Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
23 octobre 2020

BOUILLÉ-LORETZ (79) - RENÉ-PHILIPPE-PIERRE MAILLOT (1743 - 1801), OU L'INCONSTANT DESTIN D'UN PATRIOTE

RENÉ MAILLOT OU L'INCONSTANT DESTIN D'UN PATRIOTE

"Liberté, Égalité ou la Mort.
District de Thouars, département des Deux-Sèvres.
Aux représentants du peuple, citoyens,

Les officiers municipaux notables et agent national composant le conseil de la commune de Bourg-Loretz, vous représentent que René Maillot, âgé de 51 ans, propriétaire en cette commune, actuellement en détention à Maixant, a toujours à notre connaissance manifesté un patriotisme le plus épuré et le républicanisme le plus éprouvé, et que dans toutes les occasions, il a rendu tous les services possibles à notre commune et à la chose publique par son énergie, ses soins et ses talents .../... Ce qui nous fait espérer, citoyens représentants que vous prendrez notre pétition en considération et que vous rendrez ce citoyen si cher à ses concitoyens et si nécessaire à notre commune.

Vive la République. Vive la Convention. Fait et arrêté à notre chambre commune de Bourg-Loretz, ce quinze vendémiaire, l'an III de la République française une et indivisible." (6 octobre 1794)


Cet appel à la clémence, émanant d'un groupe de responsables municipaux a de quoi étonner. En effet, comment se fait-il qu'un fervent partisan du nouveau régime issu de la révolution française connaisse les affres et les rigueurs des geôles républicaines ? Erreur judiciaire ? Juste punition infligée à un être indigne, traître à la cause de la Liberté enfin retrouvée ? A coup sûr, un cas aussi surprenant mérite examen.

Cependant, nous n'avons pas jugé utile de faire ici la biographie complète ni le procès de l'individu en cause. De fait, seuls les évènements les plus marquants de son existence ont été retenus, en particulier ceux qui nous ont aidé à mieux comprendre ses réactions, son comportement face à quelques circonstances imprévues.

Certes, la complexité du personnage, sa conduite teintée d'ambiguïté ne nous ont pas permis de circonscrire avec une grande précision sa véritable nature. Mais nous avons quand même tenté d'apprécier, au-delà de ses gestes visibles, de ses réflexes apparents, les motifs de son engagement pour le nouveau régime et de son attitude pendant la période révolutionnaire.

Hormis son aspect anecdotique, cette histoire a aussi pour mérite de nous offrir l'expérience intime d'un homme face à sa peur et sa lâcheté. Cette particularité est d'autant plus remarquable que, de tout temps, les sociétés humaines ont cherché à dissimuler ces sentiments peu avouables derrière le paravant des attitudes héroïques. C'est là, très certainement, où réside le principal attrait de ce qui suit.

 

UN FILS DE FAMILLE

C'est dans l'église de Bouillé-Loretz, paroisse des Marches du Poitou et de l'Anjou qu'est baptisé "le 16e jour d'octobre 1743, René-Philippe-Pierre, fils de h.h. (honorable homme) René Maillot, seigneur de Chantemerle et de demoiselle Anne Rogeron, son épouse". L'enfant appartient à une famille de la bourgeoisie rurale : ses parents possèdent en effet la petite seigneurie de Chantemerle, située à peu de distance du bourg.

Bouillé-Loretz 1743 z

Orphelin à l'âge de douze ans, René est confié aux soins de sa mère et de ses frères. Comme en témoigne le style de ses lettres, il semble avoir reçu une solide éducation, vraisemblablement à l'abbaye voisine de Ferrières. Sa famille veut en faire un ecclésiastique avec, à la clef, un bénéfice rémunérateur. De fait, à vingt ans, il devient clerc minoré et, surtout, bénéficier.

Mais, très rapidement, René renonce au sacerdoce. A l'en croire, on l'aurait contraint à devenir prêtre par appât du bénéfice, sans tenir compte de ses volontés : "Mes parents avaient formé le projet de me faire embrasser ce métier dans la vue d'améliorer le sort de mes frères et de s'assurer auprès de moi une retraite dans leur vieillesse", affirme-t-il dans un de ses écrits. [Ces écrits sont des lettres découvertes dans un sac pendu à la poutre du grenier d'une maison de Bouillé-Loretz. Elles furent recopiées par l'abbé Gustave Michaud.] Déçue par une telle décision, sa famille entreprend alors de le faire changer d'avis, mais en vain.

A l'époque, son train de vie est modeste. Dans une lettre écrite le 14 thermidor an II (1er juillet 1794), il déclare recevoir 340 livres de revenu net et reconnaît tenir à ferme "sur le pied de 880 livres" le bien de son père (la seigneurie de Chantemerle) qui appartient alors à sa mère douairière et à ses deux frères. On y apprend également qu'il afferme une petite maison qu'il possède avec quelques terres et vignes pour la somme de 80 livres. Impositions déduites, il ne lui reste que 373 livres 6 sols 8 deniers. Mais dans son mémoire du 6 prairial an II (26 mai 1794), il mentionne en sus 350 livres fournies par son bénéfice de clerc minoré dont il jouit encore à cette époque.

Pour résumer, René Maillot dispose d'une somme annuelle se montant aux alentours de 700 à 800 livres. Si l'on admet l'exactitude de ses déclarations, il bénéficie donc d'un revenu modeste pour une personne de sa condition. Les choses vont heureusement changer, du moins l'espère-t-il, avec cet incroyable bouleversement des structures et des mentalités que fut la révolution française.

Bouillé-Loretz vue z


"L'ÉDIFICE DE LA LIBERTÉ S'AVANCE"

Le nouveau régime engendré par les évènements de 1789 reçoit l'assentiment d'une grande partie des 1.450 habitants de Bouillé-Loretz. En 1790, la commune est rattachée au canton d'Argenton-l'Église et au district de Thouars ; un an plus tard, elle sera débaptisée et deviendra "Bourg-Loretz".

A Bouillé-Loretz, comme dans toute la région proche de Saumur, les viticulteurs et les petits paysans rejoignent les idées des bourgeois révolutionnaires. Forts de leur prestige social et de leur importance dans les circuits économiques de la commune, ces derniers accaparent les postes clés du conseil municipal, de la société populaire et du comité de surveillance. Prêtres, hommes de loi, fermiers généraux, rentiers, artisans aisés, tous féodaux, en leur offrant quasiment les terres des ecclésiastiques et des émigrés, la révolution leur permet de devenir les maîtres du sol, du travail et des salaires.

Bien entendu, René Maillot fait partie de ce cercle restreint de notables municipaux. Fin lettré, propriétaire terrien et maître d'une petite domesticité, il se devait de tenir son rang dans la société révolutionnaire de la commune et de participer à la bonne marche des affaires publiques.

Chantemerle carte z


UN VOISIN COMPROMETTANT

L'origine de l'histoire qui nous occupe remonte au début de la révolution. René Maillot entretient alors des relations très étroites avec son compatriote Jacques-Nicolas-Honorat de La Rivière Bueil, seigneur de la paroisse de Bouillé-Loretz. Bien que peu fortuné, celui-ci vit, selon les mots de René Maillot, "dans un mélange de bonhomie, d'aristocratie et de hauteur". Quant à sa femme, Marie-Claude Le Jumeau de Belon, c'est "l'une des plus vertueuses et des plus aimables de son sexe". Deux de leurs fils émigrent dès les premiers évènements ; un troisième, abbé de son état, se trouve alors chez ses parents.

Jacques de La Rivière est le type même du petit gentilhomme campagnard, affable, sociable, qui apprécie la discussion avec ses paysans lorsqu'il est dans "le cours de ses visites". Mais la chute de l'Ancien Régime avec son cortège de mesures antinobiliaires, sonne le glas de sa domination sur la seigneurie de Bouillé-Loretz et de tous les avantages qui y sont rattachés. "La Rivière perdait gros" (constate René Maillot), "ses projets d'élévation et d'agrandissement se trouvaient anéantis. Comme il ne jouissait pas d'une grande aisance, c'était une raison de plus de vanter son antique noblesse, il était fort attaché à ses titres, ses droits honorifiques lui tenaient à coeur".

