PARIS (75) - ANGE-HYACINTHE-MAXENCE, GÉNÉRAL BARON DE DAMAS DE CORMAILLON (1785 - 1862)
Fils de Charles (1758 - 1795), baron de Cormaillon, et de Marie-Gabrielle-Marguerite de Sarsfield (1767 - 1833), ANGE-HYACINTHE-MAXENCE, baron de Damas, est né à Paris le 30 septembre 1785.
Il émigra avec sa famille en 1791 et à la mort de son père Charles de Damas à Quiberon, colonel aide de camp de Monsieur, Maxence de Damas, descendant par sa mère de Patrick de Sarsfield, général irlandais, et petit-fils du lieutenant général de Sarsfield, gouverneur de Lille, chargé de la défense des côtes françaises face à l'Angleterre, est conduit en Russie par son oncle le duc de Richelieu qui le présente au Tsar Paul Premier, pour intégrer l'école militaire des cadets de Saint-Pétersbourg.
A l'âge de 15 ans, il fut nommé sous-lieutenant dans un régiment du génie. Peu de temps après, l'empereur Paul le transféra dans l'un des régiments de sa garde, celui de Sémenovski. Le baron de Damas a passé par tous les grades et fait presque toutes les campagnes auxquelles a pris part le corps où il servait. Il fut blessé à la bataille de la Moskova en 1812, et bientôt après nommé au commandement des grenadiers d'Astracan, et en même temps de la brigade formée par ce régiment et par celui des grenadiers de Fanagorie. Il commandait ces deux régiments lorsqu'il fut nommé général-major (maréchal-de-camp) pendant la campagne de 1815.
Lorsqu'en 1814, Louis XVIII eut été reconnu, le baron de Damas passa au service du roi de France dans son grade : le 10 avril 1815, il fut élevé à celui de lieutenant-général. Pendant les Cent-Jours, le baron de Damas, qui, en 1814, avait été attaché à M. le duc d'Angoulême dans la double qualité de gentilhomme d'honneur et d'aide-de-camp, remplit, en suivant ce prince, dans le Midi et en Espagne, les fonctions de sous-chef d'état-major, puis celles de chef d'état-major.
En octobre 1815, il fut chargé du commandement de la 8e division militaire à Marseille.
Lors de la révolution de Sardaigne, en 1820, Louis XVIII ordonna au baron de Damas de se rendre auprès du roi Victor-Emmanuel. Il a commandé à Marseille jusqu'au commencement de 1823, époque à laquelle il marcha à la tête de la 9e division de l'armée d'Espagne. Il fut chargé du blocus de Figuières et du commandement dans la partie de la Catalogne dont Gironne est le chef-lieu. Au mois de septembre, une colonne espagnole, plus forte que toutes les troupes dont le baron de Damas pouvait disposer, sortit de Barcelonne et marcha sur Figuières. Mais après avoir combattu les 15 et 16 à Llers et Llado, le baron de Damas fut assez heureux pour faire prisonnière toute la colonne ennemie. Figuières se rendit bientôt après.
Au mois d'octobre suivant, il fut nommé ministre secrétaire d'état de la guerre, puis au mois d'avril 1824 chargé en la même qualité du département des affaires étrangères. Il avait été élevé à la pairie par suite de la campagne de 1823.
En janvier 1828, il quitta le ministère et fut nommé ministre d'état, puis au mois d'avril suivant gouverneur de monseigneur le duc de Bordeaux.
En juillet 1830, le baron de Damas suivit son élève en Angleterre, puis en Autriche, et au mois de novembre 1833, ayant reçu sa démission, il se retira au château de Hautefort.
