ALLEUZE (15) - LE CHÂTEAU D'ALLEUZE

UNE VISION ROMANTIQUE EN HAUTE-AUVERGNE
LE CHÂTEAU D'ALLEUZE (CANTAL)

La Haute-Auvergne est très riche en sites remarquables, mais il en est un, à deux pas de Saint-Flour, qui mérite, sans conteste, d'être mis au premier plan : c'est Alleuze.

Le touriste, qui après avoir visité la vieille capitale inviolée, fière de son glorieux passé, après avoir empli son regard, du haut de la terrasse des Roches, des horizons élargis des Margerides et de la vallée du Lander ne ferait pas l'effort de diriger ses pas vers Alleuze, se priverait du délicat plaisir de contempler un paysage d'une sauvage et grandiose beauté.

Alleuze ! Qu'est-ce au juste ? J'ai posé, lors de ma première visite, la question à un brave paysan pour lequel compte seule la valeur intrinsèque des pierres de taille et il m'a répondu : "Alleuze, ça sert à rien, il y manque un toit ..."

C'est un vieux castel à quatre tours d'angle, à demi-ruiné moins par les ravages du temps que par la sauvage cupidité des hommes, donnant, dans un impressionnant paysage aux contours comme aux couleurs atténuées, une vision en apparence contradictoire puisqu'il se dresse au sommet d'un monticule lui-même enchâssé dans un profond ravin. De plus de cent vingt mètres de hauteur, on surplombe le château qui se détache en clair sur son socle de bruyères et de rochers, auréolé d'une couronne vert sombre de pins : bijou de jade sur un écrin de velours.

Mais à quoi bon tenter une description ...

L'émotion née du choc ressenti est fatale. Fonction du récepteur et de l'amplificateur que constitue la sensibilité de chacun, elle est par suite intraduisible.

"Au début du moyen-âge, l'évêque de Clermont, souverain temporel aussi bien que spirituel, avait besoin dans cette région déserte d'un fort château pour mettre à l'abri ses dîmes, cens et redevances, d'une prison pour affirmer ses droits de haut justicier. Cela dura jusqu'en 1317, date à laquelle fut érigé le diocèse de Saint-Flour, démembrement de l'évêché de Clermont. Le château d'Alleuze et ses vastes salles devinrent inutiles à l'évêque de Clermont (Henri de Latour) qui les négligea et en confia la garde débile à de vieux serviteurs ; si bien qu'un jour, proie facile, le château tomba aux mains d'une de ces innombrables bandes de routiers anglo-saxons qui dévastaient le pays. Alleuze, changeant de destination, de grenier ecclésiastique devint repaire de brigands."

Il fut pris, par ruse, par Bernard de Garlan, dit le "méchant bossu", bâtard noble venu de Bretagne, et douze des siens, en 1380. Au moyen des fortifications qu'il y ajouta, il s'y maintint pendant sept ans. Ce fut alors, que moyennant dix mille livres d'or, il le vendit au comte d'Armagnac. Garlan se repentit bientôt de ce marché ; car, suivant ses calculs, ce château lui rapportait au moins vingt mille florins par année, en mulets, draperies, soieries, etc., que ses hommes pillaient sur les chemins, et en blé, farine, pain tout cuit, avoine pour les chevaux, bon vins, boeufs, brebis et moutons gras, poulaille, volaille, qu'il forçait les habitants de lui apporter. (la France illustrée)

C'est au récit vivant et précis de cette occupation qu'on attribue au "bâtard de Garlan", la lamentable litanie des exactions de tout genre dont eurent à souffrir les malheureux Sanflorains d'alors, rançonnés et pillés sans merci, menacés continuellement de la famine et de l'incendie jusqu'au jour où, c'était en janvier 1391, en échange d'une rançon de six mille livres de dommages et cinq cents livres pour le roi, le chef de la bande, comme un vulgaire général chinois, lâcha sa proie et consentit à s'éloigner.

Ce qui suit, dans le récit de L. Bélard, ne manque pas de saveur ; malgré l'évacuation du château, les habitants de Saint-Flour vivaient dans les transes et, afin d'écarter une fois pour toutes ce cauchemar nourri de menaçants souvenirs, ils partirent un beau jour à l'assaut (2 juin 1415) et, méthodiquement, démolirent le château. Gros conflit avec l'évêque de Clermont, long procès qui, après avoir traîné devant diverses juridictions, se termina au Parlement de Paris, lequel condamna les habitants de Saint-Flour à payer une somme élevée ou à reconstruire le château.

L'arrêt fut exécuté et le château reconstruit ...

ELIE DEYDIER, délégué du T.C.F.

La Revue du Touring-club de France