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La Maraîchine Normande
17 août 2022

LES PEINES CORPORELLES DANS LA MARINE

LES PEINES CORPORELLES DANS LA MARINE
par Emmanuel Davin

navire z

Par décret du 12 mars 1848, le gouvernement provisoire de la Seconde République supprima les peines corporelles dans la Marine, peines qui seront décrites plus loin.

Voici, tout d'abord, la teneur de ce décret :

"Considérant que le châtiment corporel dégrade l'homme ; qu'il appartient à la République d'effacer de la législation tout ce qui blesse la dignité humaine ; que c'est un bon exemple à donner au monde ; que la suppression des peines corporelles, en affermissant dans la Marine le sentiment de l'honneur, ne peut que donner aux matelots une idée plus haute de leurs devoirs et leur inspirer plus de respect encore pour eux-mêmes et pour les lois de la discipline,
Décrète :
Les peines de la Bouline et de la Cale, de Coups de Corde, sont abolies. Jusqu'à révision du Code pénal maritime, elles seront remplacées par un emprisonnement de quatre jours à un mois.
Fait à Paris, le 12 mars 1848.
Les membres du gouvernement profisoire de la République française :
Dupont de l'Eure, Arago, Lamartine, Ledru-Rollin, Louis Blanc, Marie, Armand Marrast, Flocon, Albert, Carnier-Pagès".

Un siècle auparavant, les lois de la Marine étaient d'une sévérité bien moindre que celles de l'Armée de terre, mais c'était un autre genre de peines, et, le progrès des idées allant dans un certain sens, les sanctions corporelles, les seules alors possibles à bord d'un vaisseau, étaient considérées comme humiliantes, ce qui en aggravait la force, aussi les appliquait-on rarement. Cependant, quelquefois le conseil de justice, formé des officiers chefs de quart et présidé par le commandant du bord, était obligé de sévir pour faire un exemple.

marins 1848 z

Voici comment le jugement se prononçait et comment étaient appliqués les châtiments.

CONSEIL DE JUSTICE

Une table et des sièges étaient installés en plein air sur le gaillard d'arrière, les officiers y prenaient place en hausse-col et chapeau à cornes et se couvraient. La garde ayant amené le prévenu libre et sans fers, l'équipage se pressait autour du tribunal. Après interrogatoire de l'accusé par le commandant, les témoins prêtaient serment et étaient entendus, puis l'officier rapporteur établissait la cause. Rarement l'inculpé se munissait d'un défenseur. Ce n'était qu'à la dernière extrémité d'ailleurs qu'on s'était décidé à convoquer le conseil, le délit étant presque toujours plus qu'évident. Après instruction de l'affaire, on faisait retirer l'auditoire, le président posait des questions et les officiers donnaient leur avis, tour à tour, en commençant par le plus jeune.

COUPS DE CORDE

La sentence prononcée portait généralement la condamnation à "des coups de corde", vingt-quatre au plus, ou à la "cale". S'il s'agissait d'une pénalité plus grave, comme, par exemple, celle appliquée pour des voies de fait envers un supérieur, lesquelles étaient punies de mort, le conseil devait se déclarer incompétent, chose qu'il ne faisait pas toujours, parce qu'alors la cause était jugée par un conseil de guerre qui, souvent, lorsque le crime entraînait une peine terrible, acquittait le prévenu.

Les coups de corde étaient donnés sur le dos nu par un officier marinier.

LA CALE

La peine de la cale était tout-à-fait maritime. Lorsqu'elle devait être infligée, un pavillon particulier, dit de justice, était hissé et courait le long de la drisse jusqu'au mât de misaine. Ce pavillon était appuyé d'un coup de canon qui appelait à bord du navire des détachements de tous les bâtiments français sur rade, même ceux de commerce. Lorsqu'ils étaient nombreux, on faisait ranger les embarcations en demi-cercle autour du navire.