Il a été décoré successivement des ordres :
- de Russie, de Sainte-Anne de 3e et de 2e classe, de Saint-Wolodimir de 3e classe, de Saint-Georges de 3e classe, du grand cordon de Saint-Alexandre Nevsky, et d'une épée en or, ornée de diamants, avec l'inscription : "pour la valeur" ;
- de Sardaigne, de la grand'croix de Saint-Maurice et de Saint-Lazare ;
- de Wurtemberg, de la grand'croix de l'ordre de ce royaume ;
- d'Espagne, des grand'croix de Saint-Ferdinand et de Charles III ;
- de Portugal, de la grand'croix de Saint-Jacques de l'Épée ;
- de Toscane, de Saint-Joseph ;
- des Deux-Siciles, de la grand'croix de Constantinien ;
- de Malte, bailli ;
- de Hongrie, de la grand'croix de Saint-Étienne.
Le baron de Damas est grand'croix de l'ordre de Saint-Louis et Grand-Officier de la Légion d'honneur.
Il avait épousé, par contrat signé par le roi et la famille royale, et passé devant Trutat et Pean de Saint-Gilles, notaires royaux à Paris, le 7 juin 1818, Sigismonde-Charlotte-Laure de Hautefort, fille d'Amédée-Louis-Frédéric-Emmanuel, comte de Hautefort, et d'Alix-Julie de Choiseul-Praslin.
De ce mariage sont issus :
- Charles-Gabriel-Godefroi-Marie-Maxence-Michel de Damas, né à Marseille le 15 mai 1819 ; prêtre ; décédé à Paris, le 26 mars 1845 ;
- Pierre-Marie-Edmond de Damas, né à Marseille le 13 mai 1820 ; comte d'Anlezy ; décédé le 18 mars 1875 à Anlezy (58) ;
- Amédée-Jean-Marie-Paul de Damas, né à Marseille le 4 juillet 1821 ; Jésuite ; entré au noviciat le 2 septembre 1838. Il fit, comme aumônier, les campagnes de Syrie et de Crimée. Lors de la guerre de 1870, il visita nos prisonniers en Allemagne, leur apportant les consolations religieuses et les secours temporels recueillis en France. Recteur de Collège, Supérieur de résidence. Missionnaire en Orient, puis Supérieur de la Mission d'Arménie. Auteur de divers ouvrages sur l'Orient ... ; décédé à Clermont-Ferrand, le 19 juin 1903 ;
- Alfred-Jacques-Marie-Maxence-Michel de Damas, né à Marseille le 6 octobre 1822 ; décédé en sa villa Salisbury à Billère (64) le 14 avril 1887 ;
- Alix-Laurence, née à Paris, le 13 septembre 1824 ; duchesse de Blacas d'Aulps ; décédée au château de la Roussière, Saint-Maixent-de-Beugné, le 4 février 1879 ;
- Paul-Marie de Damas, né à Paris le 6 juin 1826 ; vicomte de Damas ; Commandeur de l'ordre de S. S. Pie IX ; décédé à Libourne (33), le 10 janvier 1900 ;
- Charles-Marie-Michel de Damas, né à Paris le 30 juillet 1827 ; Entré au noviciat des Jésuites le 15 octobre 1844. Il s'enferma dans Belfort pendant le siège de cette ville, en 1870 - 71, et y exerça son ministère à travers les éclats de bombes et d'obus. Un jour, sa soutane fut mise en lambeaux, et le combat fini, il rentra sans aucune blessure. Après la guerre, il fut chargé des fonctions d'aumônier militaire à Grenoble. Les aumôniers ayant été supprimés par le gouvernement républicain et franc-maçon, il fit plusieurs traversées de France au Tonkin, en qualité d'aumônier libre, prodiguant ses soins spirituels et temporels à nos soldats, tant au départ qu'au retour. Charles n'avait pas quinze ans lorsqu'une douleur dont il souffrait dans la jambe gauche s'aggrava à tel point qu'il ne pouvait plus quitter l'infirmerie ; les médecins ne le soulageaient pas ; Charles eut l'inspiration de demander sa guérison par la vertu d'une relique insigne que l'on venait d'apporter au collège ; c'était un fragment de la Sainte Tunique de Notre-Seigneur, vénérée à Argenteuil, près Paris. La foi du jeune malade fut récompensée ; il obtint après plusieurs neuvaines l'attouchement de la relique et le mal disparut pour ne plus revenir ; décédé à Lyon le 1er mars 1898 ;
- Albéric-Marie de Damas, né à Paris le 22 octobre 1828 ; capitaine au 2e régiment de chasseurs d'Afrique ; tué au pont de Palikao, dans la campagne de Chine, le 19 septembre 1860, en commandant la charge à la place de celui qui aurait dû la commander ;
- Henri-Louis-Marie de Damas, né à Paris le 5 février 1830 ; décédé le 25 août 1838, au Pensionnat d'Estavayer-le-lac (Suisse) ;
- Marie-Philomène-Thérèse de Damas, née à Hautefort, le 29 octobre 1834 ; historienne, auteur d'une généalogie de la Maison d'Hautefort ; marquise de Cumont ; décédée en 1903.
