LA TERREUR A BAYONNE
Réclusion du grand-père de Madame Tallien
Dominique Cabarrus, ancien échevin de Bayonne, anobli par lettres royaux du mois d'avril 1789, fut arrêté à deux reprises, comme suspect. La seconde incarcération fut plus sérieuse que la première. Le vieillard (il avait soixante-dix-huit ans) fut envoyé à Tarbes, où il resta détenu près d'un an. Après la réaction du 9 thermidor, due, on le sait, à l'énergie que l'amour de Térésia Cabarrus fit déployer à Tallien, le grand-père de celle qui allait devenir la femme du conventionnel fut relaxé. Parti de Bayonne le 12 octobre 1793, il y rentra le 4 ou le 5 octobre de l'année suivante : il était de passage à Pau le 3 octobre 1794, revenant de sa réclusion.
Dominique Cabarrus était le chef d'une honorable famille bourgeoise, enrichie par le commerce. Il avait conservé, au milieu des malheurs des temps, l'esprit d'ordre et de méthode d'une longue vie de travail. Il a laissé de ces mois de douloureuse séquestration un dossier complet, écrit presque en entier de sa main : notes de gendarmes, de voituriers ou de logeurs ; pétitions et lettres aux autorités ; arrêtés et passeports, etc. Ces pièces sont plus curieuses encore par les détails de moeurs et de procédure qu'elles rappellent que par le personnage qui les a écrites. Elles ont paru de nature à pouvoir être publiées telles quelles. On y verra quelle était la vie d'un négociant de Bayonne à la fin du XVIIIe siècle, l'état de sa fortune mobilière et immobilière, le genre d'affaires auxquels il se livrait ; on y verra aussi le prix des choses, en un moment où il est bien difficile de connaître le pouvoir de la monnaie, l'interdiction du numéraire ayant définitivement avili les assignats.
Cabarrus survécut cinq ans à sa mise en liberté. Il rentra à Bayonne, et se mit courageusement à reprendre des affaires que la Terreur avait singulièrement troublées.
Il n'existe, ni dans le dossier publié ci-dessous, ni dans les autres papiers de Dominique Cabarrus, aucune trace d'une intervention de Térésia en faveur de son grand-père. Mais il est permis de supposer qu'elle ne fut pas étrangère à sa mise en liberté. Il suffit, pour cela, de rapprocher deux dates : la future madame Tallien, arrêtée, le 30 mai 1794, par le général Boulanger, fut relaxée trois jours après le 9 thermidor, le 30 juillet 1794. Cinq semaines après, le 8 septembre, Monestier faisait à la Convention un rapport favorable et obtenait l'élargissement de Cabarrus. On peut croire que Tallien avait intéressé son collègue au sort du vieux Bayonnais.
Paul Labrouche
Revue de Béarn, Navarre et Lannes