Pierre-Jean Mignien du Planier est né et a été baptisé le 8 octobre 1746 à Poitiers, paroisse Notre-Dame-la-Petite, fils de Pierre-Charles Mignien du Planier, "marchand de draps et soye", et de Marie-Élisabeth David.
Nommé professeur de cinquième en 1771 et interdit trois mois après par l'évêque, il n'en était pas moins resté en fonctions. Cette situation dura quatre ans, puis le 27 février 1775, Planier enleva sa blanchisseuse et gagna l'Angleterre avec elle. Un chanoine de Notre-Dame, Girault, partit en même temps avec sa gouvernante et deux séminaristes se joignirent à la caravane. On imagine le scandale. La blanchisseuse était mineure ; Planier fut poursuivi au criminel pour rapt. De Londres, il publia sa défense, nia tout et se présenta comme une victime des Jésuites. "L'accusation a été suivie avec un acharnement qui paraîtrait incroyable si l'esprit qui anime l'hydre toujours renaissante de la Société n'était pas aussi connu. Tout a été mis en usage pour me perdre et pour compromettre une maison respectable qu'on croyait détruire en m'accusant." C'était pur hasard si sa blanchisseuse, une fille légère, avait disparu de chez ses parents le jour qu'il se décidait lui-même à fuir ses persécuteurs. Malgré cette audacieuse défense, l'anecdote n'ajouta pas au bon renom du collège ...
A Londres, il enseigne le français, y fonde une institution, y réunit soixante pensionnaires et cent externes, et, en quinze ans, il fait fortune. Apprenant alors qu'en France, une "Constitution civile" transforme l'Église, il réalise tout ce qu'il possède, cent vingt mille écus, somme importante pour le temps, et reparaît sur le continent. Il séjourne quelque peu à Lyon, passe en Poitou, à Lusignan, où il exerce les fonctions de vicaire (19 septembre 1792), et s'établit à Poitiers.
Le 24 septembre 1793, il bénit à Poitiers le mariage du prêtre Pignonneau dont le retentissement fut considérable. Le 21 brumaire an II, il abdiqua son état de prêtre entre les mains du représentant en mission Ingrand, lui remit ses "lettres de prêtrise" et devint un de ses actifs agents.
Très intelligent et très cultivé, homme d'esprit et de manières insinuantes, Planier se fit très vite des partisans en beaucoup de milieux. Le voici d'abord vice-président du Comité de surveillance révolutionnaire, et son président, Thibaudeau père, est quelque peu dupe de son entrain révolutionnaire, car il reproduit sur lui ce jugement en ses Souvenirs : "Planier ne doit pas être considéré d'après ce qu'il a fait il y a vingt ans ; c'est un Bougre à faire marcher la Révolution" ...
En novembre 1793, la place de Président du Tribunal criminel devient vacante, et, sur l'invitation d'Ingrand, des commissaires se rassemblent en chambre du Conseil, pour faire un choix d'un candidat ; ils désignent Thibaudeau, mais, circonvenu par Planier, qui vient de rentrer à Poitiers, le commissaire en mission Ingrand nomme Planier (13 frimaire an II) ; et l'ancien prêtre gouverne dès lors despotiquement la ville jusqu'au 9 thermidor.
Non seulement il n'a point de scrupules à s'enrichir des dépouilles de ses victimes - pour 100.000 livres il achète le prieuré d'Oulmes et la maison de Marconnay, ainsi qu'une maison d'émigré, à Poitiers même, rue des Basses-Treilles - mais il pousse encore l'impudence jusqu'à dénoncer ceux qu'il jugera lui-même. Toujours hypocrite, il écrit au Comité des douze, en lui désignant Mesdames Turpin et de la Châtre : "Il est peut-être bon de ne pas me nommer comme dénonciateur, de crainte, devant en connaître comme juge, qu'on ne demande ma récusation".
Parfois il fait siéger son greffier comme juré, ou des citoyens qui n'ont pas l'âge requis par la loi. Parfois aussi prononce-t-il des condamnations à mort sans le concours d'aucun d'entre eux.
Un certain nombre d'arrêts ne figurent même pas sur les registres du tribunal, d'autres ne sont paraphés que par le président ou dépourvus même totalement de signatures.
Voilà la justice révolutionnaire, telle qu'on la comprend, du moins, à Poitiers ; elle est d'autant plus effrayante, que la puissance des tribunaux criminels est illimitée et qu'ils jugent alors "sans sursis, recours, ni demande en cassation, tous les ennemis de la République".
Dès le début de la réaction thermidorienne, le président du Tribunal criminel avait été décrété de prise de corps comme Terroriste ; sur l'intervention d'Ingrand il avait été relâché, mais avait fait alors un voyage à Paris, à la suite duquel on l'avait incarcéré de nouveau. Il était de retour à Poitiers le 15 vendémiaire an III (6 octobre 1794).
Sur la fin de la Convention, cet Ex-terroriste a laissé supposer qu'il pouvait évoluer. Lui qui s'était montré si chaud dénonciateur, il est devenu "froid comme glace" et tout le "beau monde" parle de lui comme d'un homme sensé et prévoyant. Il s'agit alors d'une contre-révolution possible, et Planier laisse entendre aux Royalistes qu'on le pourrait rallier. Mais, se persuadant bientôt que ce parti ne serait pas, de longtemps, le plus fort, et voulant reparaître sur la scène politique, il s'associe, comme les Jacobins, au mouvement théophilanthropique. Les Jacobins profitèrent, il est vrai, du coup d'État du 18 fructidor an V, mais Planier se compromit avec les plus violent d'entre eux, et, après le coup d'État du 22 floréal, le Gouvernement, voyant en lui un ex-vicaire constitutionnel et l'organisateur d'un parti contre la Constitution de l'an III, décida de le poursuivre et de le faire déporter. On le frapperait en vertu d'une loi du 19 fructidor an V ...
