LOUIS-ALEXANDRE DAMBOURNEY
Versificateur, littérateur, musicien, peintre, négociant, manufacturier, chimiste, botaniste, agronome, directeur du Jardin botanique de Rouen, secrétaire pour les Sciences de l'Académie de Rouen, secrétaire de la Société d'Agriculture, membre des Sociétés académiques de Lyon, Berne, Londres.

 

ROUEN vue

C'est le 10 mai 1722 que naquit à Rouen Louis-Alexandre Dambourney, de parents originaire de Lyon, et qui s'étaient créé, par le commerce, une position brillante et honorable. Rien ne fut négligé pour que l'unique héritier d'une famille fière de son antique réputation d'honneur et de probité, fût digne de soutenir le poids d'un pareil héritage.

Une éducation solide, plusieurs talents d'agrément, qui réhaussent si bien le mérite personnel, furent donnés au jeune Dambourney. Il devint peintre agréable, excellent musicien ; il étudia beaucoup, parce qu'il était avide de savoir : aussi, à l'époque où une nouvelle existence allait commencer pour lui par le choix d'une carrière, avait-il des connaissances très étendues dans toutes les sciences et leurs principales applications. Il n'était pas moins versé dans la pratique des arts mécaniques : en effet, au moment d'entreprendre un voyage dans les plus importantes villes du royaume, pour perfectionner son éducation commerciale, il désirait une chaise de poste. "Faites-la, lui dit son père, je vous en fournirai les matériaux". Aussitôt, le voilà charron, serrurier, etc, et de ses mains sort une chaise aussi élégante que solide.

Excellent musicien, il devint le premier violon d'accompagnement des sociétés ; peintre agréable, il faisait les portraits de ses amis, et le sien est de sa main.

Il avait 25 ans lorsqu'il partit. Plusieurs années furent consacrées à ses excursions, dont il envoyait le journal à son oncle. "Les observations les plus sérieuses, dit un contemporain de Dambourney, sur le commerce, les manufactures et les arts, étaient égayées par des vers dignes de Chapelle et de Bachaumont". L'enjouement de son caractère, ses connaissances littéraires, sa versification élégante et facile, le firent nommer, à son retour à Rouen, secrétaire de la Société des Hilaristes, qui venait de prendre naissance. Le nom de cette association indique assez l'objet de ses travaux ; presque tous les jeunes gens de Rouen qui cultivaient les lettres et les arts agréables en faisaient partie. Les productions poétiques de Dambourney furent assez nombreuses, mais elles sont demeurées inédites.

On lui attribue un opuscule, publié sans nom d'auteur en 1773, et qui a été très recherché par les amateurs du genre poissard. C'est un poème intitulé : "Le coup-d'oeil purin, ou conversation entre quatre personnes du bas peuple de la ville de Rouen". Ce poème, de format in-8°, contient 64 pages d'impression, non compris l'avertissement et les notes. Cette diatribe burlesque parut un an avant le rappel des Parlements, en 1774, et la suppression des Conseils supérieurs, installés à Rouen le 17 décembre 1771. A la faveur du "patois purin", qui est celui de la basse classe à Rouen, l'auteur de ce poème bafoua les membres des Conseils supérieurs, qui n'avaient rencontré aucune sympathie. Le patois purin devint un moment à la mode parmi les personnes les plus distinguées et les plus instruites de la ville, grâce à l'originalité du pamphlet dont nous parlons. Les notes qui accompagnent les deux pièces de vers qui composent cette oeuvre singulière se font remarquer par une virulence peu en harmonie avec la douceur de caractère de Dambourney : aussi le biographe Guilbert pense-t-il qu'elles ne sont pas de lui.

En 1759, Dambourney planta un pin d'Écosse à Oissel et à ce propos, il adresse une lettre à M. Turgot, datée de Rouen le 6 mars 1778. En voici un extrait : 

EXTRAIT lettre 1778

Il fit la première découverte à Oissel, en 1774, de cercueils en plâtre et en pierre, dans le terrain qui avoisine le Champs de foire et qui faisait alors partie de sa propriété (Généawiki).

Cette même année, l'Académie royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen avait proposé un prix d'éloquence sur cette question : "Comment et à quelles marques les moins équivoques pouvons-nous connaître les dispositions que la nature nous a données pour certaines sciences ou certains arts plutôt que pour d'autres ?" Parmi les mémoires envoyés au concours, deux surtout fixèrent l'attention de la Compagnie. Après bien des discussions, le prix fut accordé à l'abbé Bellet, membre de l'Académie de Montauban. Le second mémoire fut récompensé par un accessit. Son auteur était Dambourney. Ce succès lui ouvrit peu de temps après les portes de l'Académie.

A cette époque, Dambourney habitait Oissel, à quelques lieues de Rouen. Ses occupations commerciales absorbaient une grande partie de son temps, et c'est dans ses loisirs qu'il se livrait à l'étude des belles-lettres. Il était alors engagé dans la partie des assurances maritimes. Il donna, dans une occasion, une preuve de sa loyauté et de son désintéressement. "Un de ses correspondants de Dunkerque, dit dom Gourdin, à qui j'emprunte ce renseignement, le charge de faire assurer pour lui une somme de 60.000 livres sur un de ses navires. Le navire fait naufrage ; Dambourney notifie cette perte à la Chambre, qui ne se croit pas obligée au remboursement. Il soutient le contraire. L'affaire est portée aux tribunaux. Un avocat de Dunkerque envoie un long et volumineux mémoire ; Dambourney le réduit ou plutôt en fait un nouveau avec cette force de moyen, cette énergie, cette vérité que donne la bonne foi ; la Chambre est condamnée, et Dambourney paie avec joie sa part des 60.000 livres."

