ST-JULIEN-DE-VOUVANTES - CHÂTEAUBRIANT (44) - LOUIS-JOACHIM-TOUSSAINT FRESNAIS DE BEAUMONT (1736 - 1794)
Fils de René Fresnais, sr de la Richardais, avocat en parlement et sénéchal de la Chapelle-Glain et de Catherine-Bonaventure-Renée Boutrais, LOUIS-JOACHIM-TOUSSAINT FRESNAIS DE BEAUMONT est né à Lévin en Saint-Julien-de-Vouvantes, le 23 juin 1736.
Il fit ses études à Angers où il connut Bodi, Gendron, de Lyrot, etc ... Homme de loi à l'Amirauté de Nantes, poète à ses heures, il se créa de hautes relations en cette ville ; il était l'ami et protégé de M. de Sartines, ministre de la Marine ; membre de l’Académie de Tours
Il embrassa les idées nouvelles en 1789, fut élu juge de paix de St-Julien par une élection assez mouvementée qui est racontée en détail dans le Journal de l'abbé Lainé, et témoigna sa gratitude à ses électeurs par ce quatrain :
Les liens enchanteurs de la reconnaissance
M'attachent pour toujours au sein de mon pays ...
A mes concitoyens, pour tant de confiance,
Mon entier dévouement n'est qu'un trop faible prix.
Mais quelque temps après, il fut entraîné par un de ses parents dans le parti des chouans. Ambitieux, il espéra briller sur le théâtre de la Chouannerie, mais son rôle fut de courte durée ; il s'étend de mars 1793 au début de 1794.
Celui qu'on appela dans le camp des Bleus : "le brigand Fresnais de Beaumont" avait de grands moyens ; il pouvait devenir un général, un émule de Victor Palierne d'Ancenis, d'Isigny, Sol de Grisolles, etc ... Grand chasseur, il avait parcouru en tous sens les forêts de Juigné, d'Arche, Vioreau, Araize, Teillay, qu'il connaissait fort bien, et ce fut une grande force pour lui et ses partisans.
En mars 1793, au moment de l'ordre de levée de 300.000 hommes, Fresnais de Beaumont décida, ou força les jeunes gens des campagnes à ne pas partir. Il parcourut à cheval, sabre au côté, tout le pays. Il organisa des réunions, prit la parole, distribua des cocardes blanches, fit crier "Vive le Roy", et jurer aux assistants de défendre cette cause jusqu'à la mort ! Grâce à l'ascendant que lui donnaient son instruction, et son tempérament de chef, il fut bientôt à la tête de 3.000 rebelles. Il était connu à Candé, Pouancé, la Guerche, Redon. Son nom, désormais célèbre, courut à travers les forêts, comme aussi d'un Club à l'autre.
Les administrateurs de Châteaubriant ayant alerté les Gardes nationales des environs, ce fut une véritable démonstration des forces républicaines d'Ille-et-Vilaine qui eut lieu à Châteaubriant à la mi-mars 1793 : environ 7.000 gardes nationaux de Retiers, La Guerche, Craon, Laval, défilèrent dans le district de Châteaubriant pour faire face aux 3.000 rebelles de Fresnay de Beaumont. Les autorités castelbriantaises firent même un très bel appel à la douceur, à l'humanité près des Gardes nationaux assemblés, le voici :
"Les corps constitués et réunis de Châteaubriant, à l'Armée - 20 mars 1793.
Citoyens,
Des brigands se sont rassemblés de toutes parts pour tomber sur la ville de Châteaubriant, pour forcer les habitants à fouler la cocarde tricolore sous les pieds, et arborer la cocarde blanche.
L'alarme a sonné.
Tous les bons citoyens se sont réunis pour repousser cette horde de scélérats.
Déjà plusieurs d'entre eux tremblent à la nouvelle du rassemblement des "Amis de la Liberté et de l'Égalité" ; ils se jettent à vos genoux.
Soyons humains et généreux, frères et amis !
Emparons-nous de leurs personnes. (Il y eut 68 prisonniers qui furent conduits à Nantes), mais ne souillons pas nos armes dans le sang de ces malheureux qui sont conduits et trompés par des scélérats qui ne paraissent point.
