Le 30 pluviôse an II (18 février 1794), François-Antoine Michelet, ex-prêtre constitutionnel de Bayeux, détenu en la maison d'arrêt de Coutances, avait envoyé à la municipalité de cette ville ses lettres de prêtrise, et déclaré qu'il ne reconnaissait que "le grand régulateur des lumières".
RÉTRACTATION DE OMER-LOUIS-FRANÇOIS-ANTOINE MICHELET, ex-vicaire épiscopal du citoyen Claude Faucher.
26 août 1796
En voici le texte :
"Je suis âgé de 23 ans, et il y a cinq ans que je suis prêtre ; je le fus donc à l'âge de 18 ans. Alors je ne savais pas réfléchir ; alors je ne connaissais pas assez la grandeur de l'obligation que je contractais ; quoique je ne puisse prétexter d'ignorance absolue, alors je n'appréciais pas assez la sainteté de cet état ; ébloui par la vaine ostentation et les honneurs, par la grandeur et la supériorité factice des places que l'on me promettait, je fis non ce que je voulais, mais ce que voulaient ceux qui m'ont promu au sacerdoce ; à l'instant je fus vicaire de l'évêque intrus du Calvados.
Je me repens bien sincèrement d'avoir donné un grand scandale dans la ville de Bayeux et ailleurs en promettant comme firent plusieurs de mes collègues, d'attacher mon sort à celui d'une femme pour me soustraire aux persécutions des tyrans en mission dans le département, mais grâces soient rendues à Dieu, je n'ai pas consommé cet acte infâme, qui m'eût presque incurablement perdu dans l'opinion publique et qui m'aurait occasionné des remords immortels.
Je ne demande pas moins pardon à Dieu et à la société d'avoir eu la bassesse d'occuper trois places dans la République depuis que j'ai cessé mes fonctions, savoir : d'avoir été secrétaire de l'accusateur près le tribunal militaire de l'armée des côtes de Cherbourg, du directeur général des transports militaires de la même armée et d'avoir secondé dans ses opérations le commissaire du Directoire exécutif près l'administration du canton de Caumont."
RÉTRACTATION ET PROFESSION DE FOI
de Omer-Louis-François-Antoine MICHELET, Prêtre & vicaire de feu Claude FAUCHET, Évêque constitutionnel du Calvados.
12 août 1797
Le vingt-six Août 1796 je me rétractai solennellement, j'abdiquai toutes les places que j'occupais au service de la République, je remis entre les mains d'un grand vicaire de M. DE CHEYLUS, l'acte signé de ma rétractation & mes lettres de vicaire, & je rendis, autant qu'il me fut possible, mes démarches publiques devant les fidèles de ce diocèse & devant les corps constitués à Caen, à Bayeux & dans le canton où j'habitais.
Depuis un an, confiné dans une maison sans jamais respirer l'air, je pleure mes fautes, je ne les pleurerai jamais assez. Ce n'est donc point pour suppléer aucun vice de ma rétractation précédente que je fais imprimer aujourd'hui l'humiliant aveu de mes crimes & de mon repentir ; c'est par obéissance, pour me conformer aux ordres de mes supérieurs légitimes, heureux de trouver le moyen de m'humilier encore davantage, & de rendre ainsi mes erreurs mêmes utiles à l'église.
En 1792, je prêtai le fatal serment de "maintenir de tout mon pouvoir la constitution civile du clergé", & je fus reçu dans le clergé constitutionnel du Calvados. L'Évêque intrus me donna un démissoire pour aller recevoir les trois ordres sacrés dans les diocèses circonvoisins. Je n'avais alors que 18 ans, j'étais dans l'effervescence des passions, sans lumières, sans expérience. Je fus promu tout d'un coup au sacerdoce, contre toutes les règles canoniques, six ans avant l'âge requis par les conciles, n'ayant fait que sept à huit mois de séminaire dans l'ancien régime, sans épreuve, sans interstices, sans dispenses. C'était le règne de la liberté. Il fallait à l'église constitutionnelle de pareils ministres, aussi ne tardai-je pas à occuper les premiers rangs. J'obtins les faveurs de Fauchet, je devins son homme de confiance, son organe, son vicaire, je dirai presque son égal, d'après les nouveaux décrets, & je me vis sans effroi chargé tout à la fois de la malédiction de Dieu, des anathèmes de l'église & de l'horreur des gens de bien. J'étais né d'une famille honnête, fidèle à la religion & à l'honneur Français. J'avais reçu d'elle une excellente éducation & les meilleurs exemples ; j'étais assez instruit pour connaître la grandeur de mes fautes, je ne cherche point à les excuser sur l'ignorance ; mais l'ambition naturelle à mon âge, l'intérêt, la crainte, la folie du jour, les conseils perfides, le désir que j'avais dès mes plus tendres années de recevoir un jour le sacerdoce, étouffèrent dans mon âme le cri de la conscience & de l'honneur, les prières & les larmes de ma famille.