Le négociant Dambourney jeta les premiers fondements du commerce maritime de Rouen, en faisant construire, en 1762, un navire à trois mâts pour le grand cabotage ; ce navire fit son premier voyage à Cadix ; l'exemple donné par Dambourney fut suivi ...

Mais j'abandonne cette première partie de la vie de Dambourney. Nous l'avons vu jusqu'ici versificateur agréable, littérateur instruit et élégant, négociant intègre ; j'ai hâte de le montrer maintenant sous un nouveau jour, de faire apparaître l'homme de science : car c'est principalement à ce titre qu'il a droit à la reconnaissance du pays.

Dambourney avait toujours aimé les fleurs. Le soin de son jardin d'Oissel était un de ses délassements favoris. Il y rassemblait les plantes les plus rares. Bientôt, d'horticulteur, il devint agronome, puis industriel, et voici comment.

A peu près vers 1748, M. Rondeaux de Sétry, maître des comptes et membre de l'Académie de Rouen, avait trouvé, en herborisant sur les roches d'Oissel, deux plantes de garance, qu'il transporta dans son jardin botanique. Quelques années après, il en donna des boutures à Dambourney qui, par curiosité, les planta dans le sien. Le mémoire de Duhamel sur cette plante précieuse, ayant paru à cette époque, démontra à Dambourney toute l'importance de cette culture, et, dès ce moment, il résolut de s'y appliquer.

signature 3

L'année suivante, un sieur Pierre Dupont, qui cultivait à Elbeuf des garances qu'il avait tirées de Lille, ayant envoyé une centaine de boutures à Dambourney, celui-ci sacrifia deux belles allées de son jardin pour les y planter. Plus tard, il sema aussi des graines provenant des garances originaires d'Oissel, si bien qu'au bout de très peu de temps, toutes les allées de son jardin furent envahies par la plante tinctoriale. Ayant fait venir, en 1760, des graines de la garance de Smyrne, appelée Hazala ou Lizary, il put songer à donner une plus grande extension à ses essais ; aussi, un an après, il plantait déjà, au printemps, vingt perches de terre en pleine campagne.

Pour se créer des imitateurs, pour rendre usuelle la plantation de la garance chez les laboureurs, dont la plupart auraient été hors d'état de faire les avances d'une culture qui ne leur permettrait de récolter que tous les 18 mois, Dambourney essaya de faire croître concurremment dans les mêmes sillons la garance et les haricots, afin que la récolte de ces derniers pût payer les façons dont la première devait profiter. Le succès couronna ses efforts, et il n'eut plus à lutter que contre des obstacles supérieurs à l'industrie et au travail, tels que les mans ou vers blancs, les sécheresses extraordinaires, et autres inconvénients auxquels toutes les productions sont également exposées.

garance

Dambourney donna l'histoire de ses essais sur la garance dans un mémoire qu'il lut à l'Académie le 19 novembre 1760, et qu'il communiqua quelque temps après à la Société d'Agriculture. Ce mémoire est inséré en entier dans le tome premier des "Délibérations et Mémoires de la Société royale d'Agriculture de la généralité de Rouen", page 241. Il développa ses méthodes de culture dans un second mémoire qui parut en 1762, et qui fait partie du même recueil, page 261, sous le titre : "Compte rendu à la Société royale d'Agriculture de Rouen, par M. Dambourney, du succès de ses essais en grand sur la garance, depuis le mémoire imprimé ci-devant. Résumé dudit mémoire, et traité abrégé de la culture uniquement par graine".

Dans ce second mémoire, Dambourney fit connaître un moyen très simple de conserver les racines fraîches. Il consiste à les enfouir sous le sol, en ayant soin d'y faire des lits alternatifs de garance et de terre, et de recouvrir le tout d'une couche épaisse de cette dernière. Après une année de séjour dans ces fosses, les racines sont aussi saines que le premier jour de leur enfouissement, et elles donnent en teinture des résultats aussi satisfaisants que les racines arrachées immédiatement. Dambourney avait ainsi pour but de mettre les cultivateurs à l'abri de l'avidité des consommateurs, qui auraient pu tyranniser les premiers, en cherchant à se prévaloir de la facilité avec laquelle les racines fraîches se corrompent.

Dans un troisième mémoire intitulé : "Tableau de dépenses et produit d'un acre de terre cultivée en garance" (même Recueil, t. 3, p. 248), Dambourney démontra que les dépenses s'élevaient à 799 livres ; que la récolte étant de 9 milliers de racines fraîches, qui, vendues à cet état à 3 sous la livre, produisaient une somme de 1.350 livres : il restait en définitive au cultivateur, pour ses deux ans de culture, un bénéfice net de 551 livres.

Les nombreuses expériences de culture faites par Dambourney excitèrent l'attention du gouvernement ; le 24 février 1756, un arrêt du Conseil-d'État, rendu sur le rapport du sieur Moreau de Séchelles, exempta de la taille, pendant vingt années, toutes les terres de marais et autres lieues non défrichés, qui seraient cultivés en garance. Cet arrêt est contre-signé par M. P. de Voyer-d'Argenson. Mais malgré ces promesses, malgré l'exemple et les efforts de Dambourney, la culture de la garance ne prit aucune extension en Normandie ni dans les autres provinces de France ; le comtat d'Avignon, la partie de la Provence qui avoisine la Durance, et l'Alsace, semblaient la posséder exclusivement.

