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La Maraîchine Normande
7 janvier 2022

SAINT-PIERRE-DES-NIDS (53) - NICOLE-CLAUDINE-RENÉE MOULLIN DE LA BLANCHÈRE - MÉMOIRE

Mémoire sur un épisode de la Révolution dans le Bas-Maine 1791 - 1794
Étude de M. Eudes de Boistertre - 1894

église

Résumé des faits qui se sont passés dans le pays du Maine, plus précisément à La Poôté (ancien nom de Saint-Pierre-des-Nids) , et qui fut le théâtre des angoisses de notre héroïne.

Madame de la Blanchère, née Nicole-Claudine-Renée Chevreul appartenait à une famille de Laval. Depuis son mariage, elle partageait en été ses loisirs entre ses terres de la Mayenne. Elle résidait avec son mari et ses enfants tantôt au manoir de la Poôté (Saint-Pierre-des-Nids), tantôt au château de Grazay-le-Bois, ou à sa propriété du Haut-Lieu. Les petits-fils de ses fermiers racontaient, comme le tenant de leurs pères, qu'elle voisinait beaucoup, et s'en allait par les chemins de ce temps-là, chevauchant sur sa "haquenée", et revêtue de deux ou trois robes mises l'une sur l'autre ; tout son bagage !

On trouve son signalement dans un extrait du registre des jugements du 1er conseil de guerre permanent de la 22e division militaire séant au Mans en date du 5 thermidor an VIII (24 juillet 1800) : la citoyenne Chevreul, femme du citoyen Moullin-la-Blanchère, était alors âgée de 33 ans, - native de la Mayenne - taille d'un mètre 616 millimètres, - cheveux et sourcils châtains, - yeux gris, - nez aquilin, - bouche moyenne, - menton petit et rond, - visage ovale et uni, - teint coloré. Ce signalement est en tout conforme à un portrait d'elle conservé au château de Grazay-le-Bois, et ... qu'elle était jolie. - En octobre 1791, époque où s'ouvre son récit, elle avait donc 24 ans, le teint sans doute plus uni, et peut-être moins coloré, dans tous les cas, la plume alerte et la langue bien pendue, comme nous allons pouvoir en juger.

refrains patriotiques z

Le dimanche 9 octobre 1791, le bourg de la Poôté, était en fête. "On a annoncé à la grand'messe, écrit-elle, la lecture de la Constitution avant vêpres ; à environ 2 heures, le Maire a été à l'église, est monté en chaire, et a lu la Constitution, ou plutôt une partie, et l'autre partie de ses commentaires a été sur les aristocrates. La moitié de la paroisse peut servir de témoin sur les différents propos incendiaires qu'il a tenus à cet égard. J'ajoute que je crois utile que l'on fasse nommer un commissaire pour relire la Constitution au peuple, dans sa pureté, et l'engager à la suivre d'après ses vrais principes. On a dit les vêpres, après la lecture de la Constitution, après lesquelles on a été processionnellement allumer un feu de joie au grand cimetière. Mon mari s'y est trouvé et une partie de nos domestiques ; tout s'est passé tranquillement."

Ce début nous fait pressentir les scènes de violence qui vont suivre, et le caractère de Madame de la Blanchère se révèle à nous plein de fermeté, de décision et de bon sens ; elle et son mari acceptent loyalement l'éphémère Constitution de 1791, qui conservait à la France son roi - bien diminué il est vrai, - mais qui, en somme, reposait sur la déclaration des droits de l'homme, et ne faisait qu'instituer le gouvernement représentatif.

Cependant, de mauvais bruits circulaient dans le village depuis la matinée : "on disait qu'un ecclésiastique, qu'on ne nommait pas, avait acheté 30 pierres à fusil !" - Les paysans se livraient à la joie "en armes et tambour en tête" et préludaient ainsi à la fraternité universelle ! - Le curé, M. de Verdelin et sa soeur, se décidèrent dans la soirée à allumer, eux aussi, un feu "qui était en carré, et où on voyait au milieu : "Vive la nation ! avec deux soleils de chaque côté, et la forme d'un ruban à trois couleurs tout autour." Sur leur conseil, Monsieur et Madame de la Blanchère en firent autant à l'autre extrémité du bourg, et, au milieu des danses et de l'allégresse générale, on cria : "vive la nation, vive tous les bons citoyens, vive la paix, vive l'union !"