Avant la Révolution, René et son noble voisin entretenaient d'excellents rapports. Quelques boisselées de Chantemerle relevant féodalement de la seigneurie de Bouillé-Loretz, les deux hommes se rencontraient souvent pour leurs affaires. A l'époque, leurs intérêts étaient les mêmes et l'on peut raisonnablement affirmer qu'une amitié sincère existait entre eux.

Aussi, lorsque René tombe malade en juin 1792, Jacques de La Rivière vient tout naturellement s'enquérir de sa santé. Mais le convalescent, visiblement peu intéressé par l'idée de se compromettre plus longtemps avec un aristocrate, ne lui retourne pas la politesse et s'abstient d'aller visiter son voisin.

Apparemment, c'est René Maillot qui prend l'initiative de rompre leurs relations amicales. Certes, depuis un bon moment, leurs discussions étaient très agitées : René admet qu'en 1791, ils étaient déjà très "brouillés" et qu'ils avaient eu quelques "prises très vives" car "leurs principes étaient très opposés".

Dès lors, le fossé entre les deux hommes ne cesse de s'élargir. Bientôt, le temps des désaccords sur les problèmes de l'époque est largement dépassé ; vient alors le moment de l'affrontement.

THOUARS Z

UNE ERREUR IMPARDONNABLE

Lorsque l'armée catholique et royale s'empare de la ville de Thouars, le 5 mai 1793, Jacques de La Rivière ainsi que quelques autres nobles sont délivrés du château où ils avaient été préventivement enfermés. La Rivière et son épouse partent alors se réfugier dans leur logis de Bouillé-Loretz ; quant à l'abbé, il rejoint sans hésiter le rang des libérateurs et prend un grade dans leur armée.

Pendant ce temps, René Maillot, qui s'était rallié aux défenseurs de la ville, se plie aux exigences des vainqueurs. Certes, l'infortuné jure comme tous ses amis de ne plus prendre les armes contre les soldats de la religion et du roi, mais, dans son for intérieur, il rumine sa vengeance. Sitôt libéré, il court à l'état-major du général Ligonnier, dresse un rapport complet sur la prise de Thouars et profite de l'occasion pour dénoncer l'abbé.

Mais, après les succès vendéens du printemps 1793, la région de Saumur vit sous le joug des insurgés qui commencent alors la chasse aux patriotes. René Maillot réalise soudain que la dénonciation de l'abbé pourrait bien lui coûter la vie. Afin d'écarter cette terrible éventualité, il prend l'initiative d'expédier une lettre à La Rivière dans laquelle il fait état de son attachement à la cause royaliste.

Mais cette tentative va échouer lamentablement : lors d'une perquisition dans le château de Bouillé-Loretz, les membres du comité de surveillance de Thouars tombent malencontreusement sur cette lettre. Surpris et indignés de lire des phrases si compromettantes sous la plume d'un si vertueux citoyen, ils expédient leur auteur en prison en attendant de régler son cas.


LA MORT DE L'ENNEMI

Depuis son retour dans son château de Bouillé-Loretz, Jacques de La Rivière tâche de se faire oublier en se gardant de montrer des marques visibles d'opposition. Mais avec la Terreur, instaurée en juin 1793, les suspects et les tièdes peuvent craindre pour leur existence.

En septembre 1793, Jacques de La Rivière est arrêté par les autorités républicaines et conduit à Saumur. Le 26 frimaire an II (16 décembre 1793), lors de son procès, on exhibe "un passeport délivré au nom d'un prétendu Louis dix sept et signé d'Elbée, Laugrenière, Biret, chefs des brigands avec un post scriptum annonçant la protection que lui portaient ces trois grands conspirateurs". Le tribunal démontre ensuite qu'il a "constamment manifesté l'aristocratie la plus effrénée en cherchant à détruire les principes de l'Égalité et de la Liberté". D'ailleurs "il a été saisi une lettre à son adresse de l'un de ses fils émigrés dans laquelle il lui prie de lui garder un bon fusil et un chien pour aller à la chasse au patriote et se délaisser par ce plaisir innocent".

Au terme du procès, Jacques de La Rivière est condamné à la peine de mort et à la confiscation de ses biens. Il est guillotiné le jour même, place de la Bilange, à 4 h 1/2 du soir. Quant à son épouse, elle est à son tour arrêtée et, ironie du sort, envoyée dans la prison où René Maillot va bientôt la rejoindre.


"RENDEZ CE CITOYEN SI CHER A SES CONCITOYENS"

Le 5 germinal an II (25 mars 1794), sur mandat d'amener du comité de surveillance du district de Thouars, René Maillot prend le chemin des prisons de Maixent (Saint-Maixent). Dès les premiers moments de son incarcération, il entreprend d'écrire à ses proches amis afin d'obtenir des certificats de civisme.

C'est le conseil municipal de Bourg-Loretz qui, le 8 germinal an II (28 mars 1794), répond le premier à son appel. Le lendemain, M. Lauriol qui signe "ex curé de la commune de Bourg-Loretz", fait parvenir un certificat où il assure que "René Maillot, craignant qu'il (Jacques de la Rivière) eut connaissance de la dénonciation qu'il avait faite au général Ligonnier à Doué contre son fils qu'il croyait être passé dans l'armée des insurgés, il voulait écrire audit sieur de La Rivière dans la crainte que lui dénonciateur en fut victime, c'est pourquoi il se décida à la chose, assurant que son inclination et son coeur n'y avaient aucune part ; personne n'ignore l'aversion qui régnait entre ces deux individus". Le même jour, la citoyenne Rogeron, tante de René, envoie au prisonnier de Maixent une lettre similaire à la précédente.

René alerte également tous les notables des communes voisines. A leur tour, le maire et les municipaux d'Argenton-les-Rivières (Argenton-l'Église) et de Bourg-l'Ormeau (Bouillé-Saint-Paul) y vont de leur certificat (datés du 10 germinal an II - 30 mars 1794). C'est finalement Louis Mestreau, premier magistrat de Bourg-Loretz, qui lui adresse une longue lettre, le 11 germinal an II (31 mars 1794). "René Maillot est un bon patriote et un vrai républicain qui dans toutes les circonstances nous a donné des marques certaines de son attachement à la révolution. Vers le commencement de juin 1793 (vieux style) étant allé voir le citoyen Maillot, cultivateur en cette commune et l'un des notables de cette municipalité qui était alors incommodé, il me dit que le Sr La Rivière lui avait fait une visite vers la fin de juin 1792 lors de la maladie dangereuse qu'il eut alors qu'il eut été de l'honnêteté de lui rendre sa visite, mais que ne voulant pas communiquer avec aucune personne suspecte ou réputée l'être et n'ayant pas été chez lui depuis plus de deux ans à cause de leurs différences d'opinions, il ne voulait pas l'aller voir ; que néanmoins dans la crainte qu'il vint à découvrir que c'était lui qui avait dénoncé son fils l'abbé pour être passé à l'infâme armée catholique, voulait bien lui écrire mais était bien embarrassé craignant de se compromettre ; et à l'instant il se mit à écrire et aussitôt il déchira le papier sur lequel il avait écrit en disant : mon Dieu, de quelle manière parler à ces gens-là qui peuvent nous faire tant de mal. Les brigands étaient alors à Saumur".

LA DÉNONCIATION

Malgré tous ces mouvements de sympathie, René Maillot n'entrevoit pas de libération imminente. Trahi par sa lettre à La Rivière, son objectif est de mettre l'accent sur le seul argument qui pourrait accélérer la procédure d'élargissement ; à savoir, la dénonciation de l'abbé. Voilà pourquoi, dans sa correspondance, l'accusation du suspect prend une place de premier choix.

Dans l'une des lettres adressées à sa tante Rogeron, le 30 germinal an II (19 avril 1794), il réclame instamment un certificat de trois citoyens à propos de cette fameuse dénonciation. Pour rafraîchir leurs souvenirs, il donne quelques détails intéressants : "C'était le jour ou le lendemain du départ des insurgés de Thouars, rappelle-t-il, M. Delaveau était fort inquiet de ce qui s'était passé depuis la prise de Thouars, il craignait pour Baigneux (Bagneux), je le rassurai, je lui fis part de tout ce que je voulais dire au général. Nous montâmes ensemble dans la chambre du général Ligonnier .../... Le citoyen Delaveau se trouvait à côté de moi. Je lui demandai à l'oreille si je devais dénoncer l'abbé de La Rivière. Le citoyen Delaveau me dit qu'il n'y avait rien à ménager et que je devais sans aucune considération dénoncer l'abbé de La Rivière, que puisqu'il était notre ennemi. Je continuai mon rapport, je dénonçai led. abbé. D'après ces renseignements, il serait bien étonnant que le citoyen Delaveau ne put s'en rappeler ..."