Sigismonde-Charlotte-Laure d'Hautefort est décédée à Paris, en son domicile, rue de Varennes, n° 16, le 10 septembre 1847.
Le baron de Damas mourut en son hôtel à Paris VIIe, le 6 mai 1862. Ses obsèques furent célébrées en la paroisse Saint-Thomas-d’Aquin le 9 et il fut inhumé à Anlezy (Nièvre). Son coeur repose auprès du corps de son épouse dans un monument sépulcral probablement exécuté au château de Hautefort, en 1862 / 1863, puis transféré dans la chapelle de l'Hôtel-Dieu en mars 1891.
Épitaphe (sur le socle) : ICI REPOSE/SIGISMONDE CHARLOTTE LAURE D'HAUTEFORT NEE A PARIS LE 2 JUILLET 1799 DECEDEE LE 10 7BRE 1847/EPOUSE DE ANGE HYACINTHE MAXENCE BARON DE DAMAS NE A PARIS LE 30 7BRE 1785, LT G.AL DES ARMEES DU ROI/PAIR DE FRANCE MINISTRE SECRETAIRE D'ETAT DE LA GUERRE MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES MINISTRE D'ETAT/GOUVERNEUR DE SAR MGR LE DUC DE BORDEAUX, GD CROIX DE L'ORDRE DE SAINT LOUIS GD OFFICIER DE LA LEGION D'HONNEUR/GD CROIX DE ST ETIENNE DE HONGRIE. DECORE DES ORDRES DE ST GEORGES DE RUSSIE. DE ST MAURICE ET ST LAZARE/DE CHARLES III D'ESPAGNE ET DE PLUSIEURS AUTRES ORDRES/DECEDE A PARIS LE 6 MAI 1862/SON COEUR EST DEPOSE ICI ; armoiries identifiées (à l'extrémité antérieure du tombeau) : écartelé, aux 1 et 4 : d'argent à la hie de sable posée en bande accompagnée de 6 roses de gueules ; aux 2 et 3 : d'or à la croix ancrée de gueules (maison de Damas, branche de Cormaillon)
Archives généalogiques et historiques de la Noblesse de France ... Volume 5 - de P. Louis Lainé - 1836
Le P. Charles de Damas - texte imprimé - imprimerie niortaise (Périgueux, Médiathèque Pierre Fanlac, BPZ-515)
1889 - Le livre d'or des élèves du pensionnat de Fribourg en Suisse - 1827 - 1847
ALFRED-JACQUES-MARIE-MAXENCE-MICHEL DE DAMAS, ministre des écuries du comte de Chambord.
Quatrième fils du général baron, Maxence II est décédé à Billère (64), le 14 avril 1887.
Si l'on n'a pas parlé davantage du comte Maxence de Damas, c'est qu'il s'était toujours abstenu, avec une dignité dont bénéficiera vraisemblablement sa mémoire, des faits et gestes sur lesquels la chronique parisienne établit aisément une renommée. Il ne fut ni homme de plaisir, ni homme politique. Né grand seigneur, il se borna à vivre en cette qualité, et la seule marque spéciale qu'on puisse relever à son endroit, est celle qu'imprime à certains caractères d'élite le dévouement immuable, absolu en faveur d'une seule cause.
