LETTRES ÉCRITES PAR BERTHRE DE BOURNISEAUX AU BIBLIOPHILE GUILLAUME, DE BESANÇON, ENTRE LES ANNÉES 1798 ET 1836.
2ÈME PARTIE
28 - Bourniseaux, le 9 novembre 1825
Mon cher Guillaume,
J'ai reçu avec votre lettre, le procès-verbal de votre séance académique du 24 août. Je vais répondre successivement à l'un et à l'autre, après vous avoir remercié de votre présent.
1) Votre lettre est empreinte d'un vernis mélancolique qui m'inquiète sur votre état, et m'annonce en vous une maladie morale. Vous avez le mal de l'ambition, Mon ami. Ce mal vous prend un peu tard, et je ne vous reconnois plus. Quoi ! Vous êtes chrétien et homme de lettres, et vous voulez parvenir aux honneurs ! L'envie d'une robe rouge, produit en vous, l'effet que produisirent sur le savetier du bon La Fontaine, les fameux cent écus. Que je vous plains, ou plutôt que je vous blâme ! Quoi ! Du pain, des livres, une bonne conscience, ne suffisent plus à votre bonheur ! Que vous reste-t-il à vivre ? 20 ans au plus ; et vous allez courir après les hochets de la vie. Prêt à aborder la mer sans rives de l'éternité, vous vous chargez des cailloux brillants de la terre, comme s'ils devoient vous tenir compte des bonnes oeuvres qui seuls vous suivront au delà du tombeau. Faites la dessus de profondes réflexions ; reprenez votre gaieté, c'est le premier de tous les biens ; laissez aux nobles leur influence, et n'allez pas repousser leur orgueil par un autre orgueil. Songez que les vrais biens sont ceux de l'âme, que le reste n'est que boue et fumée ; que la vraie noblesse est celle de la vertu, de la science, et des nobles sentiments ; que l'ignorance a beau se revêtir des livrées de l'opulence et des grandeurs, qu'elle n'en est pas moins méprisable, et qu'il n'y a rien au monde de plus roturier qu'elle.
Si je n'étois pas tout-à-fait indigne de me donner en exemple, je vous dirois que j'ai refusé d'assés belles places, et que tant que je pourrai jouir de moi même, élever mon âme à Dieu, admirer la nature, et occuper mes loisirs aux lettres, je me croirai aussi heureux qu'on peut l'être sur le chétif tas de boue. Ne perdons jamais de vue notre véritable patrie et toutes les grandeurs nous paroîtront lilliputiennes ...
Mais c'est assez vous sermonner. Je suis persuadé que vous en êtes quitte pour cet accès de fièvre morale, que le sel de la réflexion vous guérira, et que vous allez reprendre toute votre belle humeur. Revenon au procès verbal académique.
Je l'ai trouvé un peu sec et aride. On n'y rencontre ni gaîté, ni vers, ni morceaux d'agréments, ni rien qui puisse dérider un front gaulois. Mais venons à des détails.
L'éloge de Louis XVIII est composé par un homme qui sait écrire ; il renferme de beaux morceaux, mais en général il est terne, sans verve, sans couleur, sans mouvement, sans élans oratoires ; il n'y a pas un mot qui soit parti du coeur de l'auteur et l'on peut dire que tout son esprit est dans sa tête. Le discours de mr Bouvot m'a fait plaisir. Je crois que vous avez fait un excellent choix. La réponse du président est telle qu'elle devoit être.
Je n'entrerai point dans de grands détails au sujet du canal de monsieur, car il faudroit connoître les localités.
Le rapport fait sur l'ouvrage du sr Amiron (?) m'a profondément affligé. Je suis fâché qu'une académie attache son cachet à des théories factieuses, évidemment puisées dans la boutique du jacobinisme. Il falloit rejetter loin de vous ces diatribes dirigées contre les propriétés, et contre les fondements de la société. J'ai reconnu, à travers les phrases entortillées de l'auteur, les principes du bonheur commun de Babeuf, et les injures dirigées par le genevois Rousseau contre les propriétaires. ...
Le sujet du prix de 1826 ne peut convenir à un discours ; il est bien indiqué, mais il faudroit un v.... (reliure) pour expliquer tout ce qu'un pareil sujet demande.
Je vais bientôt faire imprimer un éloge funèbre de Louis XVIII ; je vous en enverrai un exemplaire ; l'anglois sera en regard du françois. J'imagine que vous lirez ce morceau avec plaisir, en le comparant à l'éloge du même prince que vient de faire imprimer l'un de vos collègues.
Un journal de Paris, intitulé le philantrope, n° du 1er octobre, vient de faire un rapport sur l'histoire de Thouars. Tachez de lire ce morceau, où l'on me donne des éloges que je ne mérite guère.
J'ai aussi quelqu'espoir de voir imprimer à Paris le manuscrit du Charlatanisme philosophique dévoilé. Il y a longtemps que tous mes ouvrages seroient publiés, si j'avois la force ou le courage d'aller à Paris, mais, à mon âge, j'ai peine à me résoudre à un si long voyage.
Vous ne me parlez point de votre famille, ni de Mr Véjux ; votre accès de fièvre vous avoit troublé la cervelle ; rappelez-moi au souvenir de ce dernier. Ma famille se porte bien, ma femme et ma soeur vous saluent ainsi que l'ami Cordier.
Continuez de m'envoyer vos procès verbaux académiques ; j'en fais un recueil, car j'ai beaucoup d'estime pour votre société.
Mon fils est toujours garde du corps à Paris, avec le grade de capitaine de cavalerie ; en 1830, il passera de droit chef d'escadron.
Je lis dans ce moment la bible de Vence en 25 volumes ; c'est un très bon ouvrage ; je vous conseille de le lire.
Adieu, Mon cher Guillaume, je vous salue de coeur et d'affection.
Votre vieil ami
de Bourniseaux.
P.S. : Vous m'avez promis un exemplaire du discours de mr Béchard, mon heureux compétiteur.
29 - Bourniseaux, le 14 septembre 1826
D'où prenez vous, Mon cher Guillaume, que je vous boude ? Me croyez vous boudeur ? Me prenez vous pour une femme bette ? Quel motif aurois-je d'être fâché contre vous ?
Si j'ai tardé à vous écrire, c'est que je voulais vous envoyer en même temps un exemplaire de l'éloge de Louis XVIII ; mais le coquin d'imprimeur m'a bien fait enrager. Je ne l'ai reçu que depuis 3 jours, et j'en ai mis de suite un exemplaire à la poste que vous recevrez avant cette lettre.
Je vous remercie du procès verbal que vous m'avez fait passer. Je l'ai lu attentivement et avec beaucoup de plaisir. J'approuve le jugement que vous en portez, cependant avec quelques modifications.
Votre président me paroît un homme si respectable que je n'ai pas le courage de lui faire le moindre reproche. Le morceau de mr Calmel me paroît le meilleur de tous, sans exception ; je vous fais mon compliment d'avoir un pareil confrère.
Je n'ai pu m'empêcher de rire en voyant les efforts de votre collègue pour exalter le musicien de maiche, dont jamais personne n'a entendu parler ; il était digne d'avoir écrit l'éloge de Michel Morin.
Vous me paroissez sévère à l'égard de mr Viancin. Son morceau n'est pas un chef d'oeuvre, mais il est bon, et supporte très bien la lecture. Votre objection sur le soleil qui luit est très juste. Quant à la plaisanterie que vous faites en l'appelant l'Anacréon du ménage, je ne suis pas de votre avis. Je trouve qu'il est beau à un homme de lettres de ne pas prostituer sa muse aux grands, de ne flagorner personne, et de chanter plutôt sa famille, ... (reliure) ou le malheureux. C'est pour ce motif, que j'ai dédié au pauvres de la ville de Thouars, l'histoire de cette même ville. Je pouvais m'adresser à des grands, mais il faut savoir tenir sa dignité. Un homme de lettres, digne de ce nom, est le précepteur du genre humain, et dès qu'il n'a pas besoin des grands, il est plus grand qu'eux ; j'en excepte toutefois le rang que chacun d'eux (?) doit tenir dans la société.
Je fais donc mon compliment de bon coeur à mr Viancin, et je ne l'en estime que plus d'avoir bravé le ridicule, pour rendre justice à une femme à laquelle il doit son bonheur.
Je ne connois point l'histoire de mr de Villeneuve de Bargemon, mais j'en ai entendu parler avec éloge. Je lirai votre notice avec un grand plaisir. Vous vous plaignez comme un paresseux d'avoir écrit une broutille, et vous ne trouvez pas de moment pour écrire, parce que vous craignez le travail.
Mr Véjux, votre neveu, que je salue, m'avoit bien dit que vous étiez fastueux dans votre bibliothèque ; que vous dépensiez votre argent en belles reliures de maroquin doré sur tranche, en ouvrage tirés sur papier superfin. Ce luxe peut convenir à un financier qui achète ses livres à la toise, mais il ne convient pas à un homme de lettres, qui, en fait de livres, doit mieux aimer la qualité et la quantité, que les dorures sur les couvertures. Du reste chacun a son goût ; pour moi, ce n'est pas le mien. Dès qu'un ouvrage est lisible et correct, il a tout ce qu'il me faut. Je suis abonné à la société royale des bons livres, qui fournit des livres en papier presque gris. Je n'en fais pas moins de cas, que s'ils étoient dorés sur tranche.
Je ne m'étonne plus d'après cela, si vous trouvez que mes ouvrages sont imprimés sur du gros papier.
J'ai lu vos deux chansons avec plaisir. Elles annoncent de la gaieté et de la verve ; mais je vous répète que vous êtes un paresseux qui ne voulez travailler ni en vers ni en prose. L'étude est pour vous un terrain sur lequel vous ne cherchez qu'à glisser, et vous ... (papier troué) de bon coeur avec un de nos poëtes : "sur un terrain si fleuri, si fragile, glissez, mortels, n'appuyez pas."
C'est bien à moi que vous devez la feuille du philantrope.
L'éloge de Louis XVIII, que je vous envoie, va exercer votre critique, mais le morceau a du moins le mérite d'une singularité ; c'est que composé au fond de l'Angleterre, il a été traduit dans les bocages de la Vendée.
Notre ami Cordier se porte toujours fort bien ; il se rappelle à votre souvenir. Il exerce la profession d'avocat consultant, et plaide devant le juge de paix. Ma femme et ma soeur vous saluent.
Adieu, Mon cher Guillaume, croyez que je ne boude pas, que je ne suis pas fâché contre vous, et que je veux vous aimerai toute ma vie.
Votre ami bien dévoué
de Bourniseaux.
30 - Bourniseaux, le 5 juin 1827
Mon cher Guillaume,
J'ai reçu votre demi-lettre du 9 avril, par laquelle vous m'en annonciez une autre, avec le procès verbal d'une de vos séances académiques ; c'est ce qui a retardé ma réponse.
A votre lettre étoit joint un opuscule sur l'histoire de René d'Anjou. Je l'ai lu, avec bien du plaisir, et je vous en fais mon compliment. Le style est tel qu'il doit être, et vos réflexions sont très justes. Je trouve seulement que vous vantez beaucoup trop le bon René, qui est un de ces rois à qui il ne resteroit pas grand-chose, si on les dépouilloit de leur bonté. Louez le donc, mais ne parlez ni de sa valeur, ni de ses talents militaires, ni de ses talents politiques, car, en vérité, ce n'en vaut pas la peine. Je le compare à notre roi Robert, avec lequel il a beaucoup de ressemblance. J'avoue toutefois que de pareils princes valent mille fois mieux que des conquérants.
Vous ne me parlez point de l'éloge de Louis XVIII, que j'ai traduit de l'anglois, et que vous avez du recevoir, dans les premiers jours du mois de décembre dernier. Ne l'auriez-vous pas reçu ? Cependant je l'ai mis moi même à la poste. Ce morceau a été bien accueilli à Paris.
Vous me parlez de la triste situation de votre santé ; je prie Dieu, de tout mon coeur, qu'il la rétablisse. Mais n'en causez vous point vous même le délabrement ? Mangez-vous dans le cuivre, au mépris de ce que j'en ai dit, dans les anecdotes de mon histoire de la Vendée que vous avez sous la main. Il n'en faudroit pas davantage pour déranger le corps plus robuste. Notre préfet vient, dans son journal des 2 Sèvres, de donner, à ce sujet, les plus sages conseils à ses administrés. Buvez-vous de l'eau de vie, des liqueurs, des vins généreux, surtout de ces vins liqueurs frelatés et fabriqués au grenier. Je vous préviens que vous vous assassinez vous même. Cela ne convient point à notre âge.
Pour moi je me porte bien. Je vis, il est vrai, de régime, j'ai pour maxime, que pour bien se porter, à 60 ans, il faut peu manger, et boire beaucoup de vin de fabricien, c'est à dire beaucoup d'eau. Faites en autant, et vous consommerez longtemps votre automne, et reculerez votre hiver.
Je suis, dans ce moment, occupé à revoir mes ouvrages, les corriger. J'ai quelque espoir que mon histoire de Louis XVI (en 4 volumes) va s'imprimer bientôt à Paris, mais les troubles et les inquiétudes qu'on eus les libraires, retardent cette impression. Je vous en promets un exemplaire quand l'ouvrage sera imprimé, mais quand - quand - quand ?
J'ai traité, avec un libraire, pour l'impression de la traduction en vers des épigrammes de Martial, grossies de plus de cent des miennes et de quelques poësies fugitives ; cela ne paroîtra que pour le premier de l'an, si toutefois le libraire tient parole ; car qui dit libraire dit corsaire.
Cordier se porte toujours très bien et vous salue, ma femme et ma soeur vous envoient une cargaison de compliments. Je n'ai pas le bonheur de connoître madame Guillaume, mais dites-lui que des irritations d'estomach, de même que vos échaufements, pourroient bien provenir de la batterie de cuisine en cuivre. Que ce soit pour vous un avis au lecteur.
Vous voulez savoir la vie que je mène. Je vais vous en faire le détail. Vous saurez que j'instruis mon petit fils. Je me lève à 6 heures ; j'étudie jusqu'à 9. Ensuite vient la prière en commun, puis la classe qui dure jusqu'à une heure. Je dine et fais la sieste jusqu'à 2 heures et demie. J'étudie jusqu'à 5 heures et puis la classe jusqu'à 8 heures, après cela promenade, puis le souper. A 9 heures et demie la prière, puis je vais me coucher. Ne manquez pas de me faire le détail de la vôtre.
Mon élève a 12 ans ; il explique l'énéide et ... (illisible) ; il apprend aussi la géométrie, l'histoire naturelle, la morale, la musique et le blason. Vous voyez que je suis un vrai Michel Morin, un homme à tout faire.
Adieu, Mon cher Guillaume, je vous fatigue de mon bavardage, mais je ne m'ennuie pas de jaser avec vous ; que ne puis-je le faire de vive voix ! ...
Votre ami pour la vie.
de Bourniseaux.
P.S. : Le vin est ici à si bas prix, que les vins blancs de Saumur qui, l'an passé, valoient 10 sous la bouteille, ne valent à présent que 3 liards. Nous sommes tous désolés. J'en ai 30 barriques à vendre. Ne m'oubliez pas auprès de mr Véjux.
31 - Bourniseaux, le 30 juin 1827
Mon cher Guillaume,
Nos lettres se sont croisées, et vous me demandez une réponse que vous avez déjà reçue. Cependant, pour répondre à votre invitation, je vais vous faire part des observations que j'ai faites, en lisant les procès verbaux que vous avez eu la bonté de m'envoyer, et dont je vous remercie.
1) Le discours de mr Le Clerc fait honneur à son talent, mais il m'a paru empreint du virus philosophique. Placer la connoissance de Dieu dans la seule métaphysique, c'est la rendre inaccessible au commun des hommes. Les ouvrages physiques de Dieu le font beaucoup mieux connoître. A l'oeuvre on connoît l'ouvrier ...
2) Vos deux articles sont bons ; ils ont le style qui convient, et ce sont à peu près, les meilleurs de ce recueil. Je vous en fais mon compliment.
3) Le morceau de mr Trémollières me paroît rempli d'intérêt, et honore ce poëte, à qui il ne manque, pour monter à un des premiers rangs, que plus d'élévation dans le style, de fécondité dans l'invention, et de chaleur dans l'âme.
4) Le discours de mr Genisset est très bien écrit et lui fera honneur ; j'y ai trouvé toutefois des idées fausses. Ce n'est point l'indépendance des opinions et des principes, comme il le soutient, qui rend une académie florissante. C'est le talent dans ses membres, la sagesse dans ses entreprises ; la sévérité pour contenir des brouillons et des novateurs ; un amour réel pour son prince, pour sa patrie ; un grand respect pour la religion ; une tendance continuelle à soutenir l'édifice social contre les attaques d'une philosophie factieuse ; à repousser des théories politiques ; à prévenir tout bouleversement dans les idées et dans les institutions ; à consolider de toutes ses forces, les deux colonnes qui soutiennent l'... (reliure) Dieu et le roi. Voilà quel doit être le vrai but des ... (reliure) et des académies ; voilà comment les savans pourront mériter le nom de bienfaiteur de l'humanité.
5) Le discours de mr Monnot est d'un homme sensé. On ne peut rien y reprendre, et je félicite votre académicien de cette excellente acquisition. La réponse du président est ce qu'elle devoit être, courte, simple et bonne.
6) mr Marnotte vous a servi un plat de son métier. Sa dissertation sur l'architecture ne seroît pas mauvaise si l'on n'y rencontroit une phrase que je n'aurois pu es... (reliure) sans pousser des huées, tant elle m'a choquée à la lettre. (voyez page 79 ligne 10ème et suivantes).
Dire que la religion chrétienne a plongé l'empire dans le fanatisme et l'ignorance, c'est avancer une absurdité palpable. Certes, le siècle de Constantin valoit mieux que celui de Dèce et de Valérien. La construction des beaux monuments de Constantinople, a plus avancé l'architecture que la ruine de Palmire, et je ne vois comment le peuple romain, en quittant ses divinités de ... (reliure) et de pierres, pour embrasser le culte du vrai Dieu, et tomber en décadence par ce changement de religion, est manifeste, au contraire, que ce fut l'invasion des barbares qui ... (reliure) par degrés la barbarie, et que ce fut le christianisme qui, au milieu de la conflagration universelle, sauva les précieux débris des sciences et des arts. Je plains votre académie, si elle est restée muette, en entendant avancer une pareille proposition qui est un blasphême. Votre président a reconnu ce que je viens de dire, dans sa réponse (page 83 lignes 26 et suivre), à sa place, j'en aurois dit bien d'avantage.
7) Vos observations, sur les vers de mr Viancin, sont très justes, et dénotent un excellent goût. Son plus grand tort est d'avoir mal choisi son sujet. Il n'y a pas deux espèces de bon goût. Pour moi, je m'en tiens au beau de Racine, que l'on critique si témérairement, et je dirai, à l'auteur, avec le joas d'athalie : "lui seul est Dieu, Monsieur, et le vôtre n'est rien."
Je ne connoissois point les danses des morts, et je suis bo... (effacé) à mr Peignot, d'avoir fait des recherches à ce sujet. Vous dites trop peu de chose de mr Victor Hugo, qui deviendra le premier de nos poëtes lyriques, aussitôt qu'il sera parvenu à modérer les écarts de sa verve, et à se défier du haut degré de son enthousiasme. Il faut un certain ordre même dans le désordre, puisque ce dernier est un effet de l'art. Votre critique au sujet de mon discours anglois est très juste. Les vers cités sont de Rousseau et non de La Fontaine. Je les ai trouvés dans un mercure sous ce nom : "puis fiez-vous à messieurs les savans."
Je n'ai point lu l'ouvrage de mr le Bouvier et ne puis rien vous en dire. Il a voulu prouver, dit-on que Charrette n'a pas été parfois cruel et jaloux. Cette idée peut être accueillie au loin, mais elle ne prendra jamais dans la Vendée où le général est trop connu.
Dans ma précédente lettre, j'ai répondu aux questions que vous me faites. Je désire à mde Guillaume et à vous une meilleure santé. Défiez-vous de vos casserolles de cuivre, et lisez ce que j'en ai dit dans les anecdotes de mon histoire de la Vendée (volume 3)
Adieu, mon ami, portez-vous mieux et croyez à ma vieille amitié.
de Bourniseaux.
P.S. : ma femme, ma soeur et Cordier vous saluent. J'ai perdu, il y a six mois, mde Demège, ma belle mère que vous avez connue et qui étoit en prison au collège, quand vous étiez à Thouars. C'est Renaudot qui (suite cachée par la reliure).
32 - Bourniseaux, le 5 janvier 1828
Mon cher Guillaume,
J'ai bien reçu, dans le temps, votre lettre et le procès verbal de votre assemblée qui y étoit annexée. Si je ne vous ai pas répondu plutôt, accusez en un vilain dépôt à la tête qui me tourmente beaucoup, car il n'est pas encore guéri, et je ne cesse de rendre du pus par l'oreille, avec des douleurs de tête très violentes. François II, roi de France, est mort autrefois d'une pareille maladie ; j'espère, avec la grâce de Dieu, m'en tirer mieux que lui. Je suis malade depuis la Toussaint.
N'attendez pas de moi que je puisse entrer avec vous dans aucune discussion littéraire ; je suis trop absorbé pour cela, et la moindre application me fatigue. Ce sera pour l'ordinaire prochain.
Mon fils vient d'être nommé par S.M. capitaine dans le 9ème des chasseurs à cheval. Je me flatte qu'il pourra aller un jour à Besançon, et que vous ne le verrez pas sans plaisir.
Toutes vos connoissances de Thouars vous saluent. Elles jouissent d'une bonne santé.
Je finis en vous souhaitant la bonne année et en priant le Ciel de vous combler de ses faveurs.
Je me suis fatigué ; je vous salue et vous embrasse de coeur.
Votre vieil ami,
de Bourniseaux.
33 - Bourniseaux, le 15 mai 1828
Mon cher Guillaume,
Je suis toujours malade de mon abcès à la tête, et mon oreille rend toujours beaucoup. A celà près, je bois, je mange et dors bien. Il est vrai que je suis réduit à lire, à cause d'un battement dans la tête qui m'empêche d'appliquer longtemps mon attention à un ouvrage sérieux, et surtout d'écrire plus de 10 minutes. Cet état est fatigant pour un homme de lettres ; mais il faut prendre patience ...
Je vous remercie mille fois de la peine que vous avez bien voulu prendre de consulter votre médecin. Veuillez le remercier pour moi de ses bons avis. Je pense qu'un cautère ne sauroit me soulager. J'ai eu, pendant 3 semaines, un emplâtre de mouches (?) à la nuque ; l'humeur est sortie abondamment, mais cela n'a pas empêché mon écoulement d'oreille qui a été et qui est encore aussi copieux qu'avant et qu'après l'application des cautharides. Il n'y a donc plus qu'à prendre patience et à se conformer à la volonté de Dieu.
Parlons de littérature puisqu'il ne me reste guère que l'avantage d'en parler.
J'ai quelque espoir de faire imprimer à Paris mon histoire de Louis 16 en 4 vol. in-8°, mais il n'y a encore rien de certain. Cette histoire est depuis dix ans à Paris. Le manuscrit a été vendu à un libraire qui est mort. Ce qui a arrêté toute la publication de l'ouvrage. Depuis cette époque, le peu de zèle de ceux que j'avais chargé de la vente de ce manuscrit, a fait traîné l'affaire en longueur ; aujourd'hui un libraire le demande, et je ne sais quel sera le succès de son entreprise. Si l'ouvrage est imprimé, vous pourrez compter sur un exemplaire, mais vous ne tenez en rien. Si vous pouviez m'indiquer un mandataire plus actif, je crois que l'affaire seroit tantôt terminée.
Comment va votre santé et celle de votre dame ? A nos âges, c'est une question qu'il est important de taire ; car, comme vous l'observez bien, quand a soixante ans, on ne doit plus compter que sur la triste vieillesse et sur le nombreux cortège des maux qu'elle traîne à sa suite.
Je vous fais mon compliment sincère sur le haut grade qu'occupe à Vincennes mr votre gendre. Je désirerois, comme vous, que mon fils fut à même de faire sa connoissance, cela pourra arriver un jour, car de grandes et puissantes ... (reliure) ont conçu le projet de le faire entrer dans la garde. Puissent ces deux jeunes gens, nous prendre pour modèles et hériter de notre vieille amitié par droit de succession ! Tel est le voeu de mon coeur.
J'attends, avec impatience, le volume que vous me promettez. C'est avec un intérêt très vif que je lis les mémoires d'une académie aussi distinguée que la vôtre. J'ai surtout la plus haute estime pour mr le professeur Génisset. Mes opinions ressemblent beaucoup aux siennes, et, dans son dernier discours imprimé, il a inséré (page 32) une phrase qui sert de base à mon ouvrage sur la physique dégagée de tout système philosophique, ouvrage dont je vous ai parlé autrefois. Voilà qu'elle est l'idée mère de cette phrase : "L'univers est fait sur le modèle de l'âme humaine."
Ma soeur et l'ami Cordier vous saluent ainsi que ma femme. Tous jouissent d'une bonne santé.
Adieu, Mon cher Guillaume, je vous salue et vous embrasse comme je vous aime, "id est toto corde"
Votre vieil ami,
de Bourniseaux.
P.S. : On prétend qu'une auguste princesse va venir dans notre bonne Vendée ; j'ai de la peine à le croire ; nos mauvaises routes de traverse, nous priveront de ce bonheur.
34 - Bourniseaux, le 23 octobre 1828
Mon cher Guillaume,
Je pense qu'il est temps de vous donner de mes nouvelles, et de m'informer des vôtres.
Ma santé est toujours la même. Mon oreille rend beaucoup et mon battement est presque continuel, à cela près, je bois, mange bien et dors bien. Les médecins du pays prétendent que c'est un cautère naturel que la nature s'est ouvert elle même, et qu'il est fort inutile, tant qu'il fluera, d'en ouvrir un autre. Ils ajoutent que je le garderai toute ma vie. Que la volonté de Dieu soit faite ! Me voilà résigné à mon sort, et je n'employerai aucun remède.
Mon histoire de Louis 16 va bientôt s'imprimer à Paris. Un libraire l'a fait lire à plusieurs hommes de lettres et particulièrement à mr de Barante. Ces messieurs ont daigné en faire un grand éloge que vous jugerez peu mérité. Le libraire a pris feu la dessus, et déjà le prospectus est imprimé. Je vais en recevoir un bon nombre d'exemplaires, et je vous en ferai passer un, comme au secrétaire adjoint de l'académie de Besançon. Je vous prierai, en cette qualité, d'en donner lecture, soit avant soit après une de vos séances, à vos confrères, et ensuite de tâcher de la faire publier dans les journaux de votre ville.
L'ouvrage formera 3 gros volumes in-8° ; vous voyez que je m'amuse pas à des broutilles. Il doit être imprimé dans le mois de janvier.
J'ai lu, avec beaucoup d'intérêt, les morceaux que vous avez insérés dans l'intéressant journal qui a pour titre les tablettes francomtoises. Je les trouve frappés au coin du bon sens et du bon goût et je vous en fais mon compliment. La modération en toutes choses est une excellente qualité, et ce n'est pas sans raison qu'un auteur a dit : "in medio stat virtus."
Si le rédacteur de ce journal vouloit y insérer deux articles de ma composition, je les lui ferais parvenir francs de port, sous la condition qu'il me feroit passer les numéros du journal où ces morceaux seroient inscrits. Le premier morceau est relatif à une dissertation savante sur les moyens de prévenir les asphyxies dans le curage des latrines ; le second est relatif aux charrettes à jantes larges dont on montre les avantages. Le premier de ces morceaux donne des moyens préventifs si simple et si peu dispendieux, qu'il peut prévenir, sans frais, tous les accidents quelconques de cette espèce, et rendre ainsi un grand service à la pauvre humanité. Chaque morceau pourrait être divisé en deux, et occuper ainsi une place dans 2 feuilles.
Votre ouvrage sur La Fontaine se vendra difficilement, quelque bien écrit qu'il soit, on veut aujourd'hui des morceaux plus saillants, et beaucoup de gens s'imaginent qu'il n'y a plus rien à dire sur le bonhomme, et que sa réputation est faire et parfaite.
J'attends, avec impatience, l'exemplaire des mémoires de votre académie. Aurons nous quelques uns de vos morceaux et de ceux de mr Génisset, dont on ne peut trop louer les lumières et le bon esprit ; il sait mieux que personne que sans la religion il n'y a ni vraie science, ni vraie probité. ...
Mon fils est toujours à Arras capitaine dans le 9ème des chasseurs à cheval. Il paroît qu'il y est estimé de ses confrères. C'est tout ce qu'on peut désirer pour le moment.
Ma femme, ma soeur, Cordier, et tous ceux qui vous ont connu à Thouars, se rappellent à votre souvenir. Rappelez-moi à celui de mr Véjux et dites lui que j'ai toujours le chien basset qu'il m'a laissé.
Vous vous étonnez de vieillir et de devenir lourd et pesant et vous m'assurez en même temps que votre esprit conserve toujours sa jeunesse et son amitié pour moi ; voilà des douceurs auxquels je suis fort sensible. Je vous dirai en revanche, qu'un de mes souhaits les plus ardents, est qu'après avoir dépouillé le vilain masque de chair, nous nous trouvions un jour réunis dans les immortels jardins d'eden, pour n'être jamais séparés. C'est là qu'est notre véritable patrie, le véritable but de nos espérances ; c'est là enfin que se trouve l'arbre du vrai bonheur, dont les fruits ne peuvent être ici bas savourés par aucune bouche mortelle.
Vale et me ama.
Votre vieil ami,
de Bourniseaux.
35 - Bourniseaux, le 25 décembre 1828
Mon cher Guillaume,
J'ai bien reçu vos séances publiques et votre lettre. Vous faites joliment les honneurs de votre académie, et vous ne tancez pas mal vos confrères. Vous voulez que je vous parle franchement ; vous m'en suppliez ; eh bien ! je vais vous contenter au risque de tout ce qui pourra en arriver et dont vous serez responsable. Vous ne montrerez cette lettre à personne.
Il est certain d'abord, que vue sous un point de vue, votre académie paroît puer le matérialisme et ce que nous appellons, dans notre Vendée, la patauderie. On ne peut nier qu'elle ne soit composée de gens habiles, mais pour leur donner l'activité de l'esprit et l'énergie de l'âme qui leur manquent, il faudroit qu'ils auroient dans le coeur la devise vendéenne Dieu et le roi. Ce sont là les deux seules sources du vrai beau ; elles conduisent au temple de la vraie gloire auquel on ne peut arriver que par cet unique sentier. Hors de là, vous ne pouvez tomber que dans l'abyme de l'impiété et de la licence, les deux colonnes de la médiocrité. Je sens que je m'élève trop haut, rabaissons un peu notre vol.
Comme vous l'observez fort bien, les derniers morceaux imprimés ne sont pas de la même force que les précédents, et si cela continue, vous serez obligé, en fidèle gil blas, d'avertir l'archevêque de Grenade.
Le 1er discours de votre président n'a ni plan ni méthode. Il n'a ni commencement ni fin. Mr Génisset est trop prodigue de louanges, mais il ne pouvoit guère faire autrement ; il faut, dans une confrérie, louer jusqu'au sacristain. J'ai trouvé, page 27, un gros barbarisme, c'est sans doute une faute d'impression. On ne dit point discréditer.
La traduction des deux odes d'Horace n'est que médiocre. L'auteur ne versifie pas mal, mais c'est un foible éloge.
Le discours de mr Pérot n'est pas mauvais ; il est fâcheux que mr Briot soit si peu connu. On peut donner le même éloge à mr Calmel, et exprimer le même regret à l'égard de son héros.
Les vers de mr Viancin ne sont pas sans couleur et sans émotion, mais son refrein choque une oreille vendéenne qui frémit au nom de la liberté qui bouleversa son pays et le couvrit de ruines et de cendres. Avec quelques changements, on feroit de cette pièce un morceau digne d'être chanté au club. On y lit un vers que je suis surpris qu'on ait laissé passer : "Dormez en paix sublimes hécatombes ! qui fécondez la terre des héros."
Qu'est-ce qu'une hécatombe sublime qui féconde une terre fiat lux. Sa dernière strophe justifie ce que je vous dit au sujet de la patauderie. Le bout d'oreille est évident (? reliure).
Passons à la 2ème partie.
1) Le discours du pdt vaut mieux que son premier, sans être un chef d'oeuvre.
2) Le discours de mr Bourgon est la meilleure pièce du recueil. Il renferme d'excellentes idées, au nombre desquelles, j'ai remarqué celle-ci : "La France n'a point encore d'histoire". Ce qui est de la plus grande vérité. Votre académie me ... (reliure) avoir fait un excellent choix.
3) Le discours de l'abbé Gattrez est trop court, ce qui cause regrets, car il est bon.
4) Les vers de mr Mare annoncent du talent. Il est dommage que ce ne soient que des fragments. On ne peut porter de jugement ; il faudra voir s'il soutiendra son vol.
5) Le rapport de mr Génisset lui fait honneur, sans cependant s'élever au dessus de la médiocrité.
6) Les vers de mr Viancin m'ont fait plaisir à lire ; même s'il y a des longueurs. Le conte, en lui-même, pourroit être abrégé de moitié ; il y a des vers heureux, mais point d'... (reliure) poëtique.
7) Votre prix de poësie offre un heureux sujet ; il n'en est pas ainsi de celui d'éloquence qui est très mal choisi. N'avez-vous point d'éloges de grands hommes à proposer, ou d'airs héroïques à chanter ? Qu'a de commun un gouvernement constitutionnel avec une influence quelconque sur le génie des écrivains ?
Faites mon compliment à mr Auguste de Mesmay, sa pièce Quand je te vois annonce du talent. Il y règne beaucoup de naturel et d'abandon ...
Parlons à présent de mon histoire de Louis 16. Je ne sais encore si elle s'imprimera. Mon marché n'est pas fait avec le libraire. Car je ne veux pas la lui donner pour rien. Je vous ai envoyé un prospectus, vous l'avez sans doute reçu. Je n'ai pu m'empêcher de rire, quand je vous ai vu me demander un exemplaire en papier Velin. Cela m'a rappellé ce que l'on m'avoit dit de votre luxe pour vos livres. Mais, beau sire, vous vous contenterez bien d'un exemplaire en papier satiné, tels que seront les miens (?). Vous le prendrez à Paris à l'adresse que je vous indiquerai pour le renvoyer à Besançon. Au reste, rien n'est encore sur, puisque le marché n'est pas fait. Dans tous les cas, l'ouvrage ne sera fini d'imprimer qu'au mois de mars.
Toute ma famille vous présente ses compliments, ainsi que Cordier ; ma santé est toujours la même ; je ne guérirai de mon écoulement que dans le tombeau. Cette idée est triste. Mais jusque là je conserverai l'attachement que je vous ai voué, et comme je suis loin d'être matérialiste, j'espère que nous nous aimerons encore par delà, dans un meilleur monde, ou nous n'aurons besoin ni d'yeux pour nous voir, ni de mains pour nous écrire.
Vale et me ama.
de Bourniseaux
P.S. : Je vous souhaite purement et simplement la bonne année, accompagnée de plusieurs autres.
36 - Bourniseaux, le 4 janvier 1830
Mon cher Guillaume,
Je commence tout uniment par vous souhaiter la bonne année. Mon premier voeu c'est de vous voir heureux in utroque mundo. Le second, c'est que vous me conserviez une part dans votre amitié qui n'a cessé de m'être chère. Puisse notre attachement se maintenir jusqu'au tombeau et par de là, dans la céleste patrie, l'unique fin où doit tendre tout homme sensé !
Revenons à nos moutons.
Je vois avec plaisir que vous avez lu, avec intérêt, mon histoire de Louis XVI. Il y a beaucoup à rabattre à vos éloges. Je suis plus sincère que vous ...
Les fautes qui vous ont choqué, avec tant de raison, vont, en grande partie, disparoître dans une 2ème édition qui ne va pas tarder à être livrée au public.
J'ai eu le malheur d'avoir un compositeur peu habile, qui a eu la prétention, parfois, de vouloir me corriger, surtout dans la ponctuation, ce qui a donné, à certaines phrases, un sens louche et peu grammatical. C'est lui qui a substitué le mot discréditer à décréditer, croyant sans doute me rendre un grand service. Jugez de ses talents par cet échantillon. D'un autre côté, je n'ai pu insérer qu'une partie des errata que j'avois observés à une première lecture, et lorsque l'ouvrage a été publié, je croyois, de bonne foi, que l'on étoit à imprimer la fin du IVème volume dont je n'avois pas reçu les feuilles. Au lieu de m'envoyer ces feuilles successivement, on me faisoit passer les volumes entiers ...
J'avoue toutefois qu'une partie des fautes que vous me reprochez, ne doivent pas être mise sur le compte du compositeur, car, avant toutes choses, il faut être juste, je n'en puis donc accuser que moi-même.
Je fus pressé lors de l'envoi de ce manuscrit à Paris par le libraire qui vouloit l'imprimer de suite, il y a 10 ans ; le libraire est mort trois mois après et le pauvre ouvrage est resté au c... (reliure), j'ai regretté souvent de ne l'avoir pas sous la main pour le corriger.
Il est toutefois des corrections que je n'adopte pas, et je pense que vous vous êtes trompé.
1) Par exemple (tome 3 p. 29), il est certain que la meilleure partie du régiment de Vintimille se révolta, au moment qui ... (reliure), j'étois à Paris, et je puis vous certifier le fait.
2) (idem p. 68), il est certain qu'il y a eu à l'époque dont je parle des horreurs commises en Franche-Comté. Voyez ... (reliure) des Crimes de la révolution.
3) Tome 4 p. 66, il est certain qu'en 1793, le crucifix a été coiffé d'un bonnet rouge ; il n'y a rien de faux dans cette ... (reliure).
4) Les perruques de La Mothe-Piquet, mises en note, sont à leur place. Souvent une anecdote de ce genre peint mieux caractère d'un grand homme, qu'une dissertation de 10 pages. Il ne faut pas tant mépriser Suétone.
Je ne sais si dans la 2ème édition, le libraire rétablira une partie de mes anecdotes, dont il a supprimé la moitié, parce qu'il aurait fallu faire un supplément en 4ème volume. Je regrette ... (reliure) un morceau sur les illuminés qui m'avait coûté beaucoup de travail. On peut dire que les meilleures anecdotes ont été mises de côté ; car mon libraire n'a pas mon opinion.
Le premier ouvrage que je me propose de faire imprimer est mon histoire des rois de France de la 2ème dynastie des Valois, contenant un tableau des moeurs de la Cour de France au 15ème siècle. J'espère que vous ne lirez pas, sans intérêt, cet ouvrage, qui aura 3 volumes in-8°. Je ne sais quand il sera vendu.
Je vous remercie de la brochure que vous m'avez envoyée. J'ai remarqué que les morceaux qui y sont consignés, sont beaucoup mieux soignés et traités qu'en 1828 ; et je vais entrer en quelques détails.
1) Les deux discours de mr Trémollières sont frappés au bon coin, et renferment des vers utiles, et je lui en fais mon compliment. J'ai toutefois peine à croire que l'on puisse fournir, pour 3 centimes, un demi litre de bon bouillon.
2) J'ai été très content du morceau de mr Bourgon. On voit toutefois qu'il prêche pour le gouvernement démocratique, car il attribue exclusivement aux patriciens, des torts qu'il eut pu reprocher avec plus de justice, aux plébéiens. La fin de ce discours est remarquable par un heureux rapprochement de la chute de notre empire et de celui des romains. Il auroit du ajouter toutefois, que l'empire de Rome tomba de vétusté, et que le nôtre, brillant de j... (papier déchiré), fut détruit par la sottise de son chef.
3) Le discours de votre pdt est du commun des martyrs.
4) Celui de mr Pereunès est bien écrit. Je n'ai pu toutefois m'empêcher de rire en le voyant mettre, au rang des écrivains distingués, mr Dusillet, dont je n'avois jamais entendu prononcer le nom. "Nul n'aura de l'esprit hors nous et nos amis."
5) La notice de mr Thomassin n'est pas mal écrite ; mais elle est un peu longue. Elle pourroit être réduite de moitié !
6) Les vers cités dans la brochure, sont assez passables, mais peu sortent du genre médiocre. "Il n'est point de degré du médiocre au pire."
Les Conseils donnés à un poëte par mr Trémollières, l'emportent de beaucoup sur ceux donnés par mr Viancin.
7) mr de Villette est un jeune homme qui donne de grandes espérances. S'il peut réfréner son imagination un peu trop fougueuse, et renoncer à produite des effets par un style ambitieux, on peut dire qu'il ira loin. Son antagoniste marche derrière lui, et a eu besoin d'indulgence pour obtenir une médaille.
Le papier finit ; je finis aussi en vous embrassant de coeur.
Votre vieil ami.
de Bourniseaux
37 - Thouars, le 7 avril 1830
Mon cher Guillaume,
J'ai bien reçu votre lettre du 28 février.
Je vous remercie de la jolie chanson que vous m'avez envoyée ; nos dames l'ont apprise par coeur et la chantent fort souvent ; elles m'ont chargé de vous en remercier. Elle m'a rappellé la suspension jocose de Scarron, et son pourpoint percé par le coude, ne vaut pas mieux que vos bas jaunes troués ; vous l'avez du moins égalé !
Mon libraire m'a bien parlé de faire une 2ème édition, mais je ne sais s'il y travaille ; notre correspondance n'est pas très active, et je crains que nous n'ayons ensemble quelque discussion par rapport à l'argent qu'il doit me donner.
Voilà pourquoi je ne puis vous être d'aucune utilité auprès de lui. On peut dire que je ne le connais pas. Mr Rosier avec qui j'avois traité, a cédé son marché au sr Moreau son gendre et s'est retiré des affaires. Le gendre consent à me laisser volontiers le chétif honneur que je puis retirer de l'histoire de Louis 16, mais je crains qu'il ne veuille s'en attirer tout le profit, ce qui ne seroit pas juste et ce qui deviendroit contraire aux dispositions du sous seing que j'ai fait avec son beau-père. "Mais sans argent l'honneur n'est qu'une maladie."
Vous ferez bien d'employer le maintien de votre neveu, officier à Vincennes, et de lui envoyer votre manuscrit. Comme vous n'exigez aucun argent, et qu'il y aura peu de mise en dehors, vous ne manquerez pas de le placer avantageusement, il suffit que ce manuscrit soit un recueil de mélanges historiques pour exciter la vogue ; l'histoire est un pain quotidien dont on ne peut se passer en littérature.
A propos d'histoire, je ne sais quand s'imprimera l'histoire de la dynastie des Valois. J'imagine que vous la lirez avec plaisir, car on peut dire que si elle ne vaut pas mieux que celles qui ont paru, elle ne leur ressemble en aucune manière, ayant été travaillée sur un tout autre plan.
La Harpe a dit que nous n'avions pas encore une histoire de France, voilà ce qui m'a engagé à mettre la main à la pâte. Dans mon opinion, une histoire ne vaut rien, quand elle se borne à raconter des faits, et quand l'historien marche trop lourdement, avec un paquet de dates à la main ; il faut que son style plaise, ait de la chaleur, de la vigueur, un ... (reliure) divin ; il faut que des réflexions vives et sages, découvrent et mettent au jour les crimes, les vices et les fautes des acteurs, en ayant soin de ramener toujours son lecteur à la religion, à la saine morale, à la vertu. Il faut que l'ouvrage soit entremêlé d'anecdotes, et même parfois de courtes digressions ; il faut non seulement amuser le lecteur, mais encore l'instruire et lui faire voir, comme dans un tableau magique, comment un état peut éviter de grandes calamités et comment un peuple peut être mis à couvert des fautes de ses chefs ...
Je regarde les grands historiens, comme les vrais instituteurs des rois et des nations ; je suis persuadé que Tacite a rendu plus de services à l'humanité, par ses écrits historiques, que tous les moralistes philosophiques tant anciens que modernes, ... (reliure) jamais fait de bien s'il n'y a plus aujourd'hui de Tibère, de Néron, de Séjaus, de Sporus ... c'est à lui que nous le devons. Son burin incorruptible a imprimé au ... (reliure) une tache inéfaçable qui doit dégoûter les imitateurs et les scélérats.
J'ai voulu imiter ce grand homme ; mais mon génie est si fort au dessous du sien, que j'en suis moins l'érudit (?) que le singe ...
Il y a longtemps que la 2ème partie du Charlatanisme philosophique est prête à imprimer ; elle formera aux moins 5 gros volumes in-8° ; vous y verrez nos philosophes de tout âge fort maltraités, et surtout le fameux Voltaire dont l'ignorance vous sautera aux yeux, autant que sa mauvaise foi. Vous me blâmez de ne pas la faire imprimer, sans considérer que cela n'est pas ma faute.
Les ouvrages impies ne manquent pas de prôneurs et de souscripteurs, mais si vous défendez la religion, les bonnes moeurs et le bon sens, vous ne recueillez qu'un froid intérêt, une admiration stérile. Point de prôneurs, peu de souscripteurs, encore moins de protecteurs ; on croit avoir beaucoup fait quand on a daigné vous lire. L'envie, celle même des gens de bien, s'attache à votre ouvrage, et si l'on n'avait compté sur d'autres récompenses que sur celles qui viennent de la terre, on peut dire que l'on auroit perdu son temps et son huile. ...
Je lirai avec beaucoup d'intérêt vos observations sur la littérature, mais je crains bien que vos conseils ne soient pas entendus de nos jeunes poëtes écervelés. Un de vos compatriotes vient de composer Hernani, pièce monstrueuse que la cabale a fait applaudir par de jeunes fous qui ont la prétention d'enfoncer Racine. Ils enfonceront bientôt Virgile, Horace et tous nos bons auteurs. Voilà l'anarchie qui va régner sur la république littéraire, nous ramener par degrés la barbarie du 10ème siècle. Plaise à Dieu que leur folie se borne là et qu'elle nous laisse notre religion, notre roi, notre innocence ! Nous préférons tous ces biens aux lumières infernales auxquelles, ces bâtards de la philosophie prétendent nous initier ...
Quand vous m'écrirez, adressez vos lettres à Mr de Bourniseaux, à Thouars, dpt des 2 Sèvres. Ce changement provient d'une nouvelle mesure prise pour la distribution des lettres.
Adieu, mon ami, je vous embrasse de coeur.
Tout à vous,
de Bourniseaux.
38 - Bourniseaux, le 21 juin 1830
Mon cher Guillaume,
J'ai reçu votre lettre du dix de ce mois.
Vous me demandez un nouvel exemplaire de mon histoire de Louis 16. Pour vous en donner, il faudroit que j'en aurois moi même, et je puis vous assurer que, depuis la 2ème édition, je n'ai reçu de Paris aucun exemplaire. Ainsi je suis dans la position où vous êtes, et ne sais pas mieux que vous quelles corrections, quelles augmentations ont été faites à la 1ère édition.
Vous ne connoissez pas, mon ami, quels hommes sont mrs les libraires, et je vous en félicite. Le mien, à chaque nouvelle édition, devoit me donner 20 exemplaire et une assés forte somme d'argent. J'ai reçu ceux de la 1ère édition, et pas un sou en sus. J'attends patiemment le moment du libraire, mais je crains d'attendre bien longtemps, et que le tout ne se termine par une mystification.
J'ai, à la vérité, un sousseing, sur papier marqué ; mais pour le faire valoir, il faudroit le faire enregistrer, faire assigner mon homme, prendre un avocat, et procéder à Paris ; cette seule idée me fait frémir ; attendons donc patiemment jusqu'à la fin.
Mon histoire des Valois est prête depuis longtemps, mais il y a loin de Paris à Bourniseaux, et le marché ne peut s'en faire que par circonstance.
Votre éloge funèbre de grognard nous a fort amusés. Il y a, dans cette bluette, de la facilité, et ce qui en fait le principal mérite, le refrein y est toujours bien amené. Vous pourriez faire imprimer ces morceaux dans vos tablettes Francomtoises ou dans quelque almanack des muses ; je pense qu'il ne manqueroit pas de lecteurs.
Du 26 juin
J'arrive à l'instant de Bressuire, où nous avons élu un député. Il a passé à la majorité de 225 voix contre 131. Il n'a pas eu la mienne, car je n'aime pas ceux qui ont v... (reliure) l'adresse et insulté S.M. jusque sur son trône. Mon âme à Dieu, mon coeur au roi, et je ne changerai jamais.
Adieu, mon ami, je vous salue et vous embrasse de coeur.
Votre ami bien dévoué,
de Bourniseaux.
P.S. : Ma femme se rappelle à votre souvenir.
39 - Bourniseaux, le 18 septembre 1830
Mon cher Guillaume,
J'ai reçu votre opuscule ; je l'ai lu avec beaucoup de plaisir. Vous défendez la bonne cause en combattant le romantisme, mais il me semble que vous usez de trop de modération, et que les ennemis de Racine, que des fous ont la prétention d'enfoncer, sont traités, dans votre discours, avec trop de ménagements.
Il n'est que trop vrai que la barbarie du 18ème siècle a fait irruption dans notre littérature, et que nous rétrogradons vers les temps d'ignorance. Notre savoir en astronomie, en physique, en médecine et en beaucoup d'autres parties, n'est autre chose qu'une ignorance acquise, et nous ressemblons à l'âne de la Dunciade, depuis que le matérialisme et l'orgueil nous ont attaché les ailes à l'envers. Les romantiques ne sont autre chose que des fous qui veulent régenter des sages ; il faut se borner à leur faire prendre de l'hellébore.
Vous dites, page 4, que l'expérience a dégoûté des livres irréligieux et obscènes ; plut au Ciel que vous eussiez dit la vérité ! Mais il n'est trop vrai qu'il n'en est rien ; que ces mauvais livres se distribuent jusque dans les campagnes, ou souvent on les donne pour rien. Ils ne peuvent y porter que des fruits de morts ...
Au reste, mon ami, votre ouvrage ne peut que vous faire honneur, dans l'esprit des gens sensés. Votre voix ne sera pas perdue quoique vous criez dans le désert. Vous y trouverez des échos qui répéteront vos sages maximes à des gens qui vous en loueront.
Mon libraire ne m'a rien fait passer, ni livres ni argent ; sa conduite me paroît inexplicables.
Cordier vous remercie de l'exemplaire que vous lui avez fait passer. Il vient d'être nommé maire à Thouars.
La Vendée est toujours tranquille, ce qui est bien constant pour ceux qui aiment la paix.
Adieu, Mon ami, je vous salue et vous embrasse de coeur.
Tout à vous,
Votre vieil ami.
de Bourniseaux.
40 - Bourniseaux, le 18 janvier 1831
Mon cher Guillaume,
J'ai reçu votre lettre du 28 Xbre dernier. J'étois allé à Niort, au jury, d'où je ne suis revenu que le 12 de ce mois, horriblement fatigué. Ce n'est plus à notre âge qu'il est agréable de voyager ; notre rôle, en hiver, c'est de tenir le coin du feu !
Je suis bien sensible à vos souhaits de bonne année, et je vous prie de croire que les miens n'ont ni moins de sincédité ni moins d'étendue. Au nombre de ces souhaits, il en est un auquel j'attache un grand prix, puissions-nous nous revoir un jour dans un monde plus heureux, revêtus de l'éternelle jeunesse, et certains d'un bonheur inaltérable !
Voilà le voeu qui convient surtout à notre âge, et dans la triste position où nous sommes aujourd'hui. Quel plaisir de vieillir sur la terre, exposés aux railleries d'une jeunesse indisciplinée, et aux injures d'une canaille irréligieuse ! Vous n'ignorez pas les noms que l'on donne aux vieux, et le mépris que l'on prodigue à la vieillesse.
nomenclature :
de 10 ans à 20 ans : Conseil de la France
de 20 ans à 30 : la France
de 30 ans à 40 : perruque
de 40 à 50 : ganache
de 50 à 60 : momie
au dessus de 60 : cadavre.
C'est donc un cadavre qui écrit à un autre cadavre, quels beaux noms donnés aux vieillards, par cette jeunesse si vantée par défunt Benjamin Constant ! Où veut-on nous conduire ? Est-il vrai qu'il existe, en europe, une ... (reliure) qui veut réduire la population de 2730 âmes ? Quelle pitié, voir la queue mener la tête !
Notre Vendée commence à éprouver des troubles dont les suites peuvent être très funestes. Quelques mauvais sujets sont à la tête de diverses bandes qui se recrutent dans les conscrits réfractaires. Ils ne volent ni assassinent, mais ils troublent l'ordre et font trembler les propriétaires vendéens qui maudissent la guerre et ne veulent pas de soulèvement. Espérons que ces troubles n'auront pas de suites sérieuses.
Mon fils est toujours capitaine de chasseurs à Amiens, il se porte bien, mais je crains pour lui la fatigue ; "Bella patribus detestata".
Je prends bien part à vos peines ; mais, comme vous le dites, un bon chrétien doit se résigner ...
Vous me dites que vos croix de mission sont respectées chez vous ; ici personne n'est tenté de les insulter ; elles y sont aussi honorées qu'avant la révolution de juillet ; personne ne crie : aux jésuites !
Vous me demandez si je continue mes travaux littéraires, non certes ; dans une si grande tourmente, je ne puis garder mon sang froid, et l'homme le plus étonnant pour moi, c'est Archimède s'occupant à résoudre des problèmes au moment du pillage de Syracuse.
Mon libraire a toujours la même conduite envers moi ; non seulement, il ne me paie pas, mais encore, il ne m'a pas fait passer un seul exemplaire de la 2ème édition. Je vous laisse le soin de qualifier une pareille conduite.
Je me rappelle toujours, avec plaisir, de mr Véjux. Je vous prie de me rappeler à son souvenir et de lui dire que nous ne l'oublions point.
Notre ami Cordier est juge de paix de Thouars et exerce les fonctions de maire. Il y a une nuance très forte de son opinion à la mienne. Voici plus de quatre mois que je ne l'ai vu.
Adieu, Mon cher Guillaume, croyez toujours que je vous compte au nombre de mes meilleurs amis.
Vale et me ama.
Votre vieil ami,
de Bourniseaux.
P.S. : Ma femme se rappelle à votre souvenir. Nous parlons souvent ensemble du temps ou nous vous avons vu, ainsi que tant d'autres bons Francomtois. Rappellez-vous la ronde que nous dansâmes en apprenant la mort de Robespierre. Que nous étions lestes alors ; mais, à présent, comme dit mr Denys, c'est bien différent.
41 - Bourniseaux, le 21 juin 1831
Mon cher Guillaume,
Je vous remercie de l'intérêt que vous prenez à ma situation quoique mon sort soit plus supportable que celui de l'empereur guatimozin, je puis dire, comme lui, que je ne dors pas sur des roses.
Notre Vendée n'est rien moins que soulevée, quoiqu'on ait paru chercher, par des mesures acerbes, à pousser sa patience à bout. Tous les propriétaires usent de leur influence pour prévenir une guerre qui causeroit leur ruine et peut-être celle de la France entière.
Dans ma paroisse, il y a une garnison de 59 hommes du 1er régiment. Il a fallu fournir lits, couvertures, draps et tout ce qui s'ensuit. Nous n'avons point à nous plaindre jusqu'à présent de ces militaires qui observent assez exactement la discipline ... Le fait est qu'il n'y a de révolté dans la Vendée, que des conscrits réfractaires qui déclarent être prêts à se rendre si on veut leur donner un congé absolu. Il sera difficile de leur accorder ce point. Dans la Vendée proprement dite, il n'y a pas plus de 800 de conscrits réfractaires. Ces hommes ne cherchent qu'à se cacher et ne se battent que quand ils y sont forcés. Très souvent ils voient passer des détachements qu'il leur seroit facile d'abattre, car presque tous tirent parfaitement, mais ils les laissent passer sans leur faire aucun mal ; aussi peut-on dire que cette petite guerre se fait de par et d'autre sans acharnement. Les officiers civils ont, dans la tête, plus d'incandescence que les militaires. Il seroit possible que quelques uns de ces messieurs désirassent la guerre, par les mêmes motifs qui engagèrent tant d'hommes en 1794 à la continuer. Rappelez vous de l'époque où nous avons vécu ensemble à Thouars ; au reste, je ne veux ici accuser personne tant qu'il n'y aura, dans la Vendée, que des soulèvements partiels, je tiendrai ferme, mais si, à Dieu ne plaise, l'explosion devenoit générale, je me verrois forcé de déguerpir. Le plus grand danger que nous puissions courir, c'est de voir marcher, sur la Vendée, les gardes nationales rurales, car il y a, depuis plus de 3 siècles, une antipathie fortement prononcée entre les bigots et les gatineaux, et ce seroit une guerre à mort. Bellum internecimun.
La position d'un propriétaire est bien déplorable dans une pareille circonstance ; car, en fuyant, il ne peut emporter ni sa maison ni son mobilier ; il faut qu'il périsse ou qu'il soit ruiné.
Plaignez moi, mon ami ; je mets tout mon espoir en la divine Providence qui a bien voulu me sauver dans les précédentes guerres ; que sa sainte volonté soit faite ! "Si deus est pronobis quis contra."
J'ai lu, avec plaisir, votre chanson, et nous en avons bien ri. Elle est bonne, et le sens en est excellent. J'imagine que vous pourrez, dans une nouvelle édition, y ajouter un couplet.
Vous êtes heureux de conserver votre gaité et votre liberté d'esprit. Dans notre pays, nous sommes tristes, et le mouvement révolutionnaire qui donne la fièvre à toute la France nous a cassé à tous le sifflet. Espérons que notre patrie sera sage et qu'elle empêchera le génie révolutionnaire de descendre jusqu'au dernier échelon !
Tels sont mes voeux, mon ami ; j'imagine que tels sont les vôtres et ceux de tous les bons François.
Vale et me ama.
de Bourniseaux.
P.S. : On a permis, pendant un temps, aux militaires, de boire et de manger chez le paysan sans rien payer. Ce règlement a été abrogé fort heureusement ; car sans cela il y auroit eu un soulèvement général. On assure même qu'un magistrat a été destitué pour avoir toléré cette mesure acerbe.
42 - Bourniseaux, le 21 novembre 1831
Mon cher Guillaume,
J'ai reçu votre lettre et votre volume ; recevez en mes remerciements.
J'ai trouvé vos vers très bons ; ce sont les meilleurs que j'ai reçus de vous, et je vous en fais mon compliment bien sincère.
J'ai lu les divers morceaux qui forment le volume en question, et je vous en dirai mon avis franchement, sous la condition que vous ne ferez lire cette lettre à personne.
1) Le discours du pdt est un tas de lieux communs. Les 3 premières strophes de son ode sont bonnes, le reste est médiocre. l'auteur y parle avec respect de la religion, mais le sentiment en lui me devient suspect et je n'ai pas besoin de vous en dire la raison.
2) Le rapport de mr Génisset est bien écrit, mais il prodigue trop la louange. Ce qui rend le morceau très face. Ce qu'il dit de Grégoire est faux et déplacé. Cet homme, comme apostat et comme régicide, ne mérite que l'exécration ; comme écrivain il est au rang des plus médiocres, pourquoi mentir à la postérité pour partager le blâme universel dont il est couvert. Cet éloge ridicule m'a indigné et m'a rappellé ce beau passage de Tacite : "Inimicorum pessimum genus laudantes."
3) Le morceau de mr Le Clerc sur le paradoxe de Rousseau, est lui-même un tissu de paradoxes basé sur une idée fausse ; car il n'est pas vrai que ce soit bien raisonner, en logique, que de conclure du particulier au général. Le style est obscène et entortillé et l'on peut dire que l'auteur ne prouve rien de ce qu'il cherche à prouver.
4) Le coup d'oeil sur le moyen âge est bien donné, et fait honneur à mr Bourgon ; c'est le meilleur morceau du recueil.
5) L'épitre dee mr Trémollières se fait lire avec plaisir, elle est claire, simple et les vers n'en sont pas mauvais ; c'est le meilleur poëte de votre académie.
6) Le remerciement de mr Bailly est ce qu'il doit être, et ... (reliure) du talent.
7) Vos notes sur le siège de Besançon sont instructives et intéressantes. Je regrette que vous n'ayez pas suivi mon conseil, et n'ayez pas écrit l'histoire de votre ville natale.
8) Le discours de mr Pérennès est marqué au bon coin ; c'est un de vos membres les plus distingués.
8) La pièce lyrique qui suit n'est pas sans mérite ; il y a de bonnes idées et même parfois de bons vers.
9) Le rapport de mr Pérennès est un bon morceau, et confirme les éloges que je lui ai donnés.
10) Le rapport de mr ... (?) sur la traduction de Kant, est un morceau obscur, péniblement écrit et qui n'explique rien de ce qu'il veut expliquer. Je regarde ce fou de Kant comme le Diderot de l'Allemagne, et je prédirois hardiment qu'avant 50 ans, on ne parlera de lui et de ses livres que pour s'en moquer. Ne faut-il pas être insensé pour avancer cette maxime absurde : "que nos devoirs envers Dieu, ne sont que des devoirs envers nous-mêmes et rien de plus".
11) La notice de mr Béchet est bien écrite et fait honneur à mr Weiss.
12) Le second coup d'oeil sur le moyen âge est digne du premier, dont je vous ai fait l'éloge. Il ne faut pas se répéter.
13) Le morceau sur le voyage de Grenade est très agréable à la lecture, j'en ai été très content.
14) L'épitre de mr de St-Marc annonce de la facilité et quelque talent.
Vous voyez, Mon ami, que je vous ai tenu parole, et que j'ai prononcé un jugement d'autant plus ridicule que je j... (reliure) des gens plus habiles que moi ; mais il a fallu vous contenter, au risque de jouer le rôle de Midas !
Toute ma famille est en bonne santé et vous salue. Mon fils est auprès de Valenciennes, en qualité de capitaine commandant de chasseurs.
Notre Vendée seroit assez tranquille sans les bandes qui l'infestent, et les visites de leurs adversaires ; il n'est pas facile de se trouver heureux entre des chiens qui se battent.
Je ne m'occupe plus à écrire ; je lis et fais des notes dont je me servirai peut-être dans des temps plus paisibles. Croiriez-vous que je n'ai pas encore reçu un exemplaire de la 2ème édition de mon ouvrage ? ...
Adieu, portez-vous bien.
Vale et me ama.
de Bourniseaux.
43 - Bourniseaux, le 14 mai 1832
Mon cher Guillaume,
J'ai reçu votre procès verbal et votre lettre du 24 mai ; je vous remercie de l'un et de l'autre.
J'ai lu, avec beaucoup d'attention, les divers articles littéraires, à l'exception de la jolie pièce de mr Trémollières, je n'y ai rien trouvée de louable ni même de passable. On dirait que vos messieurs ont pris les ailes à l'envers de l'âne de la dunciade. Entrons dans le détail.
1) La description de l'isle de St Domingue est plus poëtique que littéraire, ce qui est un grand défaut. mr du Paty est le créateur de ce genre bâtard, et n'a eu que trop d'imitateurs. Ce n'est pas ainsi que Regnard nous a donné la description de la Laponie. Dans son siècle, on étoit persuadé qu'une prose cadencée est ridicule dans tout ce qui appartient à l'histoire. j'avoue que mr Bailly a fait de belles phrases ...
2) Votre louangeur sempiternel, mr Génisset, ne peut faire un pas sans tomber dans l'ornière de l'adulation. Il ne sent pas tout le ridicule qu'il y a d'élever sur le pinacle des êtres très médiocres, et que personne ne connaît hors de la Franche-Comté. "Nul n'aura de l'esprit hors nous et nos amis."
Si Arius, Valentin, Manès, et les plus fameux hérésiarques des siècles passés existoient encore, je ne doute pas que votre secrétaire les loueroit effrontément. Il feroit certainement mieux que d'accabler d'éloges un prêtre apostat, régicide, dont je dirois plus de mal s'il n'était devant son juge. En qualité d'homme de lettres, le prêtre a toujours été au rang des marmitons littéraires, et cependant on le vante comme s'il eut été au rang des Fénelon et des Bossuet. "Morbleu ! vil complaisant vous louez des sottises."
3) mr Bourgon écrit bien, mais on voit qu'il n'a ni dieu ni le roi dans le coeur. Son éloge de la révolution de 1789 qui nous a conduit à de si belles choses, nous fait voir d'abord qu'il a l'esprit fêlé et qu'il est fou de la folie commune. En général votre académie me paraît entachée du virus philosophique et si je vais jamais à Besançon, je mettrai sur le frontispice de son hôtel : "digitus dei non est hîc."
4) Le budget de mr Trémollières est un joli morceau. Je vous ai dit que c'est le membre le plus distingué de votre corps académique.
5) La description de la Vieille Castille a le même défaut que celle de St Domingue. Il y a des passages que l'on pourroit placer dans un poëme épique. L'épisode du majoral et du moine est gentil et très bien raconté.
Quelque sévère que soit ma critique, j'ai lu, avec plaisir, tous les morceaux dont je viens de vous parler, à l'exception de l'éloge de Grégoire qui m'a fait éprouver des nausées. Je suis surpris qu'un pareil morceau ait pu être adopté pour une lecture publique ; sa lecture ne convenoit que dans un club. ...
Vous me parlez du choléra ; il a envahi notre département, et il en est sorti. Personne ne le craint, parce que l'on a confiance en Dieu et que l'on a pour maxime : "Vouloir ce que Dieu veut est l'unique science qui nous met en repos."
Vous me parlez de la Vendée. On ne peut ici user de trop de circonspections, à cause de la liberté de la presse. Qu'il vous suffise de savoir que le canton que j'habite est paisible. Il le sera tant que Bressuire sera occupé militairement. Mais si une fois, vous apprenez que le poste est évacué, gare les chouans et leurs antagonistes, je me trouverai placé au milieu des combattants ; tremblez ... (reliure) pour votre ami.
Jusqu'à ce jour j'ai été exposé à bien des vexations ; on a fouillé ma maison 4 fois dans 10 jours, avec un grand appareil militaire. Pendant 2 mois, j'ai eu des mouchards qui venoient jour et nuit écouter à mes portes et à mes fenêtres, mais je compte tout cela pour rien. ... Thouars est paisible. Notre ami Cordier est très malade d'une rétention d'urine ; sa tête exaltée lui a fait bien des ennemis. Depuis longtemps je ne le vois plus.
Ma femme, dont la santé est très faible, se tient, depuis 2 mois dans le pays de Loudun. Elle a voulu échapper aux vexations auxquelles ma maison a été en proie.
Adieu, Mon cher Guillaume, je vous salue et vous embrasse de coeur.
Votre vieil et sincère ami,
de Bourniseaux.
P.S. : Je salue mr Véjux et me rappelle toujours de lui. Le chien qu'il m'a laissé vit encore.
44 - Thouars, le 25 octobre 1832
Mon cher Guillaume,
J'ai reçu, avec votre lettre, le procès verbal de votre séance publique du 24 août dernier, sur lequel vous me demandez mon avis. Je vous le dirai franchement persuadé que vous ne ferez lire ma lettre à personne.
Je vous dirai d'abord que j'ai été beaucoup plus content des pièces contenues dans cette brochure, que dans celle qui l'a précédée. Il me semble que votre académie fait des progrès dans la carrière du bon goût. Entrons ici dans le détail.
1) Mr Génisset a eu raison de louer mde Suard, et, en la louant, il se trouvoit sur son terrain, car il n'aime que trop à louer, et souvent ses éloges prodigués à la médiocrité prêtent le flanc au ridicule, et rappellent un certain vers de Boileau que je vous laisse à deviner.
2) La pièce de vers qui suit n'est pas mauvaise. Ces vers offrent du bon sens et une certaine correction, mais leur auteur n'a jamais su s'élever au dessus de la médiocrité, et vous connoissez l'arrêt prononcé par le grand Prévôt du Parnasse : "il n'est point de degré du médiocre au pire."
3) Le voyage de Valence m'a fait le plus grand plaisir ; l'auteur s'est à peu près défait de ce style brillanté et presque épique qui ne convient nullement au récit d'un voyage. Je lui en fais mon sincère compliment.
4) Le rapport de mr Pérennès est fort bien fait. Je suis surpris que votre académie n'ait pas décerné le prix à mselle Héloïse, il faut qu'elle soit bien difficile, car les vers que l'on donne pour échantillon, sont excellents et annoncent un talent très distingué. Il faut croire que le reste de l'ouvrage n'étoit pas écrit avec la même veine, autrement vous auriez commis une injustice, d'autant plus que, dans un ouvrage de ce genre, c'est moins le plan que l'on considère, que la facture des vers. Les 14 ans de mselle Héloïse lui font tort, il est difficile de ne pas croire au concours d'un compère, ou du moins d'un teinturier.
4) Le rapport de mr Bourgon est vicieux en plusieurs endroits. 1° il ne veut pas que l'historien cite les sources où il a puisé, et appelle les citation un ... (illisible) d'érudits, une véritable superfétation. On peut dire que le jugement porte à faux. En effet un historien ne peut mettre en avant un fait de quelque importance sans citer son auteur ; autrement il tombera dans le défaut de Voltaire, dont les histoires sont de vrais romans. 2° Il paroît (page 46) louer l'auteur (du n° 2) de ce que son histoire est entièrement locale, ce qui est un grand défaut. Il est vrai que dans la même page, il rétracte son éloge, ce qui le fait tomber en une évidente contradiction. 3° Je ne savois pas que MMr Guizot et Thierre tenoient le premier rang parmi les historiens modernes. Je puis dire avec raison, que j'en apprends la première nouvelle. "Nul n'aura de l'esprit hors nous et nos amis". (Molière)
5) Mr Cuvier étoit un savant estimable, mais mr Génisset l'élève beaucoup trop haut. Il joue le rôle de ce Cordelier qui, dans un sermon, mettoit le fondateur de son ordre au dessus de tous les anges et des archanges ...
6) J'ai lu, avec le plus grand intérêt, les vers de mr Trémolières qui est le coq de votre académie. Il défend, avec esprit, le bon goût et la saine littérature. Il a une bonne cause au moins, et la fait valoir en avocat habile.
7) Le morceau le plus intéressant de votre recueil, est la dissertation de mr Bailly sur la mendicité. Je l'ai lue avec d'autant plus d'intérêt, que j'ai écrit un morceau semblable sur le même sujet, il y a 25 ans. Le morceau n'a point été imprimé. Nous nous sommes souvent rencontrés dans les mêmes idées, mais il en est une qui lui a échappé. Dans mon ouvrage, je propose, d'après une loi de Constantin de faire adopter par l'état, tous les garçons bâtards, de les élever militairement, et d'en faire des remplaçants qui trouveroient, en se vendant à de riches conscrits, un état honorable, et une ressource pour leur vieillesse. Vous sentez parfaitement que ce n'est pas dans ma lettre que je puis développer mon idée ; il me suffit que vous puissiez la saisir. Quant aux filles, j'en ferois des cuisinières et des servantes de peine, car nous sommes dans un siècle où l'on a mille peines à trouver des filles de ce genre, et l'on peut dire que la domesticité est perdue en France.
Vous voulez à présent que je vous parle de moi ; il faut vous satisfaire. Je demeure à présent à Thouars ; j'ai été forcé de quitter mon château de Bourniseaux, où je vivais heureux au sein des sciences et des livres. Froissé par les deux partis, j'étois dans la position d'un homme qui se trouve entre des chiens qui se battent. Il a fallu déguerpir, sous peine d'être emprisonné par les uns, ou assommé par les autres. Il n'y avoit pas de milieu à prendre. J'ai donc changé d'état, me voilà devenu un bourgeois fainéant, occupé à boire et à manger et à humer l'air. " ...
Je ne sais combien durera mon exil. Me voici dans un âge où l'on doit avoir des idées creuses et songer au grand voyage. C'est, dans une autre patrie, que l'on doit chercher le vrai bonheur dont nous n'avons ici qu'une fausse image. Je me crois donc bien fondé à vous adresser ici les adieux de Louis XVI à Malesherbes : "Adieu, Mon ami, nous nous reverrons peut-être dans un monde plus heureux."
Je vous salue et vous embrasse de coeur.
Votre vieil ami,
de Bourniseaux.
P.S. : Toute ma famille se rappelle à votre souvenir.
45 - Thouars, le 20 mai 1833
Mon cher Guillaume,
J'ai reçu votre lettre et le volume dont vous voulez bien me faire présent. Vous me donnez votre avis sur les pièces qu'il contient et vous me demandez le mien.
Je pense que vous avez fort bien jugé, et mon avis diffère peu du vôtre ; mais entrons en matière.
Il est certain que messieurs vos poëtes, ont seuls soutenu ici l'honneur de votre académie, et que sans eux, il n'y auroit, dans ce volume, que du pur galimattias. Je suis surpris qu'on lasse passer à la lecture de pareilles platitudes que n'avoueroient pas de bons écoliers de seconde. Je serois tenté de m'écrier avec Arlequin : "Je vieillis tous les jours et le monde s'abêtit." ; mais procédons par ordre.
1) Le discours de votre président, n'est point celui d'un pédant, comme vous le dites, mais bien celui d'un apprenti philosophe qui a mal digéré les sottises de ses maîtres, et qui les répète en les travestissant. Le néologisme, l'obscurantisme, le galimattias double et simple, l'impiété, l'athéisme plus ou moins déguisé, sont les assenaux où ils prennent tous armes, pour renverser le trône, l'autel et le bon sens des peuples ; depuis Pythagore jusqu'à Diderot, ils n'ont point eu d'autre licence pour s'ériger en docteurs des nations. C'est surtout à la religion qu'ils en veulent ; "... et leur impiété voudroit anéantir le Dieu qu'ils ont quitté."
Avec de pareils recteurs, la France va fourmiller de Diogènes et de Briarées, et quoique, dans plusieurs collèges, on ait soin de replâtrer le déisme d'un apparent religieux, il est certain qu'il est aujourd'hui démontré que l'université, née de la philosophie, ne peut rien produire de bon, par la raison qu'Horace a donnée depuis plus de 18 siècles. ...
2) Il faut en dire autant de la notice de mr Paraudier qui explique "obscurum per obscurius". Quand finira cette manie de chercher à sonder les secrets du Créateur ; apprends donc avant, philosophe insensé, à te connoître toi-même, et à te convaincre que ton esprit borné ne sauroit expliquer la formation d'un brin d'herbe. ...
3) Mr votre secrétaire va, depuis 1830, decrescendo. C'est vraiment dommage, car il avoit du talent. Il a besoin de s'attacher à de bons livres et à de bonnes doctrines, pour recouvrer ce style de vie que l'on perd dès que l'on entre dans les sentiers du matérialisme.
J'ai dit dans mon dernier ouvrage, que la philosophie est une harpie, qui salissoit, de son ordure, tout ce qu'elle touchoit, et qui touchoit à tout. Votre académie n'a pas été à l'abri de ses atteintes, et vous en voyez les tristes effets. ...
4) J'ai eu beaucoup de peine à lire jusqu'au bout la dissertation sur la perfectibilité. Il me sembloit tenir en main l'interprétation de la nature par Diderot, ou quelque autre traité ejusdem farinae. ...
Revenons à vos deux poëtes qui sont l'honneur de votre académie ; car, depuis la mort de mr Bailly, vous n'avez plus que des prosateurs médiocres ; j'ai été enchanté des vers et du bon goût de mr Trémollière. Il ne lui manque qu'un peu plus de verve et de choix dans l'expression pour en faire un très bon poëte. ...
Quant à mr Viancin, on peut dire qu'il s'est surpassé lui-même. Voilà le meilleur morceau qu'il ait jamais fait imprimer dans vos mémoires. Parlons de vous à présent.
J'ai beaucoup ri de vos vers romantiques. Il suffit, pour tourner ce genre en ridicule, de le mettre en avant ; sa laideur saute d'abord aux yeux. C'est encore à la philosophie que nous devons cet avorton. Si l'on fait des vers dans le tartare, j'imagine que c'est un pareil genre qui doit y être en vogue, puisque c'est le propre des monstres.
Vous voulez que je vous parle de moi ; c'est aborder un triste sujet.
Je suis toujours dans la même position, c'est-à-dire exilé de mon château, privé de mes livres et de mes occupations littéraires. La Vendée a toujours le même aspect, et je ne sais quand et comment tout cela finira. Il n'y a que Dieu seul qui puisse mettre un terme à nos maux. ...
Le Charlatanisme philosophique est, depuis 10 ans, prêt à paroître ; la 2ème partie formera au moins 5 volumes in-8° ; l'espion napolitain en formera 3, l'histoire des rois de France de la 2ème dynastie des Valois, autant. En un mot, j'ai encore la valeur de 17 volumes à faire imprimer ; mais quel triste siècle pour prêcher la vérité ; est-ce au moment où le jacobinisme qui ne veut plus de Dieu, de rois, de prêtres, de propriétaires, est sur le point de triompher, qu'il faut braver ses poignards et ses guillotines pour montrer sa nudité aux nations ...
Ma femme et ma soeur vous adressent mille compliments. Le papier finit, je n'ai que le temps de vous embrasser, ex toto corde.
Votre vieil ami,
de Bourniseaux.
46 - Thouars, le 21 janvier 1834
Mon cher Guillaume,
J'ai reçu votre lettre, avec le rapport imprimé de votre séance publique du 24 août dernier ; je l'ai lu avec intérêt et je vous en remercie. Vous voulez que je vous en dise mon avis, je le ferai pour vous satisfaire, persuadé que vous seul lirez ma lettre.
1) Votre rapport sur l'éloge Cuvier ne mérite ni louange ni censure. J'y trouve cependant le héros de la fête beaucoup trop exalté. Vous ressemblez à ces moines qui ne savoient où placer leurs saints, tant ils les élevoient dans l'opinion de leurs auditeurs. Mr Cuvier est un savant très estimable, je l'avoue, mais il ne faut pas prendre un ton si élevé, ni mettre un zoologue au rang d'un Homère ou d'un Tacite. C'est à la haute poësie ou à l'histoire qu'il convient d'enseigner le genre humain ; la zoologie, objet de curiosité, ne déracinera jamais un vice, ni ne fera germer dans le coeur humain une seul vertu. Je suis ici de l'avis de Voltaire, qui, dans son docteur Akakia, se moque de Maupertuis, en disant : "Il disséqua quelques crapauds, fit le dessin des dissertations, et passa pour un grand homme."
2) L'épitre au curé est écrite dans un bon esprit ; mais les vers en sont froids et guindés, sans chaleur et sans vie ; il y a même des néologismes et des incorrections. Qu'est-ce qu'un esprit douteux, le mot n'est pas heureux, il y a des vers qui n'ont pas de césure, tels que celui-ci : "La prière ! Premier de tous les dons du Ciel." En laissant passer de pareilles fautes, votre académie se fait un tort réel aux yeux des gens sensés.
3) Je suis enchanté de la dissertation de mr Courvoisin. Voilà comme on écrivait avant la révolution. Le style y est clair, les expressions naturelles ; on n'y trouve point le pa... (illisible) ce clair obscur, et le galimatias simple ou double que tant de faux savans prennent aujourd'hui pour du génie, voilà un morceau qui vous fait vraiment honneur ; il n'en tombe pas souvent de pareils dans votre écuelle ; pour nous une bonne fortune, et je vous en félicite.
4) Je suis content des vers de mr Viancin et du bon ... (reliure) qui règne dans son ode ; mais, en attaquant les matérialistes (?), ces ennemis acharnés des sociétés et des moeurs, il a manqué d'énergie ; il s'est servi du pinceau de Gresset, quand il lui aurait fallu celui de Juvenal : "C'est tout sucre et tout miel."
5) Mr Trémollières soutient toujours son rang, celui de coq de votre société. Je ne puis que réitérer ici les compliments que je lui ai fait dans une autre lettre. Avec un peu plus de veine et de choix dans l'expression, il deviendra le Boileau de notre siècle.
6) Je n'approuve point le programme des pix offerts par votre société ; les sujets sont très mal choisis.
Il est certain que le séjour de l'empereur Barberousse en Franche-Comté n'a eu aucune espèce d'influence sur les sciences et sur les arts. ... (reliure) siècle étoit trop barbare où le sujet ne sera pas ... (reliure) ou il le sera mal ; dans tous les cas, ce sera votre faute.
Dans le second sujet, vous abandonnez la noble carrière des lettres, pour courir après le mercantilisme et parler d'aunes et d'étoffes. Laissez proposer de pareils sujets à la société d'émulation de Paris, et cherchez de plus poëtiques conceptions. Si j'eusse été l'un des vôtres, voici le sujet que j'aurois présenté : Tracer le tableau de l'influence qu'a eu, sur les habitants de la Franche-Comté, la conquête de cette province, sous Louis XIV, et son union avec la France.
7) Votre culte des rochers dans la Séquanie, m'a paru une mauvaise plaisanterie de mr Monnier. Il faudroit autre chose que de vieilles traditions, pour poser en fait que Baal, dieu des Syriens et des Babyloniens a été adoré dans vos montagnes ...
Vous voulez que je vous parle de moi ; c'est un triste sujet à traiter.
Je suis toujours à Thouars, en exil, loin de mes livres et de mes habitudes. L'état de notre Vendée ne s'améliore pas ; nos chouans, privés de chefs, commettent mille bassesses envers amis et ennemis. Nos vieux Vendéens en sont indignés, et rougissent de cette profanation de la gloire de leur pays. Ces désordres pourroient être aisément réprimés, mais il y a des gens qui tiennent à de gros appointements et à de grosses épaulettes. Nous n'avons point à nous plaindre de nos troupes de ligne, mais nous tremblons de voir venir de nouveaux gendarmes dirigés par des sous-officiers. Cette arme fait beaucoup de bruit, peu de besognes, et les visites sont souvent accompagnés de vexations et d'abus de plus d'une sorte. ...
Ma femme se frottoit les mains en lisant votre lettre. Elle se flattoit déjà de l'idée de vous voir à table avec nous ; soyez persuadé que ce sera pour nous un vrai jour de fête. Elle se plaint de ce que vous ne lui envoyez plus de vers, et vous demande si vous n'avez plus de bas jaunes à tricoter.
Vous me parlez de manuscrits ; hélas ! ils sont tout prêts à imprimer, et formeront au moins 12 vol in-8° ; mais le moment n'est pas favorable, attendu la liberté de la presse, la suite seule du Charlatanisme philosophique dévoilé, formera 5 gros volumes in-8°. Vous n'êtes pas le seul qui me pressiez d'imprimer, mais il faut attendre, de peur de se brouiller avec la justice du juste milieu et celle de l'irreligion. Les philosophes sont en guerre avec moi "et leur impiété voudroit anéantir le Dieu qu'ils ont quitté."
Le papier manque ; je finis en vous rendant les voeux de bonne année que vous m'offrez. Soyez heureux, mon ami ... C'est le plus beau souhait que je puisse vous faire ; car cette chétive vie n'est qu'une peine préparatoire qui nous conduit au drame de la vie véritable dans notre véritable patrie.
Vale et me ama.
Votre ami,
de Bourniseaux.
Toute ma famille vous adresse ses compliments ainsi qu'à tous les vôtres.
47 - Thouars, le 8 mai 1834
Mon cher Guillaume,
J'ai reçu votre lettre, mais non pas la brochure que vous m'annonciez qui contenoit le procès verbal de votre dernière séance académique. J'ai couru aussitôt chez le directeur de la poste, qui m'a dit qu'il n'avoit rien vu, ce qui me fait croire que cette brochure a été oubliée chez vous, et que, par distraction, vous l'avez gardée.
Je ne puis donc vous dire mon avis sur des morceaux que je n'ai pas lus ...
Il paroît que vous avez aussi de mauvaises têtes à Arbois qui vouloient créer une Vendée républicaine ; c'est une suite de l'exaltation de l'esprit philosophique qui ne veut "... que la philosophie a répandu de fleurs, d'agréments sur la vie !" (Palissot)
Vous plaisantez, avec esprit, ces énergumènes, mais, vous le dirais-je, je ne saurois rire des plaisanteries que l'on fait sur des malheureux, qui vont comparoître devant une cour d'assises. J'ai toujours devant les yeux, la fable de la perdrix et du lièvre : "Ne insultes miseris."
Notre Vendée est toujours dans le même état, mais le nombre de chouans diminue. Ils se vendent l'un l'autre à beaux deniers comptants. Il y en a quinze en prison à Bressuire, dont les deux tiers ont tué ou volé ! De pareils hommes déshonorent la Vendée, et font horreur aux anciens Vendéens. Il y a parmi eux des hommes de 40 à 50 ans, qui conséquemment ne sont pas des réfractaires, et qui volent sous le nom de chouans. Quand serons-nous débarassés de ces gueux-là ?
Me voilà toujours réfugié à Thouars, et je crois que j'y resterai longtemps. Je viens d'affermer ma terre de Bourniseaux. A notre âge, il faut éviter tous les embarras et encore plus tous les dangers. J'ai eu le malheur de perdre ma mère au mois de mars dernier. Elle étoit âgée de 93 ans, elle m'a laissé la maison dans laquelle j'ai eu le bonheur de vous recevoir, et dont je n'avois que la nue propriété. Me voilà occupé aux réparations qui ne sont pas minces et qui me coûtent beaucoup, entre autres les appartements que je fais arranger, je n'ai pas oublié la bibliothèque qui a une vue admirable, et qui sera charmante. Si votre projet se réalisoit, je vous le ferais voir un jour : ô que je serais heureux de vous promener et de nous rappeler notre vieux temps ! Nous y chanterions les couplets sur la fameuse déroute de Grignon, que nous improvisâmes tous deux dans le jardin.
Mes occupations littéraires ont entièrement cassé. Ma vue est affoiblie au point que je ne saurois tailler une plume. D'ailleurs, je ne saurois travailler qu'à la campagne et elle m'est interdite sous peine de mort puisque l'on tue et que l'on vole sans distinctions d'opinions ; un de mes amis, mr de Villejames, ancien garde du corps avant la révolution, est mort le 15 avril (? reliure) dernier, par suite des mauvais traitements qu'il a subis de la part d'une troupe de Brigands.
Ma soeur, qui se souvient de vous avoir vu à Thouars, se rappelle à votre souvenir. Rappelez-moi à celui de mr Véjux, s'il demeure encore à Besançon.
Quelques personnes me pressent de faire imprimer la 2ème partie du Charlatanisme philosophique dévoilé qui sera à peine contenue dans 5 volumes in-8° ; mais je pense que le moment n'est pas favorable ; il faut attendre un temps plus calme. Nous ne serons pas toujours dans le siècle des barricades et des coups de pavés. Il est vrai que l'âge vient, et qu'en attendant de meilleurs temps, nous pourrons disparoître de la scène du monde ; mais alors, nous entrerons dans notre véritable patrie. J'espère que malgré toute mon indignité, je trouverai grâce auprès de mon juge, de mon père et de mon rédempteur. Je me surprends souvent occupé à méditer cette grande idée, à désirer ce bienheureux moment. ...
En ce moment on vient m'interrompre, pour m'apporter votre séance de janvier, en m'assurant que l'on ne l'avoit reçue que ce matin. Je vais la lire et je vous en dirai mon avis.
1) J'ai été très content du discours de mr Courvoisier ; c'est un homme qui s'exprime clairement et en termes convenables. Sa manière de penser et de voir l'était des choses, lui fait honneur sous tous les rapports. C'est aujourd'hui le meilleur de vos prosateurs. Il est vrai qu'il a eu tort de louer Jean de Bry ; mais que voulez-vous lui reprocher ? Il a cédé à la contagion Bizantine ; car, chez vous, louer les plus minces auteurs, ad hoc et ad hoc est une manie, j'ai failli dire une fureur.
2) Mr votre secrétaire ne me paroît pas trop chrétien. Au lieu d'avouer de bonne foi que, sans la religion, il ne peut exister de morale, ce qui est aujourd'hui un axiome aux yeux des gens sensés ; il tourne autour du pot, entortille ses phrases et joue le rôle de ces poissons qui agitent la vase et troublent l'eau pour n'être pas vus du pêcheur. Il m'a rappellé plus d'une fois, le misanthrope de Molière, qui, tout en cherchant à prouver que les vers d'Orante ne valent rien, ne cesse de s'écrier : je ne dis pas cela.
Sa fureur laudative ne fait que s'accroître. Il élève jusqu'aux nues les garçons de sa province ; il semble avoir pris, pour un précepte, les vers que mr Trémolières n'a mis en avant que dans un sens ironique : "Louez tous vos amis, soyez loués par eux ! C'est un moyen reçu (?), presque toujours heureux.
3) La notice de mgr du Bourg n'est pas mal écrite ; elle fait honneur à mr le docteur Pécot.
4) J'en dis autant de l'éloge historique de mr Bailli. Mr Weiss sait écrire, il est fâcheux qu'il n'entreprenne pas d'ouvrages de plus long cours.
5) Le 4ème chant de l'art poëtique de mr Trémolières, est rempli de pensées fines, et d'idées excellentes. On y trouve un homme plein de goût qui tourne en ridicule, avec un sel vraiment attiques, les Barbares du 9ème siècle, mais cependant, il faut dire ici la vérité ; ce dernier chant n'est pas de la force de ses aînés. Il est déparé par une poësie lâche, terne et souvent prosaïque. Il faut que mr Trémolières repasse au creuset au moins le quart des vers de son dernier chant. Il y a des hémistiches rudes et défectueux. Je n'en citerai ici que deux, entre cent autres : "Les lois des arts non plus ne sont pas éternelles, qui d'un semblable troc, dédaignant la méthode. De pareilles lignes ne vaudroient rien même en prose."
"Allons, sur le métier remettez votre ouvrage."
Je ne vous dirai rien sur vos trois notices botanniques et sur vos épinards. Tout cela n'est que du remplissage et n'offre aucun intérêt aux gens de lettres. Cela eut mieux convenu à une société d'agriculture.
Ne montrez cette lettre à personne.
48 - Thouars, le 15 décembre 1834
Mon cher Guillaume,
J'ai reçu votre lettre et le procès verbal de votre académie, recevez en mes remerciements.
D'après nos conventions, je vous an dirai sincèrement mon avis que vous ne communiquerez à personne.
1) Le discours de mr Courvoisin est un excellent morceau. J'en approuve pedibus et manibus le plan et le style qui font également honneur à sa moralité comme à ses talents. C'est sans contredit le premier prosateur de votre société. On ne trouve point dans ses écrits le galimattias, simple ou double, le style obscur et engoncé dont tant d'écrivains sont aujourd'hui si infatués. Je n'y ai remarqué qu'une légère incorrection. L'auteur dit (page 9) que St Aignan a fléchi Attila, ce qui n'est pas vrai. Ce saint évêque d'Orléans fit le contraire, car il engagea son peuple à se défendre et lui promit, de la part de Dieu, qu'ils n'éprouveroit aucun mal. En effet, après un siège de quelques semaines, Attila prit Orléans d'assaut ; mais au moment qu'il entroit, par une porte de la ville, Aëtius à la tête d'une armée formidable, y entroit par l'autre, ce qui attira au roi des Huns une sanglante défaite, et prépara la belle victoire que l'armée romaine remporta, peu de jours après, in campis mauriacis.
2) L'épitre à dom Grappin est d'une versification faible et sans couleur. Il y a des mots qui ne sont pas français ; que veut dire Sautelant (page 31). Si c'est un néologisme, on peut dire qu'il ne vaut rien ; l'auteur n'a pas un nom assez accrédité pour enrichir la langue. Au reste l'esprit de ce morceau peut passer pour bon. Il est si rare aujourd'hui de voir des poëtes chrétiens.
3) J'ai lu avec plaisir le conte des deux ouvriers. Il fait honneur à mr Trémollières ; le style n'est pas assez châtié ; c'est son défaut ordinaire, et son péché mignon.
4) Le rapport sur le concours est ce qu'il doit être. Mr Bourgon a simplifié son style, et il en vaut beaucoup mieux. Les concurrents ont traité de leur mieux un sujet ingrat. Que vouliez-vous que l'on dise de Barberousse et de son influence sur son siècle ? ...
5) On lit, avec plaisir, le conte de Brillant ; c'est une futilité qui ne manque pas d'un certain agrément. Il n'y a plus aujourd'hui de fidélité parmi les hommes, il faut bien aller en chercher un modèle chez les chiens. Leur espèce n'a point été souillée du virus philosophique qui a détruit jursqu'au germe de nos vertus.
6) Je passe légèrement sur l'histoire du ciceris orné, et sur celle du teuthère noir et autres insectes. Je n'y entends rien, et n'ai point de goût pour les sortes de sciences qui sont si peu propres à éclairer et surtout à améliorer le genre humain. On nous fera quelque jour l'histoire des poux et des punaises sans que je veuille prendre le temps de les lire.
7) Mr Laumier s'est distingué, ses stances sont fort agréées et je lui en fais mon compliment.
8) Les pêcheurs de mr de Mancy ne valent pas les stances dont je viens de parler. La poësie en est lourde et partout médiocre ; or, "il n'est point de degré du médiocre au pire."
9) Les souhaits d'amour ne sont point mal versifiés. J'en dis autant des 2 pièces qui suivent ; mais ce genre ne convient point à mr Viancin ; j'aime mieux son conte de Brillant.
Vous voulez, mon cher Guillaume, que je vous parle de moi ; c'est un sujet bien maigre à traiter.
Depuis 4 ans, je suis toujours à Thouars, éloigné de ma bibliothèque et de mes habitudes littéraires. Au mois dernier je suis allé passer 5 jours à Bourniseaux ; je ne l'ai pas fait sans éprouver un serrement de coeur extraordinaire. Le souvenir des dangers personnels que j'y ai courus, a ôté tout le charme que j'avois trouvé pendant 40 années, à habiter ce château qu'à vu votre neveu, et qui n'est pas sans agréments. Au mois de mai, si Dieu me prête vie, je compte y retourner passer un mois.
On vous dit, dans les journaux, que la Vendée est tranquille. Il est vrai qu'il n'y manque pas de ces hommes qui, semblables aux faux prophètes dont parle Jérémie, vont partout criant pax, pax, sed non est pax. C'est une mer dont la surface est assez unie, mais qui, par certains bouillonnements inopinés, décèle, dans son sein, des tempêtes.
Me voici donc ainsi condamné à ne plus m'occuper de littérature. L'âge s'avance et m'avertit de songer à mon grand voyage d'où doit dépendre mon sort pour l'éternité. D'ailleurs, dans le siècle où nous vivons, comment s'occuper des muses ? Vous connoissez ma devise, elle n'a pas changé. La liberté de la presse ne me rassure guère, et je crois que votre académie partage un peu mes craintes, puisque, pour se mettre à l'abri des mandats d'amener, elle s'est déterminée à choisir un préfet pour la régenter. Pour moi, je n'ai pas le bonheur de pouvoir écrire en résistant à mes inspirations secrètes. J'aime mieux me taire, le silence n'offre point de danger. Souvenez-vous que Tacite attendit pour écrire le beau règne de Trojan. Il est à croire que ses chefs d'oeuvre n'eussent été qu'un gachis littéraire, s'il eut composé son histoire et ses annales sous le règne et l'influence de Domitien.
Nous avons perdu, au commencement de ce mois, votre ami Cordier. Il est mort sans laisser beaucoup de regrets. Tout son bien passe à des étrangers. Il n'a donné qu'un petit legs à ses neveux.
Toute ma famille, c'est-à-dire ma femme et ma soeur vous saluent. Mon fils, le capitaine, a passé quelques [jours] à Thouars. Il est retourné au 4ème des chasseurs en garnison à Sedan.
Quand vous verrez mr Véjux, rappelez-moi à son souvenir.
Adieu, Mon ami, me voilà au bout de mon papier.
Vale et me ama.
de Bourniseaux.
49 - Thouars, le 18 février 1835
Mon cher Guillaume,
Je reçois, avec reconnoissance, l'opuscule que vous m'avez adressé. Je l'ai lu avec un vif intérêt.
Il est bien certain que la bonhomie, loin de pouvoir passer pour un vice, doit au contraire être regardé comme une vertu, et ce qui donne un nouveau prix à cet éloge, comme une vertu chrétienne. En effet, la bonhommie dans un chrétien n'est autre chose que la charité, cette illustre vertu, dont St Paul fait tant d'éloges et dont il a tracé un si noble portrait.
Je suis surpris que vous n'ayez pas tiré parti d'un si heureux rapprochement ; vous avez craint peut-être d'effrayer des auditeurs la plupart matérialistes, pour qui l'incrédulité est le cachet du génie.
Je trouve que vous avez trop vanté Montaigne qui tient un si haut rang parmi les sceptiques, et qui a fait tant de mal à la religion par ses doutes et son pyrrhonisme. J'avoue qu'on le lit avec plaisir, mais sa lecture n'est jamais sans danger. Si c'est là ce que vous appellez un bonhomme, je suis tenté de m'écrier "fi de la bonhommie !"
J'approuve très fort ce que vous pensez de Rousseau. Vous nous dites qu'il faut le plaindre. Il a tant fait de mal à la société, que j'ai peine à lui accorder un sentiment de commisération. Il faut plutôt plaindre les malheureux qu'il a faits. Louis XVI égorgé par ses disciples, et la France plongée pendant si longtemps dans un bain de sang par suite de la Rousseau manie, sont plus à plaindre que ... (illisible).
Je conviens avec vous que La Fontaine est un poëte inimitable et qu'il a eu la niaiserie du génie ; mais il n'a pas eu la délicatesse d'un galant homme dont ses contes trop libres et trop orduriers. "La mère en défendra la lecture à sa fille."
Il me semble qu'un bonhomme doit respecter les bonnes moeurs. Pour moi, si j'aime ses fables, je déteste ses contes obscènes, ainsi que toute bonhomie qui nous force à rougir.
Je trouve du reste votre ouvrage rempli de bonnes maximes et de sages pensées. Il est écrit comme il doit l'être et avec le style qui convient à ce genre d'ouvrage. Je vous en fais mon compliment.
Il est fâcheux toute fois que vous ne vous occupiez qu'à des broutilles, vous pourriez faire mieux. ... Je vous avois indiqué autrefois pour sujet l'histoire de la ville de Besançon, pourquoi ne suivez-vous pas mon conseil ? Cet ouvrage seroit très intéressant, et je suis persuadé qu'il ne manqueroit pas de souscripteurs. Vous me direz que vous êtes vieux et occupé de votre jurisprudence ; n'écoutez pas ce mauvais prétexte, commencez toujours ; et j'aime à croire que vous le finirez. Il ne s'agit pas d'entrer dans de longs détails. Ne faites qu'éffleurer la matière. Un fort volume de 400 pages in-8° suffira pour remplir votre but. ...
Quant à moi, je suis toujours à Thouars, et j'y suis plus tranquille que dans la Vendée qui n'est pas si paisible qu'on vous la représente. Ma vue s'affoiblit chaque jour, et je serai trop heureux, si je puis corriger les 17 volumes in-8° qui me restent à faire imprimer.
Dans ce moment, on perce les bois et les marais de la Vendée de plus de 20 routes stratégiques ; on fait cela non pour l'obliger, mais pour la rendre docile et ... (reliure) ; ce motif n'empêche pas qu'on ne lui rende, par là, un grand service.
Je vous ai parlé de la mort de Cordier. Il étoit généralement détesté de nos habitans auxquels il a cependant rendu quelques services. Au moment de sa mort, j'étois absent, et n'ai pu aller le voir pour lui prêcher repentir et pénitence. On a appellé le prêtre beaucoup trop tard. Il n'avoit plus de connoissance, on lui a cependant donné l'extrême onction, et, sans cette cérémonie, il n'est pas sur qu'il eut reçu la sépulture ecclésiastique. Je crains bien vivement qu'il soit tombé dans l'étang de soufre entrevu par le prophète Isaïe ; mais il faut espérer en l'immense bonté de Dieu. D'ailleurs songeons à nous mêmes, et n'allons pas préjuger les ... (papier tâché) arrêts de Dieu ...
Au mois de mai prochain, je compte aller revoir ma terre de Bourniseaux, mais je n'y resterai pas longtemps, parce que j'y serai moins tranquille qu'à Thouars et qu'à notre âge, le moindre trouble nous devient insupportable.
Ma femme et ma soeur se rappellent à votre souvenir. Qu'il y a loin de 1794 à 1835. Nous ne sommes pas vus depuis ce long intervalle, mais je vous répéterai ce que Malesherbes disoit à Louis XVI : "Nous nous reverrons peut-être dans un monde plus heureux" fiat, fiat, amen, amen.
Adieu, Mon cher Guillaume, vale et me ama.
Votre vieil ami,
de Bourniseaux.
P.S. : Rappelez moi au souvenir de mrs Véjux, Blandin, Chavassieux, Thévenin ...
Mon fils est en garnison à Sedan. Il est capitaine commandant, et a 20 ans de services. C'est un petit homme de 5 pieds 10 pouces.
50 - Thouars, le 16 juin 1835
Mon cher Guillaume,
J'ai reçu le procès verbal de votre séance académique ; je vais vous faire part de mes observations que vous ne communiquerez à personne.
Je commence par féliciter vos messieurs. Je n'ai trouvé, dans ce recueil, aucune trace de ce galimattias simple ou double, que l'on y rencontroit si souvent autrefois. Sous le rapport, votre société est en progrès, elle a mis de côté toutes les phrases ambitieuses et inintelligibles, que la médiocrité met parfois en avant pour se donner un air de profondeur. procédons par ordre.
1) Votre président est un homme qui sait écrire, mais dont la partialité est souvent révoltante. Souvent je me suis écrié, en le lisant, vous être orfèvre mr Josse. Il a voulu christianiser la dernière révolution. Il a beaucoup parlé de religion et même de piété, sans songé à tout ce qui s'est passé à Paris en 1830. Des hommes pieux ne pillent point les églises, ne démolissent point les monuments du culte, ne jettent point les prêtres à l'eau ... Il n'est personne en France qui ne sache à quel point le noble clergé gallican a été persécuté par les chefs de la philosophie, mordu, sali et vexé par ces mirmidons de cette secte voltairienne qui, des hauts rangs de la société, est descendue dans les villages, et infeste de son venin tout ce qui l'approche. Le discours entier de l'orateur peut se réduire à ces phrases :
"Messieurs,
Vous n'ignorez pas que moi et mes amis, par le fait d'une grande secousse révolutionnaire, nous sommes trouvés jettés dans un paturage excellent, où nous sommes dans l'herbe jusqu'au ventre, et où nous ne tarderons pas à devenir gras à lard. Employez donc tout ce que vous avez d'esprit et de talents, pour prouver au monde entier que cet état de choses est par excellence, et qu'il n'y a rien de si beau dans ce meilleur des mondes."
2) Mr votre secrétaire est en progrès ; ses louanges sont moins fades et moins exagérées qu'elles ne l'étoient autrefois ; elles ne blessent plus la religion et le bon sens. On ne l'entend plus élever jusqu'aux nues les régicides et les apostats. Je vois le changement, au fond de l'âme, j'ai de l'estime pour lui.
3) Mr de St Juan a brisé, avec assez de succès, ... (reliure) contre le romantisme, mais il s'est arrêté de bonne heure, et a fait plutôt une bravade qu'une attaque sérieuse. On voit d'abord qu'il ne se croit pas ferme sur les arçons.
4) Est-il certain que la scène de mr Dusillot ait été trouvée dans un couvent de moines ? ...
Je croirais bien plutôt que c'est une scène sortie des fourneaux de romantisme. On connaît sa maxime favorite : "décrivez, décrivez, et toujours décrivez."
5) Le roland ... (illisible) est une conception médiocre qui ne pourroit être mieux versifiée, et dont le fond est ... (reliure) à l'histoire, puisque Roland est mort à Roncevaux.
6) Le morceau sur les mines, n'est point académique mais il m'a paru digne d'éloges ; bien conçu, bien p... (reliure) il me paroît susceptible des plus utiles développements.
7) L'auteur de l'épitre sur l'indépendance, mériteroit des éloges, s'il eut étendu ses vues au delà de cette triste vie ; mais il paroît exclusivement s'y renfermer. Qu'est-ce qu'un bonheur si court, comparé à la redoutable éternité ! ...
8) La pièce de vers intitulé l'angélus, est-ce qu'il y a de meilleur dans votre recueil. Honneur à mr Laumier ! Je crois ce morceau tiré de l'Allemand ; mais je n'en suis pas sur. Quoiqu'il en soit, l'auteur, mérite des éloges, je lui en fais mon compliment.
9) Je trouve que la pension Suard est accordée pour trop peu de temps. Trois ans peuvent-ils former un jeune homme ? Il falloit du moins prolonger le délai jusqu'à la cinquième année.
Me voici au bout du recueil et de la critique, je vais dire deux mots de moi.
J'ai failli récemment perdre ma femme, qui a été longtemps malade d'une fluxion de poitrine, grâce à Dieu, elle est rétablie et vous offre ses compliments.
Je suis à Thouars, logé dans l'ancien palais d'Angleterre, bâti par Henri II ; vous le connoissez, puisque vous y avez logé. Je ne songe point à retourner à Bourniseaux ; les dangers personnels que j'y ai courus, m'ont dégoûté de cette campagne qui a perdu pour moi ses charmes.
Notre Vendée est toujours dans le même état, c'est-à-dire dans celui d'une fausse paix. On y a commencé vingt routes stratégiques, on n'en finit aucune. Voilà bien l'esprit des François.
Le pauvre Cordier est mort, il y a 7 mois. Il a tout donné à sa servante et à des étrangers.
Adieu, Mon cher Guillaume,
Croyez toujours à mon éternel dévouement.
Vale et me ama.
de Bourniseaux.
J'ai reçu, il y a quelques mois, une de vos lettres, par laquelle vous me recommandiez un officier. Je n'ai point vu ce personnage et je ne sais ce qu'il est devenu.
51 - Thouars, le 15 septembre 1835
Mon cher Guillaume,
Il est très vrai que le 17 août dernier, je suis allé à Niort pour cette malheureuse affaire des chouans. Le 26, j'y ai été entendu comme témoin, et j'ai déclaré que le 1er septembre 1831, deux chouans armés de fusils à 2 coups étoient montés dans mon cabinet à Bourniseaux, pendant qu'un autre montoit la garde à mon escalier, pour empêcher mes domestiques de venir à mon secours. Ils me mirent le fusil sur la poitrine, en faisant craquer la gachette, et me demandèrent 2000 #. On capitula, et je fus forcé de leur donner un sac d'argent qu'ils me firent compter, et dans lequel il se trouva 402 #. Ils me dirent que je serais payé à la fin de la guerre, et qu'ils agissoient par ordre de leurs chefs. Ces hommes étoient déguisés et je n'en ai reconnu aucun.
Or vous saurez qu'une faction a mis tout en jeu pour les sauver. 6 avocats et un des sténographes de la Quotidienne ont défendu ces coupables avec acharnement. Ces messieurs m'en ont voulu, parce, sur l'interpellation du président, j'ai déclaré que des Vendéens qui voloient et assassinoient étoient des scélérats, dont devoient rougir leurs propres partisans, et qu'ils flétrissoient, par leur infâme conduite, les lauriers de leurs ancêtres.
Pour se venger de moi, ces messieurs, à l'aide de la Quotidienne, ont publié, contre moi, une parquinade pour me tourner en ridicule. Ils m'ont prêté un langage et des phrases que je désavoue et que je n'ai jamais proférées. Ne croyez pas un mot de ce qu'on dit la Quotidienne et ses imitateurs. Lisez ma déposition dans le Niortais ; quoique abrégée, elle est véritable.
Il n'a donc été nullement question d'ouvrages sur la géologie, ni de terre quarrée, ni d'autres bêtises, ejusdem farinae. Je n'ai rien publié depuis l'histoire de Louis XVI, et ne puis conséquemment rien vous envoyer. On m'a conseillé de répondre à la Quotidienne ; 600 (?) témoins présents à l'audience auroient pu lui donner un démenti ; mais j'ai mieux aimé repousser l'injure par le mépris ; tous ceux qui me connoissent me rendent justice, et cela me suffit.
Je ne crois avoir tort d'avoir dit courageusement mon avis ; je crois que vous partagez mon opinion ; car, enfin, Mon ami, quelque parti que l'on prenne dans une révolution, il faut d'abord établir 4 points de mire, savoir : la religion, la vertu, la probité, l'honneur. Dès que vous vous écartez d'un de ces points, vous roulez de précipice en précipice, et vous ne trouvez aucune issue pour en sortir, justifiant ces vers d'un de nos poëtes : "L'honneur est comme une isle escarpée et sans ... (reliure) l'on n'y sauroit rentrer quand on en est dehors."
Du reste mon opinion m'a valu les suffrages des personnes les plus distinguées de Niort. Le président m'en a fait compliment. Le procureur général m'a dit qu'il avoit chez lui tous mes ouvrages, et qu'il les relisoit toujours avec un nouveau plaisir.
Voilà, Mon ami, tout ce que j'ai à vous dire sur cette affaire. Si quelqu'un me blâme, je sais que ma conscience me dit que j'ai fait mon devoir, et son témoignage me suffit.
Toute ma famille, c'est-à-dire ma femme et ma soeur, car le reste ne vous connoît pas, me chargent de vous présenter leurs compliments.
Adieu, Mon cher Guillaume, vale et me ama.
Votre vieil ami,
de Bourniseaux.
P.S. : Si jamais je publiais quelque nouvel ouvrage, soyez sur que vous en seriez prévenu, et que vous en auriez un exemplaire.
Ici l'écriture change, ce n'est plus de Bourniseaux qui écrit ...
52 - Thouars, le 28 novembre 1835.
Mon cher Guillaume,
J'ai reçu votre procès verbal académique. Vous me demandez mes observations, les voici :
1) Vous n'avez point de discours d'ouverture, cela est évident.
2) La notice sur Abailard m'a parue fort bien écrite et j'en suis fort content. Il n'en est pas ainsi des vers qui le suivent. La poësie en est terne et sans couleur, et souvent les idées en sont fausses. Je vous citerai entr'autres ce vers : "Criminel sans plaisir, vertueux sans honneur".
Ces deux épithètes jurent à côté l'une de l'autre. Abailard en séduisant Héloïse confiée à ses soins, méritait la peine des galères, comment après cela parler de vertu et d'honneur. Je ne pense pas qu'on puisse dire : une image souriante, pas plus qu'un poison décevant, ce mot est beaucoup trop vieux. "C'est un collet monté. Il pue étrangement son ancienneté." (Molière)
3) Le discours de monsieur Génisset est plus simple qu'à l'ordinaire, et moins rempli d'éloges.
4) La solitude de mr Laumier ne vaut pas son Angélus que j'ai lu autrefois avec plaisir ; il y a de très beaux vers, qui annoncent du talent ; mais ces vers sont négligés : je n'aime point son homme immense ; qui veut léguer son nom à la postérité ; cet épithète ne vaut rien, pas plus que son superbe avenir. La onzième et douzième strophe renferment un louche dans ses idées. Il n'a pas bien compris ce vers de Boileau : "Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement."
5) J'ai ri de l'indignation de mr Bourgon, contre les hommes de lettres de votre pays, qui n'ont pas voulu ... (reliure) son sujet de votre industrie départementale. Il n'a pas voulu voir que ce sujet était très mal indiqué, et convenait plutôt à une société d'agriculture ou d'encouragement, qu'à une académie de belles lettres. Comment voulez-vous qu'un littérateur distingué aille perdre son temps, en parlant de forges à fer, de vos outils d'agriculture, de vos fromages et autres niaiseries de cette espèce ?
6) J'ai reconnu le talent de mr Trémolières, dans sa leçon de discipline ; je l'ai lue avec beaucoup de plaisir. Il est toujours, à mes yeux, le coq de votre société, et il soutient dignement le titre.
7) Les 2 pièces de mr Beuque et de mr de Mancy sont deux morceaux d'écoliers. J'ai beaucoup ri du rouge-gorge, qui avec son bec forme un linceuil ; les deux pièces de mr Viancin, offrent de la fraîcheur et de l'agrément. Ce ne sont pas des chefs-d'oeuvres, mais on les lit avec plaisir.
Ce qui m'a plu en général, c'est qu'aucune pièce n'ataque la religion ; d'un autre côté vos messieurs ont renoncé à ce titre fleuri et prétentieux qui était si déplacé dans le récit d'un voyage ou d'une dissertation. Ils se sont aussi corrigé de ce galimatias contre lequel je me suis élevé autrefois avec tant de force ; et sous ces points de vue, votre académie est en progrès. Voilà, mon ami, quelles sont mes observations que je soumets bien volontiers à votre prudence et à votre sagesse.
Je suis toujours à Thouars, en assez bonne santé, mais ma vue s'affaiblit chaque jour, et j'ai souvent besoin d'un secrétaire. Je ne m'occupe plus guère de la littérature. J'ai cependant plus de 17 volumes en manuscrit dont on se servira peut-être, après ma mort, pour envelopper des côtelettes. Que voulez-vous que j'y fasse ? "Vouloir ce que Dieu veut, est la seule science, qui nous mette en repos."
Ma soeur et ma femme vous saluent, et moi je vous embrasse de tout mon coeur.
Vale et me ama.
de Bourniseaux.
53 - Thouars, le 25 mai 1836
Mon cher Guillaume,
J'ai reçu votre procès verbal du 28 janvier dernier. Recevez en mes remerciements. Vous me demandez mon avis, je vais vous le donner sans préambule.
1) J'ai trouvé très bien fait le discours de mr votre président. Il paraît qu'il ne met plus en usage ces phrases prétentieuses que j'ai souvent traitées de galimattias ; sur ce point, il est en progrès, et je lui en fais mon compliment.
2) J'ai lu avec intérêt le résumé de mr Béchet ; j'aurais désiré qu'il se fut un peu plus étendu sur la loi Gambette, et qu'il eut retracé quelques-unes de ses dispositions.
3) La vallée de Ste Marie, par mr de Mesmay, offre une légende assez curieuse. Les vers en sont prosaïques, mais on ne les lit pas sans plaisir.
4) Il n'y a rien à redire au rapport de mr Génisset ; son style est bon et ses éloges sont moins fades qu'à l'ordinaire. Ce qu'il dit de monsieur Courvoisier, par rapport à la religion qui l'a consolé au moment de sa mort, se lit avec beaucoup d'intérêt. Il y a loin de cet éloge à celui qu'il a fait, il y a quelques années, d'un évêque intrus et régicide.
5) La dissertation de mr Bourgon est écrite dans le style qui convient à ces sortes d'ouvrages. Il disserte sur quelques difficultés et n'en éclaircit aucune ; ce qui est un grand défaut en ces sortes de matières.
6) Ma cousine Hélène est un morceau qui ne fait pas honneur à mr Viancin. Il tranche du petit Voltaire, et se joue de la religion, tout en paraissant ne vouloir que blâmer des préjugés. Sa poësie est terne et sans couleur. Je lui conseille de choisir d'autres sujets pour exercer ses talents. Ses notes sont plus longues que l'on ... (reliure) et ne se lisent pas sans peine ni dégoût.
7) La notice sur dom Grappin est fort bien faire ; quoique longue, on la lit avec plaisir, ainsi que le rapport sur les antiquités. J'en fais de bon coeur mes compliments à mr Weiss.
A présent, je vais vous parler un peu de moi. Je me porte assez bien ; je n'ai aucune infirmité, mais ma vue baisse beaucoup, et je crains bien, dans quelque temps, d'avoir de la peine a marcher dans les rues.
Je regarde, comme une plaisanterie, ce que vous me dites au sujet des manuscrits. Je n'ai plus d'yeux pour les lire. Que ferais-je des vôtres avec une vue aussi débile ? Je ne pourrais même pas les lire, et ce serait dommage. Quant aux miens, ils vous seraient plus nuisible que profitables dans le temps où nous vivons, et vous exposeraient peut-être à des persécutions. Ils sont écrits sous l'influence de la noble devise que vous me connaissez, voilà pourquoi ils ne conviennent point à ce siècle. Il en est un qui n'a pour but que des matières scientifiques et a pour titre : la phisique dégagée de tout systême philosophique. Pour le coup, la police n'a rien à reprendre dans cet ouvrage, qui contiendra un fort volume in-8°, mais j'y attaque avec vigueur, tous les savants systématiques, et fais voir qu'ils ressemblent à l'âne de la Dunciade, qui croyait s'élever d'autant plus qu'il s'enfonçait plus avant dans la fange. Cet ouvrage fera un bruit terrible, s'il est jamais imprimé. C'est le fruit de 45 ans d'études, et qui m'a couté le plus de travail ; mais je crois qu'il est prudent d'imiter Copernic qui ne fit imprimer son systême que peu de jours avant sa mort, pour n'avoir pas à répondre à ses détracteurs. Un ouvrage n'en saurait manquer, quand on y démontre que nos hautes sciences ne sont aujourd'hui qu'une ignorance convenue, et que l'europe fourmille aujourd'hui de fausses sciences et de faux savants.
Ma femme et ma soeur vous saluent et vous font bien des compliments.
Adieu, Mon cher Guillaume, je voudrais avoir pour l'instant, les bras plus longs que ceux d'encelade, pour vous embrasser dans votre cabinet.
Vale et me ama.
de Bourniseaux.
54 - Monsieur,
Vous écriviez dernièrement à monsieur de Bourniseaux ; vous lui avez envoyé le procès verbal de la séance académique de Besançon, il l'a bien reçu. Vous vous informiez à la fin de votre lettre de sa santé et de celle de sa famille ; hélas ! monsieur, il souffrait horriblement depuis plus de quinze jours, lorsque je lui ai lu une partie du procès verbal que vous lui envoyiez. Il a toujours été plus mal depuis cette époque, et le 26 de ce mois nous avons eu la douleur de le perdre. Il a succombé à une gangrenne sénile qui s'était emparée à la fois de ses deux pieds. C'est au nom de toute ma famille que je vous fais part de cette triste nouvelle, bien persuadé que votre affliction sera bien profonde, puisque vous perdez un de vos vrais amis.
Agréez, monsieur, l'assurance du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être,
Votre serviteur bien dévoué
Victor Dutemple, petit fils de mr de Bourniseaux.
Thouars le 29 décembre 1836.
P.S. : Veuillez avoir la bonté de nous continuer votre amitié.
55 - Monsieur,
Si j'ai tant tardé à répondre à votre lettre du 17 janvier, c'est parce que j'ai attendu qu'on en fut rendu à l'inventaire des papiers et manuscrits. Les avocats et notaire qui étaient présents, nous ont dit que ces manuscrits étant des objets auxquels on ne pouvait donner un juste prix, pour le moment, il fallait les vendre au profit de la succession. Cette vente devant se faire au profit des mineurs et de tous les autres héritiers, il nous est impossible, malgré notre bonne volonté à tous, de pouvoir disposer d'un seul de ces ouvrages.
Recevez, monsieur, nos remerciements pour tous l'intérêt que vous portez à la mémoire de mon aïeul. S'il a été l'habile historien et le fidèle sujet du Roi martyr, vous, monsieur, vous êtes le bien digne ami de mon père. Il suffit de lire votre lettre spirituelle, pour être convaincu de la sincérité de vos expressions. Veuillez être persuadé que s'il n'eut pas fallu employer toutes les formalités judiciaires, toute ma famille et moi, en particulier, aurions été heureux de pouvoir vous laisser un gage de l'amitié sincère et réelle que vous témoignait mon père. Je suis bien jeune encore, mais je sais cependant apprécier vos talents littéraires ; j'ai été souvent le lecteur des lettres aimables et érudites que vous écriviez à mr de Bourniseaux. Souvent, même, j'ai été son secrétaire, lorsqu'il s'agissait de répondre à vos entretiens. Je conçois bien vos regrets, car il me parlait bien souvent de vous, et nul autre ami avait mieux mérité son estime.
Je renouvelle de nouveau mes remerciements auprès de vous pour toutes les choses honnêtes que vous m'exprimez vers la fin de votre lettre.
Si un jour je passais en Franche-Comté, je voudrais remercier de vive voix celui qui a tant aimé un homme qui m'était si cher.
Comme vous êtes un homme rempli de religion, je crois bien qu'un jour vous pourrez non seulement le revoir, mais encore partager son éternité de bonheur. ...
La correspondance de Berthre de Bourniseaux et du bibliophile Guillaume de Besançon, s'arrête ici. La dernière lettre est hélas incomplète.
Source : Archives de la ville de Besançon - Cote : Ms 628
LA 1ÈRE PARTIE : ICI
Jean-François-Marie GUILLAUME, membre de la Société des Bibliophiles français, naquit le 13 mai 1766, à Besançon, paroisse Saint-Jean-Baptiste, baptisé le 18 juin, même lieu.
Après avoir fait de bonnes études, il se fit recevoir avocat au Parlement, et fut, en 1790, nommé procureur du roi de la maréchaussée de Franche-Comté ; mais, durant la Terreur, voulant donner des preuves de patriotisme, afin de délivrer son père jeté dans les prisons de Dijon, il s'engagea dans les volontaires de la Côte-d'Or. La carrière des armes était peu de son goût ; cependant il resta au service près de trois années, fit la guerre en Vendée, et reçut une blessure.
De retour dans sa famille, il devint administrateur du district de Besançon, assesseur au tribunal des douanes en 1810, et en 1818, juge au tribunal de première instance. Il remplit avec zèle et intelligence ces diverses fonctions, et mourut dans sa ville natale, le 28 mars 1848.
Il était membre des Académies de Caen, de Besançon, etc. Littérateur estimable et bibliophile passionné, il mit de longues années à former sa riche bibliothèque, qui était pour lui une source inépuisable de jouissances.
Habitué à vivre avec simplicité, il se livrait presque exclusivement, et autant que le permettaient ses occupations judiciaires, à son goût pour les recherches bibliographiques.
Une vie aussi calme ne devait pas attirer les regards d'un monde qui ne juge que sur les apparences ; et M. Guillaume, il faut le dire, fut peu compris. Cependant, sous un extérieur simple, il cachait une instruction solide qui lui permettait d'entretenir une correspondance et suivie avec un grand nombre de savants. Il a publié une Notice sur les lettres inédites de Voltaire à l'abbé d'Olivei ; des Études sur La Fontaine ; des Observations sur la littérature ; une Notice sur l'histoire de René, etc. ; un Essai sur la bonhomie et l'indulgence ; un Conte intitulé : l'Abbaye au bois ; des Anecdotes Franc-Comtoises.
Sincère admirateur de La Fontaine, M. Guillaume a travaillé, avec M. L. Prel, de Rouen, pendant bien des années à un grand ouvrage sur l'inimitable fabuliste ; ce travail devait former 4 vol. in-8° ; le manuscrit conservé avec soin dans sa famille, pourrait fournir d'amples renseignements aux littérateurs qui s'occuperaient du même sujet. M. Guillaume a, en outre, laissé en manuscrit des Mélanges littéraires, dans lesquels il a cherché à imiter le Ménagiana.
(Bulletin du Bibliophile Belge - M. Ch. de Chênedollé - Tome VII - 1850
Jean-François-Marie Guillaume, juge au tribunal de première instance de Besançon, époux de Marie-Antoine Gaume, est décédé à Besançon le 28 mars 1848. Il habitait Rue St-Vincent au n° 31.
Archives municipales de Besançon - Registres paroissiaux et d'état-civil.