L'arrêté était illégal, écrivait Planier, en ce qu'il s'appuyait sur une loi qui ne lui était pas applicable. Le Directoire le traitait de "vicaire constitutionnel", c'est-à-dire de prêtre soumis aux lois, et il n'était plus prêtre. Il s'était marié à Londres, le 24 juin 1775 ; sa femme, Marie-Françoise Oudin, et lui avaient déclaré leurs qualités à la municipalité de Paris le 12 juillet 1792, et le 6 novembre suivant à Lusignan. Au début de juin 1793, il s'était démis de sa place de vicaire au district de Lusignan ; et si, le 24 septembre suivant, il avait béni le mariage du prêtre Pignonneau, il avait, le 21 brumaire an II (11 novembre 1793), abdiqué la prêtrise, entre les mains du Représentant en mission. Ce qui démontrait plus encore qu'il avait cessé d'être prêtre catholique, c'est que le 5 frimaire an VI (25 novembre 1797), il était devenu membre du Comité de morale du culte théophilanthropique ; comment donc le traiter de "vicaire constitutionnel" et, à ce titre, le condamner à la déportation ?
Qu'advint-il enfin de l'arrêté de déportation rendu par le Directoire le 14 frimaire an VII ? Il fut rapporté, mais comment le fut-il ? Il semble bien que l'adhésion de l'ancien prêtre à la Théophilanthropie ne fut pour rien dans l'affaire ; elle n'avait été qu'une simple manoeuvre ; Planier avait quitté Poitiers pour Saintes, en fructidor an VI, et avait trouvé des protecteurs à Saintes. La nouvelle de sa condamnation avait d'ailleurs consterné beaucoup de prêtres constitutionnels dans l'Ouest, et le Représentant en mission Garnier, de Saintes, Jacobin comme Planier, et comme lui naguère président de tribunal criminel, s'entremit en sa faveur, à en juger par cette pièce : "J'atteste, disait Garnier, que, passant par Poitiers, j'appris qu'il y avait eu une division entre la famille Thibaudeau et Planier ; et que Thibaudeau père était accusé de persécuter les Patriotes. J'ignore de quels côtés sont les torts ; mais si Planier a eu des torts, ne serait-ce pas d'avoir trop sincèrement aimé la République ?" Aux yeux de Garnier la question du terrorisme dans la Vienne aurait donc pu se ramener à une question de rivalités personnelles ; et peut-être aussi n'aurait-il consulté à Poitiers que d'anciens terroristes, ou ennemis de Thibaudeau.
Planier toutefois eut l'idée ingénieuse de vendre un de ses biens nationaux à un des juges du tribunal de Niort, et de se rendre ainsi la magistrature favorable en ce pays. Il céda au juge Hubert la métairie de Mantois, dans la commune de Coulon, près Niort, à la condition qu'il lui serait payé par l'acquéreur une rente viagère de quatre mille francs. Il avait alors cinquante-trois ans, et devait vivre encore trente et un ans. Sur missive du commissaire près les tribunaux civil et criminel, en date du 21 ventôse an VII (11 mars 1799), le Directeur de l'enregistrement fit alors notifier au citoyen Hubert sommation et saisie de ladite rente, et le Directoire exécutif, par un arrêté du 29 messidor, ordonna mainlevée de tout séquestre sur les biens de Planier ; l'administration centrale du département des Deux-Sèvres le renvoya par suite en jouissance pleine et entière de ce qui lui restait, en biens meubles et immeubles, dans le département.
Qu'advint-il d'autre part à Poitiers, où Planier avait acquis l'hôtel Marconnay ? Il fut reconnu que cet immeuble n'appartenait pas au ci-devant curé de Saint-Porchaire, lors de son émigration ; qu'il avait été, par erreur, déclaré bien national, et vendu comme tel à Planier. En vertu d'un acte sous seing privé, remontant à 1749, il appartenait à la soeur du curé, à laquelle il fut restitué ; et Planier se pourvut auprès de l'enregistrement pour obtenir le remboursement des fonds qu'il avait versés.
Il vécu dès lors, obscurément soit à Saintes, soit à Niort et c'est en cette dernière commune, rue Saint-Jean, que Pierre-Jean Mignien du Planier est décédé, le 20 avril 1831, à l'âge de quatre-vingt quatre ans, six mois, treize jours. Il était veuf de Marie-Françoise Oudin.
L'abbé Morellet raconte que des hallucinations effrayantes le poursuivaient la nuit. Brusquement, il se soulevait de son lit, et se trouvait éveillé, haletant au milieu de la chambre. Ses hallucinations étaient si fréquentes qu'il dut fixer une corde autour de son lit pour éviter des chutes nouvelles.
Voir ICI "Les trois mariages de Planier"
Loudun : histoire civile et religieuse - Auguste Lerosey - 1908
Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest - Tome quatrième - 3e série - année 1910
La Terreur à Poitiers - Etienne Salliard - 1912
Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest - troisième série - tome douzième - année 1935
AD86 - Registres paroissiaux de Poitiers et d'état-civil de Lusignan
AD79 - Registres d'état-civil de Niort