Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
22 juillet 2022

SPOY (10) DIJON (21) - CHARLES-LAURENT BOMBONNEL, CHASSEUR DE PANTHÈRES (1816 - 1890)

Charles-Laurent Bombonnel est né le 10 août 1816 à Spoy (Aube), d’un père ouvrier verrier et habile chasseur (Louis-Barthélémi) ; aussi dès sa plus tendre enfance a-t-il rêvé hallalis de loups et de sangliers ; souvent, du moins nous le soupçonnons, il dut faire l’école buissonnière au lieu de se rendre chez l’instituteur, "où, dit-il, j’usai plus de genoux de pantalon que de fonds de culotte".

naissance

Ses parents étant morts du choléra en 1832, l’orphelin fut recueilli par une tante maternelle établie à Dijon, puis il entra comme petit commis chez le libraire Lagier. Confiné entre les quatre murs de la boutique de son patron, que de fois le pauvre enfant regretta le soleil et l’air des champs ! Après un travail assidu de cinq années, il rassembla ses minces économies, et, confiant dans son étoile et la Providence, il alla s’embarquer au Havre pour l’Amérique, cherchant l’indépendance et la fortune sur cette terre classique de la liberté : après quarante-cinq jours de traversée, il abordait à la Nouvelle-Orléans, léger d’argent, mais riche d’espérances.

La première année s’écoula tristement chez un ami qui le chargea de colporter quelques marchandises ; mais l’année suivante, ayant appris que les sauvages de l’île de la Passe-Christian avaient reçu de fortes indemnités des États de l’Union pour des échanges de terrains, il fit une petite pacotille et noua avec ces Indiens des rapports de commerce qui lui furent très avantageux ; ses amis les sauvages l’admirent à leurs chasses, et Bombonnel, au comble de ses vœux, se signala à la poursuite de l’ours et du buffalo. Ces expéditions eurent un si grand attrait pour notre héros qu’il conçut le projet de se fixer dans la tribu qui l’avait accueilli.

Ce projet doit d’autant moins nous surprendre qu’il était éperdument amoureux d’une jeune sauvage : "Ma sauvage, dit-il, ne l’était que de nom ; j’étais jeune, elle était belle."

DIJON Z

De retour à Dijon en 1844, avec une fortune rapidement faite, et d’autant plus honorable qu’il ne la devait qu’à lui-même, Bombonnel se maria, et, entrant dans une famille de chasseurs, il fit une guerre d’extermination aux loups et aux sangliers de la Côte-d’Or. Quel petit théâtre que nos bois de Bourgogne pour celui qui a poursuivi l’ours et le buffalo dans les forêts vierges du Nouveau Monde ! D’ailleurs, en France on ne peut chasser qu’un tiers de l’année; que ce temps est court pour un infatigable veneur ! On ne peut se soustraire à sa destinée : celle de Bombonnel était de chasser d’un soleil à l’autre; aussi notre disciple de saint Hubert, sous prétexte de faire un placement avantageux, acheta des propriétés dans la province d’Alger, afin d’ouvrir la chasse en Afrique aussitôt qu’elle ferme en France. C’était en 1844, à l’époque où un autre grand chasseur et spirituel écrivain, Toussenel, était commissaire civil à Boufarik et préparait déjà ce livre inimitable : L'Esprit des bêtes.

Dans les premiers mois de son établissement à Alger, Bombonnel se contentait du menu gibier et des sangliers, lorsqu’il entendit parler des ravages et des déprédations des panthères et d’une battue qu’il était question d’organiser. Bombonnel, d’après les habitudes de ces carnassiers, jugea la battue plus dangereuse qu’efficace et résolut, à l’exemple de Jules Gérard, le Tueur de lions, d’attendre la panthère seul et la nuit. "Dès ce moment, dit-il, les perdreaux, les poules de Carthage, les lapins et les sangliers de la Metidja, les grands cygnes même du lac de Halloula (il en était couvert alors) n’eurent plus aucun prix à mes yeux ; tout ce gibier me serait parti dans les jambes que, les bras croisés, je l’aurais tranquillement regardé fuir ou s’envoler : mes plus belles chasses d’autrefois me semblèrent du temps perdu. Un but plus grand, plus sérieux s’offrait devant moi : défendre l’Algérie contre un ennemi cruel, insatiable, qui sans cesse revient au pillage et qu’on ne peut arrêter ; faire à moi seul la chasse à la panthère."

portrait 3 Z

Il l’a faite en déployant un courage et une présence d’esprit rares, passant jusqu’à quarante nuits à l’affût sans se décourager, et son affût est toujours à ciel ouvert, derrière un buisson, et non sur un arbre comme l’affût arabe. Dans son patriotisme, Bombonnel a voulu prouver aux indigènes qu’un Français ne recule jamais. Arabes et Kabyles ont pour lui une grande vénération, ils entreprennent de longs voyages pour venir le chercher aussitôt qu’une panthère apparaît dans les environs de leurs tribus; ils le considèrent comme un protecteur.