Une fois les premières démarches faites, rien ne me coûta : serment de liberté & d'égalité, soumission aux loix de la République, remise de lettres d'ordre, abdication des fonctions ecclésiastiques, en vertu de l'autorité civile, promesse de contracter mariage pour m'accommoder au tems, liaisons scandaleuses, acceptations de traitemens & de places républicaines, société de jureurs & d'intrus, actes multipliés de schisme & de rébellion contre l'église, exercice sacrilège du saint ministère ... Je me jettai tête perdue dans le tourbillon de la révolution, je me lassai dans les routes de l'impiété & de la perdition, & ce ne fut qu'après cinq ans de délire & de crimes que j'ouvris enfin les yeux sur la profondeur de l'abîme où j'étais enseveli.
J'entrais dans ma vingt-troisième année, l'âge commençait à mûrir mes réflexions. Combien j'en fis alors ! ... J'avais eu le tems de lire nombre d'excellens ouvrages sur le dogme, la morale, la discipline, la hiérarchie de l'église, de comparer la pureté de leurs principes avec ce limon infect que produisit journellement le schisme & la philosophie moderne. J'avais médité attentivement les lettres vraiment pastorales des évêques de France, & sur-tout ces brefs paternels pleins de sagesse & d'onction émanés de la chaire apostolique. Cette voix puissante de l'église de France unie avec son chef, cette voix qui avait retenti par-tout, qui avait été généralement accueillie, approuvée de tous les Évêques du monde chrétien, avait jetté dans mon âme un trouble salutaire. J'avais vu la rage des impies se porter dans les temples, briser les autels, profaner les saints mystères & chercher à éteindre jusqu'aux dernières étincelles du christianisme. Au milieu de mes égaremens j'avais conservé la foi, j'étais révolté de ces horreurs. J'avais été témoin des persécutions en tout genre suscitées contre les prêtres catholiques ; j'admirais leur fermeté soutenue, leur zèle, leur charité, leur patience inaltérable. Par un contraste frappant je voyais en même tems les prêtres constitutionnels se jouer des parjures & de l'apostasie, afficher par-tout l'insubordination, la licence, l'athéisme, appeler contre les prêtres catholiques la tyrannie, le meurtre, la dévastation & traîner en trophée jusqu'aux pieds des autels les fruits impurs de leurs débauches & les chaînes honteuses de leur lubricité. A la vue de ces excès les prêtres jureurs effrayés eux-mêmes revenaient en foule se jetter aux genoux du clergé fidèle, & détestaient leurs erreurs. L'exil, les prisons, la mort ne les arrêtait pas. Changés tout-à-coup, par un miracle de la grâce, de persécuteurs de la foi, ils devenaient les confesseur de Jésus-Christ. On voyait non-seulement de simples prêtres, mais encore les évêques intrus & leurs vicaires qui s'accusaient publiquement eux-mêmes, donnaient leur démission, imploraient la clémence du souverain pontife ; on voyait les chefs du parti les plus ardens, Gobel, Lamourette, Faucher qui, tremblans à l'aspect du supplice, de ce moment terrible où les passions se taisent, où l'on est près de paraître devant le juge souverain des vivans & des morts, s'empressaient d'effacer par leur désaveu le scandale de leurs déclamations virulentes. Telles furent les réflexions salutaires qui m'arrachèrent enfin du sommeil de la mort ; telles furent, ô mon Dieu, les puissans ressorts que votre infinie miséricorde employa pour combler le gouffre de ma corruption.
Je conjure les ecclésiastiques qui ont fait comme moi des fautes, ou de plus grandes encore, que l'orgueil, la cécité, la fureur du schisme tient encore opiniâtrement attachés à leurs erreurs, de réfléchir sérieusement sur les grandes vérités qui m'ont ouvert les yeux, de ne point continuer à égarer les peuples abusés, de se ressouvenir qu'ils se briseront contre la pierre, & qu'ils rendront un jour un compte terrible à Dieu de la perte de tant d'âmes. J'invite les malheureux peuples à quitter enfin les faux pasteurs qui les ont séduits, à retourner à la religion de leurs pères, à se convertir & à pardonner ; & pour achever de les éclairer, en rendant publiquement hommage à cette religion sainte dans laquelle je veux vivre & mourir, je joins ici ma profession de foi qui est celle de l'église catholique, apostolique & Romaine.
PROFESSION DE FOI
1°- Je crois fermement que le pape est véritablement le vicaire de Jésus-Christ sur la terre, le successeur de saint Pierre, le chef visible de l'Église universelle ; que son siège est le centre de l'unité ecclésiastique, &c. &c. &c. Je promets & je jure (Selon le bref du mois de juin 1791) respect & soumission au pape Pie VI, & à ses successeurs légitimes dans le siège de Rome.