Un cordage bien "saucé", un "cartahu" - nom générique de toute manoeuvre sans destination marine - était passé dans une poulie au bout de la grande vergue. Appliqué au bout de ce cordage, le condamné à la "cale" reposait ses pieds sur un bâton lesté par un boulet de 30, et le "cartahu" était bridé à la ceinture et aux épaules. Ses mains attachées au-dessus de sa tête l'empêchaient de se débattre. Tous ces préparatifs du patient étaient exécutés par deux quartiers-maîtres. Une fois terminés, les équipages étant à leurs rangs, la garde sous les armes, les tambours ouvraient un ban et le greffier - généralement le commissaire du bord - lisait la sentence au nom du Roi. Puis, au signal donné par le prévôt-marinier (capitaine d'armes), on hissait le condamné à bout de vergue et dès qu'il y était arrivé on lâchait le "cartahu". Le patient plongeait alors à la baille (dans la mer) avec une vitesse accélérée. A une certaine marque, ou même naturellement, le cordage s'arrêtait et l'équipage réitérait rapidement la manoeuvre punitive.

Le nombre maximum de coups de cale était de trois, mais cette peine n'était pas de la même gravité pour tous les marins. Parmi les matelots, les gabiers, qui avaient fait dix fois la même chute par accident, les bons nageurs, les plongeurs regardaient la "cale" comme une plaisanterie, qu'ils étaient prêts à recommencer pour avoir la bouteille de vin chaud dont on s'empressait de réconforter le coupable lavé de sa faute. Par ailleurs, elle était réellement terrible pour quelques hommes, surtout ceux qui arrivaient de l'intérieur et n'appréciaient pas encore les joies de la baignade et du plongeon. Il est vrai que ce n'était que très rarement, et pour de fort graves et peu nombreux motifs qu'elle était appliquée.

Telle était la "cale humide". Quand à la "cale sèche", plus atroce et inhumaine, elle consistait à laisser tomber le malheureux sur le pont du navire, ou à l'arrêter brusquement au ras de l'eau, ce qui lui rompait des membres.
Un roulement de tambour annonçait que l'exécution avait pris fin. Alors, le patient transi était enveloppé dans des couvertures, et lorsqu'il avait repris sa chaleur naturelle, on le transportait dans un hamac à l'hôpital de la Marine.

Arrivée_en_France_de_Bonaparte_au_retour_d'Egypte_le_9_octobre_1799

A Toulon, cette punition était généralement infligée à bord de la Muiron, vieux navire qui avait pris part aux combats navals d'Aboukir et de Trafalgar, et qui avait transporté le général Bonaparte à son retour d'Égypte en France. En l'occurrence, le "calé" n'appréciait pas le goût des eaux polluées de la Darse Vieille.

En Hollande, on avait conservé l'habitude de jeter le patient d'un bord du vaisseau et de le ramener de l'autre, en le faisant ainsi passer sous la quille. Coutume barbare, en ce que nul ne pouvait répondre d'un accident mortel par accrochage et noyade sous le bâtiment.

L'historique de la "cale" fut donné dès 1678 - 1683 par Guillet. L'immersion des coupables est très ancienne. D'après Tacite (Germania), les Germains plongeaient dans l'eau les fainéants et les infâmes. Le Moyen-Âge continua la tradition de l'Antiquité. En 1190, Richard Coeur de Lion rendit, avant de partir en Terre Sainte, un édit portant que tout homme qui en battrait un autre serait plongé trois fois dans la mer. Le code du Consulat de la mer condamnait à être précipitée trois fois dans la mer la sentinelle qui s'endormait, le navire étant dans les eaux ennemies.

LA BOULINE

La bouline est le cordage attaché à la ralingue latérale d'une voile.

La peine de la bouline, qui s'appelait aussi pour le patient "courir la bouline", fut décrite dès 1687 par Desroches. C'était une punition plus cruelle que la cale. Le coupable était étendu sur un brancard, attaché solidement par les pieds et les mains, le corps nu jusqu'aux jambes. Chacun des marins de l'escouade placée autour du condamné était muni d'une garcette nouée (bouline). Au signal donné et à tour de rôle, les tortionnaires malgré eux étaient obligés d'appliquer sur le corps du patient un coup de garcette. Le capitaine d'armes surveillait cette atroce punition, qui laissait parfois sur le torce du supplicié des marques indélébiles.

