesse, la comédie la plus vile et la plus grossière, l'imposture, la bêtise, s'y rencontrent à chaque pas, se mélangent et se complètent. Il est inconcevable qu'une pareille aventure, dont on ne connaîtra jamais qu'une bien minime partie, ait pu prendre une telle consistance ; il l'est encore plus qu'elle ait duré plus de quatre années. Qu'on en juge !
Il y a bien des années déjà ... que l'on ne se trompe pas ; c'est bien de l'histoire que l'on va raconter. - Donc, exactement au mois de juin 1799, le commissaire exécutif près le canton de Saint-Jean-de-Monts recevait de son collègue central de la Loire-Inférieure, une lettre écrite le 7 du même mois, dans laquelle il était question de plusieurs personnages, qui ont joué un grand rôle dans le Marais, pendant toute la période que l'on est convenu d'appeler Epoque de la Pacification de la Vendée. Pour saisir tous les fils de cette histoire fantastique, qui se découvrirent partiellement dans la suite, et connaître les gens qui surent les faire jouer, il est indispensable de prendre connaissance des documents qui datent presque de son début. Les voici, abrégés et débarrassés de plusieurs détails inutiles à l'affaire ou à son éclaircissement :
"Nantes, le 19 prairial, an VII
Citoyen, je vous adresse le passeport faux délivré par votre municipalité à un nommé Jean Rousseau, sous la date du 28 germinal dernier (17 avril 1799), lequel passeport paroit avoir été calqué sur un autre, qui lui a été délivré par votre administration le 18 ventôse an VI (8 mars 1798).
Ce Jean Rousseau, se faisant appeler aussi Baptiste, colporteur pour la chouannerie, vient de Vannes avec ce faux passeport. Il se présenta le 17 de ce mois (5 juin), chez le général Grigny, croyant parler à un prétendu général Guichard ; il lui remet une lettre venant de la part d'une femme de Paris, déguisée en paysanne, qui passe pour la femme de lui Baptiste ; (il lui dit) que cette femme est cachée quelque part, qu'elle a besoin d'un passeport, qu'aussitôt qu'elle l'aura, elle se retirera à La Haye-Fouassière, près Vertou, en ce département ; ce sont ses dires. Il fait diverses questions pour s'assurer s'il s'est bien adressé au prétendu général Guichard, alors il remet au général Grigny le signalement de la femme, afin de lui faire avoir le passe-port demandé et, peu après, il tire de sa poche la lettre dont il étoit porteur.
Par cette lettre, il paroît que la femme, se disant Princesse Victor de Paris, s'est présentée plusieurs fois au domicile du général Guichard sans le rencontrer ; que la femme de ce Guichard a tranquillisé l'intrigange, au sujet d'une valise, en l'assurant qu'elle étoit intacte, etc. Elle recommande son guide d'une discrétion à toute épreuve ; elle annonce aussi au prétendu général Guichard qu'elle lui fera compter quatre cents francs, aussitôt qu'elle aura reçu sa valise.
Le général Grigny ne put contenir son indignation à la lecture de ce projet contre-révolutionnaire ; l'émissaire s'aperçoit qu'il s'étoit trompé, il voulut s'enfuir, on le rattrapa, il fut conduit à la maison d'arrêt et mis au secret.
On a procédé ensuite à l'interrogatoire de ce courier des brigands royaux. Cet homme n'a voulu rien dire. Il paroissoit pétrifié de s'être trompé ; lorsqu'on lui faisoit une question, il se la faisoit répéter plusieurs fois et finissoit par dire qu'il ne savoit pas ; il a dit cependant qu'il avoit été à Auray pour un pélerinage. Il a été renvoyé à la maison d'arrêt.
Nous avons fait toutes les poursuites imaginables dans cette commune pour découvrir le nommé Guichard, auquel s'adressoit la lettre dont il s'agit, mais nous n'avons pu rien découvrir. Je vous marque tous ces détails, pour vous faire connoître l'existence de ce projet de réorganiser la chouannerie dans les départements de l'Ouest, et la continuelle conspiration des royalistes contre la république, et afin de vous mettre à même de rechercher et découvrir les fabricateurs du faux passeport dont il s'agit ...
Je vous invite aussi, citoyen collègue, à vouloir bien prendre des renseignements sur la conduite morale et politique de ce Jean Rousseau, qui est de votre arrondissement. Ces renseignements me sont indispensables pour connoître le fil de cette conspiration des royalistes, dont il est l'agent, et pour me mettre à portée de statuer à son égard ...
MASSON"
Cette lettre n'étonna pas outre mesure les officiers de Saint-Jean-de-Monts, car ils connaissaient parfaitement, comme nous le savons, les Bonnin, les Rousseau et même la princesse Victor. Aussi se rassemblèrent-ils aussitôt, pour prendre les mesures en leur pouvoir qu'ils crurent les plus opportunes et les plus urgentes. Le commissaire examina avec soin les pièces envoyées de Nantes et, en remerciant quelques jours après son collègue, il accompagnait la lettre suivante donnant quelques explications, d'une délibération prise par l'administration municipale du canton :
"J'ai communiqué les dispositions (de votre lettre) à l'administration municipale qui a fait comparoître devant elle le vrai Jean Rousseau. D'après son interrogatoire et la coïncidence des circonstances et des lieux, elle a, sur mon réquisitoire, pris l'arrêté dont l'expédition est ci-jointe et qui renvoit pardevant vous, sous bonne escorte, le dit Jean Rousseau pour être confondu avec l'individu détenu à Nantes.
Je vous fais également repasser, suivant votre demande, les deux passeports que vous m'aviez envoyés. Je présume fortement, citoyen collègue, que l'inconnu que vous avez fait arrêter, est un nommé Jean Bonnin, de la commune du Perrier dans ce canton, le même dont il est question dans un des considérants de l'arrêté de l'administration municipale. Cet individu est un brigand extrêmement dangereux, vagabond depuis la pacification, et qui est généralement reconnu pour colporter tous les écrits incendiaires qui circulent dans ce pays.
Je crois aussi que c'est ce même Jean Bonnin, qui est le fabricateur du faux passeport délivré au prétendu Jean Rousseau, le 28 germinal dernier. Vous pourrez le faire écrire et confronter son écriture avec celle du passeport en question. Il y a très longtemps que cet individu a disparu de chez sa femme, et il seroit peut-être très embarrassé de justifier d'une résidence non interrompue sur le territoire de la république. C'étoit pendant la guerre un officier de cavalerie de brigands de qui les bienfaits de l'amnistie n'ont point changé les principes ..."
Dans la délibération du 17 juin, faisant partie du même envoi, l'administration municipale reconnaît l'authenticité du premier passeport délivré à Jean Rousseau, demeurant à la métairie de la Corde, commune du Perrier, mais déclare nul le second, qui ne porte que des fausses signatures, un chiffre dénaturé, et un cachet grossièrement rattaché et provenant de la pièce officielle.
