CHARTRES (28) PARIS (75) - JEAN-BAPTISTE QUESNEL, MUSICIEN ORLÉANAIS (1755 - 1793)
UN MUSICIEN ORLÉANAIS SOUS LA TERREUR
JEAN-BAPTISTE QUESNEL (1755 - 1793)
Jean-Baptiste Quesnel serait né à Chartres vers 1755. Son père, Jean-Baptiste, qui portait le surnom de La Grenade, était garde des chasses de M. le marquis d'Aligre.
Âgé de quinze ans, il entra comme enfant de choeur à la Maîtrise de la Cathédrale de Chartres, le 10 mars 1770 et en sortit en 1774, avec cent cinquante livres de gratification.
Pour continuer ses études, il obtint deux cents livres du Chapitre, c'est-à-dire la bourse de cent livres du Collège, plus cent livres chaque année.
De 1774 au 18 avril 1776, Quesnel resta attaché au choeur de l'église Cathédrale de Chartres en qualité d' "heurier-matinier chantant la basse-taille".
Une place de chantre-musicien étant vacante à la Cathédrale d'Orléans, le choriste chartrain la sollicita et l'obtint le 18 avril 1776. Sa demande écrite nous apprend qu'il était clerc tonsuré, de la ville de Chartres, âgé de vingt et un ans et demi. Le Chapitre d'Orléans le reçoit, en lui accordant douze francs de gages par semaine ; Quesnel est autorisé à retourner à Chartres afin de rapporter ses effets et un certificat de bonne vie et moeurs délivré par le Chapitre de Chartres. A cette époque, le maître de musique de Sainte-Croix était Me Charles Hérissé (1737-1817) qui, de mars 1776 à décembre 1817 conserva cette fonction.
L'organiste, Nicolas Carré (1733-1796), natif de Reims, venu de l'abbaye de Marmoutiers-les-Tours où il tenait l'orgue, fut accepté pour desservir celui de la Cathédrale d'Orléans, le 4 décembre 1775. Cet orgue était placé alors sur le Jubé, détruit en 1790. Carré resta en fonction jusqu'à sa mort (8 brumaire an V - 30 octobre 1796). Il se montra chaud démocrate pendant la Révolution.
Six mois après (6 novembre 1776), par délibération du Chapitre, on fait savoir au pauvre Quesnel que, "sa voix ayant un timbre désagréable", il ait à chercher une autre place d'ici trois mois. La sentence ne fut pas maintenue puisque le 12 août 1778, les Registres Capitulaires inscrivent son nom en lui octroyant un congé de trois semaines à prendre entre les festes de l'Assomption et de l'Exaltation (du 15 août au 14 septembre).
Un an après (10 août 1779) dix à douze jours de congé lui sont encore accordés, ce qui prouve que les bons chanoines s'étaient pris à goûter, peu à peu, le timbre de cette voix, jadis désagréable ! ...
Le 15 juillet 1780, les gages de Quesnel sont augmentés et portés à douze livres par semaine. Mais le 9 septembre - trois mois plus tard - notre basse-taille, ainsi qu'un de ses collègues nommé Moireau, ayant abusé des jours de congé que le Chapitre leur avait accordés et "ayant mis notamment une certaine affectation" à ne pas reprendre de suite leur service - dit le Registre Capitulaire - ils sont, l'un et l'autre, "multés", c'est-à-dire mis à l'amende de trois livres à chacun d'eux.
Âgé de 26 ans, Quesnel voulut s'établir et se marier, mais comme il ne pouvait contracter mariage sans l'autorisation du Chapitre, il demanda cette permission ; elle lui fut accordée le 12 mai 1781.
Il prit deux congés, l'un le 13 octobre 1781 (12 jours) en même temps que l'organiste Carré, et l'autre le 7 août 1784 (18 jours).
Cinq musiciens du choeur ayant joyeusement fêté les jours de Noël - J.-B. Quesnel était de la bande - tous cinq furent requis de comparaître en Chapitre, le 1er janvier 1785 ; une admonestation paternelle leur fut faite par M. le Doyen, assisté de M. le grand chantre auxquels les dits chantres-musiciens firent la promesse d'être plus réservés à l'avenir.
