TERNI (ITALIE) - PARIS (75) - VALENTINO CASTELLI, LE JEUNE ÉMIGRÉ (1781 - 1844)
LE CHEVALIER VALENTIN-PHILIPPE CASTELLI
Ancien officier de dragons de la garde du vice-roi d'Italie
Professeur de chant et compositeur de musique vocale.
Militaire et artiste à la fois, maniant avec une égale habileté le fusil et l'archet de l'exécutant, Valentino Castelli est une physionomie des plus originales. Peu de carrières ont été aussi actives, aussi fertiles en incidents curieux. Né avec une imagination vive et impressionnable, doué d'une âme de feu, le jeune Castelli connut dès sa plus tendre enfance et l'amour et la haine. La lecture des poètes épiques les plus célèbres de son pays, le récit d'une belle et noble action donnaient tour à tour à son regard, à son geste, une expression de mépris, de colère ou d'admiration.
C'était en 1797, la révolution avançait à grands pas dans la basse Italie. Le jeune Castelli, sorti du collège à quatorze ans, ne rêvait que les beaux temps de l'antiquité romaine. Il soupirait après l'arrivée des Français, comptant sur une régénération salutaire et durable de sa patrie. Il courut, suivi de ses enthousiastes amis, à la rencontre de l'avant-garde du général Victor, à son passage à Otricoli.
Valentino Castelli fut un des vingt-cinq premiers volontaires qui formèrent le noyau de la première légion romaine. Pendant les deux années que dura la république éphémère, il supporta privations, fatigues et dangers, sans se plaindre, sans rien demander.
VALENTINO, LE JEUNE ÉMIGRÉ
Le 23 décembre 1799, par un froid piquant, un jeune homme d'environ 19 ans, de taille moyenne, haut en couleur, robuste, alerte et ingambe, parcourait, avec la vitesse d'un cheval de poste, les bois de l'Esterel que couvrait un pied de neige. Il venait de Cannes et se rendait à Fréjus, où, muni d'une feuille de route, il espérait apaiser une faim dévorante avec les rations que le gouvernement lui fournissait à chaque étape. Son costume était plus que modeste, il portait un pantalon bleu garni de la basane, des guêtres, des souliers ferrés, qu'il tenait de la charité d'un patriote génois, et qui devaient lui servir jusqu'à Dijon, où était le dépôt des réfugiés émigrés italiens. Il était coiffé d'un schako de soldat, une veste courte en drap bleu complétait son accoutrement ; car il n'avait pas de gilet, il l'avait vendu depuis plusieurs jours pour du pain, des figues et une pinte de vin.
Ce jeune homme avait reçu une bonne éducation et contracté des habitudes de propreté, bien contrariées maintenant, qu'il lui fallait, par suite des événements politiques où il s'était trouvé compromis, laver soigneusement tous les cinq à six jours son unique chemise.
Prisonnier des Autrichiens depuis le mois de mai, et forcé de s'enrôler dans leurs rangs, pour éviter leurs cachots, il était parvenu à s'évader pendant un combat qui eut lieu au commencement d'octobre, aux alentours de Gênes, entre les Français et les Autrichiens. Son contentement d'avoir échappé à ses ennemis était tel, qu'il oubliait les fatigues, la misère, la faim, ne songeant qu'à cette France après laquelle il soupirait depuis si longtemps. Il atteignit Fréjus, où le débarquement récent du vainqueur des Pyramides avait laissé un enthousiasme difficile à décrire.
Muni de son billet de logement, d'un pain de munition, d'une demi-livre de viande, il se rendit chez un nommé Portanier, vieux marin aux manières brusques, plein de vigueur, malgré ses 72 ans. En lisant le billet de logement, notre marin, vrai type provençal, jura, pesta, mais voyant l'air résigné du jeune homme et sa physionomie ouverte, et surtout ne pouvant se dispenser de le recevoir, lui dit dans un français qui ressemblait à de l'Italien : "Je vous recevrai puisqu'il le faut, mais je n'ai pas de lit pour vous, et tout ce que je puis faire, c'est de vous donner un peu de paille pour coucher à côté de l'âne, vous serez chaudement ; en attendant, approchez-vous de la cheminée et chauffez-vous".