Elle fit donc venir devant elle le délinquant et lui demanda des explications : celui-ci prétendit "ne savoir rien de ce qu'on lui demandait". Cependant, on lui avait bien délivré un passeport pour aller à Vannes, peut-être un peu trop légèrement, "car il a toujours manifesté des principes contre-révolutionnaires", et puisque son propriétaire habitait Nantes. De son propre aveu, il se trouvait dans cette dernière ville quelques jours après l'arrestation de Bonnin : cette nouvelle l'inquiéta sans doute, car il regagna promptement son pays, dès le lendemain de son arrivée, "perdant l'espoir de ramener son parent dans "marais de ce canton"."
Le Conseil considère ensuite "que Marie Guillet, ou la prétendue princesse Victor de Paris, est probablement la même personne qui a circulé dans ce canton, pendant les mois de ventôse et germinal derniers, sous un costume qui n'est pas ordinaire au pays, et qui annonçait une certaine opulence ; et que Jean Bonnin, cousin germain de Jean Rousseau, et Jean Rousseau lui-même, ont tour à tour, accompagné et conduit sur de petits bateaux, dans différents points de ce canton, la dite Guillet ou Victor, qui a toujours sû se soustraire aux recherches que l'on a faite de sa personne ..."
En conséquence, le Conseil décide que le sieur Jean Rousseau "soit conduit de suite à Nantes sous bonne et sûre escorte, devant le commissaire du directoire exécutif, près l'administration centrale de la Loire-Inférieure, pour être confronté avec le susdit inconnu et être pris à son égard tel parti qu'il appartiendra ..."
Le citoyen Joubert ne s'était pas trompé, et le faux Jean Rousseau était bien réellement Jean Bonnin "chef des brigands, un des hommes les plus dangereux de ce canton, qu'il avait tant de fois signalé comme l'émissaire de l'agent des brigands royaux ..." on l'avait, en effet, reconnu comme tel à Nantes et l'on était en train d'instruire soigneusement son procès. Le commissaire, en annonçant ces faits à Fontenay, signalait en même temps l'arrestation d'un autre scélérat, originaire du pays, mais pris à Montaigu, Paul Dupont, et se désolait sur "l'esprit public qui était mort", ce qui était fort périlleux en présence "d'une flotte anglaise de douze à quinze vaisseaux de ligne et frégates, et d'un nombre infini de corsaires, dont les côtes étaient infestées, surtout depuis un mois ..." Ces démonstrations navales n'étaient pas faites sans but ; du 20 juin au 9 juillet, il se fit, en effet, à la côte de Notre-Dame-de-Monts, trois ou quatre débarquement d'émigrés. "Sur douze ou quinze de ces individus, cinq ou six se sont rembarqués, après avoir appris la détention de Bonnin, de qui ils attendaient de grandes nouvelles. Je suppose que les autres osnt allés joindre les bandes de chouans qui se sont répandues sur le territoire de ce département ..."
Le général vendéen Guichard, que cherchaient à Nantes Jean Bonnin et sa compagne, était l'ex-commandant de la division d'Argenton, qui avait servi dans l'armée de Stofflet pendant les opérations, et qui s'était soumis avec son chef à Saint-Florent, le 2 mai 1795. S'il déposa les armes en apparence, il continua cependant à favoriser avec ardeur les menées royalistes, et l'on voit, par ses relations suspectes avec Bonnin, qu'il n'avait pas encore renoncé en 1799, à toute espèce d'espoir de soulever la Vendée. Il fut de ceux qui participèrent à la levée entreprise sans succès à cette date, et Jean Bonnin ainsi que son amie, lui servaient déjà de courriers, pour préparer les populations vendéennes à une sérieuse et imminente entente avec les chouans d'Outre-Loire.
Pour apprendre à bien connaître la femme Guillet ou Victor, "vêtue d'un costume qui n'est pas ordinaire au "pays, et qui annonçait une certaine opulence", il fallut attendre encore quelques années, car elle devint, après l'évènement de Nantes, introuvable pendant longtemps, ou du moins imprenable ; elle allait et venait cependant dans le marais, avec toute facilité et vaquait librement à ses occupations multiples.
"Cette noble et honneste dame", comme dirait Rabelais, exerçait encore sa belle industrie en avril 1802, quand on eut la malencontreuse idée de la faire arrêter dans la commune de Grand'Landes par un gendarme, qui s'était déguisé en paysan, lui avait mis la main au collet et l'avait conduite le 12 à Fontenay, devant son capitaine Prier. Où allait-elle donc ainsi, si loin de ses bons amis ? On ne le sut jamais. Celui-ci l'interrogea subrepticement et militairement et, comme c'était sa consigne, condensa dans un intéressant procès-verbal, la bonne histoire un peu embrouillée qu'elle voulut bien lui raconter. On peut la présenter ainsi. Par les réponses on devinera les questions qui furent posées et le rôle qu'on l'accusait d'avoir joué.
Jeanne, Baptiste, Ursule, Rosalie, Victor, Louise, Anne-Marie et Marie-Antoinette de Condé, de Bourbon, âgée de 30 ans environ, ex-princesse de Victor, native de la paroisse de Saint-Sulpice, demeurant au Louvre, commune de Paris, prétendait avoir déjà quitté cette ville depuis onze ans, avoir passé quatre mois dans les prisons d'Orléans et quatorze dans celle de Saumur. Condamnée à mort, à Nantes, à peu près à la même époque que le roi de France, et cela uniquement en raison de sa qualité de comtesse, les insurgés la délivrèrent au moment du soulèvement. Elle se cacha alors en Vendée pendant neuf mois ; conduite en prison à Nantes, le représentant Ruelle la fit élargir. Retirée en Bretagne chez les chouans et prise de nouveau par ordre du général Hoche, incarcérée à Angers et à Orléans, elle put s'évader au bout d'un mois et regagner de nouveau la Vendée. On l'arrêté encore le 18 fructidor à Paris, mais elle s'échappa de Toulon, où on l'avait envoyée pour la déporter et elle entreprit plusieurs voyages à Vannes, Nantes et Paris. Depuis quatre ans, elle se tenait habituellement dans l'Ouest, mais plus particulièrement en Vendée.
Son voyage à Paris, sollicité par des ambassadeurs étrangers, - elle avait, comme on le voit, de hautes relations - aurait eu pour but de visiter son mari connu sous le nom de Marc Isaac, et celui de Vannes, "d'exécuter un voeu fait dans une maladie". Elle n'était en Vendée, où elle vivait des secours de ses parents et de ses amis, que pour se cacher chez les uns et chez les autres et non pour soulever le pays ; elle n'avait, au grand jamais, ni délivré de certificats de royalisme, ni reçu de pots de vin ; ce n'était qu'avec son propre argent qu'elle se procurait les passeports nécessaires à sa sûreté.
Inutile de dire que malgré ses lamentables péripéties, ses titres pompeux et ses airs de candeur, l'illustre princesse royale méconnue fut écrouée provisoirement en lieu sûr, et interrogée de plus près par J.-B. Gauly, directeur du jury de Fontenay, qui commença immédiatement son instruction.