On a souvent dit que l'empereur Napoléon III, au début de son règne, lui avait fait offrir le poste de grand-écuyer, qui entrait si bien dans ses aptitudes et qui répondait si directement à sa rare expérience ; mais nous pensons que cette offre ne fut jamais faite directement, car M. de Damas n'était pas de ceux qu'on détourne, soit avec de l'argent, soit même avec des honneurs, de la voie qu'ils se sont une fois tracée et dans laquelle ils sont entrés, pour aller jusqu'au bout, avec le plus entier renoncement. Il se contenta toujours - en réservant toutefois l'avenir - du titre modeste qu'il se donnait volontiers, de "ministre des écuries du comte de Chambord". Ce titre, qui pouvait sembler banal aux yeux du grand nombre, avait pour complément une sorte d'amitié intime qui, en dehors de toute fonction, le rapprochait du royal prétendant.
De deux ans plus jeune que le comte de Chambord, on peut dire qu'il a vécu en lui et pour lui, jusqu'au jour où la mort est venue briser ce pacte et, le cercueil du plus aimé, du plus digne d'être aimé des maîtres, emportait une bonne part de la vie de ses serviteurs. Pour lui, plus rien n'était, pour ainsi dire, en ce monde après la mort de celui qui fut sa vie.
Le comte de Damas (il était comte depuis 1841, ayant hérité ce titre de son oncle décédé sans enfant) avait tout réglé, en ce qui concernait ses fonctions de grand-écuyer, pour la rentrée du Prince restauré dans sa capitale. Les voitures et leurs attelages, le cheval que Monseigneur devait monter, tout avait été choisi, réglé, prévu par lui avec amour. Hélas ! ces préparatifs-là devaient être vains et, dix ans plus tard, le comte de Damas commandait, à Vienne, le corbillard qui conduisit à son dernier asile le dernier des Bourbons de la branche aînée. C'est lui qui présida à l'attelage des six postières grises caparaçonnées de drap noir fleurdélisé, qui sortirent, dans le funèbre jour, des écuries de Frohsdorf, pour conduire leur maître au caveau de Castagnavizza, où dormaient déjà les exilés de sa race.
M. de Damas, lorsqu'il prit en mains la direction des écuries de Frohsdorf, les monta d'abord en chevaux anglais, exclusivement pour tous les services. Cinquante chevaux avaient été choisis, triés par lui un par un, en Angleterre. Plus tard, lorsque la situation obérée que légua Mme la duchesse de Berry nécessita des réformes dans la maison de son fils, les chevaux anglais furent remplacés par douze paires de percherons. En dehors des chevaux de selle, toutes les voitures de Monseigneur furent, dès lors, attelées en poste.
Les chevaux de selle ! Vous jugez si la sollicitude de M. de Damas, qui s'appliquait à tout, dans son domaine, et réglait, chaque jour, la sortie des hommes et des chevaux sur des feuilles spéciales rigoureusement tenues comme un grand livre, était éveillée sur le chapitre des chevaux que devait monter Monseigneur ! Depuis l'accident de Kirchberg (28 juillet 1841) - col du fémur gauche fracturé - accident qui le forcera à une longue convalescence et lui laissera une claudication - il lui fallait des chevaux sûrs et parfaitement mis. Tel fut d'Arc, son dernier cheval favori ; tels furent encore Tristan, Ventre-Saint-Gris, un poney et bien d'autres encore.
Ce nom de Ventre-Saint-Gris était un souvenir non seulement du grand roi Henri, mais plus spécialement du voyage en Orient, dont le comte Maxence de Damas était, avec le duc de Lévis, les comtes de Blacas, de la Ferronnays, de Monti de Rezé, l'abbé Trébuquet, le secrétaire M. Moriat, le fidèle valet de chambre Obry, M. de Damas, comme de raison, organisa toute la cavalerie des voyageurs, et Ventre-Saint-Gris était le nom dont fut baptisé la résistante et excellente monture sur laquelle Monsieur le comte de Chambord fit toute la campagne, après qu'on eut mis la main sur elle, à Beyrouth.