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Dambourney, se trouvant dans l'impossibilité de faire sécher sans feu les racines de garance qu'il avait récoltées en automne, eut l'idée de les employer fraîches pour la teinture, après les avoir simplement lavées et débarrassées de la terre qui adhère toujours à leurs fibrilles. Il reconnut, après plusieurs tâtonnements, que quatre livres de racines fraîches produisent autant d'effet qu'une livre de racines sèches ; et, comme huit livres des premières se réduisent à une livre par la dessication, il s'ensuit que la faculté teignante est deux fois plus grande dans les racines fraîches que dans les racines sèches.

"On peut donc, dit-il, épargner moitié de la racine en l'employant verte ; mais quoique ce soit beaucoup, ce n'est pas là la seule économie.

I° On est dispensé d'établir des étuves et des hangards pour faire sécher lorsque le temps est variable.

2° On est à l'abri des inconvénients d'une dessication trop précipitée ou trop ralentie, qui entraîne également la détérioration de la qualité.

3° On évite le déchet du robage et du grabelage, dans lequel toutes les racines de la grosseur d'un fer de lacet tombent en billon.

4° On épargne en frais du moulin, le déchet et la fraude qui peut en résulter, et l'incommodité d'attendre qu'il soit libre, d'autant qu'il n'y en a point encore en ce pays qui soit uniquement destiné à la garance.

5° Enfin, on n'est point exposé à ce que la racine moulue parvienne à s'éventer ou à fermenter, ce qui arrive toujours lorsqu'on diffère à l'employer.

Tous ces avantages réunis peuvent s'évaluer à une économie de cinq huitièmes dans la quantité."

Suivant Dambourney, les racines qu'on veut employer fraîches doivent être hachées médiocrement, puis pilées dans des mortiers de pierre ou de bois, jusqu'à ce qu'il en résulte une espèce de pulpe. On jette dans la chaudière lorsque l'eau est un peu plus que tiède. On laisse échauffer le bain jusqu'au point d'y tenir difficilement la main ; alors on y abat l'étoffe ou le coton qu'on y travaille pendant trois quarts d'heure, entre chaud et bouillon ; puis on fait bouillir pendant encore trois quarts d'heure.

On voit, par ces instructions, que Dambourney étudiait la garance dans tous ses rapports, soit comme produit agricole, soit comme matière tinctoriale. Aussitôt que parut son premier mémoire, les bureaux d'agriculture de Beauvais et de Lyon s'empressèrent de répéter ses intéressantes opérations de teinture avec des racines fraîches de garance indigène, et les résultats obtenus dans ces deux villes confirmèrent entièrement ce qu'avait avancé le savant rouennais. Les procès-Verbaux des essais entrepris à Beauvais et à Lyon se trouvent consignés dans le tome II des "Délibérations et Mémoires de la Société royale d'Agriculture de Rouen, p. 162 et 172".

Tschiffeli

En Angleterre, en Suisse, les Sociétés d'Agriculture témoignèrent à Dambourney leur reconnaissance, en lui envoyant des lettres d'associé. M. Tschiffely (Johann-Rudolph), secrétaire du Suprême Consistoire de Berne, qui devait à Dambourney de cultiver lui-même la garance dans son pays, se hâta de rendre hommage à la générosité avec laquelle il lui avait fait part de tous ses procédés et des méthodes de culture. Le mémoire de M. Tschiffely fait aussi partie du recueil cité plus haut, p. 269. J'en extrairai le passage suivant, pour montrer avec quel empressement Dambourney cherchait à propager ses idées.

"Enchanté de ces nouvelles découvertes, dit M. Tschiffely, ce fut alors que j'osai, quoique inconnu, m'adresser à M. Dambourney, pour lui demander des conseils. J'osai plus ; je le suppliai de me faire présent d'un peu de ces rares espèces de graines, pour en enrichir ma patrie. Sa bienfaisance surpassa infiniment mon attente. Deux envois successifs, accompagnés de toutes les instructions imaginables, me mirent à même de suivre toutes ses expériences. Jamais grâce n'a été accordée avec plus de célérité et plus de noblesse."

Dambourney prétendit que les racines d'Oissel fournissaient une couleur supérieure à celle de la plus belle garance de Hollande en poudre, et, dans l'enthousiasme des premiers essais, plusieurs de ses contemporains exagérèrent évidemment les qualités de la garance cultivée en Normandie, en la considérant comme égale à celle de Smyrne. Quelque sympathie qu'on éprouve pour les tentatives du patriote rouennais, qui voulait affranchir les fabriques de son pays du tribut onéreux qu'elles payaient à la Hollande pour leur approvisionnement, on peut raisonnablement admettre que la garance excrue à Oissel, dans un sol si différent de celui qui lui est convenable, ait pu fournir en teinture des nuances supérieures à celles que donne la garance de Hollande, et aussi belles que l'on obtient avec la garance du Levant ... ...

Dambourney compléta ses travaux sur la garance, en imaginant un moulin très simple et de construction peu dispendieuse, pour pulvériser cette racine. Sa machine, mue par deux hommes, réduit la main-d'oeuvre à un tiers des frais ordinaires. Voici comment Dambourney commence ce quatrième mémoire : "On m'a fait l'honneur de traduire dans presque tous les écrits économiques d'Angleterre, les mémoires que j'ai publiés sur la garance. Les Suisses ont particulièrement profité de ma découverte sur l'emploi des racines fraîches. C'est précisément parce que ma patrie a rejeté l'offrande que je lui en faisais, que je me crois plus obligé à lui donner le procédé par lequel je suis parvenu à conserver la couleur jaune à la racine desséchée, à la pulvériser avec économie, et à séparer les diverses qualités de la poudre ... Des élèves, dit-il en terminant, qui m'ont été envoyés par diverses personnes, aucun n'a resté à Oissel plus de six jours, et n'en est sorti sans savoir aussi bien que moi la culture et la préparation. Je ne doute pas qu'il ne reste encore beaucoup de perfection à acquérir pour ceux qui voudront suivre attentivement cette partie. Je les invite, au nom de la patrie, à publier leurs succès, et je m'estimerai heureux de leur en avoir aplani la route". (Mémoire sur la pulvérisation de la garance, tome 3 des Délibérations et Mémoires de la Société royale d'Agriculture de la généralité de Rouen, page 268).

Dambourney illustre parfaitement le désintéressement qui anime des hommes qui semblent n'avoir comme objectif que le bien public : "Mais depuis 1758 que je sers gratuitement les sciences, le commerce et les arts, de ma personne, de ma plume, de mon temps et de ma bourse, les dépenses, les années et les infirmités s'accumulent, sans que j'en aie encore retiré ni honneur et profit. J'ai vraiment osé demander le cordon de Saint-Michel qui depuis longtemps était la récompense des artistes désintéressés, parce qu'il me semblait que le zèle pour le bien public ne pouvait être payé que par des distinctions honorifiques. Cependant une pension eut beaucoup mieux convenu [...], elle me mettrait en état d'appliquer en grand mes découvertes en teintures."

Les mémoires de Dambourney, sur la garance, ont été imprimés en 1788, à l'imprimerie royale, sous le titre : Instruction sur la culture de la garance et la manière d'en préparer les racines pour la teinture. I volume in-4°.

Amené insensiblement par ses premiers travaux sur la garance à s'occuper de la chimie tinctoriale, Dambourney vit s'ouvrir devant lui une mine inépuisable d'observations. Ayant vu par hasard, le 6 septembre 1765, au jardin botanique de l'Académie, dont il était alors intendant, des racines de "Croisette de Portugal" (Cruciata Lusitanica), il soupçonna, par leur ressemblance avec celles de la garance, une certaine analogie dans leurs propriétés tinctoriales. Aussitôt il se mit à l'oeuvre, et les racines fraîches de cette plante lui ayant fourni des couleurs semblables à celles de la garance, il s'occupa de la cultiver dans l'espérance de procurer à nos fabriques un nouvel ingrédient pour la teinture en rouge.

Il s'occupa beaucoup de cette sorte de teinture, et chercha les moyens d'imiter le beau rouge d'Andrinople. Avant ses travaux, la teinture sur le fil de lin était généralement réputée petit teint. Le premier, il fit voir à l'Académie de Rouen, dans la séance du 18 août 1773, des mouchoirs de fil de lin teints en rouge. Les registres de cette Compagnie portent : "que ces mouchoirs, conformément au voeu des réglements sur cette matière, avaient supporté le débouilli, et n'en avaient pas moins conservé leur éclat ; nous avons été nous-mêmes dans le cas de reconnaître, d'après différentes comparaisons, que, du nombre de ceux-ci qui ont été déjà travaillés et usés, tous ont conservé une intensité de couleur et de teinture bien autrement forte que ceux des Indes qui ont subi les mêmes épreuves et le même usé."

C'est à peu près à la même époque qu'il résolut d'affranchir le public du monopole de deux ou trois fabricants qui, seuls possesseurs du secret du rouge d'Andrinople ou des Indes, ne teignaient que pour leur propre compte. Avec l'aide de son ami, M. Delafolie, il établit une teinturerie de ce genre à Bapaume, et fit teindre pour le public. Son exemple trouva des imitateurs, et bientôt de semblables établissements s'élevèrent de tous côtés. C'est ainsi qu'il empêcha des millions de sortir de France pour l'acquisition des cotons teints d'Andrinople. A la mort de son associé, il abandonna l'établissement à son contremaître, le sieur Palfresne ; il fut ainsi le créateur de la fortune de ce dernier, fortune qui s'éleva, dit-on, à plus de 300.000 livres.

Mais d'autres recherches non moins importantes absorbèrent bientôt son attention.

Dès 1761, il s'était occupé de la gaude et des moyens de la cultiver à Oissel. Il communiqua ses observations à cet égard, à la Société royale d'Agriculture, le 28 janvier 1762, et à l'Académie de Rouen, le 27 du même mois. Son mémoire est inséré dans le tome Ier des "Délibérations et Mémoires de la Société royale d'Agriculture", p. 275 ; on en trouve une analyse dans le tome III du Précis analytique des Travaux de l'Académie de Rouen, p. 61. Il indique, dans ce mémoire, comment on cultive cette plante dans la plaine de Léry et à Oissel, et il entre dans quelques considérations sur ses propriétés tinctoriales, et sur les plantes communes des environs, dont on pourrait aussi tirer des couleurs jaunes. On voit là le germe du grand ouvrage auquel il rêvait depuis plusieurs années, sur les couleurs tirées des végétaux indigènes. C'est vers la fin de 1779 qu'il entreprit cette série de recherches, dans l'espoir de multiplier les ingrédients colorants. Les fleurs, les fruits, les bois, les plantes et les racines indigènes ou naturalisées dans la Normandie, devinrent l'objet de ses essais tinctoriaux, et, en moins de cinq à six ans, il en obtint plus de douze cents nuances sur laine, solides au savon et au vinaigre. Il communiquait à l'Académie les résultats de ses travaux à mesure qu'il les obtenait ; déjà il lui avait montré plus de trois cents échantillons de teinture, lorsqu'en 1781, deux membres de cette Compagnie, Roland de la Platière et l'abbé Cotton des Houssayes annoncèrent qu'ils se disposaient à donner "un ouvrage théorique et pratique sur les teintures tirées des végétaux. Dambourney, dit dom Gourdin, crut voir dans cette entreprise une violation de la propriété ; il réclama la priorité de sa découverte sur "l'analogie et l'identité des couleurs que donnent les plantes de chaque famille", et demanda des commissaires pour juger son travail et attester l'antériorité de sa découverte."

