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La Maraîchine Normande
25 novembre 2018

BAYEUX (14) - GABRIEL MAUNY, LE CAVALIER JACOBIN DE LA SOCIÉTÉ POPULAIRE

bayeux place cathédrale z

 

BAYEUX
LE CAVALIER JACOBIN DE LA SOCIETE POPULAIRE

"Le Comité de Salut Public imagina de se faire offrir un cavalier tout équipé par les Jacobins. L'exemple fut alors suivi partout. Communes, clubs, sections, s'empressaient d'offrir à la République ce qu'on appelle des "cavaliers jacobins", tous parfaitement montés et équipés."

Ces lignes de M. Thiers furent vérifiées à Bayeux, où le Club ne voulut pas être en retard de patriotisme et d'où partirent aussi, à pied et militairement, des jeunes gens choisis pour se rendre à l'école de Mars nouvellement établie.

Nous nous contenterons de tirer des débris de nos archives locales les quelques traces restantes du Cavalier Jacobin de la Société populaire de Bayeux.

Dès le 9 octobre 1793, lors des premières réquisitions, le citoyen Bouvier Pierre, dit Nismes, parce qu'il était originaire de cette ville, cafetier, mort le 18 fructidor an XI, chargé de la recherche et de la préparation du salpêtre pour fabriquer de la poudre, avait fait offre, pour le service de la République, d'une jument qu'il devait amener le lendemain et il avait été arrêté, sur sa demande, que son offre serait consignée au registre des délibérations où nous l'avons lue.

Le 1er pluviôse an II de l'ère républicaine, à la séance de la Société populaire, présidée par Jean Tanqueray, né à Deux-Jumeaux, ancien avocat au bailliage et syndic de l'ordre, rédacteur du cahier du Tiers-État, après lecture d'une lettre du citoyen Jourdeuil, adjoint au ministère de la guerre, plusieurs frères demandèrent que la Société montât et équipât un cavalier. Le frère Delleville, tanneur, offrit pour cela une somme de cinquante livres. Plusieurs motions furent discutées et la Société arrêta finalement, à l'unanimité des membres présents, qu'elle fournirait un homme et un cheval, équipés, pour la défense de l'unité et de l'indivisibilité de la République.

Moulland Gabriel, homme de loi et agent national du district, Samson, ex-curé de St-Ouen du Château, Bessin Jean-François, instituteur, et Hardouin l'aîné, membres composant le comité de correspondance, chargés d'écrire à la Convention pour lui faire connaître cet arrêté.

On décida également l'envoi à tous les frères d'une circulaire destinée à leur faire part de l'arrêté qui venait d'être pris, et à les avertir que "la décade passée, ils ne seraient plus reçus à partager le bonheur d'être utiles à la république", suivant la rédaction patriotique du secrétaire de Langle.

Le lendemain, 2 pluviôse, le frère Le Cauve, J.-B.-François, marchand de dentelles, monte à la tribune et présente un jeune enfant de 3 à 4 ans, sorti du citoyen Ferey de Lonboy (Féret-Dulongbois), dont la grand'mère dépose à la Société une somme de 20 livres pour le cavalier qui ira à la défense de la patrie. On applaudit vivement et mention fut faite au procès-verbal de ce don volontaire et vraiment républicain. Dans cette même séance, le frère Moussard, Edouard-Prosper, présenta un citoyen pour être le cavalier de la Société ; mais comme le présenté était de la première réquisition et devait très prochainement rejoindre les drapeaux pour son propre compte, le Club ne voulut point l'agréer et passa à l'ordre du jour.