LA LIBERTÉ SE FAIT ATTENDRE

Malgré les témoignages de soutien, malgré les rapports affirmant son civisme et la véracité de la dénonciation, l'instruction de son cas se déroule avec lenteur.

Un nouvel appui arrive soudain sous la forme d'un billet écrit par le fameux général Grignon. Ce certificat mentionne que le "citoyen Maillot de Bouillé-Loretz est venu trouver le général Ligonnier au temps où j'étais son adjudant-général pour y dénoncer l'abbé de La Rivière fils du ci-devant seigneur de Bouillé-Loretz et qu'il m'a paru avoir dans le temps n'avoir rien à lui reprocher relativement à sa conduite" (certificat daté du 9 floréal an II - 28 avril 1794).

Muni de ce document et de tous ceux reçus précédemment, René se met en devoir de rédiger pour les représentants du peuple un mémoire "en réponse aux motifs d'une détention". (à la fin de l'article)

Mais le zèle de René n'est toujours pas récompensé. Dans sa correspondance avec sa tante Rogeron, il se plaint du peu de cas que l'on fait de lui, du manque d'efforts pour activiter son élargissement et de l'incurie de ses frères.

Par bonheur, un évènement imprévu va tout bouleverser : le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), Robespierre tombe, victime de ses excès. Pour René Maillot, les plaintes et les jérémiades sont terminées ; il est temps de réagir.

Une loi du 18 thermidor an II (5 août 1794) va lui en donner l'occasion. Elle enjoint aux comités révolutionnaires de donner à chaque détenu ou à ses parents et amis la copie des motifs de son arrestation. Le 5 fructidor an II (22 août 1794), le comité de surveillance de Thouars fait parvenir au prisonnier un procès-verbal où il est précisé qu'il est détenu parce que "le 13 juin 1793 (vieux style) époque où Thouars, Saumur et la commune où il habitait étaient au pouvoir des brigands, il écrivit au seigneur de La Rivière, contre révolutionnaire qui a tombé sous le glaive de la loi dans les principes les plus contre révolutionnaires, l'Assemblée, a-t-il dit, en avait trop fait, la Convention a tout perdu, la contre-révolution s'opère, bientôt le plus grand des forfaits sera expié et le meilleur des roys vengé. Enfin chaque mot exprime le royalisme qu'il avait dans le coeur et l'avilissement de la Représentation nationale. Tels sont les motifs de son arrestation".

Le rapport est accablant. Mais René ne baisse pas les bras pour autant. Aussitôt, il s'insurge contre l'utilisation fallacieuse du procédé qui consiste à extraire quelques-unes de ses paroles de leur contexte en leur donnant ainsi une connotation contraire à sa pensée. Dans une adresse au comité de sûreté générale, il se demande "pourquoi le comité de Thouars a affecté d'isoler ces deux phrases, il ne parle ni du commencement ni de la fin de ma lettre qui respire le patriotisme le plus pur, pourquoi est-ce qu'il affecte de s'arrêter court après le mot vengé, au lieu de dire : puisse le ciel écarter de nous ces fléaux terribles qui sont un correctif ?"

Mais qu'il se rassure : la nouvelle conjoncture politique, marquée entre autre par un essai d'instauration d'une république bourgeoise et par l'élimination des terroristes, offre des perspectives encourageantes. René Maillot comprend très bien l'importance de ces changements et décide d'en tenir compte dans son système de défense.

A travers ses écrits, René cherche maintenant à se faire passer pour un révolutionnaire modéré qui se serait toujours opposé aux excès de la terreur. Dans la même adresse au comité de sûreté générale, il tente de le prouver en reprenant les passages de sa lettre particulièrement marqués par la modération de ses principes républicains, tel celui-ci : "Les circonstances me firent un devoir de cesser toute communication avec vous, le départ de M. votre fils m'en fit une nécessité, il y avait de grands abus à corriger, beaucoup de bien à faire, l'Assemblée voulait tout, j'en fus le partisan par principes et non par intérêt, un partisan raisonnable et modéré ..."
Les faits semblent établis : René Maillot est viscéralement attaché aux valeurs de la révolution et la politique dictatoriale de Robespierre n'a jamais bénéficié de ses suffrages. Il lui reste maintenant à se débarrasser des terroristes qui l'ont expédié en prison.


L'HEURE DE LA VENGEANCE

Pour mettre son plan à exécution, René profite du vaste mouvement de dénonciation qui vise les partisans de l'Incorruptible. Du fond de son cachot, muni de sa plume, il entreprend d'atteindre les responsables de son infortune.

Dans une lettre du 12 brumaire an III (2 octobre 1794), le prisonnier prend à partie les membres du comité de Thouars qui, assure-t-il, "ne pourront jamais réparer leurs torts ; de combien d'injustices, d'escroqueries, de cruautés sont-ils coupables ? Ils ont fait périr des hommes innocents, ils en ont massacrés d'autres arbitrairement, mal à propos et pour des riens".

Les allégations que René Maillot soutient contre ses bourreaux sont d'autant plus crédibles que leur comportement ne fut pas des plus remarquables : "Je n'eus pas assez de fermeté", proteste-t-il, "mais vous lors de la prise de Thouars, quand vous arboriez ignominieusement le drapeau blanc et que vous mettiez à vos chapeaux des cocardes blanches, ces signes révoltants de la feue royauté, qu'étiez-vous donc ? des lâches ! Lorsque oubliant les serments les plus sacrés qui vous engageaient à la Nation vous eûtes la bassesse de prêter à la face du ciel qui en rougit le serment le plus exécrable et le plus horrible, celui de demeurer fidèle à Louis XVII, vous étiez donc des lâches et des traitres". (René Maillot a été arrêté 6 mois après la découverte de sa lettre chez La Rivière. Ce délai surprenant pourrait confirmer la thèse d'un "complot" monté contre René par les membres du district de Thouars qu'il avait vus à l'oeuvre lors de la prise de la ville par les Vendéens.)

Fin politique, René termine sa lettre du 12 brumaire par une adresse laudative à la nouvelle assemblée : "S'il y a encore une justice parmi les hommes, confie-t-il, elle siège au milieu de la Convention (Convention thermidorienne), chaque représentant en est l'économe, il la dispense avec sagesse, ils seront les vengeurs de l'injustice et du crime, ils absoudront les erreurs".

Le 11 nivôse an III (31 décembre 1794), René Maillot, toujours détenu, fait adresser au comité révolutionnaire du district de Maixent la copie de la réclamation faite à son sujet, le 15 vendémiaire (6 septembre), par le conseil de la commune de Bourg-Loretz. Ce sera sa dernière démarche de prisonnier car, au début de l'année 1795, il retrouve avec soulagement et sans doute beaucoup d'amertume, son logis de Chantemerle.

Autopsie d'une lâcheté.

Pour bien comprendre l'engagement de René Maillot et son attitude durant les évènements révolutionnaires, il n'est pas inutile d'interroger son mémoire du 6 prairial an II. Il faut toutefois prendre ses distances vis-à-vis de cette source : René l'a rédigée en vue de se réhabiliter en s'y peignant sous des rapports flatteurs. Ceci dit, même si ce mémoire semble parfois trop élogieux pour son auteur, il nous donne à étudier un cas représentatif de cette nouvelle élite politiquement active, lettrée et ambitieuse.

LIBERTÉ, LIBERTÉ CHÉRIE ...
"Avant la révolution, j'étais citoyen", assure René Maillot dans l'introduction de son mémoire.Puis, il ajoute, comme pour tempérer cette première déclaration véhémente : "J'avais du moins les meilleures dispositions pour le devenir". C'est ainsi, continue-t-il, que "je fus un des premiers citoyens de mon canton, je puis m'en flatter".