LES FERS

A l'exception des délits justiciables d'un conseil de justice ou de guerre, les fautes étaient punies par le retranchement de la ration de vin pour trois jours au plus, ou par la détention aux fers pour le même temps. Cette dernière peine, dite de la boucle et de la double boucle, consistait de passer les pieds de l'homme en punition dans un ou deux anneaux que l'on enfilait sur une tringle de fer, ce qui empêchait le matelot de se déplacer. Bien moins cruelle que les précédentes, elle était surtout avilissante pour celui qui la subissait et affectait le moral du délinquant non endurci. C'était la "barre de justice".

Le gouvernement provisoire de 1848 laissa cependant subsister cette peine qui, comme nous allons le voir, pouvait, dans certaines circonstances, devenir fort dangereuse pour ceux qui la subissaient.

M. le commissaire général Fayal nous conte qu'étant embarqué à bord du cuirassé "Amiral-Baudin", en avril 1891, il assista à un pénible accident qui fit périr des hommes mis aux fers.

A cette époque, tandis qu'une partie de l'escadre de la Méditerranée était mouillée dans la baie de Phalère, le croiseur "Seignelay" s'échoua sur les côtes de Syrie aux environs de Beyrouth. Aussitôt, ordre fut donné à l' "Amiral-Baudin" de se porter à son secours. Étant sous les feux, l'appareillage du cuirassé fut rapide et sa vitesse portée à son maximum : 12 noeuds.

Dans la nuit qui suivit, alors que le bâtiment se trouvait en plein archipel, une soupape placée au-dessus des chaudières explosa et la vapeur se répandit dans les compartiments voisins. Le malheur voulut que dans l'un de ces compartiments se trouvaient des hommes punis de fers, qui, n'ayant pu être délivrés à temps, furent soumis aux cruelles brûlures de la vapeur vive. Certains d'entre eux moururent à l'hôpital du Pirée où ils furent transportés, l' "Amiral-Baudin" ayant fait demi-tour.

Il semble, ajoute M. Fayal, que ce triste accident eût dû avoir pour conséquence l'abolition de la peine des fers. Il n'en fut rien, et ce n'est que par décret du 31 janvier 1900, c'est-à-dire neuf ans après l'explosion survenue à bord du "Baudin" qu'eut lieu cette suppression.

Dans le rapport à M. Émile Loubet, Président de la République, qui précéda ce décret, M. de Lanessan, alors ministre de la Marine, spécifiait que la "barre de justice", avec boucle simple et boucle double dites les "fers", n'avait été maintenue comme peine que faute de locaux sur les navires, et ceci pour ne pas laisser libres des hommes dangereux. Bien qu'elle entraînât la suppression d'un châtiment, qui, début du XXe siècle, n'était plus en harmonie avec nos moeurs, la raison était faible !

Toutefois, le décret précisait que la peine pouvait encore être appliquée, dans les cas de force majeure et pour assurer la sécurité de l'équipage ou du bâtiment. Et c'est ainsi qu'il existait toujours des "fers" à bord des navires de guerre, tout particulièrement pour maîtriser les ivrognes lorsqu'ils devenaient furieux, mais ils furent employés fort rarement et ... se sont rouillés.

Au Moyen-Âge, la peine du "cep" (italien ceppi), ancêtre des fers, était réalisée par deux blocs de bois, dont l'un fixé sur le pont et l'autre mobile, avec trous correspondants pour entraver les jambes du coupable. On disait alors mettre un homme au "cep" ou au "bloc". Cette dernière expression s'est maintenue dans le langages des chartres, ergastules, culs-de-basses-fosses, violons et autres lieux de correction.

Dans la vieille marine, la punition des "fers", par un plaisant euphémisme, s'appelait les "bas de soie", et, en sa docte Hydrographie, le P. Fournier nous apprend que le prévôt-marinier (capitaine d'armes) d'un vaisseau recevait du condamné 5 sols par "bas de soie" mis dans l'équipage, dont un tiers pour lui et les deux autres tiers pour les pauvres.

"Corde, cale, bouline, fers", pénibles souvenirs maritimes, ont fait place à la salle de police et à la prison, châtiments plus humains.

 


Cols bleus : hebdomadaire de la Marine française - du 24 janvier 1959

Cols bleus : hebdomadaire de la Marine française du 17 janvier 1959.

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