2° - Je crois que les évêques légitimement élus sont les successeurs des apôtres, les frères & coévêques du pape ; qu'ils sont juges naturels de la foi & de la doctrine, établis immédiatement par le Saint-Esprit, pour gouverner leurs diocèses, qu'ils sont de droit divin supérieurs aux prêtres.
3° - Je crois, d'après la doctrine expresse du saint concile de Trente, qu'il n'y a d'évêques légitimes dans l'Église que ceux qui sont aujourd'hui confirmés par le saint siège, & conservent sa communion ; de même qu'il n'y a de curés légitimes que ceux qui ont été nommés selon les règles adoptées par l'Église. Je rejette avec horreur tous les évêques, curés & autres pasteurs choisis par les électeurs ou par le peuple, d'après la constitution civile. Je reconnais qu'il n'y a eu de véritable évêque de Bayeux jusques à sa mort, que Monseigneur DOMINIQUE DE CHEYLUS. Je dis anathême à Claude FAUCHET & à ses adhérens, qui n'exercent qu'un ministère de mort, tant pour eux que pour les Fidèles qui sy adressent. Je me condamne moi-même, & je conjure toutes les personnes que j'ai mariées ou confessées, pour revalider leurs mariages ou leurs confessions. J'abdique avec horreur les lettres de vicaire, directeur du séminaire, & de membre du conseil ecclésiastique du Calvados, que j'ai eu le malheur de recevoir ; je déclare que tous les actes que j'ai faits en les qualités ci-dessus, dans l'étendue du diocèse de Bayeux, & dans les parties des diocèses voisins y réunies par l'autorité laïcque, qui seule en a réglé la démarcation, nuls & de nul effet ; & je renonce à entretenir aucune communication avec les jureurs & les intrus, ou autres rebelles à l'Église, de quelque nom qu'on les appelle.
4° - Je crois que la puissance spirituelle donnée à l'Église par Jésus-Christ, est indépendante de la puissance temporelle.
5° - J'honore le mariage des Chrétiens comme un état saint, lorsqu'il est contracté selon les lois de Jésus-Christ & de son Église. Je crois que ce lien spirituel est indissoluble de droit divin.
6° - J'honore le célibat religieux comme un état plus parfait que celui du mariage, & j'admire la sagesse & la sainteté de l'Église latine en déclarant nuls & sacrilèges les mariages de ses ministres. Si j'ai eu la faiblesse de paraître me prêter en ce point aux vues du gouvernement, je proteste que la terreur seule me dicta cette démarche, & que je ne détestai pas moins toujours au fond du coeur, ces alliances ignominieuses, qui fond le scandales des Fidèles, & l'opprobre du clergé constitutionnel.
7° - Fermement attaché à tous ces principes, je rejette la constitution civile du clergé de 1791, comme la source empoisonnée de toutes les erreurs. Je rétracte le serment civique, par lequel j'ai juré de la maintenir de tout mon pouvoir, & je me soumets avec humilité aux censures réservées au saint siège, que le souverain pontife a justement prononcées contre les prêtres coupables d'un si énorme parjure.
8° - Je déteste pareillement le serment de liberté & d'égalité dans le sens qu'il est exigé par l'assemblée nationale. Je reconnais que c'est avec raison qu'il a été condamné d'avance dans le bref du dix mars 1791, & depuis par le saint siège & les évêques de France, comme n'ayant d'autre but & ne pouvant avoir d'autre effet que de soutenir & de propager un système monstrueux de confusion, de révolte & d'anarchie.
9° - Je ne ferai jamais d'acte de soumission aux lois de la République Française, que je n'y sois autorisé par mes supérieurs légitimes. J'imiterai en tout leurs saints exemples.
10° - Je rétracte comme crime d'apostasie toute remise de lettres, toute abdication de fonctions ecclésiastiques.
11° - Je reconnais que sous aucun rapport je n'ai pu licitement percevoir le traitement accordé aux ministres de l'église constitutionnelle, & je promets, dès que j'en aurai les moyens, en faire la restitution aux pauvres ou aux églises, ainsi qu'il est prescrit par les règles canoniques.
12° - Je crois enfin généralement tout ce que croit & enseigne l'église catholique, apostolique & Romaine, & je condamne tout ce qu'elle condamne. Ainsi Dieu me soit en aide & les saints évangiles. Puisse aussi l'église catholique que j'ai trahie, puissent mes supérieurs légitimes, puissent tous les vrais fidèles me recevoir avec indulgence & charité ! ...
OMER-LOUIS-FRANÇOIS-ANTOINE MICHELET.
Arch. nat. F. 19, 1016 - L'Archiviste : revue historique et documentaire - Léon Séché - Tome Ier - 1893