Un tel empressement pour la chose publique semble dénué de tout intérêt personnel. D'emblée, il réfute l'idée selon laquelle la révolution est pour lui une occasion inespérée d'accroître sa fortune ; il se défend corps et âme d'être un "capitaliste", ses faibles revenus le prouvent irréfutablement. De plus, tout ce qu'il a fait pour le nouveau régime n'a constitué qu'en services gratuits : "quoique peu fortuné", René n'a jamais accepté "la moindre rétribution". De même, ses fonctions municipales n'ont en aucune façon été utilisées pour satisfaire son ambition personnelle. D'ailleurs, s'il a adhéré sans partage à la République, ce n'est pas pour lui : "Je n'ai pas vu la révolution pour moi, mais pour la génération naissante et le bonheur de l'Humanité", affirme-t-il.

Qu'a-t-il alors recherché ? La Liberté ! Idée maîtresse de la révolution française que René, nourri des enseignements des philosophes, appelle de ses voeux. Cette idée de la Liberté, proclame-t-il, "agrandit mon âme, je sentis les avantages qui devaient en découler. J'en jouissais déjà dans mon imagination". Dans son esprit, Liberté est synonyme d'émancipation, d'indépendance vis-à-vis des maîtres de l'Ancien Régime : roi, clergé et noblesse. Ainsi, il a, selon ses propres mots, "défendu la cause de la Liberté .../... qu'ils (les vrais patriotes) défendront jusqu'au dernier soupir".


"PUISSE LE CIEL ÉCARTER DE NOUS CES FLÉAUX TERRIBLES"

Ecclésiastique bénéficiaire et seigneur d'un domaine, René Maillot, à première vue, est un véritable privilégié. Méfions-nous toutefois des apparences.

On ne peut en effet oublier qu'il fut contraint d'accepter un bénéfice de 350 livres en attendant "un peu de fortune en l'occasion d'un établissement honnête". Certes, il est seigneur de Chantemerle, mais ce domaine, dont il n'est pas propriétaire, ne fournit qu'un revenu insuffisant pour soutenir un train de vie honorable.

Fort heureusement pour lui, le nouveau régime le laisse percevoir tranquillement son bénéfice et ne le pénalise en fait que dans une moindre mesure en supprimant les droits attachés à son titre de seigneur. De plus, la République naissante a besoin d'hommes instruits pour son administration. René Maillot, comme la plupart de ses amis, peut enfin prétendre à de nouveaux postes qui, du temps de la royauté, lui auraient été inaccessibles. Enfin, avec la mise en vente des biens nationaux, il a l'occasion d'agrandir ses possessions à moindre frais. Dans de telles circonstances, la révolution va lui apparaître comme bien peu sévère et même plutôt avantageuse.

Mis à part la défense de ses intérêts particuliers, René a une autre bonne raison de soutenir l'ordre nouveau : sa haine viscérale des ecclésiastiques et des nobles. Ce vif ressentiment est, sans contestation possible, la conséquence de cette situation ambiguë qui fait de René un prêtre et un seigneur incomplets.

"Je connaissais les mensonges et les singeries des prêtres, le libertinage raffiné d'un grand nombre, j'avais depuis longtemps comme un dégoût et une antipathie décidée pour cet état", déclare-t-il de ses confrères. Par ces paroles agressives, sans doute exagérées pour les besoins de sa cause, René attaque surtout les membres privilégiés du clergé. Celui qui se manifeste ici est, ne l'oublions pas, un modeste clerc minoré sans vocation, vivant avec peine de son médiocre traitement, déçu et amer de la condition qui lui est faite.

Les gentilshommes ne sont pas mieux traités : "Je n'aimais pas la noblesse, je ne supportais ses hauteurs qu'avec la plus grande peine", écrit-il. A travers cette réflexion, René se fait l'écho d'une opinion partagée par beaucoup de roturiers. Sans doute aurait-il préféré accéder à la qualité de noble pour bénéficier de tous les avantages attachés à cet état ? Mais ce qu'il n'a pas reçu en naissant est bien mal aisé à acquérir, surtout en cette fin d'Ancien Régime. Celui qui se déclare ici est, en toute évidence, un petit bourgeois, seigneur roturier, navré d'être né sous une mauvaise étoile, qui raille les gentilshommes aux origines irréprochables, au train de vie insolent.

Amour de la Liberté, de l'Égalité et du Bien Public, goût pour les responsabilités, volonté certaine de s'enrichir en dépouillant les anciens privilégiés, haine des prêtres et des nobles, voilà résumés les motifs qui jettent René Maillot dans le giron de la république.

Tout cela aurait dû suffire pour en faire un patriote exemplaire. Mais ce n'est pas un homme à s'intégrer facilement dans un schéma évident ; ses actes, ses pensées sont régis par un caractère complexe, aux données souvent contradictoires. A travers son mémoire, René Maillot apparaît comme un homme dévoué aux causes qu'il croit justes, d'une abnégation, d'un zèle sans limites et animé d'un courage remarquable. Mais, c'est aussi un bien piètre soldat, fuyant les responsabilités qui l'engageraient trop en avant, et enfin, un opportuniste doublé d'un lâche capable de trahir la confiance d'un ami pour sauver sa vie et ses biens.


UN HOMME VAILLANT ET DÉVOUÉ

Sans nul doute, René Maillot a l'esprit public. Homme "éclairé", digne héritier du Siècle des Lumières, il se fait une obligation de conduire la masse aveugle de ses compatriotes vers un bonheur qu'ils n'ont jamais connu jusqu'alors. Sa position sociale, son savoir étendu le guident tout naturellement vers les organes locaux du pouvoir républicain. Du reste, n'est-il pas "un des premiers citoyens" de son canton ? Nommé électeur en août 1792, il occupe ensuite les fonctions d'officier municipal pendant trois ans ; puis il est nommé secrétaire de la Société Populaire, se charge des indemnités de secours des défenseurs de la Patrie et devient commissaire pour l'emprunt forcé. Son "influence sur l'esprit du peuple est si grande" qu'on n'hésite pas à lui confier des tâches aussi délicates que la surveillance des assemblées primaires, la rédaction du rôle d'acompte et la confection d'une partie du cadastre.

Cependant, les responsabilités dont il s'est chargé n'ont jamais dépassé le niveau cantonal et ne lui ont sans doute pas conféré toute l'honorabilité dont il se targue. Pourtant le district de Thouars s'est adressé à lui mais seulement pour ce qu'il appelle des "commissions" sans grand intérêt. René Maillot semble donc être un homme de terrain, volontaire pour des tâches peu réjouissantes qu'il accomplit avec l'envie de se "rendre utile". Cette abnégation, ce don de soi pour la bonne cause forcent l'admiration ; il est certain que René, à l'exemple de son compatriote Étienne-Pierre Fournée, aurait pu profiter de ses capacités, de ses relations pour atteindre des charges plus importantes. On ne sait si son relatif effacement de la vie politique locale est à mettre sur le compte d'une réserve prudente ou d'une modestie naturelle.

Pourtant, René Maillot n'est pas un craintif : il n'hésite pas à prendre la parole en public et, lorsque les circonstances l'exigent, il va même jusqu'à haranguer la foule. Ainsi, c'est lui qui lit d'une voix assurée devant ses compatriotes et son ennemi La Rivière le texte annonçant le recrutement des 300.000 hommes.

Certes, ce n'est pas un véritable tribun comme Mirabeau ou Danton ; toutefois, il sait défendre ses convictions avec énergie, jusqu'à l'énervement : devant La Rivière, "il m'était impossible de me contenir, précise-t-il, souvent, mon zèle m'a porté à des propos où la raison s'égare", il lui arrive de "sortir" afin d'éviter des scènes.

Cette maîtrise de soi, que René possède incontestablement, est rudement mis à l'épreuve lors de la grande guerre de Vendée.

Dès le début, il s'engage parmi les quarante volontaires de Bourg-Loretz pour participer à la défense d'Argenton-le-Peuple (Argenton-Château). Le 5 mai 1793, il se trouve dans les murs de Thouars pour se battre contre les insurgés. Le 9, après l'évacuation de la ville, il fait son rapport aux chefs républicains et dénonce le fils de La Rivière et se propose même de fournir des espions. Mais l'activité débordante de notre homme ne s'arrête pas là. Les contre-révolutionnaires de la Fougereuse, bourg situé à peu de distance d'Argenton-le-Peuple, l'obligent à être "jour et nuit sur pied". "Je fus près d'un mois sans me déshabiller, mon cheval toujours sellé", rapporte-t-il.