Il fallait entendre le comte de Damas reverdir en racontant ces beaux et brillants souvenirs ! Personne n'avait voyagé plus intimement que lui avec l'ancien élève de son père, d'autant plus disposé peut-être à s'épancher avec lui qu'il se tenait plus en dehors de la politique. C'est avec M. de Damas et M. de Foresta que le comte de Chambord fit, dit-on, son premier voyage en Suisse, avec deux valets de chambre pour toute suite. Il lui arriva, un jour, d'aller de Genève à Ferney, en territoire français, avec M. de Damas. Il se plut à causer avec un gendarme, qui le persécutait pour lui vendre un chien : "S'il avait su à qui il parlait, disait Monseigneur, c'est peut-être à moi qu'il aurait mis le collier !"
Certes le comte Maxence de Damas n'avait pas atteint ce qui, pour les hommes de sa trempe, peut sembler l'âge de la mort ; il était grand, sec, droit, nerveux. Mais il avait le découragement de la vie. Lui, si hospitalier, si brillant jadis, il se repliait à présent sur lui-même, entouré des images de ce qu'il avait aimé, des souvenirs de son Prince, dont il avait constamment près de lui le masque moulé après la mort, et il ne se ranimait plus guère que pour redire ce qu'avait été pour ceux qui l'ont connu et ce qu'aurait été pour la France le Roi qui n'a régné qu'idéalement sur elle.
Il était bien le digne fils de ce baron de Damas, qui fut gouverneur du duc de Bordeaux après le duc de Rivière et qu'il ne faudrait point juger d'après les injustes appréciations de Chateaubriand, qui aurait voulu sa place. Lamartine a mieux parlé du général baron de Damas, quand il nous vante son sens droit, son travail obstiné, sa vertu incorruptible à l'air des cours, sa fidélité à toute épreuve. Il paraît qu'il lui manquait seulement un peu de brillant et de séduction.
Sa mère était une demoiselle d'Hautefort, descendante de Marie d'Hautefort dont le doux rayonnement de beauté a laissé comme un reflet d'idylle sur le règne mélancolique de Louis XIII. C'est de là qu'est venue aux Damas, dans la Dordogne, la résidence princière d'Hautefort, château auquel est attaché le souvenir terrible et tendre du fameux Bertran de Born, tantôt ami et tantôt ennemi de Richard Coeur-de-Lion. Guerroyeur, poète, vicomte, malandrin, Bertran de Born est, comme on sait une des figures les plus curieuses du douzième siècle. Il chantait l'amour comme un trouvère et imprimait à la satire la violence d'un véritable pamphlet. Il déchirait à belles dents ceux qu'il ne pouvait battre, et c'est du château d'Hautefort, son repaire, qu'il décochait ses épigrammes sanglantes quand par hasard il n'allait pas piller ou brûler ses voisins. Richard Coeur-de-Lion éprouva à son tour les effets de cette humeur goguenarde et de cet esprit à l'emporte-pièce. Comme il avait d'autres armes à sa portée, il alla mettre le siège devant Hautefort, s'en empara d'assaut, saccagea le place et força Bertran de Born à s'humilier et à demander grâce. C'est à ce prix qu'il lui rendit son amitié. En attendant, il avait tout démoli et massacré chez ce vassal ; cela pouvait valoir une épigramme.
C'est à Hautefort que le baron général de Damas s'était retiré pour clore sa carrière déjà si remplie par ses campagnes sous l'Empire, l'expédition de 1824 en Espagne, ainsi que les différents postes occupés soit dans le gouvernement soit à la cour. L'inaction pesait sans doute au vieux soldat, car il prit une part active aux intérêts administratifs de sa contrée, qu'il représenta comme conseiller général et à laquelle il fut utile en inaugurant à Périgueux, en 1848, un système tout nouveau de banque populaire. Seulement, il avait une drôle de manière de comprendre la banque, et ce seul fait donne la mesure de son caractère. Sa maison de crédit fournissait de l'argent à tout le petit monde, boutiquiers, ouvriers, cultivateurs, n'importe, et cela sur parole, sans aucune reconnaissance écrite et sous la seule garantie de la parole donnée. - "Tu as besoin d'argent, en voilà ; mais promets-moi de me le rendre". Cela s'appelait le "prêt d'honneur". Les bonnes gens promettaient toujours, mais ils ne rendaient pas de même. Quoi qu'il en soit, cette banque fut très populaire, et le nom des Damas en bénéficia moralement. L'initiative n'était pas du premier venu.