Notre jeune émigré, après avoir reçu de son hôte quelques fruits secs en échange de sa viande crue, se mit à souper et dévora son pain de munition. Mais voilà qu'au milieu de ce repas d'anachorète, le fils aîné de Portanier, jeune homme de 24 ans, marin et brusque comme son père, descend du premier étage avec un violon sous le bras et un cahier de contredanses. A la vue de cet instrument, notre voyageur se ressouvint qu'à Terni, son pays natal, il avait joué en amateur dans des orchestres, exécutant des messes, des vêpres, des motets, et que, parmi les dames de la ville, il avait la réputation de chanter agréablement en s'accompagnant sur la guitare ; il se rappela aussi d'avoir appris la théorie musicale de Maëstro Bajui, célèbre alors, et que celui-ci l'affectionnait beaucoup à cause de ses heureuses dispositions ; bref, il s'enhardit, et demanda la permission d'essayer l'instrument, mais, ajouta-t-il, vous me permettrez de dégeler un peu mes doigts. "A co va estre curious", ajouta le vieillard d'un air moqueur ; en attendant, le fils fit apporter du vin, mit sur le feu quelques branches sèches et, quelques minutes après, l'amateur préluda et démancha au grand étonnement de Portanier fils, qui en jurait de surprise, - Est-ce que vous lisez la musique ? - Parbleu, je ne joue jamais autrement. - Jouez-moi donc des contredanses. L'artiste les lui enleva une à une et à la première vue. Portanier n'y tenait plus, il frappait des mains, et gambadait comme un fou.
La figure du père s'épanouissait, et son sourire était d'un très bon augure pour le jeune proscrit. Enfin, Portanier lança sa dernière épreuve. - Est-ce que vous joueriez aussi de la musique d'opéra ? - Pourquoi pas, à moins qu'elle ne ressemble à un concerto. - Portanier courut chercher à sa mansarde la partie du premier violon de Panurge, l'amateur la lui joua couramment comme s'il l'eût connue d'avance. Il fallait voir Portanier, transporté de joie, lancer au plafond son tricorne ciré, et courir dans la ville, bousculant, ramassant tous les amateurs qu'il put rencontrer dans l'antique Fretum Julii. Dans l'espace d'une demi-heure, le rez-de-chaussée de la maison Portanier se remplit de violons, d'altos, de violoncelles, d'exécutants, de spectateurs, de marchandes et de bourgeoises du quartier. On étala toute la collection des quatuors de Pleyel, et au milieu des bruyantes libations, des exclamations de surprise de ces bonnes femmes qui, touchées de compassion, ne faisaient que répéter : "- aouré jouin omé !" - Le pauvre jeune homme joua quatre quatuors et trois duos, puis après un copieux souper, on lui apporta une guitare, et il acheva de captiver son auditoire, en chantant cinq à six ariettes italiennes.
On se sépara à une heure du matin, enchanté de part et d'autre. Le père s'étant couché, le fils fit préparer par la servante un grand chaudron d'eau tiède, il aida le proscrit à se débarrasser pour toujours des haillons qui le couvraient, en fit un paquet et le lança dans la rue. Bien nettoyé, bien approprié, couvert de linge blanc, notre musicien impromptu fut conduit au premier étage, dans un bon lit, où bercé par des songes dorés, il dormit tout d'un trait jusqu'à midi ; c'était la première fois depuis neuf mois qu'il couchait dans un lit. Il ne fut réveillé que par la bruyante entrée de Portanier et de sa servante Figueira, laquelle était chargée d'une vaste corbeille remplie de linge et d'effets d'habillement pour la fourniture desquels les musiciens de la veille s'étaient généreusement cotisés.
Enfin, le jour de Noël, notre aventurier sortit dans les rues de Fréjus, vêtu en muscadin et propre comme un sou neuf.
Ce n'est pas tout ; l'aventure s'étant répandue promptement dans la petite ville, la dame la plus élégante, la plus à la mode, donna un raout tout exprès le lendemain, afin d'entendre le déserteur italien. (C'est ainsi qu'on le désignait). La soirée fut brillante : le salon de madame Reverdit, meublé avec goût, contenait une quarantaine de dames et autant d'hommes. On y joua de nouveau les interminables quatuors de Pleyel, et les duos de Viotti. On se regardait mutuellement d'un air étonné ; les plus jolis yeux du monde s'arrêtaient avec compassion et d'intérêt sur le jeune amateur, et l'enthousiasme fut à son comble, lorsqu'on entendit les ariettes italiennes, accompagnées sur la guitare. La dame de la maison aimait passionnément cet instrument, plusieurs de ces messieurs connaissaient l'Italie, du moins jusqu'à Milan, ils ne cessaient de dire que cela leur rappelait les beaux jours qu'ils y avaient passés.