Après une courte période d'accalmie, René reprend du service avec le même enthousiasme suite à la décision du 23 août décrétant la levée en masse de tous les hommes capables de combattre. Son mérite et sa vaillance sont d'autant plus estimable qu'à l'époque, ce n'est plus un jeune homme. A 51 ans, accablés par les méfaits de l'âge, "les deux jambes extraordinairement enflées", après avoir successivement "essuyé en 1791 et 1792, deux maladies très dangereuses dont (il) ne s'était pas rétabli. Incapable parfois "de tenir à cheval", il se bat malgré tout avec la même tenacité et manifeste beaucoup "de chaleur et d'énergie dans les occasions".

René confesse toutefois qu'il n'est pas l'égal d'un Marat, qu'il n'a pas le courage et le talent d'un tel homme d'exception. Sans trop de peine, il met le boisseau sur ses mérites pour reconnaître qu'il n'a pas l'âme et l'envergure d'un meneur passionné. Mais ses sentiments, ses pensées sont purs ; il a une "âme incorruptible", insensible aux chants des sirènes royalistes puisqu'il "abhorre les rois" et "qu'il rougirait de porter le joug". C'est avec des hommes comme lui, infatigables soutiens de la Liberté, toujours prêts à faire les plus grands sacrifices, que pourra se maintenir le nouveau régime.


UN GUERRIER PITOYABLE

"C'est à cette époque que commencèrent les troubles de la Vendée. Argenton-le-Peuple nous servait de boulevard. Nous y envoyons 40 hommes pour fortifier la garnison, je fus du nombre. Les insurgés ne tardèrent pas à s'en emparer. Bressuire fut évacué. Thouars tomba en leur pouvoir."

C'est par ce texte laconique que René commente ses exploits guerriers du 1er au 5 mai 1793. Aucun renseignement ne précise quel a pu être le rôle exact de notre homme durant ces évènements. Avait-il un grade ou une responsabilité quelconque ? On est en droit d'en douter car le mémoire n'en fait aucune allusion. En outre, a-t-il montré une ardeur combattive exemplaire ou s'est-il contenté de faire acte de présence durant les assauts d'Argenton-le-Peuple et de Thouars ? Là aussi, il faut constater qu'il est peu disert ; on peut donc penser que pendant l'attaque de ces cités par les Vendéens, René a abandonné son tempérament fougueux par une sage retenue. Malgré ses idéaux, il n'est après tout qu'un simple volontaire de 51 ans, à la santé chancelante, soldat d'une armée peu efficace et peu motivée face à la troupe déterminée des paysans vendéens.

Dans de telles conditions, on comprendra aisément que René Maillot répugne à s'engager dans des explications détaillées sur les deux défaites républicaines. D'inutiles épanchements risqueraient en effet d'incommoder les représentants du peuple et pourraient leur inspirer une attitude moins clémente à son égard.
Le manque d'informations précises sur ses activités belliqueuses s'explique aussi par le fait que sa conduite et celle de ses amis assiégés ne fut pas des plus exemplaires.

On raconte en effet que lors de la prise d'Argenton-le-Peuple, les prisonniers républicains dont faisait partie René Maillot furent renvoyés chez eux après avoir promis de ne plus prendre les armes contre les Vendéens. Il est donc à peu près certain que notre héros s'est prêté à cette humiliation peu avouable.

A cette première honte s'en ajoute une deuxième : lors de l'attaque de Thouars, une grande partie de la population de la ville s'est pratiquement refusée à toute résistance, participant même aux réjouissances données en l'honneur des vainqueurs. Par contre, il est peu probable que René se soit joint aux festivités ou bien alors, il y a participé contraint et forcé. Mais pour les représentants du peuple, il était présent dans une ville qui a capitulé devant l'ennemi dans des conditions peu honorables et cela leur suffit amplement.

En définitive, la contribution de René à la défense des deux cités aurait pu jouer en sa faveur. Mais ce qui peut paraître comme une chance indéniable se transforme en un piège inattendu.

Malchanceux à la guerre, ce pauvre soldat est aussi le jouet de ses terreurs : elles le conduiront tout droit sur le chemin de l'opportunisme et de la lâcheté.


"LA TERREUR S'EMPARA DE MES SENS"

La peur s'installe dans l'esprit de René lorsque, par des allusions fines et répétées. La Rivière tente d'insinuer l'idée selon laquelle le fait d'être un républicain en vue pourrait s'avérer néfaste à son avenir si la situation politique venait à s'inverser : "Il m'a dit un jour, il en a dit autant au citoyen Fournée que si nous n'y prenons pas garde, nous serions inscrits sur la liste rouge ; il a dit cent fois que j'étais un enragé", affirme-t-il.

Lentement, la crainte s'installe. Son intensité s'accroît avec les premiers succès vendéens : "L'ennemi faisait des progrès rapides, explique René, j'en tombai malade de fatigue et de dépit que les choses allaient si mal". La présence obsédente de la menace royaliste, la propagation de nouvelles alarmistes, amplifiées par La Rivière lui-même, provoquent leurs conséquences : "Les alertes continuelles, les fatigues de l'ennemi firent un effet si singulier sur moi que de la vie je n'ai éprouvé une semblable révolution de bile. J'étais alors sur mon grabat me livrant aux réflexions les plus tristes, j'étais dans la consternation. L'imagination effrayée grossissait encore les faux bruits qui avaient lieu chaque jour .../... Des gens malintentionnés, La Rivière entre autre, disaient que l'armée soi disant catholique pouvait aisément mettre 400.000 hommes sur pied et les rassembler d'un coup de sifflet".

Peu à peu, l'armée vendéenne gagne du terrain : après la fameuse bataille de Coron, "Doué fut pris, Saumur emporté, Angers sans force fut contraint d'évacuer, tout le pays était au pouvoir de l'ennemi". Le danger se précise et l'heure des représailles approche. René fait alors le compte de ses erreurs afin de mieux apprécier la situation : "J'en avais un bien redoutable (ennemi) dans La Rivière, j'avais rompu depuis longtemps avec lui, j'avais dénoncé son fils". Les conséquences sont donc simples à prévoir : "Ma liberté et ma vie étaient en danger, je pouvais être conduit à Châtillon, c'était toute ma crainte, c'eut été fait de moi". Outre l'atteinte à sa vie, il peut redouter l'agression contre ses biens : "La moindre chose qui put m'arriver c'était le pillage", constate-t-il, désabusé.

René est terrifié à l'idée de renoncer à sa liberté de mouvement, de voir ses possessions livrées aux paysans royalistes et, bien évidemment, de perdre la vie. De telles peurs sont d'autant plus compréhensibles qu'elles accablent un homme déjà âgé, fatigué et malade. René insiste d'ailleurs longuement sur tous les malheurs physiques qui l'atteignent afin d'attirer la pitié du lecteur et l'amener insensiblement à lui pardonner son comportement.

Et puis le moment tant redouté survient : "Je croyais déjà le jour de la vengeance arrivé", confesse-t-il. "Entouré de brigands de toutes parts", René finit par avouer : "Je ne pus me défendre du sentiment de la peur".
René a cédé. Cela lui semble d'ailleurs tout à fait naturel : "J'avais à craindre pour ma liberté et pour ma vie, je n'étais même pas en état de me tenir à cheval", proteste-t-il avec véhémence. A sa place, dans des conditions similaires, n'importe quel homme, aussi courageux fût-il, aurait réagi de la sorte : "Si des généraux à la tête de légions nombreuses ont pu être menteur, perfide, astucieux, trompeur, manquant à leur parole et à leur serment, comme Annibal, dit-il, pourquoi un simple particulier, dans un cas surtout d'infirmité, qui se voit à la discrétion de son ennemi, n'userait-il pas avec lui de quelque détour ? Pourquoi ne pourrait-il pas dire comme lui en attendant qu'il soit le plus fort, ou du moins en état de se défendre ?"

La peur conduit souvent à des débordements rarement désirés. Elle produit plus facilement ses effets lorsqu'elle touche un sujet hésitant, facilement influençable, toujours à la recherche de son véritable camp.