Tel n'était pas, d'ailleurs, le personnage tout d'une pièce ayant rempli en haut lieu les fonctions les plus difficiles et les plus délicates, et bien que sa grande valeur ait été discutée par certains, il faut dire aussi qu'elle fut reconnue par le plus grand nombre. Ce qu'on ne saurait trop admirer en lui, c'est la grandeur de caractère, qui semble avoir été de tout temps l'apanage de la famille de Damas. Le général devait la transmettre intacte à son fils ; peut-être même exagéra-t-il, à cet égard, les leçons qu'il lui donnait. Après avoir concouru à faire l'éducation d'un enfant de France, il ne se souvint peut-être pas assez que son fils n'était qu'un enfant du Périgord. Il lui donna une éducation princière et développa en lui des sentiments dont la générosité n'était peut-être pas en rapport avec la fortune qu'il devait avoir, quelque considérable qu'elle fût.
Il faut que j'ajoute un dernier trait à cette esquisse rapide du général baron de Damas. Ayant des principes religieux très fermement arrêtés, à Paris comme plus tard en Périgord, il suivait avec une extrême ponctualité toutes les pratiques du culte. En cela, il eut pour compagnon le maréchal Soult lui-même. Peut-être bien que ce dernier n'était pas aussi convaincu : dans tous les cas, sa ferveur ne pouvait dater d'aussi loin. Non content d'aller à la messe, à vêpres, de communier en temps voulu, le général baron de Damas ne manquait jamais de suivre les processions ; en pareille circonstance, on était toujours sûr de le rencontrer un grand cierge à la main. Il y avait des loustics, de ce temps là comme du nôtre ; l'un d'eux appela le cierge dont paraissait sans cesse orné le général : "la lame de Damas". Le mot fit fureur.
M. Maxence eut une jeunesse dont le côté brillant et magnifique est resté la légende de tout le Périgord. Le vieux repaire de Bertran de Born, transformé de siècle en siècle et devenu une sorte de palais, ne vit jamais compagnie aussi nombreuse et aussi souvent renouvelé. Tous les hobereaux de la région avaient en quelque sorte élu domicile à Hautefort et les distractions ainsi que les bons soins qu'ils y trouvaient étaient un sujet de conversations sur lequel on ne tarissait pas. Aussi, le nom de "monsieur Maxence", comme on appelait M. de Damas, vivra longtemps dans le souvenir de ceux qui connurent cette éclatante période. M. de Damas, tout grand seigneur qu'il était, - et peut-être pour cela seul - n'avait aucune morgue. A Hautefort, il était familier et affable avec tous ; et le dernier des paysans n'éprouvait aucune contrainte à converser avec lui. C'était pourtant un homme qui était fait pour en imposer, mais son regard respirait tant de douceur et sa main était si largement ouverte pour les pauvres et les nécessiteux, qu'il se conciliait, sans y prendre garde, les esprits les plus ombrageux et les natures les plus rebelles.
Malheureusement, cette existence princière devait éprouver un ralentissement à la suite d'une spéculation, dans laquelle M. de Damas, entraîné par un de ses amis, fit des pertes considérables. Cet homme à l'âme si belle, au coeur si loyal, n'était pas armé pour se défendre des autres et souvent de lui-même, c'est-à-dire de son excessive générosité. Pourquoi ne lui avait-on pas fait méditer, dans son enfance, les paroles suivantes de l'ancien seigneur d'Hautefort, Bertrand de Born : "Je crèverai les yeux à qui voudra m'ôter mon bien ?" Mais qu'importait l'argent à cet homme, qu'une immense tristesse morale avait assailli déjà et qui allait se trouver associé, durant tant d'années, à l'infortune d'un prince, pour toujours de sa patrie ?