Maître Quesnel avait-il le caractère difficile ? Était-il batailleur de sa nature ? Nous le soupçonnerions presque, puisque voici une délibération en date du 16 août 1786 qui nous apprend que M. le chantre ayant fait part à la Compagnie que le nommé Méri, "musicien haute contre", se plaignait d'avoir été vivement insulté par le nommé Quesnel, "musicien taille", et en demandait justice au Chapitre, la Compagnie ordonne que le nommé Quesnel sera cité à comparaître en Chapitre samedi prochain, pour recevoir de M. le Président la réprimande qu'il mérite. Nous n'avons pas retrouvé la suite et les conséquences que cette réprimande comporta.
Il n'y a pas lieu de s'étonner de toutes ces querelles ; elles étaient inévitables parmi cette tribu des chantres-musiciens de Cathédrale qui, du matin au soir, se trouvaient chaque jour en rapports intimes et dont les susceptibilités, perpétuellement mises en garde, faisaient surgir mainte occasion de conflits, de chicanes. Chacun de ces personnages, plus ou moins importants, estimait en effet, - cela va de soi, - ses qualités, voire même son talent bien supérieur à celui du voisin ! ...
Le dernier congé de trois jours que le Chapitre accorda à Quesnel, est daté du 30 janvier 1788.
Les musiciens de Sainte-Croix furent licenciés lors de la dispersion violente des Chapitres par l'Assemblée Nationale, le 10 novembre 1790.
Quesnel, pour se faire une situation, continua à enseigner des élèves en donnant des leçons de musique vocale ; depuis son arrivée à Orléans, il s'était spécialisé dans cet enseignement.
Nous voici donc arrivés aux jours sombres de la Révolution ! Nous allons suivre cet humble musicien jusqu'à sa mort, martyr, lui comme tant d'autres, de ses opinions plus ou moins monarchistes ; elles le conduisirent à l'échafaud le 13 juillet 1793.
Relatons exactement les faits conservés par les historiens.
Le 16 mars 1793, vers 8 heures et demie du soir, un des fameux conventionnels, Léonard Bourdon, représentant du peuple en mission dans le Jura, de passage à Orléans, sortant de table de l'auberge du Petit Père Noir, située rue de la Chèvre-qui-danse, se rendit dans un café attenant à un jeu de paume, rue d'Escures, puis après à la maison commune (Hôtel de la Mairie, place de l'Étape), lorsqu'il rencontra un groupe de douze ou quinze personnes qui l'attaquèrent. Poussé à coups de pieds et à coups de poings et de crosse de fusils, il fut précipité à terre ; l'un d'eux lui envoya un coup de baïonnette en lui disant : "Va rejoindre Le Pelletier". Il fut enfin dégagé par le commandant de la garde nationale Dulac et put entrer dans la salle des séances du conseil.
Il est bon de dire que ce Léonard Bourdon - surnommé par les Orléanais "Léopard Bourdon", farouche révolutionnaire, avait bouleversé, et fait emprisonner les plus honorables citoyens d'Orléans et, par ces mesures rigoureuses, soulevé l'indignation des honnêtes gens.
La Convention Nationale, féroce dans ses moyens, fit traduire les prévenus devant le Tribunal Révolutionnaire. Deux commissaires extraordinaires, les nommés Laplanche, ex-bernardin, député de la Nièvre, et Collot d'Herbois, ancien comédien, députés tous deux pour le département du Loiret, suspendent la municipalité et élisent, de leur propre chef, une nouvelle administration.
Jean-Baptiste Quesnel faisait partie des citoyens de la Garde Nationale de service le 16 mars, qui avaient attaqué Léonard Bourdon ; aussi fut-il arrêté à son domicile, dans la nuit du 25 mars et conduit, avec ses autres compatriotes, à la Maison du Grand Séminaire, transformée en prison.
Le 5 mai, les prisonniers furent emmenés à Paris et emprisonnés à la Conciergerie du Palais.
Le procès commença le 28 juin ; il dura quinze jours.
Dans le réquisitoire de l'accusateur public, le sinistre Fouquier-Tinville, nous lisons les charges suivantes contre le malheureux Quesnel :
"Contre Jean-Baptiste Quesnel : qu'il était du rassemblement des gens armés à la maison commune, lors de l'assassinat commis en la personne de Léonard Bourdon ; que le lendemain étant dans un café où la conversation roulait sur cet horrible attentat, il se mêla à la conversation et dit : "J'étais au club lorsque Léonard Bourdon y a fait sa motion incendiaire et lorsqu'on l'a député pour se rendre à la Municipalité ; alors "j'ai foutu le camp", j'ai été avertir la Municipalité et l'ai disposée à le bien recevoir, et il ajouta que Léonard Bourdon et ceux de sa Société étaient des "foutus gueux" ; que Léonard Bourdon avait mis entre les mains de Besserve, Delaguette et autres, une somme de huit mille francs, afin de la distribuer dans les bas quartiers et d'engager le peuple à demander aux boulangers plus de pain qu'ils n'en pouvaient fournir, pour parvenir à exciter une révolte et à piller les riches ; - que le dit Quesnel était notoirement connu pour être du complot d'outrager la représentation nationale dans la personne de ses commissaires, puisqu'il lui a été reproché par des citoyens, après le décret qui déclarait la ville d'Orléans en état de rébellion, qu'il était la cause des malheurs qui affligeaient la ville, que c'était lui qui avait échauffé les esprits".
Dans la dernière séance du Tribunal criminel Révolutionnaire de Paris (12 juillet 1793), l'accusateur public constatant que "Jean-Baptiste Quesnel est convaincu d'avoir participé au complot contre le Représentant du Peuple, Léonard Bourdon, le tribunal condamne ledit Quesnel à la peine de mort, avec huit autres Orléanais".
Après que le Président eut communiqué à ces neuf personnes la déclaration du Jury, ils se jetèrent à genoux en criant qu'ils avaient été trompés et qu'ils étaient innocents.
Ce jugement fut rendu le vendredi 12 juillet 1793, à 4 heures du soir.
La déclaration du Jury, affirmative à "une voix" de majorité, fit courir dans l'auditoire une grande rumeur : la douleur était sur tous les visages. On vit les jurés quitter leurs sièges en désordre, se disperser ; les juges, troublés, se levèrent et se retirèrent dans leur Chambre du Conseil ; lorsqu'ils furent réunis leurs larmes éclatent ; ils n'ignorent pas que l'un des inculpés "est père de dix-neuf enfants" (Lottin écrit huit enfants), dont quatre servent dans les armées de la République ! Que faire ? ... Ils n'osent opiner ; ils savent que la formidable machine est en mouvement et que, s'ils ne la brisent, elle va broyer ces malheureux, qu'ils savent innocents. Mais la briser ? ... Quels risques ? ... Ne vont-ils pas être atteints eux-mêmes, traités de modérés, d'aristocrates ? Ne sont-ils pas là pour condamner ? ... Quelle pitié ! L'un propose de se rendre, ensemble, à la Convention et de lui soumettre le tableau déchirant de l'audience. Un autre, nommé Masson, dit : "Déportons-les", mais Foucault rappelle ses collègues au devoir : - "Ils ont commis un assassinat, ils sont dignes de la mort".
Et ils votent la mort !
Le lendemain 13 juillet, à l'ouverture de la séance de la Convention (10 heures du matin), les parents et amis des condamnés se présentent à la barre de l'Assemblée ; des femmes crient : "Grâce !" Elles viennent là, comme on venait jadis se jeter aux pieds du Roi, pour l'implorer. L'un des pétitionnaires offre sa tête en échange de celle d'un de ses cousins, père de famille, compté au nombre des victimes. Un autre fait appel à la générosité de Léonard Bourdon qui se tient à son banc, indifférent et silencieux. Un membre réclame "l'ordre du jour". Les huissiers poussent dehors les suppliants et la Convention reprend ses travaux fière de se renfermer "dans ce caractère impassible que lui prescrit la loi dont elle est l'organe".
Ce jour même du 13 juillet, à midi trois quarts, les neuf citoyens orléanais couverts de la chemise rouge des parricides, furent conduits à l'échafaud. La première victime désignée fut le musicien Quesnel et la dernière, Tassin de Moncourt.
Voici l'acte de décès dressé à l'État Civil concernant le musicien d'Orléans :
"Jean-Baptiste Quesnel, musicien de la Cathédrale d'Orléans et professeur de musique vocale dans cette ville, âgé de 38 ans".
Le 15 juillet, le Procureur Général Syndic communiqua au Conseil Municipal d'Orléans, une lettre de l'accusateur public près le Tribunal Révolutionnaire, par laquelle celui-ci le prévient que, par jugement du même Tribunal du 12 de ce mois, les neuf citoyens orléanais ont été condamnés à la peine de mort et leurs biens acquis à la République. Il ordonnait au Juge de paix, d'apposer les scellés sur leurs meubles, papiers et effets des dits condamnés ...
Après la chute de Robespierre (27 juillet 1794), une réaction se produisit. Le Gouvernement poursuivit les terroristes avec la même vigueur que ceux-ci avaient déployée à persécuter les honnêtes gens qui n'étaient pas de leur parti.
A la date du 1er juillet 1795 (13 messidor an III) nous extrayons d'une lettre adressée par le Procureur Général Syndic du Département du Loiret aux Procureurs-Syndics des Districts de l'arrondissement des communes, les lignes suivantes :
"Il est des hommes pour qui la Révolution fut un objet de lucre, la dénonciation un métier, l'assassinat de leurs semblables une jouissance ! Les grandes communes de la République ont vu naître et se développer ces embryons du crime et chacune d'elles a des Tassin, des Quesnel, à pleurer, disons mieux ... à venger !"
En conséquence, l'administration était invitée à faire dresser, dans chaque commune, la liste des citoyens dénonciateurs et accusateurs publics, qui avaient pu faire incarcérer ou condamner leurs compatriotes.
Le 13 juillet 1795 (25 messidor an III), date anniversaire, à deux années de distance, de la mort des Orléanais sur l'échafaud, la commune d'Orléans fit célébrer publiquement et avec pompe, dans l'église Saint-Paul, un service funèbre pour les neuf victimes.
Le deuil était nombreux et les Orléanais de toutes classes, riches et pauvres, se firent un devoir de venir répandre des pleurs sur la tombe (expression inexacte puisque les corps de ces malheureux furent jetés pêle-mêle dans la fosse commune, à Paris) de ces victimes de Léonard Bourdon et de la fureur jacobine.
Treize autres Orléanais qui avaient été compris dans la liste funèbre et qui avaient pu se cacher lorsqu'on avait donné l'ordre de les arrêter, étaient groupés ensemble, au milieu du choeur.
Le représentant du Peuple, Duval, en mission dans le Département du Loiret, et toutes les autorités, assistaient à cette lugubre et impressionnante cérémonie.
État des neuf condamnés à mort orléanais :
1° François-Benoît Couet, agent de change, chasseur dans la garde nationale d'Orléans, âgé de 50 ans ;
2° Jean-Henri Gellet-Duvivier, fabricant de bas, père de huit enfants et veuf, grenadier dans la garde nationale d'Orléans, âgé de 39 ans ;
3° Jean-Hippolyte-Adrien Buissot, négociant, chasseur de la garde nationale, âgé de 25 ans ;
4° Jacques-Nicolas Jacquet, propriétaire, lieutenant des grenadiers de la garde nationale d'Orléans, âgé de 25 ans ;
5° Jean-Baptiste Poussot, intendant militaire pour le recrutement de l'armée à Orléans, âgé de 42 ans ;
6° Jean-Baptiste Quesnel, musicien de la cathédrale d'Orléans et professeur de musique vocale dans cette ville, âgé de 38 ans ;
7° Pierre-Augustin Tassin de Moncourt, riche propriétaire à Orléans et grenadier de la garde nationale d'Orléans, âgé de 33 ans ;
8° Charles-Philippe Nonneville, propriétaire et commandant de bataillon de la garde nationale d'Orléans, âgé de 30 ans ;
9° Jacques Broue de la Salle, blanchisseur de cire et commandant en second du 4e bataillon de la garde nationale d'Orléans, âgé de 43 ans.
par Jules Brosset, Organiste de la Cathédrale de Blois - Blois, imprimerie C. Migault et Cie - 1910
Église Saint-Pierre-Empont en cours de démolition en 1830
Jean-Baptiste Quesnel avait épousé à Orléans, paroisse Saint-Pierre-Empont, le 29 mai 1781, Marie-Catherine Timonier.
De ce mariage sont nés :
- Anonyme, née à Orléans, paroisse Saint-Pierre-Empont, le 4 août 1783 ; décédée le lendemain ;
- Jean-Baptiste-Augustin, né paroisse Saint-Pierre-Empont, baptisé le 2 octobre 1781 ; inhumé le 1er novembre 1781 ;
- Catherine-Charles, née paroisse Saint-Pierre-Empont, le 30 avril 1785 ; décédée et inhumée le 20 décembre 1785 ;
- Marie-Catherine-Henriette, née paroisse Saint-Pierre-Empont, le 14 mars 1787.
Marie-Catherine Timonier est décédée à Orléans, le 22 novembre 1819, en son domicile rue Vaslin, n° 9, à l'âge de 72 ans.
AD45 - Registres paroissiaux et d'état-civil d'Orléans