OPPORTUNISME ET LÂCHETÉ

Dans sa lettre du 30 germinal an II (lettre envoyée à sa tante Rogeron), on sent que René Maillot est indécis sur la marche à suivre ; doit-il dénoncer l'abbé de La Rivière ou doit-il s'en passer ? Sans l'intervention providentielle de son ami Delaveau qui le presse de parler contre son ennemi, il est probable que la délation ne se serait limitée qu'à de pieuses intentions. De même, le certificat de Louis Mestreau, nous le montre s'interrogeant sur les moyens de détourner d'éventuelles accusations. Après de multiples hésitations, il finit par opter pour la lettre qui a l'avantage d'éviter la confrontation directe et qui permet de dissimuler les sentiments que ne peut trahir l'expression du visage. Mais là aussi, René déchire, en pestant, un essai de lettre, ne sachant trop quoi écrire. C'est au bout "de quelques jours, après avoir fait cinq ou six brouillons" et après avoir montré le texte final à quelques patriotes du canton qu'il l'expédie à La Rivière.

Perpétuellement embarrassé devant les décisions à prendre, René sait, par contre, choisir son camp lorsqu'il le faut. Fervent patriote dans son mémoire, royaliste convaincu dans sa lettre à La Rivière, républicain modéré dans sa correspondance avec les représentants du peuple, René est d'abord et avant tout un opportuniste invétéré, qui change d'opinion au gré des situations, toujours prêt à épouser la cause du plus fort dès l'instant où il se sent menacé.

Un tel comportement aurait dû lui permettre de traverser la révolution sans encombres. Il lui suffisait apparemment de choisir le parti dominant au moment opportun. René était, semble-t-il, sur la bonne voie. Mais la découverte de sa lettre chez La Rivière devait briser net ses spéculations les plus habiles.

Ce calculateur, malchanceux dans ses entreprises, n'attire pas la sympathie au premier abord. Après tout, n'est-ce pas lui qui a trahi l'amitié et la confiance, certes déjà bien entamées, que lui portait La Rivière ? N'est-ce pas René Maillot qui a usé d'un moyen peu digne pour toucher La Rivière dans ce qu'il avait de plus cher ? Tout cela ressemble à de la lâcheté : d'ailleurs, René le reconnaît lui-même : "Je suis républicain dans l'âme et j'avoue que j'étais un lâche", écrit-il dans son mémoire.

Pareil aveu a de quoi surprendre : il est en effet très rare qu'un individu reconnaisse sa veulerie. Mais, contrairement à l'évidence, René n'a point de gêne, ni de honte quand il ose cette confession. Selon lui, le comportement qu'il eut envers La Rivière n'est nullement condamnable. Sa véritable lâcheté, par contre, c'est d'avoir cédé à la peur, d'avoir donné libre cours à ses faiblesses, en un mot, d'avoir trahi l'intérêt supérieur de la République pour de minces considérations personnelles.

Et puis, pour se donner bonne conscience, René Maillot échaffaude lentement un raisonnement qu'il soumet à ses lecteurs : toute lâcheté, semble-t-il dire, qui naît d'une peur humainement insurmontable est forcément naturelle, concevable et, de fait, elle échappe aux règles de la loi, au jugement des hommes. Celui qui s'en réclame ne fait que suivre sa nature profonde, ne peut s'en affranchir et, de là, doit nécessairement obtenir le pardon de ses frères.

Ce n'est qu'après 9 mois de détention qu'il l'obtint enfin ...


Conclusion

Gardons-nous d'accorder trop d'importance à cet homme qui fut loin de marquer son temps. René Maillot, à proprement parler, n'est pas un sujet historique mais bien un objet historique ; un être qui montre l'idée bien établie que les victimes d'oppression sont souvent maîtres dans l'art d'oppresser les autres. Victime sacrifiée sur l'autel de la Terreur révolutionnaire, René Maillot n'en fut-il pas d'abord un instrument fidèle ?

Presque toutes les périodes agitées de notre Histoire ont secrété des individus de la trempe de René Maillot : la désorganisation des structures administratives et économiques permettent à certains d'asseoir leur position sociale ou de satisfaire leur envie de puissance. Toutefois, pour le cas qui nous occupe, il faut avouer que René Maillot n'a nullement envie de conquérir quoi que ce soit. Ce qui le motive, c'est sauvegarder sa vie et ses biens chèrement acquis : le réflexe est humain, on ne saurait donc le juger trop hâtivement.

La vie de René Maillot illustre également à l'évidence que les énergies, les forces inattendues et incontrôlables qui mènent les existences agissent surtout contre ceux qui se battent pour forcer le destin en inventant d'habiles machinations. Ainsi, notre héros a voulu circonvenir à sa destinée en écrivant à son ancien ami, mais une intrigue différente, bien plus insidieuse a détruit ses desseins, l'a expédié en prison et l'a contraint à s'y morfondre.

En réalité, cela nous prouve que l'homme n'est pas souvent le produit des choix qu'il a faits, surtout lorsque ces derniers sont réalisés sous la contrainte d'évènements incontrôlables. Comme tous les humains, René Maillot ne peut s'empêcher de prendre des directions qui favorisent des situations pénibles à affronter. En le voyant se débattre comme un beau diable dans des difficultés sans nombre, on ne peut que le plaindre ou s'en amuser.

Mais s'il parvient à s'en tirer, il ne le doit pas à son obstination, à sa volonté de triompher des circonstances contraires. Une force éminente porte un oeil bienveillant sur sa condition peu enviable. En faisant contre-poids aux intrigues du destin, elle laisse présager malgré tout des lendemains plus sereins.

PASCAL PAINEAU

MÉMOIRE

"Département des Deux-Sèvres. District de Thouars. Canton d'Argenton-les-Rivières. Commune de Bourg-Loretz.
Mémoire en réponse aux motifs d'une détention.
Aux représentants du peuple, citoyens

Une lettre écrite au Sr feu Jacques de La Rivière, ci-devant seigneur de Bourg-Loretz fait tout mon crime. L'exposé des raisons et des circonstances qui m'y déterminèrent et le récit de ma conduite depuis 1789 vous justifieront de mon innocence. Avant la révolution, j'étais citoyen, j'avais du moins les meilleures dispositions pour le devenir. Je n'aimais pas la noblesse, je ne supportais ses hauteurs qu'avec la plus grande peine. Je connaissais lees mensonges et les singeries des prêtres, le libertinage raffiné d'un grand nombre ; j'avais depuis longtemps comme un dégoût et une antipathie décidée pour cet état. Mes parents avaient formé le projet de me faire embrasser ce métier dans la vue d'améliorer le sort de mes frères et de s'assurer auprès de moi une retraite dans leur vieillesse, je résistai à leurs persécutions. Ma mère m'en fit un crime, ce n'est que depuis la révolution qu'elle me l'a pardonné. J'avais été pourvu en 1763 d'un petit bénéfice de famille, que des embarras d'affaires et des circonstances singulières m'ont contraint de garder, en attendant un peu de fortune et l'occasion d'un établissement honnête. Je serais même marié actuellement sans mon arrestation. Je ne suis pas un noble, jamais je ne fus de leur agent, je n'ai ni parent ni ami dans la Vendée, je n'en ai pas d'émigré, je ne suis pas un capitaliste, mais j'ai eu la probité en partage ; je n'ai pas vu la révolution pour moi, mais pour la génération naissante et pour le bonheur de l'Humanité. Je suis en un mot dans les vrais principes, je vis donc la révolution avec plaisir, je la regardai comme un bien, cette idée de la Liberté agrandit mon âme, je sentis les avantages qui devaient en découler. J'en jouissais déjà dans mon imagination.

Avant 1789, j'avais des biens dans la censive de La Rivière, j'étais cultivateur dans son voisinage, j'allais de temps en temps chez lui, les circonstances l'exigeaient. Au seul nom de la Liberté, mon âme sortit de sa léthargie ; bientôt foulant aux pieds les préjugés de l'Ancien Régime, je me fis une manière de penser à part et projetai de renoncer entièrement à cette maison où régnait tout ensemble un mélange de bonhomie, d'aristocratie et de hauteur. En effet, dans le courant de 1790, je n'y entrai pas quatre fois.

Je fus un des premiers citoyens de mon canton, je puis m'en flatter, je ne variai pas dans mes principes, je les propageai ; mon exemple influa beaucoup, comme celui de quelques autres sur l'esprit du peuple, j'assistai aux assemblées primaires ; dans toutes je fus nommé scrutateur, je fis les rôles des impositions en 1790 et les rôles d'acompte en 1791 ; j'y travaillai plus de trois mois, content d'avoir pu me rendre utile. Quoique peu fortuné, je n'en voulu pas la moindre rétribution. Mon revenu est de 340 livres avec un traitement de 350 livres, je gagne environ de 7 à 800 livres au principal par la suppression des dîmes et l'abolition des rentes nobles.