Et vous, chefs (il y avait là comme colonel de Gardes nationaux : Pestel, et Garnier de Retiers ; Le rouge de Martigné ; Varin, Chauvin, de Tréhoux de la Guerche ; Corbineau de Craon ...), d'une Armée qui nous est si chère, vous arrêterez l'ardeur et la vengeance de nos défenseurs en maintenant l'ordre.
Il ne faut pas que nos armes trempent dans le sang de nos ennemis vaincus."
Plusieurs des lieutenants de Fresnais de Beaumont furent saisis, condamnés à mort et exécutés à Nantes : Rodrigue dit "de la Garenne", de Coëtreux, en Issé ; Vallière, de la Forgeneuve, Leussier, Praud, Cébron, de Moisdon ; P... de la Meilleraye.
Fresnais de Beaumont se retira dans les forêts, et échappa à toutes les fouilles des intrépides Gardes nationaux de Retiers - qui furent honnis par les Blancs comme bien l'on pense. - Les lettres de Fresnais de Beaumont portent alors en suscription : "Du fond des bois, avril, mai ... 1793". Sa tête fut mise à prix, mais personne ne le livra. Fresnais qui implorait le pardon des Républicains, à tous les échos, fut amnistié, surtout par l'intervention de son ami, le conventionnel fédéraliste : Coustard de Massi de Nantes. Cette grâce fit d'ailleurs rager certains Jacobins.
Lorsqu'en juin 1793, les royalistes attaquèrent Nort, puis Nantes, c'est Fresnais de Beaumont qui dirigea les royalistes dans la région de Nort, et fit contourner la ville, héroïquement défendue par Meuris.
Les Républicains, en danger, firent de nouveau appel aux Gardes nationaux d'Ille-et-Vilaine, mais l'opération ne se fit pas facilement. Les royalistes et les modérés protestèrent contre le retour des "gars de Retiers", des "Cent sous de Bais", qu'on traitait de "Marat et de Monstres". La foule qui s'était réunie à son de cloche, sur la place Saint-Nicolas, menaça le maire Louis Margat de "lui couper le cou, lui ouvrir le ventre, ou de le faire griller à petit feu", s'il faisait appel aux Gardes nationaux d'Ille-et-Vilaine, et Margat céda sous la menace de mort ...
Après l'attaque de Nantes, le 29 juin 1793, Fresnais de Beaumont vécut surtout en Vendée, se tenant dans la région de Saint-Florent-le-Vieil, afin de pouvoir de là, appeler ses soldats du pays castelbriantais. Il fit plusieurs incursions dans le district - y semant la terreur - et chaque fois, il emmenait une trentaine de cavaliers à sa suite.
Un mandat d'amener fut lancé contre lui le 29 juillet 1793. Il était prévenu, lui et quelques autres inculpés, d'être "les chefs d'une bande de brigands armés qui fondirent sur le bourg de la Chapelle-Glain, se portèrent chez le maire Frotté, et demandèrent une hache pour abattre l'arbre de la liberté, menaçant, à défaut, de mettre le feu à la maison" (Alfred Lallié : La Justice révolutionnaire à Nantes).
En octobre 1793, il fut un des principaux promoteurs du passage de l'Armée vendéenne en Bretagne. Il comptait sur une levée en masse des Bretons. Il se porta garant de la prise de Châteaubriant, et dit que tout le pays entre Redon, Savenay, Candé, Châteaubriant se soulèverait comme un seul homme ! "Nous prendrons Châteaubriant, Savenay, Redon, Guérande ... et Nantes capitulera alors."
Fresnais de Beaumont ignorait que les chefs militaires républicains placés en chaque coin, par Carrier, aidés par quelques "purs" du pays, avaient réussi à mâter les populations. A la terreur blanche, ils avaient opposé une terreur rouge équivalente, et c'est ce qui donna la victoire à Carrier. C'est à ce prix seulement que Nantes ne put être prise.
Dans la campagne d'Outre-Loire, Fresnais de Beaumont commanda la "Compagnie de la Forêt de Juigné". Il obtint un certificat élogieux de Stofflet.
Fresnais fit partie du Comité supérieur de l'Armée catholique et royale, avec le pseudo-évêque d'Agra (Guillot de Folleville), son ami inséparable.
Au retour de cette campagne d'Outre-Loire qui devait finir lamentablement à Savenay (décembre 1793), Fresnais abandonna l'Armée en déroute. Avec d'Agra, ils se réfugièrent tous les deux en forêt de Juigné, dans le quartier de l'étang des Rochettes ...
Grâce aux indications de quelques patriotes du Petit-Auverné, Fresnais de Beaumont fut cerné. Il échappa d'abord à la fusillade ; mais il fut vite rattrapé par le maire Bertrand Roul et un habitant du lieu (3 janvier 1794). Il fut pris dans le champ des Grées proche la Guidelais. Après une course folle à travers champs, ayant perdu un de ses souliers ; il sauta dans un fourré où la troupe le prit, le visage couvert de sang ... Ce magistrat patriote, s'adressant au commissaire Lefeuvre pouvait lui écrire : "Vous avez le louveteau (Meslin), voici le loup."
Dans la séance tenue le 22 pluviôse an II (11 février 1794), par la Société populaire républicaine de Châteaubriant, "sur la motion du citoyen Delourmel, la société arrête qu'il sera fait une adresse au Comité de Salut public et au tribunal révolutionnaire de Rennes, pour demander le jugement d'un grand coupable, Fresnais-Beaumont".
Conduit à Rennes, le prisonnier est longuement interrogé et pendant un mois et demi, il sera retenu dans la prison de la ville. Le district de Châteaubriant, qui attend un verdict de mort, s'impatiente et en écrit même à la Convention. La position de son frère, René, agent national près du district de Rennes, n'aura aucun effet. Ce qui flétrit un peu le panache de ce royaliste convaincu et courageux, c'est qu'il finit par céder aux questions qui lui furent posées et qu'il livra les noms d'une soixantaine des siens, ses compagnons de "L'Armée de Jésus". Parmi eux se trouvaient les abbés Defermon, Peuriot, le curé de Saint-Julien, le chevalier Le Maignan, du Petit-Auverné, Bucquet, Ménard, Letort, Rolland ... (Une trentaine étaient du district de Châteaubriant). Il tut pourtant les noms des principaux chefs de la Chouannerie. On capturera 3 des personnes dénoncées et elles seront fusillées. Cette faiblesse de Fresnais de Beaumont ne lui valut pourtant pas la clémence de ses juges. Pressé par la Société Populaire de Châteaubriant s'adressant à celle de Rennes, le tribunal prononça finalement un verdict de mort, dans sa séance du 27 pluviôse (15 février) au matin. Ce fut en vain qu'il en appela à l'affection de son frère, Fresnais de Lévin.
Le jugement porte que "le dit Beaumont est un de ces scélérats perfides qui a abusé de la confiance que lui avaient marquée ses concitoyens, et dont il n'a usé que pour les perdre, en se rendant leur chef dans les révoltes dans lesquelles l'étendard de la royauté a été levé et la cocarde nationale foulée aux pieds, l'arbre de la liberté abattu, et les documents de la municipalité de Glain (sic) brûlés devant la porte du maire, à qui il en serait arrivé autant, s'il ne se fût soustrait aux fureurs de Beaumont et de sa horde scélérate ; il est aussi coupable d'avoir occupé un grade d'officier dans l'armée des brigands de la Vendée, et d'avoir présenté divers plans de campagne pour cette armée où il a vécu comme les autres de brigandage ! ... En conséquence la Commission militaire révolutionnaire, ouï de Fiennes ... condamne le dit Fresnais-Beaumont à la peine de mort, et ordonne qu'il sera livré au vengeur du peuple, et conduit de suite à la commune de Châteaubriant pour y être exécuté dans les vingt-quatre heures du présent jugement, qui sera imprimé, affiché & envoyé au besoin, avec confiscation de ses biens au profit de la République." (AD85 - SHD B 1/336 - 20)
Fresnais de Beaumont fut amené de Rennes à Châteaubriant, et exécuté sur la place de la Motte, le 16 février 1794, à midi trente, il gravissait les degrés de l'échafaud dressé place de la Motte, et sa tête tomba dans le panier aux cris de : "Vive la République !"
PROCÈS-VERBAUX D'EXÉCUTION DE LOUIS-FRANÇOIS-TOUSSAINT DE FRESNAIS DE BEAUMONT :
condamné à la peine de mort par jugement de la Commission le 27 pluviôse à une heure après midi de l'an 2 de la République.
Liberté, Égalité ou la Mort.
Nous, membres du directoire du district de Château Briand, certifions et attestons que le citoyen Verdet, lieutenant de la trente-neuvième division de la gendarmerie de Paris, est ce jour arrivé en cette ville à dix heures du matin, où il a conduit Beaumont Fresnais qui a été exécuté à midi et demi. Fait en directoire à Château Briand, le 28 pluviôse l'an deuxième de la République une et indivisible.
Signé : Taillandier ; Jallot, Gétoix ; Lelièvre ; Chassaing ...
Château Briand, 28 pluviôse an 2e de la République une et indivisible.
Département de la Loire Inférieure.
Les administrateurs du district de Château Briand, au citoyen Lefebure, vice-président du tribunal révolutionnaire à Rennes.
Républicain
Fresnais de Beaumont, chef de Brigands, arrivé ici ce jour à 10 heures, a reçu à midi et demie et aux cris des assistans de Vive la République, le châtiment dû à ses forfaits. Il y a long tems qu'un pareil monstre auroit dû avoir passé au razoire national.
Salut et fraternité.
Signé : Lelièvre, vice-président ; Jallot ; Taillandier et Chassaing.
Lefebure, vice président.
Pour expédition conforme :
Scevola Biron, greffier de la Commission.
Dans sa séance du 19 février suivant, la Société républicaine de Châteaubriant s'entretint de cette exécution qu'elle avait sollicitée, et l'un de ses membres qui n'était autre, hélas ! que le propre frère de F. de Beaumont (Fresnais de Levin), eut le triste courage de s'écrier : "Toujours attaché au grand corps de la grande famille républicaine, j'en chérirai toujours les sages lois. Qu'elle tombe la tête des monstres qui ont déchiré son sein, rien de plus juste ! Vive la République ! Vive la Montagne !" Et Fresnais de la Briais, déclare à son tour : "Tant mieux, mon sang n'en sera que plus net."
La société, vivement affectée et singulièrement satisfaite des expressions énergiques et républicaines du citoyen Fresnais, lui répondit par son président qu'elle applaudissait à son civisme et qu'elle le verrai avec plaisir à ses séances. (Extrait du registre des délibérations de la municipalité de Châteaubriant).
Les biens de F. de Beaumont furent vendus. Ce fut un autre de ses frères qui les acheta. Fresnais de Beaumont était âgé de 58 ans quand il fut exécuté.
Avril 1794 - Une note trouvée aux archives municipales prouve que l'horrible machine fonctionnait à Châteaubriant. Elle est ainsi conçue : "payé à F.-C. 15 sous pour avoir enterré le cadavre du brigand guillotiné Beaumont."
De son mariage avec Marie-Anne Gault, de Pouancé, il eut quatre enfants, deux garçons, Louis et Charles, et deux filles, Amarante et Éléonore. Il semble qu'elle se soit remariée avec un nommé Galland.
Répertoire général de bio-bibliographie bretonne par René Kerviler - Livre premier, Les Bretons - Fascicule trente-huitième (Fer-Fon) - Rennes - 1902
Une cité dans l'histoire : Châteaubriant - Marcel Buffé - 1982 (+ portrait)
AD44 - Registres paroissiaux de Saint-Julien-de-Vouvantes
La Révolution au pays de Châteaubriant - Alfred Gernoux - 1936
Histoire de Châteaubriant, baronnie, ville et paroisse par l'abbé Ch. Goudé - 1870
AD85 - SHD B 1/336 - 20 - Vues 9 à 12.