M. Reverdit, premier notaire de l'endroit, homme grave, ne goûtait pas extrêmement la musique ; néanmoins, s'approchant avec bienveillance du virtuose : - Monsieur, dit-il, vous devez avoir reçu une bonne éducation ; quelle profession exerce monsieur votre père ? - Monsieur, il est avocat ; - Ç'est très honorable ! Sans doute avez-vous été au collège ? - Oui, Monsieur. - Connaissez-vous la langue latine ? - Utrique domine, - Agnocis-ae celcherrimos autous regionis tuoe ? - Agnosco illos, et nuper ègomet versiculos, elque latinas conciones sub umbrâ megistri claborabum ! - Oh ! mais voilà qui est étonnant. Et Monsieur Reverdy s'en allait gesticulant et chuchotant avec ces messieurs et ces dames ; Portanier ne cessait de sourire et de cligner de l'oeil, fier de son protégé, et prévoyant la suite de sa précieuse découverte. En effet, la soirée terminée, et à peine le déserteur et son hôte avaient-ils regagné la chambre à coucher, que celui-ci lui frappant brusquement sur l'épaule. "Tiens, dit-il, tu es riche à présent". Il vidait ses goussets sur la commode, on compta quarante-trois beaux écus de six (?) francs ! ... - Une vie d'artiste allait commencer.
VALENTINO CASTELLI est le nom du jeune émigré. Il abandonna la carrière des armes pour se livrer à la composition musicale.
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https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3052233n/f13.item#
Après s'être acquis une grande réputation à Londres, à Dublin, où il fit dans ces deux villes un séjour de six années, il quitta l'Angleterre pour se rendre à Bruxelles ; il devint professeur de la princesse Marianne d'Orange, fille du roi Guillaume.
Castelli résida ensuite à Paris, où il jouît de la même réputation, comme auteur de romances gracieuses ; un genre plus sévère a été même pour lui une nouvelle occasion de succès, car il puisa ses inspirations musicales dans les Méditations de M. Lamartine. (Journal L'Hermine du 3 septembre 1837)
Valentino Castelli est né en Italie, peut-être à Terni, vers 1781.
Après avoir passé six ans à Londres, où il a laissé plusieurs compositions devenues populaires, s'est fixé à Bruxelles au mois de mai 1828, pour y exercer son talent.
Cet artiste ayant demeuré longtemps en France, et voyagé en Espagne et en Angleterre, possédait les langues de ces contrées et connaissait particulièrement tous les genres de musique.
Une annonce, dans les journaux du temps de Bruxelles, ajoute :
"Ceux qui auront été à même d'admirer le beau style de chant de Mme Pasta, et qui désirent l'imiter, pourront s'adresser en toute confiance à ce professeur, sûrs d'en recevoir la tradition fidèle. M. Castelli demeure rue Salazar, 1247."
La dernière livraison du Maître à chanter, journal de chant, publié à Bruxelles, par .... (1828), contient : N'y pensons plus ; Le songe ; T'en souviens-tu ?, duo nocturne, et la Fileuse, morceaux de chant, par Castelli (Valentino).
Il a publié la même année : Come al sulgente sole, cavatine.
Voici la liste de ses oeuvres :
La Revue et Gazette musicale de Paris du 10 mars 1844 - n° 10 - 11e année rapporte ceci :
Un artiste distingué, qui s'était d'abord signalé dans la carrière des armes, M. Valentino Castelli, vient de succomber aux suites d'une opération qu'avait rendue nécessaire une blessure reçue en 1812. Ancien officier de dragons de la garde du vice-roi d'Italie, décoré, sur le champ de bataille, de l'ordre de la Couronne de Fer, M. Castelli possédait, comme compositeur et comme maître de chant, un talent remarquable. Il avait mis en musique plusieurs méditations de Lamartine, dont quelques unes ont été publiées et d'autres sont restées inédites. Il était âgé de 62 ans, et laisse un jeune fils qui cultive avec succès l'art de la peinture.
VALENTINO CASTELLI est mort à Paris (1er arr), faubourg du Roule, 54, le 6 mars 1844, à l'âge de 63 ans. Veuf, il demeurait rue du Cherche-Midi, au n° 10. Sa dépouille fut inhumée au cimetière de Montmartre, division 21, le 8 mars 1844.
Journal Le Nouvelliste du 15 janvier 1856
Les artistes musiciens belges au XVIIIe et au XIXe siècle - 2ème supplément au volume - par Édouard G. J. Gregoir - 1890
État-civil de Paris