En janvier 1791, j'étais à dîner chez une de mes parentes qui avait quelques relations d'affaires avec La Rivière ; elle me proposa de l'accompagner dans une visite qu'elle voulait lui faire. J'y accédai par complaisance. La Rivière avait compagnie, il était à dîner, nous ne vîmes que sa fille et nous restâmes à peine trois minutes chez lui. Vers la fin du même mois La Rivière vint me voir, il était dans le cours de ses visites, il était tard et ne prit pas le temps de s'asseoir. Nous étions déjà brouillés, j'évitais sa rencontre. La Rivière en faisait autant de son côté ; j'étais patriote, La Rivière aristocrate. Le hasard me fournit cependant l'occasion de le voir dans quelques maisons du bourg. Cet homme parlait beaucoup. Quoique d'un naturel tranquille j'eus avec lui quelques prises très vives, il m'était impossible de me contenir, nos principes étaient trop opposés ; il m'est arrivé de sortir pour m'épargner des scènes. La Rivière perdait gros dans la révolution ; ses projets d'élévation et d'agrandissements se trouvaient anéantis. Comme il ne jouissait pas d'une grande aisance, c'était une raison de plus de vanter son antique noblesse, il était fort attaché à ses titres, ses droits honorifiques lui tenaient à coeur ; l'Égalité selon lui n'était qu'une chimère, la Liberté n'était qu'un vain nom qui n'aboutirait qu'à une anarchie monstrueuse, les trois ordres de l'État, quoi qu'on en ait dit, devaient toujours subsister ; tel était son langage.

En 1792, vers la fin de février, j'étais chez le citoyen Fournée juge de paix du canton et membre du district de Thouars, La Rivière y entra, il fut question de ses enfants ; les administrateurs du district lui demandaient 1.200 livres pour deux de ses chevaliers que l'on disait émigrés ; il s'en défendait disant qu'ils n'avaient pas d'emploi dans l'armée et que dès qu'ils n'étaient pas en France, ils étaient curés à Malte, leur domicile. Je lui répondis : vous avez raison M., tant qu'on ne prouvera pas que vos enfants sont à Coblentz, ils seront censé à Malte. Vous croyez donc qu'ils sont à Coblentz ? Que sais-je lui dis-je, il m'a dit un jour, il en a dit autant au citoyen Fournée que si nous n'y prenions pas garde, nous serions inscrits sur la liste rouge ; il a dit cent fois que j'étais un enragé.

Au commencement d'avril, lors du recrutement de 300.000 hommes, je fus présent au tirage, ce fut moi qui donnai lecture de la sublime adresse aux Français. La Rivière y était aussi et trouva très mauvais de ce que j'appuyai sur ces mots : cette vile noblesse. C'est à cette époque que commencèrent les troubles de la Vendée. Argenton-le-Peuple nous servait de boulevard. Nous y envoyons 40 hommes pour fortifier la garnison, je fus du nombre. Les insurgés ne tardèrent pas à s'en emparer. Bressuire fut évacuée, Thouars tomba en leur pouvoir ; l'ennemi était à peine sorti de ses murs que j'allai en faire mon rapport à Doué, au général Ligonnier ; il ignorait encore ce départ, je donnai les renseignements que j'avais, il fut dressé procès-verbal de mes dires ; après avoir désigné une partie des chefs, comme d'Elbée, La Rochejaquelein, Bonchamp et Laugrenière, j'ajoutai que l'abbé de La Rivière avait pris un grade supérieur dans l'armée ennemie. Je le dénonçai en présence des citoyens Grignon, Caffin, Carpentier et autres de l'état-major et je signai le procès-verbal. J'y retournai peu de jours après, j'entrai au bureau militaire et je proposai un moyen de se procurer des espions. J'allai de suite chez Ligonnier, je lui dis la même chose, j'écrivis en conséquence devant lui au citoyen Fournée, juge de paix, je lui marquai de se rendre chez le général ; ma lettre fut portée sur le champ par un cavalier d'ordonnance.

Nous avions des alertes continuelles ; les brigands de la Fougereuse nous inquiétaient jour et nuit ; ils faisaient à la faveur des bois des sorties et des incursions fréquentes ; ils emmenaient les hommes de force quand ils pouvaient les surprendre, ils tiraillaient sur tous ceux qu'ils voyaient fuir. Ils mettaient tout à contributions, il n'y a pas d'exemple d'un pareil brigandage, il fallait être nuit et jour sur pied, je fus près d'un mois sans me déshabiller, mon cheval toujours sellé, sans cesse on était en fuite. L'ennemi faisait des progrès rapides, j'en tombai malade de fatigue et du dépit que j'avais de ce que les choses allaient si mal. Les alertes continuelles, les fatigues et l'ennemi firent un effet si singulier sur moi que de la vie je n'ai éprouvé une semblable révolution de bile. J'étais alors sur mon grabat me livrant aux réflexions les plus tristes, j'étais dans la consternation ; l'imagination effrayée grossissait encore les faux bruits qui avaient lieu chaque jour ; il faut l'avoir éprouvé, des gens mal intentionnés. La Rivière entre autres, disaient que l'armée soi disant catholique pouvait mettre aisément 400.000 hommes sur pied et les rassembler d'un coup de sifflet. Lors de la prise de Thouars, La Rivière était du nombre des ci-devant nobles détenus au château de la commune. Cet homme était adroit et insinuant, il eut bientôt fait connaissance avec ses libérateurs, les autres ci-devant du Bas-Poitou, il était d'ailleurs lié avec Laugrenière, il était connu de Lescure, La Rochejaquelein et il avait du crédit auprès de ces chefs, il pouvait influer beaucoup sur leur esprit.

La grande armée des insurgés avançait toujours. Après la déroute de Coron, Doué fut pris, Saumur emporté, Angers sans forces fut contraint d'évacuer, tout le pays était au pouvoir de l'ennemi. J'en avais à craindre un bien redoutable dans La Rivière. J'avais rompu depuis longtemps avec lui, j'avais dénoncé son fils, il pouvait alors me perdre, la moindre chose qui put m'arriver c'était le pillage ; j'étais incommodé depuis quelque temps, les deux jambes extraordinairement enflées, j'en avais un commencement depuis longtemps, j'avais essuyé successivement en 1791 et 1792 deux maladies très dangereuses dont je n'étais pas rétabli, je me trouvais bien embarrassé, je sentais la nécessité de ménager cet homme.Je croyais déjà le jour de la vengeance arrivé. Entouré de brigands de toutes parts, je ne puis me défendre du sentiment de la peur, mais jamais je ne crus à la contre révolution. J'avais de grandes raisons assurément de ne pas la désirer. Combien de fois n'ai-je pas dit à mes amis et à tous ceux que le saint enthousiasme de la Liberté animait comme moi : si la noblesse rentrait malheureusement en France, nos têtes, celles de tous les bons patriotes seraient proscrites : 200.000 victimes seraient égorgées, les hommes seraient traités comme des bêtes ; on nous ferait mille misères, nous redeviendrons tous des serfs. J'enrageais dans mon âme contre le fanatisme. N'ai-je pas voué cent fois à l'exécration les prêtres réfractaires ? Dans cet état je m'abandonnai dans les réflexions les plus accablantes, je me rappelai alors la liste de proscription, que La Rivière avait dit cent fois que j'étais un enragé, de sa visite lors de ma maladie en 1792 que je n'avais pas voulu lui rendre, des prises que nous avons eues, de la dénonciation de son fils qui avait paru dans les affiches sans désignation ou dénonciateur, il montrait beaucoup de fureur contre ceux qu'il en croyait les auteurs. S'il était venu à savoir que c'était moi, j'étais un homme perdu. Il me serait impossible de vous tracer l'embarras où je me trouvais alors, j'avais à craindre un ennemi puissant et dangereux. J'avais les plus grandes mesures à prendre. Après m'être tourmenté longtemps l'imagination et l'esprit, je pensai que pour l'entretenir dans l'erreur où il était relativement à la dénonciation de son fils, pour l'empêcher de porter ses soupçons sur moi et pour échapper à une vengeance qui eut été terrible, il n'y avait d'autre moyen que de lui écrire. C'était pour moi une tâche bien délicate et bien pénible, car outre qu'il est dur de demander grâce à un ennemi qu'on déteste et que l'on trompe, je craignais encore plus de me compromettre. Enfin, au bout de quelques jours, après avoir fait cinq ou six brouillons, je lui écrivis, bien persuadé que je n'avais d'autre moyen que de penser en apparence comme lui. Je donnai connaissance de ma lettre et des brouillons à des patriotes du canton, je leur fis part des raisons qui m'avaient mis dans la nécessité d'écrire.