Naturellement, la grande dame protesta avec énergie devant le Juge contre toutes les accusations qu'on lui impute et renouvèle sa première déposition avec quelques détails complémentaires. Ainsi, elle n'avait jamais séjourné au château de M. de Juigné, qu'elle connaissait cependant, pas plus que chez Madame de Laroche, de Commequiers, dont elle ignorait même les propriétés. Les noms des brigands Laidain, Bonnin, Roux, Neau et autres, lui étaient heureusement tout à fait étrangers. Elle n'avait pas accouché, il y a deux ans, chez Longépé, mais bien chez une personne dont elle ignorait complètement le nom, et l'infortuné petit abandonné, décédé à l'âge de trois mois et demi, chez le citoyen Murail, de la Maisonnette du Château-d'Olonne, où il était en nourrice, fut enseveli dans le jardin de ce lieu, sans déclaration préalable devant l'administration civile, il est vrai, - car elle n'osa se présenter aux Sables - mais en présence de deux témoins très valables, sérieux et inconnus. Pour un enfant de princesse royale, direz-vous, cette cérémonie manquait un peu d'apparat et de dignité.
Enfin, cette pauvre malheureuse créature, réduite à la plus affreuse misère, obligée de courir de ci de là, et ne sachant la nuit où poser la tête, ignore dans sa simplicité bien naturelle tout ce qui s'est passé autour d'elle ; elle ne saurait citer même, les noms des pays qu'elle traversa en tout sens pendant plusieurs années consécutives, et ceux des gens chez lesquels elle séjourné quelquefois plus d'un mois. A Dieu ne plaise qu'elle eût commis le moindre délit ! Son but unique et respectable, en se rapprochant continuellement des côtes, n'était certes point de bien recevoir les émigrés qui venaient débarquer, et de les aider à traverser impunément le marais, mais bien de découvrir quelque membre de sa puissante famille, qui aurait pu la faire passer à l'étranger, afin d'éviter les poursuites arbitraires dont elle avait été si souvent la victime, et en même temps de préserver ses jours sans cesse menacés. Pendant la période critique de la fin de l'année 1799, toutes ses démarches furent consacrées à développer les plus énergiques et les plus louables efforts, afin de maintenir la paix, affirme-t-elle avec assurance, et jamais, jamais, elle n'aurait osé délivrer, à quiconque, le moindre certificat de royalisme : elle se bornait simplement à remettre des reconnaissances pour quelques infimes sommes d'argent versées à son profit.
Quant à l'existence de la fameuse valise, où sont des titres de propriété et de noblesse si précieux pour elle, qu'elle avait toujours cru conservée chez le nommé Guittonneau, d'après les dires de son oncle curé, dont elle refuse, par délicatesse et reconnaissance, de donner le nom et l'adresse, elle ne peut rien spécifier de plus que ce qu'elle a déjà déclaré, car elle a toujours été convaincue qu'elle devait se trouver chez ce particulier. Son chagrin extrême en ce moment, car son cher mari, réfugié à Cadix depuis onze ans, mais qui revenait souvent en France pour la revoir, serait mort depuis trois mois, sans qu'elle ait pu, malgré ses démarches, vérifier l'exactitude de ce bruit terrible pour elle.
Du reste, la noble princesse déclare bientôt qu'elle a assez parlé, et qu'elle ne peut plus longtemps dissimuler son mécontentement et son indignation, à se voir ainsi torturée et salie par d'aussi malveillantes insinuations. Exaspérée et furieuse de cette infâme calomnie, elle refuse avec mépris, quand on lui présente la plume, quoique sachant fort bien signer, - ce dont personne ne pouvait douter un instant - de mettre son nom illustre et respecté au bas d'un interrogatoire contenant autant de noirceur. Tant de mauvaise humeur ne produisit aucun effet : malgré une aussi belle protestation d'innocence, elle fut dans la dure nécessité, quand on l'y invita, et sous l'escorte de ses gardes, de gagner à pied le logis bien clos qu'on lui avait préparé.
Les malheureux paysans royalistes, qui allaient coucher dans les granges pour céder leurs lits à un personnage de si haute lignée et à son ami, qui l'hébergeaient de leur mieux "et d'une manière autant conforme à la qualité "qu'elle s'était donnée, que les facultés de ceux qui lui donnaient des secours, pouvaient le permettre", avaient sans doute, ressenti intérieurement une grande joie, avant son arrestation, car selon toutes apparences, visibles pour tous, la princesse de Bourbon-Condé ou La Bourbonne, comme ils l'appelaient, était sur le point d'avoir un héritier, qui allait naître au milieu d'eux. Hélas ! la situation venait de changer cruellement. Après toutes les belles espérances, c'étaient toutes les déceptions ! le moment eût été, cependant, tout indiqué, afin d'assurer une prompte délivrance, de faire usage de la fameuse lettre d'or, tombée du ciel il y a quelques années. Mais il est tout probable qu'on ne songea pas à ce moyen si pratique dans la prison de Fontenay, et qu'on eut plutôt recours à une sage-femme ou à un médecin.
Les maraîchins, vraiment trop crédules, s'étaient-ils posé cette simple question ? L'enfant qui va naître bientôt, est-il bien fils de Prince ? Il est à croire, cependant, qu'ils étaient capables, mieux que quiconque, de juger le cas. Mais alors ? ... Et que pensait Jacques Bonnins, qui vivait avec elle depuis plus de deux ans ? ou d'autres ? Ils ne disaient rien, mais tous étaient flattés.
Malheureusement, les juges, par nature et par profession, incrédules et soupçonneux, n'étaient pas aussi bien disposés pour leur prisonnière que les habitants du Marais, et, malgré toutes ces belles protestations et ces princières espérances, l'instruction de cette affaire suivit clopin-clopant son cours naturel. Elle fut conduite peut-être plus lentement qu'à l'ordinaire, et cela eut au moins l'avantage de permettre de ne pas troubler la délivrance de celle qui en était l'héroïne. On cita, pour avoir l'air de faire oeuvre utile, certains témoins qui ne pouvaient apporter de grands éclaircissements ; ils étaient trop suspects de connivence ; on les entendit à intervalles éloignés, mais dès que la malade "fut rétablie de ses couches", ce que le directeur du jury relate du reste dans son ordonnance du 21 juin, on la fit transporter par bonne et sûre garde aux Sables-d'Olonne, arrondissement témoin de ses principaux exploits, sous la prévention grave "d'avoir excité les habitants de la Vendée "à la révolte, délivré des certificats de royalisme à plusieurs habitants du marais, pour les mettre à l'abri des incursions des troupes royales, et d'avoir affermé des biens nationaux vendus comme tels, d'avoir reçu des pots de vin et de voyager sans passeport."