Dans ses excursions, Bombonnel a eu quelquefois l’occasion de déployer son courage sur d’autres êtres que les bêtes féroces. Ainsi, une certaine nuit qu’il voyageait avec un caïd, il fut attaqué par des Kabyles ; le Tueur de panthères les mit en fuite et entra avec cinq prisonniers à Milianah, où sa belle conduite lui valut les félicitations du général Cassaignoles.

Le 27 janvier 1855, Bombonnel se trouvait en déplacement de chasse à la ferme du Corso ; au moment où il se mettait à table, on le prévint qu’une panthère, qu’il avait déjà guettée pendant trente-quatre nuits à diverses reprises, venait d’enlever une chèvre. A cette nouvelle, malgré une pluie battante, il court s’embusquer dans un buisson de lentisques situé en face du ravin qui a servi de ligne de retraite à l’auteur du rapt. Contrairement à ses habitudes, il laisse aux Arabes qui l’accompagnaient le soin d’attacher la chèvre qui doit lui servir. d’appât ; dans sa précipitation, au lieu de piquer en terre son couteau de chasse, il le laisse pendre derrière la taille et embarrassé par les plis de son caban; c’est à peine s’il se donne le temps d’élaguer les quelques branches qui pourraient gêner ses mouvements : ces préparatifs terminés, il se poste.

Bombonnel_le_tueur_de_panthères_[

Un peu avant le lever de la lune, la panthère arrive sans bruit et se précipite comme la foudre sur la chèvre qu’elle emporte. Bombonnel, excité par ses longues nuits d’attente, dans son impatience fait feu, malgré l’obscurité, sur la panthère qui n’est qu’à quelques mètres ; il la voit s’affaisser sur sa proie en poussant d’effroyables rugissements ; le moindre mouvement peut perdre l’intrépide chasseur, qui, redoutant une surprise, se lève pour tirer un second coup : mais une branche accroche le capuchon de son caban ; à ce mouvement, la rusée panthère fixe ses regards sur le buisson d’où est parti le bruit, en retenant son souffle ; Bombonnel, n’entendant plus rien, croit la bête morte et sort de son affût, en portant ses canons de fusil dirigés en bas et le doigt sur la seconde détente ; il n’a pas fait deux pas que la panthère, qui n’avait que les deux pattes de devant brisées, se glisse sur celles de derrière avec une rapidité telle que Bombonnel n’a que le temps de tirer ; le coup mal assuré n’atteint pas l’animal, la bourre du fusil lui brûle le poil de la poitrine. La panthère exaspérée s’élance sur l’imprudent tireur, le renverse sur le dos et cherche à l’étrangler, mais heureusement le collet relevé de son paletot et le capuchon du caban le préservent de cette rude étreinte ; de la main gauche, Bombonnel repousse la bête furieuse, tandis que de la main droite il tente de saisir son couteau de chasse engagé derrière lui; la panthère abandonne alors le cou, déchire cette main et s’attaque à la figure ; une des incisives de la mâchoire supérieure laboure le front et perce le nez du chasseur ; l’autre croc s’enfonce auprès de l’œil gauche en brisant l’os de la pommette. Trop faible pour contenir d’un seul bras son implacable ennemie, Bombonnel renonce à la recherche de son couteau, et de ses mains crispées la serre à la gorge; au moment où les forces de notre héros s’épuisent, la panthère emboîte la tête du chasseur dans sa formidable gueule ; par un suprême effort, Bombonnel se dégage, les dents de la bête féroce glissent sur le cuir chevelu qu’elles déchirent affreusement. L’animal perdant l’équilibre sur la pente du ravin, théâtre de cette horrible scène, tombe de l’autre côté du talus, qu’il ne peut remonter à cause de ses pattes cassées : il disparaît en rugissant. "Je me relève, écrit Bombonnel, en crachant quatre dents et une masse de sang qui me remplit la bouche ; mais je ne songe pas à mon mal. Tout entier à la fureur qui me transporte, je tire mon couteau de chasse, et, ne sachant pas ce que la bête est devenue, je la cherche de tous côtés pour recommencer la lutte (car je ne croyais pas survivre à mes blessures). C’est dans cette position que les Arabes me trouvèrent en arrivant."

signature z

Après avoir reçu les premiers soins à la ferme du Corso, Bombonnel se rendit à Alger où, grâce au talent de son médecin, il se rétablit assez promptement de ses blessures (le docteur Bodichon en compta vingt-sept.). Mais il a conservé de cette lutte des marques indélébiles. Il a tout le visage cicatrisé. Comme le chien, décousu par un sanglier, n’en devient que plus acharné, Bombonnel recommença ses expéditions avec un entrain plus grand que jamais.