Voici le rapport qu'il en obtint :

"Nous, commissaires nommés par l'Académie pour examiner et lui rendre compte d'un manuscrit de M. Dambourney, secrétaire perpétuel pour la partie des Sciences, ledit manuscrit intitulé :

"Journal et détail de mes opérations tinctoriales sur laines, préparées par le mordant de feu M. Delafolie, et par quelques autres que j'y ai suppléés pour certaines couleurs seulement, celui de M. Delafolie m'ayant le plus généralement réussi pour extraire et fixer les fécules colorantes de nos végétaux indigènes ; contenant 218 pages in-folio."

"Nous croirions déjà en donner une idée très avantageuse à quiconque connaît le zèle et la sagacité de son auteur, en annonçant uniquement que ce Journal est l'exposé d'un travail commencé et suivi, presque sans interruption, depuis le 23 septembre 1779 jusqu'au 30 décembre 1783.

Le but de M. Dambourney était d'essayer nos végétaux indigènes par le mordant de M. Delafolie, et de s'assurer jusqu'à quel point ils pouvaient remplacer les substances tinctoriales que nous tirons de l'étranger : motif souverainement capable d'exciter et de soutenir le zèle de notre auteur patriote, par l'espérance d'affranchir la nation d'une dépendance onéreuse, et de pouvoir la parer de ses propres richesses.

Avec quelle sensibilité a-t-il dû voir ce travail fructifier dans ses mains, et les substances, les plus viles en apparence, lui fournir les plus riches et les plus solides couleurs ! Neuf cents nuances sont le prix inestimable de ses veilles ; et, si le bleu, dont il s'est approché de bien des côtés, sans avoir pu le rencontrer encore exempt de mélange ; si cette couleur précieuse eut pû se réunir à ses autres découvertes, il ne lui restait plus rien à désirer. C'est une conquête destinée à de nouveaux efforts, et que nous ne croyons pas supérieure à sa constance.

Qu'il s'applaudisse, en attendant, des produits séduisants de la fumeterre, du peuplier d'Italie, du sarrasin, du bouleau, du noyer, de la bruyère, de la garance, et surtout des baies de la bourdaine. Il faudrait tout citer, détailler, pour montrer l'étendue de la reconnaissance qu'il mérite.

La garance s'est élevée, par son activité, presque au niveau de l'écarlate. Cette restriction même paraît être de trop : si la garance, en effet, le cède à cette couleur précieuse par un ton un peu plus sérieux, elle l'emporte infiniment sur elle par une solidité inaltérable.

Toutes les couleurs vertes que nous fournit la teinture étaient dues jusqu'à ce jour à la combinaison du jaune et du bleu. Il était réservé à M. Dambourney de trouver ces couleurs combinées par la nature elle-même dans les baies du "Rhamnus frangula", qui lui ont fourni un "vert natif" ; découverte unique dans ce genre, et seule capable de l'indemniser de la longueur de son travail.

C'est dans cette belle suite d'opérations qu'il est intéressant de le voir interroger sans cesse la nature, revenir avec empressement sur les couleurs les plus faites, par leur éclat, pour tempérer son ardeur impatiente, les combiner, essayer même de les décomposer, dans la vue d'en extraire de nouveaux trésors.

Mais que d'ennuis dévorés ne supposent pas de si nombreuses expériences : les racines, les fleurs, les fruits les plus colorés, sont toujours ceux qui tiennent le moins ce qu'ils semblent promettre, ou bien la couleur la plus séduisante s'évanouit à l'épreuve qui doit en certifier la solidité. Qu'on réfléchisse maintenant aux tentatives heureuses ou infructueuses que M. Dambourney a dû faire, et dont les nuances qu'il présente ne sont que le résultat, et l'on commencera à prendre une juste idée de l'étendue de ses opérations.

Sans perdre de vue son objet principal, il a cherché tous les moyens de communiquer au fil et au coton les riches couleurs qu'il a su fixer sur la laine ; et l'inutilité même de ses opérations est une acquisition réelle pour la science, puisqu'elle dispense à l'avenir d'une infinité de tentatives fastidieuses et stériles les personnes qui se proposeraient de parcourir, après lui, cette nouvelle carrière.

Observateur attentif, rédacteur fidèle, M. Dambourney ne paraît occupé (dans tout le cours de son ouvrage) que du soin de transmettre dans toute leur intégrité les procédés qu'il décrit, les manipulations particulières qui lui ont réussi le mieux ; de faire passer enfin son exactitude, son intelligence, s'il est possible, dans l'âme de tous ses lecteurs.

On retrouve partout dans cet ouvrage cette précision, cette clarté, qui décèlent un artiste maître de son travail, l'intérêt qui fait estimer la science, la candeur et la modestie qui font chérir le savant.

A Rouen, ce 21 juillet 1784.

Signé : Pinard, Gosseaume, Mésaize."