Dans ce nouveau milieu, l'enquête utile devait prendre une autre tournure, les preuves devenaient plus faciles à trouver, les gens dupés et désillusionnés allaient pouvoir parler plus facilement et plus utilement. S'ils ne disaient pas tout, ons espérait qu'ils en diraient assez. le directeur du jury, Jacques-Marie Rouillé, ne manqua pas à sa tâche et, dès le 30 juin, la prévenue, interrogée pour la troisième fois, persistait avec tenacité et hauteur, dans ses dénégations primitives et toujours les mêmes ; elle maintenait son identité, elle se blanchissait entièrement de tout délit et empruntait seulement de l'argent, répétait-elle sans cesse, à ses amis qui venaient lui en offrir spontanément, et cela avec la certitude de le rendre un jour ou l'autre avec usure. L'affaire ne faisait donc pas un pas.
Le juge, désolé de son insuccès, va donc signer mélancoliquement le procès-verbal dicté à son greffier, quand, tout à coup, éclate un coup de théâtre. "La prévenue déclare que ses réponses à toutes les questions qui lui ont été faites, sont fausses et que, si on veut l'interroger de nouveau, elle va dire la vérité." On coud précipitamment une feuille de papier à la première partie de l'interrogatoire et c'est alors Antoinette Cornuailles, âgée de 30 ans environ, fille de feu François Cornuailles, aubergiste au Petit-Bourg-d'Auvernay-le-Petit, près Chateaubriant, et de Perrine Binot, sans domicile fixe, qui va répondre avec sincérité.
Elle quitta Auvernay, raconte-t-elle, il y a seize ans, pour se rendre à Nantes, chez trois soeurs consanguines qui voulaient lui faire apprendre un métier. Après y être restée un an, faute de dispositions naturelles sans doute, elle dut entrer, en qualité de domestique, chez le Président de la ci-devant Chambre des Comptes, dont elle ne se rappelle plus le vrai nom, car on l'appelait toujours dans le temps M. le Président ; sa femme portait celui de Coutance, et tous les deux habitaient le château de la Feilleraye, sur la route de Paris. Au moment de l'insurrection vendéenne, elle partit avec son maître. "Elle croit que ses soeurs existent encore : l'une, appelée Louise, est mariée avec Prosper Charette, négociant à Nantes ; une autre, appelée Jeannette, est mariée avec Noé, qui était commis dans les bureaux du département à Nantes ; et la troisième, qui s'appelle Marie-Anne, est restée fille et est lingère.
Ayant demeuré quatre ans dans la Vendée, continue-t-elle, et n'ayant aucun moyen de subsister, elle s'est dite princesse de Condé et, à l'aide de ce faux nom, elle s'est procurée, de Robin résidant à la Perouaille de Soullans, une somme dont elle ne se rappelle pas le montant, parce que ce n'est point à elle qu'elle fut remise, mais à Thomas Guittonneau, métayer aux Petites Rochelles, même commune de Soullans, qui était son collecteur. Qu'également, à l'aide de ce faux nom, elle a, plusieurs fois, été reçue chez Nicou, de Saint-Hilaire-de-Riez, qui lui a procuré des subsistances, ainsi que chez Guyon, fermer du Pré aux Boeufs ; qu'elle est allée, aussi, chez Pierre Front, dont elle vient de parler, elle lui a adressé un bon pour prendre douze journaux de pré sur l'abbaye d'Orouet, bon que cet individu regardait comme valable".
Lecture à elle faite de cet interrogatoire, la prétendue princesse, redevenue ancienne cuisinière et fille d'auberge, déclarait, l'oreille basse et la voix émue, qu'elle ne savait signer. Mais le citoyen Rouillé, fier de son succès, se frottait les mains et ne se tenait pas d'aise. De ce fait, les démarches, les assignations, les écritures, se simplifiaient singulièrement ; on allait marcher à coup sûr. Dix-sept témoins sont aussitôt appelés au Tribunal par le substitut Menanteau, afin de se faire interroger, ce qui, certainement, ne fit pas rire aux éclats beaucoup d'entr'eux.
Les langues se délient lentement, mais on parle, cependant un peu ; on veut bien faire condamner l'imposteur, mais en même temps, il s'agit de ne pas se compromettre et de ne pas se faire arrêter comme complice. Aussi, apparaît-il dans tous les aveux très concordants, une réserve prudente et bien étudiée. On apprend que la fameuse aventurière vagabondait en effet, depuis plus de quatre ans, dans l'arrondissement des Sables d'Olonne et qu'elle vécut, d'abord très intimement, avec le bandit Laidain, qu'elle revit souvent dans la suite ; puis, jusque vers 1799, avec le célèbre Jean Bonnin, de l'Ile-d'Olonne, triste gredin, qui fit blanchir les cheveux des officiers municipaux de Saint-Gilles et de Saint-Jean-de-Monts. La dame en question présentait généralement ce scélérat pour son ... guide, l'accompagnait quelquefois dans ses expéditions, quand elle ne se croyait pas gênante, colportait les bonnes nouvelles et les ordres royaux, en un mot lui préparait les voies pour les bons coups à faire. La réciproque se produisait souvent et la princesse jouait alors le principal rôle. Vers la fin de 1799, les deux associés distribuaient, par exemple, la fameuse proclamation du prétendu Louis XVIII, qui commençait par ces mots : "Les armées des généraux alliés ..." et finissait par ceux-ci : "le rétablissement dans notre patrie de l'autorité légitime". Elle accomplissait avec lui des pélerinages qui n'étaient pas, certes, des plus austères, mais elle avait confiance sans doute dans la bonté bien connue de Notre-Dame-d'Auray, pour se faire pardonner. la valeur de ses prières avait été trop escomptée, car c'est précisément en revenant de ce pieux voyage, qu'elle et son cher ami furent ramassés à Nantes par la police et incarcérés. Jean Bonnin passa sans aucun doute sous le couteau de la guillotine, car oncques ne le vit ni en Bretagne, ni en Vendée, après son arrestation, et sa pauvre compagne parlait déjà bien tristement de sa mort, dans un document du 7 octobre suivant. On a déjà vu, du reste, dans la correspondance échangée entre les commissaires de Nantes et de Saint-Jean-de-Monts, le résultat de cette échauffourée et la double capture due à l'étourderie et au manque de flair de Bonnin, qui prit un général républicain pour un chef royaliste.