M. de Damas avait été marié deux fois : la première avec Amandine-Louise-Marie de La Panouse, née à Paris, le 25 juillet 1827, fille d'Alexandre-César de La Panouse et de Anastasie-Charlotte Macquerel de Pleineselve, décédée à Hautefort, le 30 janvier 1851 et la seconde - après un long veuvage - avec une Anglaise, Isabella-Déborah Young, née à Londres, le 23 mai 1826, 6ème fille de John Young de Westridge, île de Wight, et de Jane Smith, veuve en premières noces de Edward Cotteril Scholefield, décédée à Paris, rue Christophe Colomb, n° 3, le 13 mars 1904.
C'est un délicieux roman d'amour que l'histoire du premier mariage ; mais, hélas ! la mort vint le clore brusquement, et la douleur que M. de Damas en ressentit fut si vive qu'un instant on craignit pour sa propre vie. Il transforma l'appartement de Mme de Damas en une sorte de chapelle ardente où lui seul venait prier et pleurer chaque jour. La magnifique chambre à coucher était restée dans le suprême désordre de l'agonie ; le lit gardait encore l'empreinte de la morte, et tout auprès, sur une sorte d'autel, était l'image en pied de la jeune femme dans tout l'éclat de sa beauté. C'est à ce culte passionné, attaché par M. de Damas à la mémoire de celle qu'il avait tant aimée, qu'a trait l'anecdote authentique par laquelle je vais finir.
Il y avait un jour nombreuse compagnie au château. Comme M. de Damas était veuf depuis des années, les visiteurs ne mettaient aucune retenue à se distraire. Parmi eux, se trouvait une dame dont la beauté était alors célèbre et dont la bonne renommée a depuis souffert quelque peu. Le fait est, qu'elle avait, à ce moment, un violent caprice pour M. Maxence de Damas. Le matin même du jour dont je parle elle lui avait écrit en lui assignant pour le soir un rendez-vous.
M. de Damas s'y rendit. Jamais il n'avait été plus poli, plus respectueux, plus aimable et plus calme en même temps. Ce n'était pas Pygmalion voulant animer Galathée. C'était une Galathée voulant faire passer dans du marbre l'âme ardente de Pygmalion.
Au bout d'un instant de marivaudage, le grand seigneur se leva, et, offrant la main à ... Galathée :
- Venez, dit-il.
Ils remontèrent sans rien dire une galerie, gagnèrent une aile isolée du château. Une porte s'ouvrit, ils traversèrent un salon tendu de noir, une autre pièce tendue de noir et pénétrèrent dans la chambre que nous connaissons.
Instinctivement la dame frissonna.
Entouré de torchères et de candélabres d'argent, au milieu du lugubre désordre, rayonnait, sous un flot de lumière, l'image de la morte.
- Madame la comtesse de Damas, murmura celui qu'on appelait "monsieur Maxence" en montrant le portrait.
Et comme pour donner l'exemple à celle qui l'accompagnait, il se mit à genoux.
A Paris, comme en Dordogne, au Jockey-Club, en Autriche, dans le duché de Parme, partout où le comte Maxence de Damas a pu être connu, il a été aimé ; partout il s'est montré le type le plus accompli du gentilhomme français et de l'homme du monde, aussi bien que du chrétien. Sa famille est une des plus anciennes du Forez, puisqu'elle remonte au neuvième siècle.
La branche aînée, est celle des comtes, puis duc de Damas Crux ; ensuite vient la branche des comtes, plus tard ducs de Damas d'Antigny. La branche des comtes et barons de Damas Carmaillon, à laquelle appartenait le comte Maxence, se détacha de la souche commune au quatorzième siècle. Cette maison de Damas est une de celles dont l'histoire se confond avec celle de la France.
Journal La Liberté - 27 avril 1887
Journal Le Gaulois - 16 avril 1887
État-civil de Paris
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