C'est à Oissel, où il avait créé un laboratoire, que Dambourney fit toutes ses expériences de teinture. Il travaillait avec un vieux domestique, nommé Pierre Petit-Jean. Les manufacturiers d'Elbeuf lui préparaient ses laines, et il faisait chez lui ses bains de teinture. Les connaissances étendues que son ami Delafolie avait acquises en chimie furent d'un immense secours à Dambourney, pour ses recherches sur les principes colorants des végétaux indigènes ; car il n'était pas assez profond chimiste pour perfectionner seul ses procédés. A chaque instant dans son ouvrage, il avoue les services qu'il doit à son ami, et il reconnaît que c'est lorsque Delafolie lui eut donné son procédé pour fixer sur laine les colorants réputés de petit teint, qu'il se livra à l'espoir de réaliser ses projets. L'apprêt de Delafolie consistait en nitrate de bismuth, tartre et sel marin qu'on mélangeait dans le bain destiné à travailler les laines. Une fois que celles-ci étaient bien saturées du mordant, on les mettait à égoutter, puis on les passait dans les bains de teinture. Ce mordant n'est plus employé. - Delafolie n'est pas le seul chimiste qui ait aidé Dambourney de ses conseils. De Machy, Fourcroy, et surtout le célèbre Macquer, étaient en correspondance avec lui. Ce dernier prenait un grand intérêt à ses travaux.

Le gouvernement, instruit des nombreuses recherches de Dambourney sur les végétaux indigènes, et convaincu de l'utilité de semblables travaux pour nos manufactures, lui accorda, en 1783, une pension de 1.000 livres, et fit imprimer à ses frais, en 1786, ses manuscrits, sous le titre : "Recueil de procédés et d'expériences sur les teintures solides que nos végétaux indigènes communiquent aux laines et aux lainages", par M. Dambourney, négociant à Rouen. I vol. in-4°, chez Pierres. Un supplément, publié aussi par le gouvernement, parut en 1788. L'ouvrage est dédié à M. de Calonne, ministre, contrôleur général des finances.

RECUEIL

Une seconde édition, revue, corrigée, et dans laquelle se trouve refondu le supplément, parut en 1793, du consentement de l'auteur, chez la veuve Dumesnil et Montier, à Rouen. Cette édition est de format in-8°.

Le célèbre Hellot, de l'Académie royale des Sciences de Paris, avait invité, dans son "Art de la Teinture", les chimistes de son temps à s'occuper de l'extraction de la fécule colorante du pastel pour la substituer à l'indigo, et, pour les encourager, il leur rapportait les essais curieux du savant Astruc, qui était parvenu à retirer de cette plante une fécule aussi belle que celle des indigotiers. Dambourney fut le premier qui répondit à cet appel.

pastel des teinturiers

Dès le mois de décembre 1786, il sema trois perches de terre en pastel, aux environs de sa demeure d'Oissel, afin d'avoir une certaine quantité de feuilles pour expérimenter. Cette culture réussit très bien, et, au mois de juin 1787, il put commencer ses essais. Il communiqua ses recherches à l'Académie de Rouen, en 1788 et 1789, mais ses mémoires ont disparu des archives de cette compagnie. L'un d'eux avait pour titre : "Cinq livres d'indigo extrait des feuilles fraîches du pastel. On trouve, dans le "Recueil de procédés et d'expériences sur les teintures solides des végétaux indigènes", l'indication des procédés que Dambourney suivit pour isoler l'indigo du pastel. Ces procédés, tous imparfaits qu'ils fussent, lui donnèrent d'assez beaux résultats, puisqu'il obtint une livre et demie d'indigo par chaque cent livres de feuilles fraîches de pastel, et qu'il constata qu'il y aurait cinquante pour cent à gagner, en appliquant ces feuilles à l'extraction de l'indigo au lieu de les convertir en "coques". Dambourney essaya son indigo dans une cuve de guédron ; il le fit dissoudre dans l'acide sulfurique ; ces différentes solutions donnèrent aux étoffes de laine une belle couleur bleue de la plus grande solidité.

Si Dambourney eût agi sur des masses plus considérables de pastel ; si, au lieu de précipiter la matière colorante du liquide fermenté avec de la potasse caustique, il eût employé cette lessive très faible, et, mieux encore, de l'eau de chaux, sans aucun doute il eût obtenu proportionnellement une plus grande quantité d'indigo. Quoi qu'il en soit, ses tentatives pour introduire en France la fabrication de l'indigo sont un de ses plus beaux titres à la reconnaissance du pays, et ce sont ses expériences qui encouragèrent le gouvernement impérial à créer des ateliers pour cette fabrication, à une époque où nos guerres avec l'Angleterre privaient nos manufactures des denrées coloniales. Dans les programmes lancés par le gouvernement de Napoléon et les Sociétés savantes pour exciter le zèle des industriels, le nom de Dambourney est toujours rappelé honorablement, et ses travaux sont cités comme un gage d'espérance et de réussite.

On pourrait croire raisonnablement que tant de recherches de chimie tinctoriale devaient absorber tous les loisirs que lui laissait la gestion de sa maison de commerce. Il n'en est rien cependant, car telle était l'activité d'esprit de cet homme remarquable, qu'il trouvait encore assez de temps pour remplir dignement la place de secrétaire de la classe des Sciences de l'Académie, qu'il occupa pendant plus de vingt ans, et pour prendre une très grande part aux travaux de la Société d'Agriculture, dont il était un des membres les plus assidus. "Le premier, dit M. Gosseaume (1), il fit prendre aux travaux de l'Académie une direction utile au commerce et aux arts de cette grande cité."

académie royale

On voit, dans les tomes 3 et 4 du "Précis de l'Académie de Rouen", l'indication d'une foule de mémoires de Dambourney, mais dont il ne reste plus guère que les titres, les manuscrits ayant été perdus pour la plupart pendant la révolution. Nous citerons ici les plus importants. En 1761, il lut un "Essai sur la nécessité d'encourager la profession de matelot, et de tâcher de parvenir à en diminuer le nombre sur nos vaisseaux, à l'exemple des nations étrangères, qui en emploient beaucoup moins que nous". En 1766, il indique une nouvelle manière de corroyer les cuirs ; en 1769, il communique des observations sur des oscillations remarquables qu'offrit le baromètre dans la nuit du 4 décembre 1769, alors que des secousses de tremblement de terre étaient ressenties à Rouen et au Grand-Couronne. En 1776, il envoie à l'Académie la description des moeurs et des habitudes d'un touyou, espèce d'autruche de Buénos-Ayres, qui vivait au château de Canteleu, chez M. Lecouteulx. En 1777, il décrit un nouveau four à chaux, et présente un supplément au mémoire du comte de Tressan, dans lequel il confirme, par sa propre expérience, que l'usage du tafia avec la résine de gayac est utile dans les accès de goutte. Deux ans après, il démontre que le mortier présenté par un sieur Loriot comme inaltérable et très propre à la confection de terrasses, d'aqueducs et de bassins, ne réunissait aucune des qualités indiquées par l'inventeur. Enfin, en 1784, il fait un rapport très détaillés sur les métiers et machines de la composition du sieur Fouquier, fabricant au faubourg Saint-Sever, ainsi que sur les tissus variés confectionnés par ces instruments.

En 1783, l'Académie des Sciences de Paris, qui avait proposé pour sujet de prix la fabrication du salpêtre, en couronnant le mémoire de Thouvenel, cita celui de Dambourney avec éloge, et invita l'auteur à se faire connaître.

plan géométrique clos dambourney

Les fonctions de secrétaire de l'Académie de Rouen imposaient à Dambourney, outre une grande assiduité aux séances, des devoirs qui devaient encore singulièrement restreindre ses trop courts loisirs. Chaque année amenait à lui la triste obligation de prononcer l'éloge historique de ceux de ses confrères que la mort avait moissonnés. "Il s'en acquittait toujours, dit dom Gourdin, avec une éloquence du sentiment qui touche l'âme des auditeurs, et les intéresse en faveur de ceux mêmes qu'ils n'ont point connu. Il possédait l'art d'analyser leurs ouvrages avec clarté et précision, et de répandre de l'agrément et des grâces jusque sur les matières les plus abstraites et les plus arides. Leurs moeurs, leurs habitudes, leur caractère, étaient toujours tracés d'un pinceau délicat et brillant, qui embellissait la vérité sans l'altérer ou la déguiser." Les archives de l'Académie renferment dix-sept éloges historiques composés par Dambourney, à partir de 1771 jusqu'en 1790. Les principaux sont ceux de Delafolie, de Macquer et de l'abbé Dicquemare.

Laissons actuellement le chimiste, l'industriel et l'académicien. Voyons le membre de la Société d'Agriculture. Sous ce nouveau point de vue, Dambourney acquerra encore de nouveaux droits à l'estime de ses compatriotes.

L'arrêt qui ordonne l'établissement d'une Société d'Agriculture dans la généralité de Rouen, divisée en deux bureaux, l'un à Rouen, et l'autre à Évreux, est du 27 juillet 1761. Le bureau général de Rouen fut composé de vingt membres, au nombre desquels figure Dambourney. La première séance du bureau eut lieu le 20 août 1761. Pendant quelque temps, Dambourney remplit les fonction de secrétaire perpétuel en l'absence du titulaire, M. Jore ; ce n'est qu'en 1765 qu'il remplaça définitivement celui-ci.

Comme agronome, Dambourney a rendu d'éclatants services au pays et a singulièrement contribué à détruire cette défiance qu'apportent les cultivateurs dans leurs relations avec les gens de science et de théorie. Les travaux agricoles auxquels il s'est consacré, autant par goût que par devoir, sont excessivement nombreux. Son nom se trouve dans toutes les commissions, et toujours c'est lui qui exécute les essa&is que la Société ordonne. Ainsi, lorsqu'en 1763, l'assemblée s'occupe des préparations à faire subir aux étoupes de lin pour les réduire en fil, c'est Dambourney qui fait les expériences qui obtient d'excellent fil au moyen du cardage de mauvaises étoupes tirées des environs de Lisieux. L'un des premiers, il introduit en Normandie la culture des pommes de terre, et d'autres espèces nouvelles de végétaux, telles que l'orge nu, l'orge d'Égypte, le chou ou navet Lapon. Il se livre à la propagation du pin d'Écosse et des autres arbres verts ; il montre que le blé peut se garder pour les semences jusqu'à trois ans, et que le blé retrait, ridé, et qui semble n'avoir que l'écorce, produit, semé en concurrence avec le blé le plus beau, des épis aussi longs et aussi fournis ; il apprend ensuite que le moyen de fertiliser un champ sablonneux, c'est d'employer la marne même qu'il renferme, lorsqu'on a le bonheur d'y en rencontrer ; puis il constate que la marne dissoute dans une huile de vitriol et 60 parties d'eau, séchée au soleil et calcinée comme le plâtre, constitue une sorte de gypse artificiel propre à féconder les terres, et que ce gypse peut être employé frais, et tenir lieu de plâtre pour les enduits. Il imagine une espèce de grange ou meule de gerbes, au-dessus de laquelle est un toit de légère charpente, couvert de paille, qui se lève et se baisse à volonté. L'air qui circule autour de cette sorte de grange, sèche les gerbes qu'on y amoncèle dans les années où les pluies interrompent la moisson. A cet avantage, cette grange en joint un autre : c'est que les gerbes y sont à l'abri des rats et des souris, parce que les tablettes sur lesquelles on met les premières gerbes posent sur des dés de maçonnerie qu'elles excèdent de 6 pouces, et parce qu'elles sont doublées de fer-blanc.