- Ces vivats étaient-ils bien sincères ? On peut en douter, car en même temps "des groupes armés étaient venus à la porte demander ce qu'étaient devenus ces mâtins d'aristocrates, avaient chanté la chanson, et tenu leurs propos ordinaires." - Cette effervescence n'empêcha pas Madame de la Blanchère "de s'occuper du souper aussitôt rentrée, tandis que son mari qui croyait qu'ils avaient querelle entre eux, et n'était "pas au fait de la carte", leur prenait les mains pour les faire danser ensemble." - Elle hébergeait ce jour-là M. et Mademoiselle de Verdelin et deux abbés : l'abbé Duplessis, curé non-conformiste de la petite paroisse de Boullay à quelques kilomètres de la Poôté, et l'abbé Le Beugle. Tout en s'occupant de ses devoirs de maîtresse de maison, elle entendit les menaces que proféraient les paysans, et les accusations invraisemblables qu'ils articulaient contre eux. - De temps en temps, curieuse de voir comment son mari se tirerait de son erreur, elle allait jusqu'à la porte ; les abbés et son mari se défendaient de leur mieux, pas assez vigoureusement à son gré, car bientôt elle n'y tint plus :

"Alors moi, qui ai voulu me mettre de la partie, j'ai élevé ma voix autant qu'il m'a été possible en leur disant l'égalité entre tous les hommes étant reconnue, messieurs, ils doivent tous chercher à se protéger, et non pas à s'insulter ; ils doivent tous être comme de vrais frères, d'après les principes de notre constitution. Il n'y a donc que ceux-là qui manquent à ces principes en troublant l'ordre public, ou en insultant qui que ce soit, qui sont des hommes indignes de vivre parmi leurs confrères ; et ce n'est pas à des noms aristocrates, que l'on nous donne, que l'on doit nous juger, ce n'est pas parce que nos ennemis, jaloux du bonheur dont nous jouissons de protéger les malheureux, et de ne vouloir faire du mal à personne, nous appelleront de ce nom, que l'on doit nous en vouloir, c'est par nos actions ! - Vous êtes tous assemblés dans ce moment, que ceux qui ont à se plaindre de nous, pour quelques actions contre aucun citoyen, ou de quelque insulte, ou enfin quelque plainte réelle à nous faire pour quelques faits que ce puisse être, avant ou depuis la Révolution, s'en plaignent s'ils le peuvent, et je leur pardonne. Je ne crains pas de vous le dire hautement, je ne veux de mal à personne, je n'enfreindrai jamais la loi, mais ceux qui voudraient m'attaquer, lorsque ma conscience ne me reproche rien, fussiez-vous une armée, je ne reculerai pas, et je leur répondrai, quand je serais seule ! Ensuite j'ai prié mon mari, qui leur parlait encore pour les engager à la paix, de rentrer à la maison, et, afin qu'ils ne pûssent douter de mes sentiments, me sentant en colère, je leur dis, le plus haut qu'il me fut possible : vive la paix, vive l'union, vive les vrais et bons citoyens, et au feu le reste ! je poussai la porte de la rue, et nous nous mîmes à table."

Ce petit discours ne manque pas d'une certaine crânerie ; Madame de la Blanchère ne perd pas la carte, pour parler son langage, et, après l'explosion de son indignation, elle va tranquillement se mettre à table. - Tout à l'heure nous la verrons se montrer de plus en plus calme, forte et fière, devant le danger de plus en plus menaçant, et tenir tête vaillamment à la tourbe populaire et à l'autorité même. -

Les pages qui suivent forment en effet un tableau saisissant, d'un relief et d'une vigueur de touche extraordinaires. Dans sa maison envahie elle voit tout, répond à tout, saisit le plus petit détail, nécessaire pour sa plainte future. - Elle énumère jusqu'aux armes fantaisistes des envahisseurs : les uns brandissent une brôche à rôtir, un broc (sorte de fourche à deux dents), une pique, une hache, un croc, un sabre ; les autres braquent des fusils et des pistolets. - Je ne puis, dans cette rapide analyse donner qu'une bien faible idée de cette scène capitale de ce premier récit, cependant je vais essayer d'en retracer les principales phases.

Le repas s'est achevé sans encombre ; au dessert le bruit recommence dans le bourg, bientôt le tocsin sonne. M. l'abbé Duplessis, sur l'avis de ses hôtes, est parti pour Boullay, M. l'abbé Le Beugle est allé se coucher, on ferme tout avec un soin minutieux. - A mesure que la soirée s'avance, le bruit s'accentue ; d'une fenêtre, Madame de la Blanchère voit défiler, dans la rue, un grand nombre d'hommes, armés de la façon hétéroclite que nous connaissons, "ayant le maire le sieur Deshayes, et le procureur de la commune un nommé Le Seure à leur tête." Elle descend précipitamment au salon pour avertir tout le monde de ce qui se passe. On frappe de grands coups à la porte ; il faut ouvrir, le maire entre le premier et demande M. Duplessis ; M. de la Blanchère lui répond qu'il est parti ; le maire soutient qu'il "doit être là", et ajoute qu'il va "faire fouiller dans toute la maison".

maire 1791 z

Une discussion générale s'engage ; M. de la Blanchère exige un procès-verbal que le maire refuse. - Pendant ce temps-là, les soldats de sa vaillante cohorte perquisitionnent déjà pour leur propre compte : ils ont découvert M. l'abbé Le Beugle et le traînent après eux, nu-jambes et en bonnet de nuit ; le maire ordonne de l'arrêter : un abbé est toujours de bonne prise ! C'est en vain que les malheureux envahis s'efforcent de faire entendre raison au haineux magistrat municipal : "Nous sommes dans un temps, s'écrie-t-il, où nous mettons la loi de côté." Sur quoi, ajoute Madame de la Blanchère "je n'ai pu m'empêcher de crier à mon tour : vous osez, Monsieur, nous dire que vous mettez la loi de côté, vous qui devriez être le premier à la maintenir ! - Oui, Madame, je la mettrai de côté, quand bon me semblera, et je le soutiens devant tout le monde ! - Qu'ils vous en souvienne tous, Messieurs, et qu'il vous souvienne aussi que nous ne la mettrons jamais de côté, mais que nous l'exécuterons dans toute sa force ! - ai-je répondu."

La courageuse femme prend ses précautions, elle espère avoir des témoins qui déposeront pour elle, d'autant plus qu'une énergique protestation s'est déjà produite : un sieur Troussard, membre de la municipalité, s'est opposé à l'arrestation de l'abbé Le Beugle, en disant : "Je me suis levé de mon lit, Messieurs, comme étant de la municipalité, pour me transporter ici avec vous. Mais ne croyez pas que ce soit pour favoriser l'insulte que vous faites ; c'est tout au contraire pour empêcher, au péril de ma vie, que l'on insulte chez lui un honnête homme qui ne le mérite pas." - Plusieurs autres paysans ont aussi affirmé "qu'ils avaient été forcés de venir ; qu'ils se croyaient obligés d'aller quand ils étaient commandés par la municipalité." - Il y avait encore de bons citoyens, parmi ces guerriers ! - Le sieur Deshayes, le procureur et les principaux meneurs n'étaient peut-être pas, d'ailleurs, aussi pénétrés de leur omnipotence qu'ils voulaient bien le dire, car ils tinrent un conseil "d'un demi-quart d'heure" avant de décider l'invasion officielle. - Elle le fut cependant et cinq hommes armés partirent à la conquête de M. l'abbé Duplessis. - Nous ne suivrons pas les séides de M. le Maire, celui-ci est beaucoup plus intéressant, et il est resté dans le salon. Écoutons notre héroïne : "Pendant cette perquisition, le Maire est resté avec sa troupe et leur a fait un sermon, pour échauffer le zèle de ceux à qui il aurait pu manquer ; il a dit particulièrement beaucoup de choses contre les aristocrates, qu'ils devaient chasser d'entre eux, en disant qu'ils devaient au moins garder, pendant six mois ou un an, cette maison dangereuse - en parlant de la nôtre. - Un homme connu, Jean Langevin [ou Angevin] dit la Bique, a demandé s'il fallait y mettre le feu, un autre a dit : tirons dans les croisées, un coup de fusil est parti sur le champ, par un homme également connu. Le Maire a continué son sermon en jurant contre ce b..gre de Verdelin, à qui on avait souffert dire la messe le matin ; que s'il n'avait pas été en campagne, il l'en aurait empêché ; il a ensuite trouvé mauvais qu'il fût chez nous, et a tenu à cet égard et à beaucoup d'autres les propos les plus incendiaires."

Nous voici arrivés au dénouement ; la perquisition a été infructueuse, et pour cause, et la Municipalité, escortée de ses braves, s'en va comme elle était venue, c'est-à-dire, en menant grand tapage.

Madame de la Blanchère passa le reste de la nuit à recueillir les témoignages des bons citoyens ; en l'absence des autorités les langues se délièrent ; elle apprit que le sieur Deshayes [René-Jean-Baptiste] avait fait violence à nombre d'entre eux. - Un nommé Trançon, vitrier, entre autres, lui a raconté alors que le maire avait été le faire lever et l'avait fait prendre son fusil de force pour l'accompagner ; que, non content de cela, il avait "boulé, à coups de pieds, dans le ruisseau, sa femme, et l'avait jetée dans la rue, parce qu'elle ne paraissait pas approuver cette belle action."

Les jours suivants, elle et son mari s'occupèrent de compléter leur dossier, en notant les propos révolutionnaires qui avaient couru dans le village à leur adresse : "Plusieurs femmes, qui étaient derrière la troupe, avaient dit qu'elles attendaient à mettre les têtes des aristocrates, qu'on allait leur donner à mettre dans leur tablier ; - René Gouéquet de la Conterie, a dit, le dimanche matin, qu'il arriverait du malheur dans le bourg de la Poôté, le jour même, et que, si M. le Curé ancien disait encore la messe à la Poôté, il irait lui-même le fendre en deux ; le soir, il était du nombre de la troupe avec une hache à la main, et, le lundi matin, il a dit que si le gars Blanchère ne leur avait pas parlé aussi poliment, comme il avait fait, et que s'il n'avait été que 8 heures du matin la veille, ils auraient démoli sa maison et n'aurait pas laissé une pierre l'une sur l'autre, etc."

Ils acquirent aussi la certitude que l'invasion, dont ils avaient été victimes, était un coup monté par les gros bonnets de la localité, depuis le matin. Ils apprirent enfin que le Maire avait payé à boire "avant", et le procureur "après" l'expédition. C'était sans doute leur façon de comprendre la fraternité ; façon fort à la mode encore aujourd'hui, surtout en temps d'élection !

M. et Mme de la Blanchère classèrent ensuite les noms des envahisseurs en regard de leurs hauts faits, et rédigèrent une requête qui fut adressée au département de la Mayenne. - De son côté, le mercredi suivant, le Maire usant de ses procédés habituels d'intimidation, fit battre le tambour, et força ses administrés à signer un procès-verbal fantaisiste auquel "il avait travaillé la veille toute la journée."

Le 21 octobre 1791, le département de la Mayenne prit l'arrêté suivant, un petit chef-d'oeuvre d'impartialité d'une saveur tout-à-fait révolutionnaire.

"EXTRAIT du registre des arrêtés du Département de la Mayenne, Séance publique du 21 octobre 1791."

"Vu la requête du sieur Moullin de la Blanchère ... etc.
Vu pareillement le procès-verbal dressé par la municipalité le dix de ce mois, d'où il résulte, qu'après la proclamation de la Constitution, les citoyens célébraient leur joie par des illuminations ; qu'il fut allumé des feux par des gens divisés d'opinions, les uns partisans, les autres ennemis de la Révolution ; - que les uns faisaient entendre des chants patriotiques, les autres des chants très anti-constitutionnels et injurieux au curé conformiste ; - que la maison du sieur Moullin est le rendez-vous de tous les ennemis de la Constitution ; - qu'un sieur Duplessis, prêtre non-conformiste qui y soupait avait insulté plusieurs citoyens et les avait menacés de coups de pistolet ; - qu'un sieur Le Beugle, amis du sieur Moullin, avait provoqué, par injures et menaces, beaucoup de jeunes gens ; que plusieurs particuliers se plaignaient qu'on avait voulu les faire danser autour du feu dérisoirement allumé par les anti-patriotes ; - que les esprits s'étaient échauffés ; - qu'il était question de se livrer à des excès, principalement contre les sieurs Duplessis et Le Beugle ; - que pour arrêter les effets de cette effervescence, le maire et plusieurs municipaux ont jugé expédient de s'assurer de leurs personnes et de les amener au bureau de la municipalité pour s'expliquer ; - que pendant ce temps quelqu'un avait tiré la cloche, qu'en conséquence le Maire, le procureur de la commune et plusieurs municipaux se sont présentés en force chez le sieur Moullin, que la troupe est restée dehors ; - que le procureur de la commune est entré ; qu'il a appris l'évasion du sieur Duplessis ; - que le sieur Moullin ayant dit d'entrer le maire s'est présenté à lui, et a cherché à l'apaiser en lui expliquant qu'il n'était point l'objet de la recherche ; - que les reproches du sieur Moullin ne firent qu'aigrir les gens armés et exciter leur envie de fouiller ; - que néanmoins il ne fut forcé de consentir à la perquisition qu'après quelques mouvements qui suivirent sa retraite de la maison et qui se manifestèrent extérieurement, qu'elle a eu lieu sans trouble, sous l'inspection du procureur de la commune, qu'elle a été infructueuse et que l'effervescence a été calmée par la promesse du Maire de dénoncer aux corps administratifs et à l'accusateur public les outrages et menaces qui l'avaient fait naître."

Tel est le procès-verbal que le maire avait mis deux jours à élaborer ; en temps de Révolution, c'est toujours le prêtre qui a commencé. - Continuons :

"Vu enfin l'avis du district du 17 de ce mois, ouï le rapport de Monsieur Courte et les conclusions du procureur général syndic, considérant que le sieur Moullin et la municipalité articulent réciproquement des faits contraires ; - qu'au milieu de cette contradiction il est fort difficile de démêler la vérité ... etc."

Passons l'avis du district, qui ne se compromet pas, et arrrivons aux considérants pleins d'éloquence patriotique de Département :

"Considérant que le procès-verbal de la Municipalité est écrit dans un style injurieux pour le sieur Moullin, et avec beaucoup d'exaltation ; - qu'il ne porte nullement l'empreinte de cette modération impartiale qui doit caractériser toute administration publique et que doivent conserver dans le silence des passions les organes de la loi - que, quels que soient les torts des sieurs Duplessis et Le Beugle, même ceux du sieur Moullin, s'il en a, ce n'a pu être une raison de se porter en force dans sa maison, de mettre en danger sa personne et sa propriété, de faire chez lui une perquisition aussi sévère que scandaleuse ; - qu'il est malheureux d'être obligé de rappeler à ceux que le choix du peuple a nommés pour maintenir la Constitution, qu'ils ont violé cette Constitution, le jour même qu'ils l'ont publiée ; - n'y ont-ils pas vu : art. 7 de la Déclaration des droits de l'homme "nul ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites ?" - Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; - ils y ont lu encore que le domicile du citoyen est un asile sacré, où la loi ne permet de pénétrer qu'avec les précautions que la liberté exige, et dans des cas singuliers qu'elle détermine ; que les personne et les propriétés sont sous la garantie de la Constitution, de la force publique, des dépositaires des pouvoirs constitués."

"Considérant que l'infraction à toutes ces lois ne saurait être palliée par les cris d'une multitude, c'est-à-dire d'une trentaine ... ! d'hommes réunis au son du tocsin ; - que les officiers municipaux devaient employer tous les moyens qui dépendaient d'eux pour calmer l'effervescence ; - qu'en opposant de la fermeté, qu'en faisant entendre la Constitution dont ils avaient donné le même jour lecture ils auraient infailliblement ramené le calme ; - que se mettre à la tête de ceux qui violent la loi, c'est autoriser les désordres ; - la faiblesse n'a jamais produit qu'un calme perfide ; et, que peut craindre un fonctionnaire public, sous le bouclier de la loi ? c'est une égide impénétrable devant laquelle le plus méchant tremble et fuit."

Superbes ! n'est-ce pas ces considérants, et n'est-on pas en droit de croire que la Municipalité va être foudroyée ? - Hélas ! il y en a encore un :

"Considérant que les procédés inconsidérés et la Municipalité n'excusent pas les torts des particuliers qui les ont occasionnés, que si l'on consultait une justice sévère ce serait le cas de renvoyer toutes les parties aux tribunaux pour y être jugés suivant la rigueur impartiale de la loi ; mais qu'il faut oublier des fautes que l'ivresse de la joie dans un si beau jour n'eût pas dû faire naître ; qu'à l'imitation de l'Assemblée constituante tous les citoyens doivent déposer aux pieds de la Constitution les discussions qui les avaient agités ; que l'amnistie doit couvrir d'un voile salutaire les écarts de la liberté et du patriotisme, comme les crimes de l'incivisme ; qu'en un mot tous les Français, détournant leurs regards du passé, n'ayant plus qu'un même voeu, celui de l'ordre, de la tolérance et de la paix, ne doivent plus songer qu'à jouir des bienfaits que les premiers législateurs leur offrent à la fin d'une pénible carrière.

"Arrête, qu'en fermant les yeux sur les fautes respectives des parties auxquelles est fait défense néanmoins de se permettre de pareils actes à l'avenir, sous telle peine qu'il appartiendra, tous les citoyens sont invités à entretenir entre eux la concorde et à éteindre dans la jouissance pure des bienfaits de la Constitution tous les ressentiments que la diversité des intérêts et des opinions avait fait éclore, que les officiers municipaux doivent donner l'exemple de cette réunion, qu'en conséquence les présentes seront lues et publiées dans la paroisse de la Poôté en la manière accoutumée.

Pour copie conforme : Desdet, président, Létard, secrétaire-général."

Pas de commentaires ! Remarquons toutefois que dans cet arrêté, comme dans le procès-verbal de la Municipalité, il n'est pas une seule fois question de Madame de la Blanchère, l'autorité n'en veut qu'au mari et surtout aux abbés !

GRAZAY château z

 

M. et Mme de la Blanchère, peu satisfaits, sans doute, de cette justice distributive, quittèrent bientôt la Poôté, pour aller habiter le château de Grazay, où ils passèrent une partie des années 1792 et 1793, disparaissant de temps en temps, pour échapper aux poursuites des révolutionnaires. - Ils ne firent que de courtes apparitions à la Poôté, où les haines étaient toujours vivaces. On pourrait croire, en effet, que l'affaire de 1791 est terminée ; il n'en est rien.

En 1794, il s'agissait, pour la municipalité de la Poôté, d'inscrire M. et Mme de la Blanchère sur la liste des suspects mais, pas le moindre grief - sauf peut-être le pillage de leur maison qu'ils avaient souffert par deux fois en octobre et en décembre 1793. - Comment faire ? Une idée géniale passa par la tête du nouveau maire, le sieur Laurent : il rédigea un nouveau procès-verbal de l'affaire du 9 octobre 1791, l'antidata du 10 octobre 1791, le signa du nom de son prédécesseur, et l'envoya au Représentant du peuple délégué dans les départements de la Mayenne et d'Ille-et-Vilaine. Puis il inscrivit d'office lesdits citoyens sur la liste des personnes suspectes de la commune de la Poôté.

Madame de la Blanchère reprit alors sa plume, mais cette fois, elle s'exprime en juriste. Elle réfute, point par point, les allégations nouvelles de ce faux procès-verbal, et fait ressortir tous les anachronismes d'expressions et de dates échappés à l'inadvertance du Maire : On ne pense pas à tout ! Ce document est une longue énumération des bévues municipales, dont je ne citerai que deux exemples : "Le sieur Deshayes y prétend avoir instruit le peuple dans le Temple ; or le règne de la Raison n'était pas encore inauguré, en 1791 on ne connaissait que les églises ; - il dit que les aristocrates voulaient rétablir la Tyrannie, or le Roi existait encore avec des prérogatives royales assez étendues ... etc., etc."

Puis elle ajouta : "Depuis la première époque de la Révolution, nos ennemis ont employé toutes les manoeuvres perfides qui pouvaient contribuer à notre perte. - Plus de huit jours avant l'instant funeste, où l'un d'eux attenta aux jours de mon époux, il y avait des projets pour trouver un moyen d'y parvenir. - Ils se sont réunis au chef-lieu pour soulever quelques habitants par la boisson, et ont proféré des menaces contre ceux des habitants qui s'y voulaient refuser. - C'est par l'ordre du maire et du procureur de la commune que l'on sonna le tocsin ; - l'arrêté du département fait foi de la demande que mon mari lui faisait de poursuivre cette affaire devant les tribunaux, conformément à la loi, ainsi que l'excuse que Deshayes, le maire, fait pour couvrir ses infamies, par son procès-verbal rédigé par mes ennemis rassemblés dans une auberge, et qui a été fait signer au son du tambour, trois jours après, par son ordre, après s'être refusé publiquement à en faire un le jour de cette horrible scène."

Le 7 fructidor an II (24 août 1794), "le représentant du peuple délégué dans les Départements de la Mayenne, d'Ille-et-Vilaine et autres environnants" prit un arrêté qui termine définitivement l'affaire de 1791. Le voici en partie :

ÉGALITÉ, LIBERTÉ, UNITÉ.
Gouvernement révolutionnaire

Puis, dans un cartouche orné de petits amours qui jouent du tambour et sonnent de la trompette, et d'un superbe bonnet phrygien, on lit : République française une et indivisible. La Liberté ou la Mort :

"Au nom du peuple français,

Le représentant ... etc.

Considérant que les inculpations faites au mois d'octobre mil sept cent quatre vingt onze (V.S. - vieux style), par la municipalité de la Poôté, contre le citoyen Moullin la Blanchère, ne peuvent qu'être dictées par la malveillance et les haines particulières.

Considérant que le procès-verbal de cette municipalité, où sont relatés les dites dénonciations, quoique en date du 10 novembre 1791 (V.S.) est évidemment fait postérieurement et après coup ; - que d'ailleurs les faits sur lesquels il repose, s'étant passés antérieurement à la loi républicaine, ne peuvent être regardés comme le résultat de principes anti-constitutionnels. - Vu l'arrêté du Département de la Mayenne, qui, après avoir invité les parties en litige à déposer de part et d'autre les animosités particulières, recommande nominativement à la Municipalité de la Poôté d'en donner la première l'exemple - Considérant ... etc. Vu ... etc.

Arrête que les noms du citoyen Moullin la Blanchère et de la citoyenne sa femme seront sur le champ rayés du tableau des personnes suspectes dans la commune de la Poôté.

Laval le 7 fructidor an II, de la République une et indivisible.

Pour copie conforme, le représentant du peuple.
Saignelot."

Cette pièce est la dernière qui ait trait aux évènements de 1791, et l'épisode est clos ... Mais Madame de la Blanchère n'était pas au bout de ses peines ! les haines populaires sont tenaces ! ...

A la fin de l'année 1799, nous sommes sous le Consulat ; des bandes parcourent les campagnes ; la chouannerie se réveillait en Normandie et en Bretagne. Le Bas-Maine se trouvait sur le passage des ... "brigands". Madame de la Blanchère fut accusée de Correspondance avec eux, poursuivie, incarcérée à Laval, où elle rédigea dans sa prison un très curieux plaidoyer.

Acquittée une première fois par le jury de Lassay, elle fut emprisonnée de nouveau sur une accusation d'embauchage, s'évada, fut reprise, et finalement comparut devant le conseil de guerre du Mans, le 5 thermidor an VIII. Le document qui contient son signalement est l'extrait du Registre des Jugements de ce conseil de guerre, qui "à l'unanimité la déclara non coupable, et ordonna qu'elle fût mise de suite en liberté et "rendue à ses fonctions" (sic), après lecture du jugement fait à l'acquittée en présence de la garde assemblée sous les armes."

 

René-Jean-Baptiste Deshayes, chirurgien-maire, victime de ses convictions républicaines, fut assassiné par les Chouans, en son domicile de La Poôté, le 13 germinal an III (2 avril 1795). Il était âgé de 60 ans et époux de Marie-Magdelaine Blanche.

VERDELIN signature

François-Joseph de Verdelin, 60 ans, né à Montegut (Hautes-Pyrénées), demeurant à La Poôté. - Non constitutionnel. - Insoumis. - Quand à la soumission point connu, s'est soustrait au serment. - Ne se rapproche point assez de l'habitant des campagnes, dont il n'a pas pu contribuer à égarer l'opinion. - Fait l'important. - Assez mauvaise tête. - Juge les actes administratifs à son tribunal particulier, va les consulter à Paris, et tout en protestant de sa soumission, n'en fait aucun et se refuse à tout ... - Caractère vain, altier, présomptueux et indépendant. - Est néanmoins demandé par quelques habitants. (Bulletin de la Commission historique et archéologique de la Mayenne - 1er janvieer 1913 - Enquête sur le Clergé de l'an IX à l'an XIII par E.-M. Sévestre - p. 76)

 ⚜️ Fleur de lys Emoji

NICOLE-CLAUDINE-RENÉE CHEVREUL,  fille de René Chevreul, avocat en Parlement et de Nicole-Marguerite Pavy, née vers 1767, avait épousé à Saint-Thomas-de-Courceriers (53), le 11 juillet 1785, Antoine-Hyacinthe Moullin de la Blanchère, avocat en Parlement, juge ordinaire civil et criminel des sièges du marquisat de Gêvres et chatelenie de La Poôté des Nids, fils de Jean-Baptiste Moullin, juge à La Poôté et de Julienne Blanche. Elle est décédée le 18 avril 1832.

De ce mariage sont nés :

- Antoine-René-Hyacinthe, né à La Poôté (Saint-Pierre-des-Nids), le 7 juin 1786 ; propriétaire ; marié à Souligné-sous-Vallon, le 25 novembre 1813 avec Marie-Julienne Mouton, veuve de M. Michel-Marin Lemarchand, décédé à Souligné le 28 mai 1811, née à Fresnay le 16 avril 1787 du légitime mariage d'Alexandre-Charles Mouton, ancien notaire et de Marie Le Seure, dont 2 fils, Antoine et René-Marie-Eugène, né au Mans, le 20 mars 1816 ; elle est décédée au même lieu le 9 mars 1822 ; 

- Jean-Baptiste-Clément, né à La Poôté, le 31 juillet 1787 ; capitaine au 3e régiment de Sapeurs - 1807 ; croix de St-Louis, chevalier de la Légion d'honneur (1815) ; décédé le 15 septembre 1845 ; époux de Perrine-Charlotte-Prospère-Renée Fercoq, née à Sablé (Sarthe) le 15 frimaire an V (5 décembre 1796, fille de Charles-René-Pierre Fercoq, propriétaire, natif et domicilié en la commune de La Flèche, et de Perrine-Madeleine-Chantal Riobé, native de Sablé ; mariés le 16 septembre 1818 ; dont - Henri-Marie-Pierre-René, né à La Flèche, le 2 mai 1821, écrivain et vulgarisateur scientifique, auteur de nombreux ouvrages sur la chasse et la pêche ; décédé subitement au Havre en 1880, "M. de la Blanchère avait pris passage à bord du bateau de Dives pour retourner à Paris, en passant par Le Havre. Pendant la traversée, il tomba sans connaissance et, à l'arrivée du bateau, on dut le transporter à l'hospice, où il n'a pas tardé à succomber." (Journal Le Rappel - 20 avril 1880)

- François-Zacharie, né à La Poôté, le 17 juin 1789 ;

Antoine-Hyacinthe Moullin de la Blanchère est décédé à La Poôté (Saint-Pierre-des-Nids), le 12 avril 1812, à l'âge de 67 ans.


A propos d'Antoine-Hyacinthe Moullin de la Blanchère : "décrété d'arrestation le 11 décembre 1793, il fut obligé de se cacher et de mener une vie errante, jusqu'à la chute de Robespierre." (Histoire de la Révolution dans la Mayenne - Volume 2 - page 442).

 

AD53 - Registres paroissiaux et d'état-civil de Saint-Pierre-des-Nids

AD72 - Registres d'état-civil de Sablé et de La Flèche

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Commentaires
J
Bonjour,<br /> <br /> Je voulais savoir s'il est possible de retrouver l'intégralité de l'étude de Eudes de Boistertre sur un site d'archives.<br /> <br /> Bravo pour la richesse des sujets abordés.<br /> <br /> Cordiales salutations.
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