L'amiral Nicolas-René-Henri de Grimouard avait un frère, Louis, seigneur du Vigneau, né à Fontenay-le-Comte, le 3 février 1738. Celui-ci avait épousé dans la chapelle du château de Saumur, paroisse Saint-Nicolas, le 14 novembre 1776, Alexandrine-Claudine-Lucie Desmé du Buisson, fille de Joseph, ancien officier des Mousquetaires de la garde du Roi, chevalier de St-Louis, et de Marie-Hyacinthe-Agathe Aubert du Petit-Thouars, née à Saumur, le 15 septembre 1759.
De cette union est née, à Fontenay, le 19 septembre 1779, Lucie-Amélie, qui épousera au même lieu, le 8 fructidor an VIII (26 août 1800), Daniel-Fortuné de Chasteigner, né à Fontenay, le 5 août 1781, fils de Daniel-Henry-Louis, propriétaire, et de Marie-Thérèse Beurey.
Le 16 mai 1793, Lucie-Amélie de Grimoüard faisait la connaissance du général de Lescure ; voici le récit de cette rencontre :
L'armée royaliste victorieuse de La Châtaigneraie, le 13 mai 1793, se dirigea vers Fontenay le 16 au matin. Ce jour-là, Lucie de Grimouard du Vigneau, qui fut plus tard Madame de Chasteigner, se leva de bonne heure. Elle avait treize ans, était vêtue comme une "petite ribaude" ainsi qu'elle le disait elle-même, et après avoir embrassé son père et sa mère, logés au grenier, dans la maison occupée actuellement par la Justice de Paix (rue Pierre Brissot), remonta dans la Grand'Rue, alors appelée rue de la Raison. La guillotine fonctionnait en permanence sur la place Viète ; une odeur de charnier se répandait aux alentours ; la gamine descendit plutôt vers l'église Notre-Dame, transformée en club, où se réunissaient les conventionnels. Mais elle fut surprise d'en voir les abords vides et les portes fermées. En face le portail qui donne sur la Grand'Rue était la prison, démolie aujourd'hui et dont il ne reste qu'une partie de la tour, occupée par l'asile communal. Devant la prison, aucun sans-culotte comme de coutume, pour faire peur à la fillette, en l'appelant "chienne d'aristocrate".
Tout à coup, Lucie de Grimouard entendit le bruit sourd du canon. En même temps, elle apercevait dans la rue du côté de la porte Saint-Michel, une vieille femme qui levait les bras en l'air et secouait tristement la tête. La fillette courut à elle et l'interrogea : "Ah ! ma pauvre petite, ils se battent à Pissotte : les brigands sont venus, tout le monde est là-bas."
Sans être épouvantée, car sa nature aimait cette époque où le danger était partout, la petite Lucie rentra cependant chez elle et s'accouda à la rampe de l'escalier qui existe encore, laissant la porte du rez-de-chaussée ouverte pour mieux entendre le canon. Elle resta longtemps seule, toute à ses pensées de fillette qu'on ne peut plus surveiller, et qui en profite pour surveiller et entendre. Tout à coup, un homme franchit le seuil de la porte comme une trombe et s'arrête au pied de l'escalier, en l'apercevant Lucie de Grimouard n'a pas peur ; mais cet homme, vêtu d'une longue redingote brune descendant jusqu'à ses bottes, qui a un foulard de soie blanche noué autour de son chapeau percé de trous ne lui dit rien qui vaille. Elle s'imagine bien que c'est un brigand et au fond elle n'est pas fâchée d'en voir un de près. Mais tout de même, celui-là est bien sale et ses habits ne ressemblent pas à ceux des gens qui sortent du club pour aller déjeuner au-dessus de la place Viète.
Effrontément, Lucie se dresse devant l'homme, et, brusquement :
- Que voulez-vous, citoyen ?
- Voir M. de Grimouard, dit le brigand : c'est ici qu'il habite ?
- Oui, dit la fillette, je suis sa fille !
Et la voilà qui grimpe les escaliers, suivie de l'homme à la redingote et au chapeau entouré d'un foulard blanc. Mais elle se retourne de temps à autre pour voir la figure de l'inconnu et "si par hasard il ne va pas l'attaquer par derrière pour la faire tomber". Enfin, elle arrive sous les combles, où se tient la famille de Grimouard. Elle entr'ouvre une porte.
- Papa, il y a un citoyen qui veut te parler ! ...
M. de Grimouard se lève et l'étranger pénètre dans la pièce. Lucie s'imagine que son père va le congédier en deux mots et qu'elle pourra le suivre ensuite pour voir s'il va au club avec les conventionnels. Mais elle voit son père qui se confond en politesses et Mme de Grimouard en révérences. L'étranger sourit et l'on s'empresse de le faire asseoir.
Il s'est découvert laissant apercevoir le mouchoir rouge qu'il porte sur la tête. Alors la fillette s'approche de sa mère, et lui murmure : "Va-t-il s'en aller ?" Mais Mme de Grimouard, qui a oublié la présence de Lucie, réputée bavarde et coureuse de rues, s'empresse de lui montrer la porte des yeux. La fillette obéit, mais elle voudrait pourtant savoir qui est l'inconnu.
Tandis qu'elle s'en va, elle entend son père demander au brigand s'il veut manger et, sur la réponse de celui-ci qu'il n'a rien pris depuis la veille au matin, Mme de Grimouard jette cette exclamation : "Oh ! Monsieur de Lescure, je vais vous préparer quelque chose !"
- Et voilà, disait plus tard, Mlle de Grimouard, comment j'ai fait la connaissance de M. de Lescure.
Une heure plus tard, les Vendéens, qui venaient d'entrer à Fontenay, étaient refoulés jusqu'à Baguenard. Lescure, prévenu en toute hâte, s'en alla avec les autres et lorsqu'il revint dans la ville, le 25 du même mois. Lucile de Grimouard put contempler à son aise le vaillant chef des brigands, qui lui avait fait forte impression à leur première rencontre.
AD85 - 4 num 511 5 - L'Avenir de l'Ouest - Mardi 28 janvier 1947 - Vue 90
Lucie-Amélie est décédée à Fontenay-le-Comte, rue du Puits-Saint-Martin, le 21 avril 1868, à l'âge de 88 ans.
AD85 - Registres paroissiaux et d'état-civil de Fontenay-le-Comte