Plus tard, nous voyons Dambourney se livrer à la conservation des pommes de terre et à leur panification, à l'extraction des huiles de graines, à l'amélioration des cidres, à la fabrication d'une bière économique et salubre au moyen des racines de chiendent. Il propose le noyau torréfié du ruscus ou petit-houx, pour remplacer le café ; il prépare du "salep" avec les bulbes des orchis de nos bois ; il confectionne du "salin" avec les feuilles du "tussilago petasites" ; il tire parti des boues de ville, des matières fécales, des débris d'animaux, des écailles et des dépôts de caques de harengs salés à Dieppe, pour la préparation d'excellents engrais qu'il utilise dans les immenses défrichements que le gouvernement lui avait concédés dans les environs d'Oissel. Au milieu de ses terrains sablonneux, il manque d'eau ; les mares qu'il fait creuser ne peuvent garder les eaux pluviales ; il imagine alors un nouveau corroi qui consiste à revêtir les parois des fosses d'une couche d'argile et de chaux éteinte bien battues, sur laquelle il applique un mur de blocage ou de la terre de gazon ; et bientôt ses voisins viennent admirer les beaux réservoirs qu'il a su créer à si peu de frais. Il tire parti d'une autre manière de ces bassins artificiels, en y formant une cressonnière ; et dans son jardin, au centre d'un superbe légumier, il établit une nombreuse garenne, qui, comme il le disait, conciliait trois intérêts bien distincts : celui de l'agriculture, qui proscrit les lapins ; celui du commerce, qui en réclame le poil pour suppléer au castor, et enfin, celui de l'économie domestique, qui désire une viande saine et à bas prix. Partout, surtout, comme on le voit, Dambourney porte ainsi un oeil intelligent, et surmonte avec une merveilleuse facilité les obstacles qui auraient arrêté bien vite un homme moins sagace et moins persévérant.

La partie historique du troisième et dernier volume des travaux de la Société d'Agriculture a été tout entière rédigée par Dambourney, qui lui a donné un cachet particulier par l'heureuse classification des objets, la clarté et l'élégante simplicité des descriptions ...

A voir tant de travaux divers accomplis par un seul homme, il ne viendrait jamais à la pensée que ce même homme, à l'esprit si actif, fût accablé d'une infirmité qui lui donnait peu de relâche. Et cependant, il ressentit, très jeune encore, les douleurs aiguës de la goutte. Dès le mois de novembre 1788, les accès devinrent si fréquents, qu'il ne quitta plus sa chère solitude d'Oissel.

Louis-Alexandre Dambourney habitait l'actuelle mairie d'Oissel.

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Resté garçon, il n'avait pour se consoler que ses livres et le sentiment intime du bien qu'il avait fait. Il mourut le 14 de floréal, an III de la république (2 juin 1795), à l'âge de 73 ans, emportant avec lui dans la tombe l'estime et la vénération de ses contemporains.

 

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Homme à talents et de talent, produit de la curiosité des Lumières, intéressé par tous les champs de la culture, Dambourney avait croisé fortune personnelle, loisirs, sciences, recherches, développement économique, intérêts personnels et service du "bien public". Reconnu de son vivant, les autorités municipales lui firent l'honneur de donner son nom à une rue sur la rive gauche et à un boulevard dans le centre de la ville de Rouen (il s'agit plutôt du boulevard Dambourney à Oissel et de la rue Dambourney à Rouen).

DAMBOURNEY boulevard et rue


A la mort du laborieux secrétaire de l'Académie de Rouen, toutes les garancières disparurent, et aujourd'hui, il ne reste plus, de tant d'essais et d'efforts, qu'un vague souvenir, et quelques pieds de garance sauvage dans les haies et les fossés d'Oissel. 

Son père, Alexandre Dambourney, marchand à Rouen, rue Encrière, était fils puîné de Jean Dambourney, bourgeois de Lyon, né en 1610 et d'Élisabeth Bergeron, née à Lyon, paroisse Saint-Nizier, le 25 novembre 1616. Il épousa le 13 septembre 1718, Marie-Anne Horcholle, à Rouen, paroisse Saint-Pierre-du-Châtel.

Exposition

Par cette exposition, le département de la Seine-Maritime a rendu hommage à Dambourney et a célèbré le tricentenaire de sa naissance.

 

(1) Pierre-Laurent-Guillaume GOSSEAUME, né à Ferrière-Saint-Hilaire (Eure), le 25 octobre 1739, mort à Rouen le 25 avril 1827, fut médecin en chef des Hospices de Rouen, et vice-directeur de l'Académie de Rouen. Outre son travail sur l'Académie de Rouen, paru de 1814 à 1821, on a de lui diverses notices biographiques et une "Version nouvelle des Psaumes". Il est décédé à Rouen, le 25 avril 1827.


J. Girardin, professeur de chimie à l'École municipale de Rouen - Revue de Rouen et de la Normandie - premier semestre 1837.

Notices sur diverses questions de chimie agricole et industrielle par M. Jean Girardin - 1840

Par-ci, par-là : études d'histoire et de moeurs normandes - Série 3 - par Georges Dubosc - p. 119 - 1923

Encyclopédie du commerçant - Tome 2 - Edmond de Granges - 1855

AD76 - "Plan géométrique des communes d'Oissel" - 12Fi241 - plan parcellaire - 1700-1789

AD76 - Registres paroissiaux de - Registres d'état-civil d'Oissel

Lettre et signature : 

Archives Nationales - 745AP/35, Dossier 2

AD76 - Registres d'état-civil de Oissel