Nous avons dit que les Arabes faisaient de longs voyages pour implorer leur vengeur ; leur confiance en lui est telle qu’au mois de septembre 1837, un Kabyle du nom de Lakdar, qui accompagna Bombonnel de longues années dans ses excursions et lui servit de limier, est allé à Dijon, envoyé par plusieurs caïds, prier son maître de venir tuer les panthères qui désolaient les douars des environs du Mazafran. Inutile de dire que cet appel fut entendu.

En 1866, dans les montagnes de l’Aurès, par une nuit sombre, Bombonnel fit coup double sur deux grands lions. Pesés à Batna, les deux fauves accusaient chacun 322 kilogrammes. Jamais chasseur n’a eu l’honneur d’un coup double pareil.

Mais Bombonnel n’a pas été seulement un vaillant chasseur devant l’Éternel et les félins. En juillet 1870, il venait de débarquer en Angleterre, retour d’Amérique, lorsqu’il apprit la déclaration de guerre à l’Allemagne. Sans perdre un instant, il revint en France, fondit des balles, fabriqua des cartouches et se porta sur la frontière avec son fusil, son couteau de chasse et deux hommes qu’il avait entraînés à sa suite. Il alla se poster à l’avant-garde et abattit les éclaireurs prussiens avec le sang-froid et la sûreté de coup d’œil qui faisaient rouler les panthères dans les ravins du Djurdjura. Ses exploits furent si brillants qu’après avoir emmené deux hommes, il en eut bientôt quatorze, puis trente. On lui en donna 250, ensuite 500 avec le grade de colonel de francs-tireurs. Bourbaki lui envoya 500 hommes de plus pour éclairer sa marche en Bourgogne et dans l’Est. A Saint-Loup, il fit 52 prisonniers prussiens, avec plusieurs voitures de bagages. A Rurey (Doubs), Il reprit aux ennemis les ponts de Choisny et de Châtillon. Les Prussiens se sont chargés de son éloge en mettant plusieurs fois sa tête à prix. Après la guerre, la croix de chevalier de la Légion d’honneur fut décernée à Bombonnel pour sa valeur et son courage (27 juillet 1871).

AFFÜT Z

Il revint en Algérie reprendre ses affûts à la panthère avec un succès toujours croissant. En 1881, il créa à 12 kilomètres de Bouïra, au pied du Djurdjura, un rendez-vous de chasse qui porte son nom. Très bien aménagé, ce rendez-vous cynégétique attire tous les grands chasseurs en quête d’émotions et de beaux coups de fusil. Le prince polonais Czartoryski fut l'un des derniers.

En 1887, par une nuit d’orage, Bombonnel, qui continuait à chasser malgré ses soixante et onze ans, fit là un magnifique coup double sur deux grandes panthères, mâle et femelle, "ce qui, désormais, n’arrivera probablement à aucun chasseur, nous écrivait-il dernièrement avec regret, car les grands fauves deviennent de plus en plus rares."

Bombonnel s’est retiré à Dijon. Il a cédé son domaine du Djurdjura en s’y réservant toutefois une place pour y dormir du dernier sommeil. Son tombeau l’y attend, lui-même en a fait exécuter la maquette, qui consiste en une simple pierre tumulaire surmontée d’une fort belle statue de saint Hubert.

Charles Bombonnel est décédé, sans postérité, à Dijon, le 3 juin 1890. Il est inhumé dans le cimetière des Péjoces de Dijon où l'on peut encore voir sa tombe.

décès Dijon 1890

 

Il avait épousé à Gémeaux (21), le 23 avril 1844, Marie-Julie-Clémence-stéphanie Guélaud, fille d'Étienne, notaire royal, et d'Armelle-Magdeleine Rouget, née à Dijon, le 2 juin 1824 et décédée au même lieu, le 4 juin 1860.

tombe zz

 

Le Livre d'or de l'Algérie par Narcisse Faucon - Tome Ier - Biographies - 1889

Journal Le Monde Illustré du 21 juin 1890

Bombonnel, le tueur de panthères, ses chasses, écrites par lui-même - Charles Bombonnel

AD10 - Registres d'état-civil de Spoy

AD21 - Registres d'état-civil de Dijon

AN - Base Leonore - LH/276/4

 

Publicité
Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité