ALLONNE (79) - PIERRE-JEAN MARCHAND, CURÉ CONSTITUTIONNEL (? - 1808)
L'ABBÉ MARCHAND
La Révolution fut pour l'abbé Marchand un grand drame. Il était arrivé à Allonne en 1761. Il vit donc l'agonie de l'abbaye ; et il est à peu près sûr que si la Révolution ne s'était pas produite, on eût dû considérer l'abbé Marchand comme un bon curé. Il fit donner en 1777, une mission par le P. Javellois, et en souvenir, fit mettre un nouveau coq sur le clocher, fabriqué par Auriau de Parthenay. Mais la Révolution se déchaîna et Pierre-Jean Marchand prêta tous les serments qu'on lui demanda. Il n'avait pas la vocation du martyre.
Voilà donc notre curé constitutionnel, assermenté, "jureur" puisque c'est l'expression habituellement employée avec une note très nette de mépris. On aurait pu penser que cette nouvelle Eglise, pouvait avait rejeté le principe de base, la communion avec Rome, pouvait se dispenser de règlements secondaires. Pourtant on demande, pour le mariage, les dispenses en cas de parenté au 3e ou au 4e degré, et même des publications de bans. Et le ci-devant, évêque des Deux-Sèvres, Joseph-Jean Mestadier, constitutionnellement promu (résident à Saint-Maixent) signe et envoie les feuilles de dispenses, contresignées du vicaire général.
Ceci n'est pas tellement important en soi. Après tout, quand le 1er pas a été fait - celui qui compte - il faut bien admettre certaines petites conséquences. Mais il en est une qui ne manque pas de sel. Quand le prêtre ne bénit que des mariages indissolubles, et que le même personnage, parce qu'il devient fonctionnaire, est amené à prononcer un divorce, il faut reconnaître que c'est assez piquant ... et très pénible. Et pourtant, c'est ce qui est arrivé à l'abbé Marchand le 2 février 1793, l'an II de la République. La citoyenne Eulalie Piogé, 38 ans, mariée en 1778, à Baugé, avec Charles Gourjault et dont l'abbé Marchand avait baptisé les enfants, demeurant à la Frémaudière-Robert, - son mari était émigré (l'un des 7 motifs demandés par le code du 2 septembre précédent) -, comparut devant l'abbé Marchand, faisant fonction de greffier municipal et donc de juge, qui déclara, au nom de la loi, que le mariage était dissout, et qu'elle peut - l'ex-conjoint également - contracter un nouveau mariage.
De ceci, on peut constater que l'abbé Marchand fut d'abord greffier - puis élu officier civil (même fonction avec un nom différent). Il pouvait sans doute se faire remplacer dans sa charge de greffier-officier par son vicaire, l'abbé Maupois (prêtre également constitutionnel). Mais à partir de février 1794, il est remplacé par Jean-François Bastard. Il s'est éclipsé, on va en reparler.
Il faut dire que ce divorce pose questions ! Émigré ? Pourquoi sa femme ne l'a-t-elle pas suivi ? Ne se sentait-elle pas également menacée ? En demandant le divorce d'avec un émigré, elle échappait à la loi des "suspects", donc à la "guillotine" ! Ne serait-ce pas plutôt un divorce fictif ? En 1810, sous Napoléon, quand les époux voulurent régulariser leurs liens et leurs titres de propriétés, ce fut un mic-mac indescriptible.
L'abbé Marchand est donc un scandale pour les bons chrétiens d'Allonne qui le jugent très sévèrement, et qui, peu à peu, désertent son église ... Il ne se sent plus en sécurité. En un premier temps, il alla mettre son argenterie en lieu sûr, et de même ses effets de quelque valeur, chez l'ancien curé de St-Marc-la-Lande, jureur lui aussi, mais moins inquiété.
Mais les Vendéens ne sont pas sans savoir les erreurs inacceptables du curé d'Allonne. En 1793-94, ils firent une descente en force à Allonne, enlevèrent le curé et l'emmenèrent jusqu'à Mauléon. Quelque temps après, Westermann, avec ses armées républicaines, reprit Parthenay, occupé 2 ou 3 jours seulement par le chef royaliste Lescure, monta jusqu'à Bressuire, en brûlant sur son passage le Château de Clisson, s'empara de la capitale du bocage, arriva à Mauléon. Là, après une bataille acharnée, il se rendit maître de la capitale royaliste de la Vendée révoltée et fit célébrer une messe solennelle par l'évêque constitutionnel, Mestadier, de St-Maixent, dont il s'était fait accompagner. Et ses soldats retrouvèrent l'abbé Marchand dont on ne sait s'il fut heureux de sa délivrance. Il revint donc à Allonne, peu fier de son aventure.
Il alla se réfugier à Champdeniers, où il pouvait être à l'abri des attaques vendéennes. Le Maire d'Allonne, Jean-François Bastard, qui n'inspire pas confiance aux meneurs de la Révolution, fera de même, emportant avec lui ses archives personnelles et celles de la mairie. Certaines personnes d'Allonne iront se marier civilement à Champdeniers. D'autres prêtres constitutionnels, celui de la Boissière, par exemple, ira se réfugier aussi à Champdeniers.
Là, notre abbé Marchand est soumis de nouveau à une épreuve encore plus humiliante. Le gouvernement veut des prêtres bons patriotes, aux idées d'un pur républicanisme : le meilleure preuve qu'ils puissent donner, c'est de se marier, avoir des enfants, comme tous les autres citoyens. Le pauvre abbé Marchand fournit en mars 1795 un certificat cousu de fil blanc. Lui et sa cuisinière, Marie Château "ont vécu ensemble depuis 27 ans, mangeant et buvant à la même table, logés sous le même toit". Moyennant quoi, il sauva sa situation. On se contenta de cette attestation ! Et la Révolution se poursuit. On se marie encore devant l'officier municipal, qui devient "agent municipal". Faisait-on la distinction entre le maire et le secrétaire ? ... En tout cas, ce n'est plus l'abbé Marchand ... et le mariage religieux ? ... et les baptêmes ? ... Peu à peu on déserte le culte à l'église célébré par un prêtre constitutionnel, culte considéré par conséquent comme sacrilège, et l'on va à la messe dans quelques maisons particulières, messe dite par un prêtre non jureur, un bon prêtre, un prêtre réfractaire aux yeux des républicains ...
L'abbé Marchand revint à Allonne après le Concordat (1801) qui mettait fin à la tourmente. Il n'est plus curé, il n'est que desservant. Seuls les doyens ont le titre de curé ; aussi signe-t-il, ex-curé, ancien curé ; pendant un certain temps, il se familiarise avec le titre de desservant, enfin, il revient au titre de curé.
Il dut pousser un "ouf" de soulagement ; les 10 ans qu'il venait de vivre avaient été trop durs pour lui. Il s'appliqua à mettre de l'ordre dans sa paroisse, comme dans sa conscience personnelle. Il fait un don de 8.000 francs à l'évêché pour les séminaires, ce qui était une très belle somme, mais l'évêché assurera tous les 10 ans les frais d'une mission, pendant laquelle un service funèbre sera célébré pour lui ... le personnel de l'évêché s'acquittera très mal de cette obligation.
Il décéda au début de 1808, à l'âge de 75 ans. Les obsèques le 18 janvier, très bien célébrées. Les curés du voisinage, Secondigny, Mazières, Le Tallud, St-Pardoux, St-Aubin, La Boissière étaient présents, communiant tous à l'unité retrouvée ... C'est l'abbé Ayrault de la Boissière qui est chargé de l'intérim.
L'abbé Marchand regrettait profondément son manque de courage et son manque de sens théologique. Il voulut que sa tombe soit creusée, non pas dans l'alignement des autres tombes, mais dans l'allée où tout le monde passe ; et pour que l'on sût bien où se trouvait son corps, il voulut qu'on y plaçat une pierre que l'on foulerait. Ce geste à quelque chose de profondément émouvant. Il n'était du reste pas unique. Au Tallud, dans la même intention, le curé voulut aussi être placé à l'entrée de l'église, tout près de la porte de la sacristie. On savait alors se reconnaître pécheur !
Plus tard, selon ma propre interprétation, les habitants d'Allonne voulurent faire disparaître la pierre accusatrice. Quand ils firent faire la tombe de l'abbé Rousseau, ils la placèrent près de la fameuse borne, firent un enclos très convenable et enlevèrent cette pierre qui rappelait de trop tristes souvenirs. Ils firent bien !
Histoire de la paroisse d'Allonne - Abbé Baudu - 1989
AD79 - Registres d'état-civil d'Allonne