Pendant que Jean Bonnin se morfondait sous les verrous en attendant son sort, celle qui était depuis longtemps la Bourbonne, se voyant en assez mauvaise posture, eut, aussitôt relâchée, deux idées fort heureuses : d'abord celle de quitter prestement la ville qui lui avait été défavorable et qui pourrait le devenir bien davantage ; puis d'aller, car son intervention près des juges n'avait guère de chances de succès, solliciter l'appui du frère de l'homme avec lequel elle vivait et qu'elle avait dû quitter si brusquement ; elle espérait l'intéresser au triste sort de l'opprimé et trouver en lui une âme sensible voulant bien se prêter à délivrer l'ami et le parent, si injustement sans doute, retenu dans les cachots de la république. Mais son voyage à l'Ile-d'Olonne eut un résultat tout autre et beaucoup plus complet qu'elle ne l'avait escompté : au lieu de trouver un aide pour sauver son ... guide fortement compromis, elle conquit sans grand'peine, grâce à ses nombreuses références, un nouveau protecteur et un intendant prêt à la suivre partout, à lui rendre aveuglément tous les services qu'elle pouvait en espérer, et on peut dire qu'ils furent nombreux et variés. On a déjà vu et on verra que Jacques Bonnin, quoique boulanger, n'y manqua pas et qu'il se montra digne de partager le ... sort d'une princesse qui daignait s'abaisser jusqu'à lui. Il y avait bien dans cette nouvelle alliance, un petit point noir : le protecteur laissait derrière lui une femme et probablement des enfants dans la misère, mais cela n'avait pas d'importance et la princesse saurait y pourvoir. Le but cherché n'excusait-il pas pareil sacrifice ?
Au lieu de s'aventurer et de courir ridiculement des risques périlleux, on resta donc dans un pays plus hospitalier, très apte à exercer le genre de négoce dont on avait absolument besoin pour vivre, la bourse des deux alliés étant fort plate. Les nouveaux conjoints se firent de nombreux et bons amis dans le marais, et la chose était facile dans pareil milieu ; ils passèrent huit jours chez les uns, quinze jours chez d'autres et surent modestement se contenter de volailles grasses, de pigeonneaux dodus, vins et autres friandises, que tout le monde s'empressait de leur servir, sur un simple et timide désir de leur part. Ils se résignaient quelquefois à accepter d'humbles hardes à leur convenance, mais ils préféraient de beaucoup choisir discrètement, dans la garde-robe de leurs hôtes, ce dont ils avaient envie et faire comme le pauvre Bobinette de Molière, qui ne revenait jamais au logis les mains nettes.
La princesse eut cependant une déception cruelle chez Mathurin Grelier, marchand à Saint-Urbain ; après lui avoir négligemment fait déplier toutes les pièces d'étoffe de sa boutique, avoir palpé, examiné avec soin leur qualité et arrêté un choix digne de son rang, elle fit mesurer et couper pour 245 livres de drap divers, qu'on s'empressa de réunir das un volumineux paquet ficelé et prêt à être emporté. On ne trouvait pas à Saint-Urbain, tous les jours, une acheteuse aussi facile et lésinant si peu sur les prix. Mais, par une malchance étonnante, au moment critique de Rabelais, malgré des recherches laborieuses opérées dans une chambre voisine, - car la dame était prude - au fond de toutes les poches intérieures ou extérieures de sa dorne (nom donné par les villageoises à leurs jupons et à leur tablier), la cliente n'avait précisément ce jour là pas un sou vaillant ; le marchand, peu galant, ne voulu rien remettre, si ce n'est argent comptant. La Bourbonne parla haut, s'indigna de cette méfiance, mais bientôt s'apaisa et partit fort vexée, car elle vit que tant de bruit était inutile. Elle envoya encore, quelques jours après, une femme, la bouche remplie de belles promesses, pour tenter de nouvelles démarches et réclamer le paquet. Le citoyen Grelier resta intraitable.
Une autre fois, dans les mêmes conditions, on lui refusa nettement la livraison d'un cheval, faute de paiement immédiat. Ces mésaventures, il faut le dire bien vite étaient fort rares et elle sut prendre sa revanche avec usure et dans bien d'autres lieux.
Un jour entr'autres, se trouvant chez le citoyen Guittonneau, de Soullans, un certain Julien Conant, homme d'affaires de M. Leroux de Challans, vint à entrer. Il y rencontra une malheureuse princesse, fort abattue, affalée sur un banc, complètement sans ressources, - elle n'avait plus ses beaux habits - qui lui demanda de "lui prêter quelque chose, sachant que celui dont il faisait les affaires était très à l'aise". Le brigand Jean Laidain, fort connu de tous, était là lui aussi, comme par hasard, et sa présence produisit un effet magique et immédiat ; il n'eut même pas la peine d'ouvrir la bouche en faveur de son amie. Conant se montra des plus généreux : "craignant de voyager seul dans le pays et, croyant qu'en prêtant quelque argent à cette femme, il pourrait se promener "avec plus de liberté", il lui compta en espèces sonnantes 150 livres tournois. Laidain eut sans doute sa part du gâteau, mais l'intendant Bonnin empocha aussitôt les louis et rédigea, à la hâte, un reçu au nom de La Bourbonne, par lequel on promettait solennellement le remboursement aussitôt que la dame redeviendrait en possession de ses immenses propriétés. Plus tard, Pierre Robin, de Soullans, un peu plus malin, versait bien 200 livres, mais il forçait le trop jobard Guittonneau à s'en porter garant ; il y eut pas mal d'autres petits cadeaux de ce genre mentionnés à l'enquête.
Pour conserver ou augmenter son prestige, la princesse avait bien des moyens, qui ne sortaient pas, du reste, de la banalité ordinaire des maîtres en escroqueries, et qui réussissent toujours. Dans une certaine circonstance, en sortant, vêtue de ses plus belles nippes, de chez le même Robin, elle lui tendit la main pour qu'il la baisa ; on voit qu'elle était au courant des usages de la Cour. Elle lui dit en même temps : 'quoique ma main soit la plus petite de la maison, elle est cependant la plus grande" et, naturellement, là-dessus, le bonhomme s'imagina de suite que c'était une femme de qualité qui lui parlait ; ce qui le refroidit un peu, cependant, c'est qu'en s'éloignant "elle ne paya point la dépense qu'elle avait faite ..." Une autre fois, elle promettait à Jeanne Epaud, veuve Caillaud, métayère à la Blénière de l'Ile-d'Olonne, de lui faire cadeau de la métairie sur laquelle elle vivait, et qui était ci-devant domaine national. Il n'y avait, paraît-il, rien de plus facile. A Marie Chaillou, marchande, elle se disait à même de la mettre dans le cas de vivre à son aise, et de lui faire bâtir, à l'abbaye d'Orouet, une belle maison qu'elle doterait de douze journaux de prés. Il est vrai qu'en partant elle emportait de chez elle, et par simple mégarde, son habillement des dimanches. Gloriau se voyait aussi gratifié, toujours pour les mêmes services, de 20 journaux de terre dans la grande Tende du Perrier, et d'autres enfin, de bons diplômes les exemptant de tout service militaire, au rétablissement de la royauté, faveur inappréciable pour un Vendéen et primant alors toutes les autres. Et tout cela prenait for bien, près de ces innocents !
Naturellement, tous ces bienfaits étaient fixés en longs termes et périphrases ronflantes sur le papier, par M. l'Intendant, qui laissait ces précieux documents, quelquefois scellés, entre les mains des intéressés. Beaucoup n'ont pas été retrouvés, et c'est vraiment fâcheux ; mais il en est parvenu deux jusqu'à nous qui ne manquent pas d'une certaine saveur de bouffonnerie, et qui prouvent jusqu'où pouvait aller ... la naïveté des maraîchins. les rôles, joués par cette princesse cuisinière et cet intendant boulanger, auraient bien moins d'intérêt à être examinés, s'ils ne mettaient à nu la grossièreté des moyens dont on pouvait user, pour entretenir une continuelle agitation dans ce pays ruiné et si souvent exploité. Dire qu'il s'est trouvé, il y a à peine un siècle, des hommes susceptibles d'accorder une authenticité sérieuse et convaincue à des documents semblables à ceux qui vont suivre ! C'est à n'y pas croire ! Et ce qui rend cette aventure si fantastique, c'est de voir le respect, les égards, que tous ces gens portaient aux individus qui flattaient leur côté sensible ; pourtant, ils les voyaient de près, ils connaissaient leur manière de vivre, leurs agissements, leur langage, leurs moeurs éhontées. Et tout cela ne leur dévoilait rien de leur supercherie et de leur fausseté ! Que fallait-il donc pour leur ouvrir les yeux ?
Voici la première en date des deux pièces que l'on a retrouvées.
L'an mil sept cent quatre vingt dix neuf, le sept octobre, praincaise Victore reconnais Rosse Couttouis, demeurant à Saint-Jean-de-Mont, domicile de Saint-Hillaire-de-Riez, évêché de Leusont, Bas-Poitou, je la raiconnais pour nous voire randue service, à mois et mon guide et mais conditteurs ; mais jais couché une neuit ché elle. même elle mas ditte ; Ma dame, venai ché moi de jour et de neuit, ché moy la portte vous cera ouvertte, et tous ce qu'il et à ma maisont et à vottre service. Je pris mon cher papas, praince de Condais, praumier maraichale de France, ainsi que mon trais cher fraire, deuc de Bourbont, le praince de Condais, promier maraichalle de France, et ainsi que moi Janne-Baptiste, Ursule, Rossaillis, Victoire, Anriette, Louisont, Anne-Marie et Marie-Antoinette, fille de Pière de Bourbont, grand tonton de Louïs seize, rois de France et de Navare, Mois fillaule deu ditte roi de France et de Navarre, femme de daifain Marthe Isable, prommiez anfant de Lespaigne dofain, nommé roy : je pris touste mas fammile roialle de procourais deu pain à Rosse Coutouis, sille elle ce trouve dan le besoin ; ne respectez pas le papier mais respectez la main qui vous le donne, et priez Dieu pour moi et pour touste ma fammile roiale et pour mon daisfain maris et pour mon daisfain guide, Jean Bonnin, et gardé le cegrette (secret) si vous estte crettian.
La praincaise Victore de Saint Denis an france resttante à Paris.
Ce document burlesque est muni d'une empreinte peu banale sur cire noire, de deux centimètres environ de diamètre, au milieu de laquelle apparaît en creux une magnifique fleur de lys et, en exergue, l'inscription en grande partie lisible "Vivre libre ou mourir". Le grand sceau de famille à la disposition de Madame la princesse Victor de Saint-Denis, n'était malheureusement qu'un vulgaire bouton provenant de la capotte ou de la culotte d'un volontaire de 1792. Elle en fit du reste l'aveu complet au dernier moment, devant le président du tribunal Rouvière.
Le deuxième n'est pas muni de cachet en cire et la signature en est différente. Ce n'est pas la même personne qui l'a écrit et il n'est assurément qu'une copie, non sans valeur toutefois, mise à la disposition de la justice. Le voici dans son intégrité : on peut en admirer la rédaction et l'orthographe :
"La princesse Victoire,
Reconnois Rennée Robaint et sont fils, Andres Nicous, pour ma voire rendu service à moi et à mon homme d'afaire ; même je couché dans sa maissont ; il m'a dit Madamme venée ché nous de neuit et joure la portte vous serras ouverte et tout ce qui et à notre maissont et à votre service. Je pris toute ma fammile roiale de portté secoure à cette fammile en quas de bessoin, ainsi que moi, Jeanne-Baptiste, Eursseulle, Rossaillie, Victoire, Anriette, Louissont, Anne-Marie, et Marie-Antoinnet, fille de Pierre Bourbont, prince de Condés, prommiez maraichalle de France et fillole de Madamme Louisse Bourbonne, femme de mon fraire le deuc de Bourbont et femme de Marthe Isoble, prommié enfant despaigne, dophen nomé roi de Lespaigne. Je pris mon jandre, Louis dix-sept, roi de France et de Navare, ainsis que ma fille Enbroize, Sillevie, Angellique, Chaterine Isoble, reine de France, de mettre Andres Nicous et ses sanfant exant deu service du Roi et de procourer du pain à cette fammile en quas de bessoin pour les ferre vivre, et qu'ils soit exant des corvée du grand chemment, et qu'il peras poin de taille seur son bien, sittot le Roy sure sont tronne de France, et pour ma conservation. Fait à lille de Saint-Hillaire-de-Rié, le vingt-trois mars mil huit cen un.
La princesse Victore reine de Lespaigne.
Le Maire de la commune de Saint-Hilaire-de-Riez, Collinet le jeune, en faisant parvenir la première de ces deux pièces au substitut Menanteau, écrivait une lettre qui caractérise bien la mentalité des victimes de cette particulière. "La personne qui m'a confié cet écrit ne voudrait pas être connue ; en effet, elle pourrait courir des risques si elle était découverte, tant cette princesse a d'adhérents. Je doute que vous puissiez tirer beaucoup de renseignements des témoins qui, cependant, ont tous été plus ou moins dupes de cette intriguante ; elle a mis dans cette commune beaucoup de monde à contribution ; elle leur donnait, en revanche, des expectatives sur les biens des républicains". Collinet se trompait, on apprit beaucoup de choses intéressantes pour l'instruction et l'histoire, Le reste se devine facilement.
La princesse Victor, reine de Lespaigne, en 1801, avait des archives volumineuses, probantes et fort antiques, qui ne pouvaient permettre de suspecter sa fortune, son origine et sa naissance. Elles avaient été laissées, malheureusement, en caution de quelques louis, chez un nommé Gloriau, qui conservait précieusement la grosse valise, soigneusement fermées à clef et les contenant. Quant à ses biens, irréalisables en partie pour le moment, mais colossaux dans un avenir très prochain, ils consistaient actuellement dans un trésor fort pesant, renfermé avec soin dans un bissac, que le fidèle Bonnin traînait, de porte en porte, péniblement sur ses épaules en transpirant sang et eau. Si on le dissimulait ainsi, ce n'était que pour en éviter le rapt et la surprise.
Un témoin, qui fut plus curieux, ou plutôt un peu moins longtemps confiant que les autres, va nous dire en quoi consistait ce fameux trésor qui, d'après sa propriétaire, valait plus de 30 000 francs, et comment il s'y prit pour arriver à son but.
"Pierre Front, marchand, âgé de 36 ans, demeurant au Bacheteau, commune de Saint-Hilaire-de-Rhié ... déclare qu'il y a environ 3 ans, une femme qui se disoit être la princesse Victor, et qu'il reconnaît être la même que celle qui est aujourd'hui détenue à la maison de dépôt de cet arrondissement, sous le nom de Cornuailles, alla chez lui et ne s'y arrêté que très peu ; qu'il a ouï dire qu'à cette époque, elle étoit logée chez Guittonneau et qu'elle y avoit passé près de deux ans ; que pendant longtemps il l'a perdue de vue ; qu'il y a environ 3 mois, cette même femme revint chez lui déclarant, et y passa environ quinze jours ; qu'alors elle étoit accompagnée de Bonin, boulanger à l'isle d'Olonne, qui lui servoit de guide ; qu'ils portoient avec eux dans un bissac quelque chose qu'ils disoient être leur trésor ; que pendant les quinze jours, dont il vient de parler, la prétendue princesse se faisoit servir le mieux qu'il étoit possible, tant en volailles, pigeonneaux, qu'autre chose ; qu'un jour lui déclarant, désirant s'assurer, si ce que cette femme portoit étoit réellement de l'or, engagea sa femme de l'emmener chez quelques-uns de leurs voisins et, pendant qu'elle y étoit, il alla chercher dans l'endroit où il l'avoit vu cacher le prétendu trésor, et n'y trouva qu'un gros caillou enveloppé dans un mouchoir rouge ; que le lendemain la prétendue princesse envoya le déclarant à une foire de Soullans pour y dire au nommé Legay, marchand, de venir la trouver pour y chercher les vingt écus qu'elle lui devoit ; qu'elle me chargea également de dire au nommé Gloriau et la Fraine, sa femme, qui demeurent près le bourg du Périer, de lui apporter ses papiers afin qu'elle y mit son cachet, et qu'ils en auroient tous ; qu'ayant, en effet, rencontré le dit Legay à la foire susdite et s'étant acquitté envers lui de sa commission, Legay ne voulut point se rendre à l'invitation qui lui étoit faite, et chargea le déclarant de toucher pour lui les 60 francs qui lui étaient dus ; que Gloriau ne voulut point non plus aller la trouver et dit en jurant, que lorsqu'elle lui remettroit les deux louis qu'elle lui devoit, il lui rendroit ses papiers ; que le soir, lorsqu'il rentra chez lui, sa femme lui rapporta que la prétendue princesse, sous prétexte d'aller chez Jean Ledoux, leur voisin, avait pris les habillements de la dite femme, et qu'elle n'était point encore rentrée ..."
Eh bien, ce maraîchin, témoin et victime de la supercherie de cette femme, ne l'aurait certainement pas jetée à la porte de chez lui et ne s'en serait pas débarrassée, si elle-même, se voyant compromise, n'avait pas crû de son intérêt de déguerpir plus loin ; il aurait préféré continuer, tant était gran ce fétiche animé, à être dupé plutôt que de faire voir à ses semblables et surtout aux bourgeois du pays, qu'il avait été indignement roulé. Il donne à cette affirmation une preuve indéniable, en allant, sur l'ordre de cette particulière, dès le lendemain de la découverte du faux trésor, faire ses commissions à la foire de Soullans. Un des siens avait été blagué récemment par le président Chartier de Saint-Jean-de-Monts et le bonhomme y avait été très sensible. Il gardait une profonde animosité contre celui qui s'était permis pareille plaisanterie.
Le bagout endiablé et l'aplomb d'Antoinette captivaient les victimes qu'elle fascinait ; on l'entourait malgré tout de respect, on lui prodiguait des largesses. C'était peut-être un émissaire du roi ! et ces prétendus envoyés n'étaient pas commodes, car ils avaient à leur dévotion certains brigands, comme Laidain et autres, qui ne plaisantaient pas et n'auraient pas pardonné le moindre écart. Ces simples étaient donc malgré tout un peu à plaindre ; on ne peut les accuser de complicité, car ils sont avares de leurs gros sous et ils payaient. Mais ceux qui les exploitaient - cela venait de très haut, comme on le verra tout à l'heure - se dévoilaient comme bien peu dignes d'intérêt.
La fille Cornuailles était également une vulgaire pince-sans-rire, voulant être facétieuse et n'étant que dure et perverse. Elle avait, on le sait, arraché Jacques Bonnin à sa boulangerie et à sa femme : cela ne lui coûta pas beaucoup de démarches et d'insistance, c'est entendu, car ses moyens étaient sans réplique, et l'homme auquel elle s'adressait était susceptible de la comprendre. Mais un jour n'eut-elle pas l'idée malheureuse et méchante de remettre à Pierre Foucaud, meunier à la Burlière, commune de l'Ile-d'Olonne, un gros paquet pour qu'il le portât à la Trichet, femme de son ami, en lui faisant dire qu'il contenait 800 livres, qui lui permettraient de vivre pendant qu'elle retenait son mari près d'elle ! Le commissionnaire s'acquitta de sa charge et, lorsqu'on ouvrit l'envoi devant lui, "le paquet, scellé avec de la pâte, ne contenait autre chose que 5 liards et un dessous d'écritoire en corne, rempli de pâte levée, le tout enveloppé de tant de morceaux de linge, qu'il fallut plus d'un quart d'heure pour le défaire." Il est vrai que l'expéditrice s'engageait à faire beaucoup mieux, dans un avenir très prochain. Les grandes promesses furent ses seules et puissantes ressources pour hypnotiser toutes ses victimes ; il n'y eut jamais à l'appui le moindre argent comptant.
Pendant que la justice recueillait tous ces renseignements, les membres de la famille Cornuailles, qui habitaient Nantes, s'acheminaient vers les Sables-d'Olonne, afin de répondre aux assignations qui leur avaient été notifiées. Ils y arrivèrent le 19 juillet et reconnurent sans hésitation leur intéressante parente, quoique ne l'ayant pas revue depuis huit ans. L'entrevue fut courte et des moins cordiales ; on ne sait pas si ses soeurs et beaux-frères, fort mécontents d'un pareil dérangement, lui adressèrent la parole ; il y avait longtemps sans doute qu'ils avaient apprécié sa moralité et ses instincts de vagabondage. Sa fuite au milieu des chouans, vers les débuts de la guerre, avait pu leur permettre de prévoir la carrière réservée à cette vulgaire aventurière.
On ne peut cependant, d'après l'instruction judiciaire seule, accuser formellement cette femme d'avoir favorisé l'insurrection de 1799, car, aux dires d'un témoin fort galant, qui fut unique, il est vrai à le déclarer, et qui se trouvait avoir été son ancien ... intendant, "elle engagea chacun à rester chez soi et disait que le seul moyen de rentrer dans ses propriétés, était d'avoir la paix, qui devait faire revenir toute sa famille." Mais cette déposition n'a pas grande valeur, car il était bien difficile à cet homme de charger celle avec laquelle il avait vécu pendant de longs mois ; il avait de son côté plusieurs peccadilles à se reprocher et s'efforçait de se disculper en même temps qu'il favorisait son ancienne compagne.
C'est parce qu'ils écoutèrent les bons conseils d'Antoinette que les maraîchins de Saint-Jean-de-Monts ne répondirent pas tout d'abord aux invitations qu'on leur adressa du dehors pour se soulever de nouveau ? Cette réserve momentanée permit au citoyen Joubert de dire : "des billets ont été répandus pour appeler les jeunes gens dans le parti des chouans, mais ils ont repoussé avec indignation les propositions de ces scélérats et ils continuent à se livrer paisiblement aux travaux de l'agriculture". Ces beaux sentiments ne durèrent guère et ils cédèrent bientôt aux menaces des enrôleurs ; dans la commune du Perrier même, il fut établi un comité dirigé par des émigrés et des prêtres rentrés.
Il n'y avait plus qu'une formalité à remplir pour arriver au jugement ; il y fut procédé le 3 août 1802. Dans cet interrogatoire, qui fut le dernier, l'inculpée fit de nouvelles et très importantes déclarations. Quand elle eut répondu "oui" à tous les chefs d'accusation fort graves, portés contre elle, il lui fut posé pour la première fois cette brève question : "N'avez-vous pas été engagée par quelques-uns, à prendre la qualité de princesse ?" Elle avoua en ces termes : "qu'en effet, elle y avait été engagée par le citoyen de la Feilleraye, premier président de la chambre des comptes de Nantes, ainsi que par d'Autichamp, Scépeaux et autres, qu'elle avait suivis parmi les chouans pendant environ six à sept mois."
Cette révélation faite in-extremis, sur une simple question du juge, probablement inspirée par une enquête dirigée par lui, et à la suite de nouveaux bruits parvenus à ses oreilles, était, sans aucun doute, le plus sérieux arguments que l'accusé puisse présenter pour sa défense. Tout démontre la vraisemblance de cette déclaration et indique même qu'elle était l'expression entière de la vérité. Pourrait-on admettre, en effet, que cette campagnarde dépourvue de toute instruction, ne sachant ni lire ni écrire, d'une origine plus que modeste, ayant fréquenté uniquement pendant sa jeunesse des soldats, des ouvriers ou des paysans ignorants, ait pu concevoir seule l'idée de jouer une pareille comédie, tellement au-dessus de ses forces et de ses aptitudes de fille d'auberge, si elle n'y eut été au moins fortement encouragée par des hommes ayant à ses yeux une grande influence et une grosse autorité ? Pourrait-on s'imaginer qu'elle eût trouvé, par ses simples moyens ou par ceux de son entourage immédiat, tous ces liens de parenté, d'alliances princières et royales, qu'elle énumérait à chaque instant, même avec les inexactitudes qui s'y rencontraient parfois ? Cela n'était pas possible à cette époque, où l'instruction était nulle chez les gens de sa condition.
On profita de son audace et de ses instincts de cabotine ; on lui donna quelques conseils et beaucoup de leçons ; on la prépara, en un mot, à mettre en scène cette grosse bouffonnerie, en lui faisant valoir ce qu'elle pourrait lui rapporter pour le moment, et ce qu'elle lui vaudrait dans la suite, si ce qu'on espérait venait à se réaliser.
N'a-t-on pas remarqué dans ce récit que pendant son séjour dans le Marais, "vêtue d'un costume qui n'était pas ordinaire au pays et qui annonçait une certaine opulence", elle entretenait des rapports secrets avec les grands chefs vendéens, en apparence, soumis, mais toujours en travail pour renouveler les hostilités. Cette ancienne domestique de La Feilleraye cherchait, à Nantes, le général royaliste Guichard, qu'elle croyait rencontrer ; elle allait à Vannes porter des nouvelles du marais et demander des instructions pour la Vendée. On l'avait vue à Vieillevigne chez M. de Juigné et chez Madame de Laroche, à Commequiers, se pavaner devant les paysans ébahis de son titre de princesse, que ses hôtes s'empressaient de confirmer ou, tout au moins, de ne pas désavouer. Elle fournissait avec les bandits, ses amis et alliés, des renseignements aux émigrés qui se mettaient à la côte, comme le prouve la volumineuse correspondance des commissaires cantonaux. Ses relations avec les hautes personnalités de Bretagne et de Vendée ne font donc que confirmer l'importance de sa déposition et la rendre encore plus authentique.
Cette hystérique comprit de suite à sa façon, c'est-à-dire avec ses appétits grossiers et dépravés, les plaisirs et jouissances qu'elle pouvait retirer de sa nouvelle mission. Une conviction religieuse ou politique quelconque n'est pas à mettre en cause. L'ancienne cantinière des chouans consentit à tout, rejeta avec désinvolture sa roture par dessus les moulins, s'adjoignit des noms qui parlaient haut, et on l'envoya bien vêtue et bien stylée dans le pays le plus propice pour tenter l'aventure, qui n'engageait en rien la responsabilité des gens qui la lançaient. Cette femme prit goût facilement à cette vie d'intrigues et de supercheries, et s'y adonna avec toute l'ardeur de son instinct vicieux. La ... naïveté des maraîchins fit le reste, et assura un rapide et long succès, qui dépassa sans doute les espérances des metteurs en scène. Il ne faut pas, en effet, douter que ces petits évènements et autres du même genre, eurent une grande influence sur l'esprit du pays qui fut, et sera encore pendant de très longues années, - ce dont certaines personnes lui firent un grand mérite - plongé aveuglément dans ses idées et habitudes réfractaires à tout progrès. La volonté du tenace et puissant Napoléon s'y brisera.
Malgré le réquisitoire très sévère du commissaire du gouvernement, Sourouille-Cailletière, qui demandait trois années d'emprisonnement, Antoinette Cornuailles fut condamnée le 2 septembre, par des juges indulgents, - qui n'apportèrent pas à cette aventure plus d'importance qu'elle n'en comportait, les principaux coupables étant en liberté, - à trois mois de prison seulement et à tous les frais.
Nous n'avons point retrouvé la quittance de paiement des frais taxés à 665 fr.90. Il y a peut-être quelques bonnes raisons pour cela ! Quant à l'honnête Jacques Bonnin, qui avait passé 26 mois avec elle, on le laissa vivre tranquille dans la béatitude de ses bonnes fortunes d'antan. Il y aurait peut-être eu mieux à faire de ce côté-là.
Il n'est pas question, non plus, qu'Antoinette ait été récompensée de ses bons et loyaux services, à l'époque de la Restauration. Elle fut sans doute indignement oubliée, comme la plupart des Vendéens qui avaient sacrifié leur sang et leur fortune au triomphe de la royauté. Elle eut au moins la satisfaction de pouvoir dire qu'elle n'avait laissé dans ses aventures, ni une goutte de sang, ni un écu sortant de sa poche.
G. LOQUET
Société d'émulation de la Vendée
1910