A la fin de fructidor, lors du rassemblement, je me réunis à la masse, quoique encore très incommodé. Combien n'ai-je pas fait pour la chose publique ? Le district m'a donné quelques commissions et notamment pour le recensement des grains, je m'en suis acquitté. J'ai depuis fait les rôles des indemnités accordées aux familles pauvres des défenseurs de la Patrie ; j'ai été nommé commissaire pour l'emprunt forcé, j'étais secrétaire de la société populaire, j'ai fait don de chemises et d'assignats pour nos braves frères d'armes.

Je ne crois pas que l'on m'impute aucune relation ou correspondance avec l'ennemi, mes liaisons n'étaient qu'avec des patriotes, je n'ai pris part dans aucun trouble. Qu'ai-je à me reprocher ? Beaucoup de chaleur et d'énergie dans les occasions ; la seule cause première de ma détention actuelle. Je suis dans le cas de justifier ce que j'avance par écrit et par témoins. Je suis républicain dans l'âme et j'avoue que j'étais un lâche en écrivant de la sorte. Quoi qu'il en soit, mon coeur n'y eut pas plus de part alors qu'en ce moment et il est impossible de ne pas s'apercevoir que ma lettre a été enfanté par la peur. J'avais à craindre pour ma liberté et pour ma vie, je n'étais même pas alors en état de me tenir à cheval. Si des généraux à la tête de légions nombreuses ont pu être menteur, perfide, astucieux, trompeur, manquant à leur parole et à leur serment, comme Annibal, pourquoi un simple particulier, dans un état d'infirmité, qui se voit à la discrétion de son ennemi, n'userait-il pas avec lui de quelque détour ? Pourquoi ne pourrait-il pas dire comme lui en attendant qu'il soit le plus fort, ou du moins en état de se défendre, un mois plus tard, je n'aurais jamais écrit, la Convention fit descendre 30.000 hommes, j'eus bientôt repris mes sens ; qu'on retourne ma lettre en tout sens, je défie qu'on y trouve le fil d'une trame secrète ou le projet d'une conspiration. Jamais une pareille atrocité ne m'entra dans l'idée, les hommes de ma façon ne sont pas des traîtres. Ce ne sont pas des fourbes ou des hommes suspects, ils sont de vrais républicains ; ils auraient été des Marat si comme eux, ils avaient eu de grands talents, mais ils ont une âme incorruptible, ils abhorent les rois, ils rougiraient de porter le joug, ils ont fait et sont toujours prêts à faire les plus grands sacrifices pour le maintien de l'Égalité et de la Liberté et ils les défendront jusqu'au dernier soupir.

J'en appelle à mes concitoyens, ma moralité et mes principes leur sont connus ; ma conduite a toujours été à découvert depuis le commencement de la révolution ; j'ai été l'ami du pauvre et de l'habitant des campagnes. Comme lui, ma vie est austère et occupée, j'ai sacrifié mes repos et mes intérêts pour le bien de la chose publique, mes liaisons ont été avec des patriotes et si dans quelques occasions je me suis rencontré avec La Rivière, toujours l'opposition de nos sentiments s'est montrée, toujours, j'ai défendu la cause de la Liberté, et souvent mon zèle m'a porté à des propos très vifs. J'ai la répugnance dans le coeur en lui écrivant, il maudissait ce que traçait ma main dans un temps où la Terreur subjuguait ma raison et mes sens, n'ai-je pas manifesté la joie la plus pure dans nos succès ? N'ai-je pas senti la douleur la plus profonde dans nos revers ? N'ai-je pas déclamé fortement contre la tyrannie, la superstition et le fanatisme ? Enfin, j'ai avec mes concitoyens accepté la constitution sur une éminence choisie au milieu d'une lande pour éviter la surprise des brigands, je serais toujours fidèle aux principes de cette constitution et je les défendrai jusqu'au dernier soupir. Pères de la Patrie, fondateurs de la république, l'édifice de la Liberté s'avance ; déjà il présente un front majestueux, bientôt par votre sagesse et par les grandes mesures de votre politique intérieure et extérieure, il va s'élever au faîte de la perfection et de la splendeur, puisqu'il est vrai que l'innocence, la franchise et la vérité trouvent toujours auprès de vous un accès facile, je dois espérer que dans peu vous me ferez jouir de cette liberté si chère et que bientôt vous m'enverrez pour les travaux de l'agriculture auxquels on m'a enlevé et dont dépend mon existence. Salut, signé Maillot, notable de la commune de Bourg-Loretz, âgé de 51 ans, en état d'arrestation depuis le 5e germinal dernier, en vertu d'un mandat d'arrêt des membres du comité révolutionnaire de Thouars, actuellement en maison d'arrêt de Maixant aujourd'hui 6e prairial an II de la république française une et indivisible.

 

Bulletin de la Société Historique et Scientifique des Deux-Sèvres - Deuxième série, Tome XXII, n° 3 - 3e trimestre 1989 - parution janvier 1991 - pp. 165 à 192

 

maire propriétaire signature z

Il fut agent municipal jusqu'à sa nomination de maire provisoire de Bouillé-Loretz, en floréal de l'an VIII jusqu'au 11 fructidor an VIII, alors remplacé par Alexandre Durosel.

Son décès fut déclaré par son frère, Louis, accompagné des témoins Claude Bazille, vigneron, et de Étienne Drouiteau, tous deux de la commune de Bouillé-Loretz, le 19 brumaire an X (10 novembre 1801).

Pierre fils décès an X z

 AD79 - Registres paroissiaux et d'état-civil de Bouillé-Loretz

 

____________________

 

Jacques-Nicolas-Honorat de la Rivière Bueil, natif de Couesmes, avait épousé Louise-Marie-Claude Le Jumeau, dont : - Jacques-François-Marie, né à Bouillé, le 9 février 1757 ; - Honoré-Grégoire, né à Bouillé, le 9 mars 1758 ; - Marie-Eulalie-Elisabeth, née à Bouillé, le 13 octobre 1763 ; - Hilaire-Charles-René, né à Bouillé, le 14 janvier 1768. 

Jacques-François-Marie de la Rivière Bueil, propriétaire, avait épousé le 19 janvier 1807 à Bouillé, Louise-Victoire Rossignol, née à Bouillé le 10 décembre 1772, dont : - Jacques-Eugène-Louis, né le 12 novembre 1807, décédé le 22 mars 1810 ; - Édouard-Charles, né le 18 novembre 1809 ; Hortense-Louise-Agathe, née le 17 juillet 1811.

Jacques-François-Marie de la Rivière Bueil fut maire de Bouillé-Loretz de mars 1808 à décembre 1818 et de mars 1824 à août 1825. Chevalier de Saint-Louis et de l'ordre de Malte (8 juillet 1774), il est décédé à Bouillé-Loretz, le 23 juin 1825.

Honoré-Grégoire de la Rivière Bueilchevalier de Malte (8 juillet 1774)est décédé, célibataire, à Angers, 2e arrondissement, le 19 octobre 1848. Il était pensionné de l'État pour une somme de sept cents Francs, payable annuellement et intégralement, comme ex-chevalier de Malte, suivant certificat d'inscription du quinze fructidor an treize, n° 320, volume 1er.

Hilaire-Charles-René de la Rivière Bueil fut maire de Bouillé-Loretz de mars 1805 à mars 1808. Propriétaire, chevalier de Malte (14 septembre 1784), il est décédé, célibataire, le 4 février 1830, à Bouillé-Loretz, en sa maison de la Couture.

AD79 - Registres paroissiaux et d'état-civil de Bouillé-Loretz

AD49 - Registres d'état-civil d'Angers

Publicité
Commentaires
P
Merci à vous d'avoir repris mon texte que je n'avais pas lu depuis très longtemps !<br /> <br /> Pascal Paineau
Répondre
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité