THIONVILLE (57) - 1735 - UN GRENADIER DU RÉGIMENT DE NORMANDIE

RÉCIT VÉRITABLE ET REMARQUABLE DE CE QUI EST ARRIVÉ A THIONVILLE, AU SUJET D'UN GRENADIER DU RÉGIMENT DE NORMANDIE, CE 13 JANVIER 1735.

"Un soldat du régiment de Normandie, nommé La Douceur, après avoir servi le roi en qualité de soldat pendant près de six ans, et trois ans dans les grenadiers du même régiment de Normandie, qui est présentement en garnison à Thionville, étant du sexe féminin, est accouchée d'un beau gros garçon ce treize de janvier 1735, au grand étonnement de tous ses camarades, à la réserve de celui qui en a eu connaissance au commencement de la campagne passée, sans en avoir jamais déclaré la moindre chose à qui que ce soit, étant tous deux fidèles l'un à l'autre. Il passa la première campagne par le siège du fort de Kelle (Kehl), où notre grenadier ne céda en aucune occasion à qui que ce soit, et se trouva partout où il fut commandé.

La campagne passée, quoiqu'enceinte, il ne laissa pas de faire son service et de s'acquitter ponctuellement de son devoir de soldat, fut même au siège de Philisbourg (Philipsbourg) et fut à la tranchée dans l'eau et les marais toutes les fois qu'il y fut commandé, sans jamais se plaindre d'aucune chose après ce siège.

Les officiers, s'apercevant de l'enflure de notre jeune grenadier, lui demandaient tour à tour qu'elle pouvait être la cause de son enflure, auxquels il répondit après bien des questions, qu'il croyait que c'était une hydropisie causée par les eaux et marécages de Philisbourg (Philipsbourg), et qu'une bonne garnison ferait passer cette enflure. Son capitaine n'étant pas trop content de cette réponse le voulut faire visiter par plusieurs médecins, mais il s'en défendit toujours, disant qu'il ne voulait pas passer par les mains des médecins ni chirurgiens, et que l'hydropisie s'en irait comme elle était venue ; ce qui arriva, car le treizième de ce mois, sur les cinq à six heures du matin, notre grenadier se sentant dans les maux d'enfants, et, ne pouvant plus cacher qu'elle était la cause de son enflure, déclara sa grossesse à ses camarades qui, tous surpris et étonnés coururent chez son capitaine qui ne fut pas moins étonné que les autres : mais le temps pressant on envoya chercher la sage-femme qui, étant venue en diligence dans le logis de la malade, ne fut pas plutôt arrivée, qu'elle fut délivrée et accoucha d'un beau gros garçon, au grand étonnement de toute l'assistance.

Le même jour, on baptisa cet enfant dans l'église paroissiale de Thionville, en présence d'une grande partie des officiers du régiment et de la garnison, et de toute la noblesse et la bourgeoisie dans la ville, et fut reconduit au son des timbales, trompettes, aubois (hautbois), clairons, basses et violons. Monsieur le commandant des quatre bataillons de Normandie voulut bien être le parrain de cet enfant, et la marraine fut Mademoiselle de Lory (Lorry), fille du commandant du Roi à Thionville. Après cette cérémonie, l'état-major du régiment s'assembla et ordonna qu'on eût grand soin de l'accouchée et de son enfant, qu'on ne leur laissât manquer de rien, lui accordant la paye du Roi tant qu'elle vivra, et à son petit garçon dès le même moment qu'il est venu au monde ; et après les couches de notre grenadier, l'aumônier la maria avec le père de l'enfant, et on leur donna permission de demeurer tant qu'ils voudront dans le régiment."

Au bas de ce petit récit est inscrit "Permis d'imprimer et colporter, à Metz, ce 17 janvier 1735. d'Auburtin de Bionville".

A.G. - Les Cahiers Lorrains - huitième année - n° 7 - Juillet-Août 1929