Une certaine émulation régna pour fournir l'équipement de l'homme et du cheval, offerts à la Convention. Le frère Dupuy, Élie, sellier, obtint une mention civique, le 3 pluviôse, pour avoir offert de fabriquer gratis tout le harnachement de ce dernier. Le lendemain, le frère Bouvier, pour abréger l'ouvrage proposé par Dupuy, offrait une selle toute confectionnée. Sa motion fut accueillie avec faveur et il fut décidé que Dupuy n'aurait à fournir sa main-d'oeuvre que pour le restant de l'équipage. Mais il fallut revenir sur cette décision quelques vingt jours après, car la selle si pompeusement offerte se trouva, au rapport du frère Bidard, "entièrement défectueuse, vieille et trop courte", si bien que, le 23 pluviôse, Dupuy fut chargé de l'entier harnachement du cheval, selle comprise. Après le cheval, l'homme : le frère Ledoux, tailleur, offrit le service de son travail, et sur la proposition du frère Samson, ex-curé de St-Ouen du Château, on décida de fournir du cuir au frère Le Maître, pour confectionner des bottes. Le frère Tardif, l'aîné, offrit, à lui seul, un sabre et un mousqueton pour l'armement (13 pluviôse).

La décade impartie pour l'envoi des offrandes n'ayant pas produit un brillant résultat, le frère Samson demanda et obtint un supplément de délai d'une nouvelle décade.

On décida, le 13 pluviôse, que le cavalier équipé par la Société serait pris parmi les individus non compris dans les réquisitions et qu'il serait fait un chapitre de recette particulier des offrandes des frères et autres et que les individus y seraient dénommés.

On y porta 50 livres offertes par Gardin-Néry, au nom d'un citoyen anonyme ; 10 livres déposées sur la tribune par le citoyen Voisin, ex-prêtre, sergent-major, volontaire de la réquisition de St-Lô ; 35 livres, remises en don au frère Hue, secrétaire de la commune, par le citoyen Mesnil, tonnelier ; 50 livres, versées à la tribune, par le frère Loyer, pharmacien, au nom du citoyen Vallée, ex-prêtre de cette commune ; 10 livres offertes par le citoyen Brisoys. Le 30 pluviôse, les sommes encaissées se montaient à 225 livres.

Le 2 ventôse, les citoyens et citoyennes présents à la séance contribuèrent de 203 livres 15 sols pour l'équipement et l'armement du cavalier. On avait donc recueilli dans ce but, à cette date, 428 livres 15 sols.

Le septidi de la 1ère décade de ventôse, le frère Lentrin, François-Jacques, aubergiste, membre de la Commission chargée de s'occuper du cavalier national, présenta à la Société populaire, réunie sous la présidence du citoyen Vernet, Pierre-André-Jean-Joseph, chirurgien en chef de l'armée des côtes de la Manche, un nommé Mauny Gabriel, natif de la commune d'Asnières, comme cavalier, pour remplir le voeu de la Société. Ce citoyen, présent à la séance, fut couvert d'applaudissements. La Société lui témoigna toute sa satisfaction pour cet acte de civisme, et sur la motion d'un membre, il fut arrêté que ledit Mauny assisterait à la fête civique du prochain décadi, monté, équipé et armé, ce qu'il accepta.

Le procès-verbal de cette fête qui eut lieu, le 10 ventôse, pour la plantation de trois arbres de la liberté et l'inauguration des pierres de la Bastille, indique bien que le cortège, dans lequel était la déesse de la Liberté, comprenait un certain nombre de cavaliers, "autant qu'ils purent se monter", car les chevaux étaient rares, mais il n'est point fait mention que Mauny fût parmi eux.

Il ne devait pas, d'ailleurs, avoir d'uniforme ce jour-là, d'après cette mention du registre du club à la date du duodi, 12 ventôse, c'est-à-dire du surlendemain, portant que sur la proposition de frère Cerrès, Laurent, la Société arrête que le cavalier sera habillé de drap "d'Ellebeuf" [d'Elbeuf]. On alla vite en besogne et tout dut être prêt pour l'octidi de la seconde décade, car, à cette date, Mauny se présenta à la tribune et invita la Société à accélérer le moment de son départ.

On stimule, dès lors, le zèle de la Commission. Dès le lendemain, le frère Le Breton, capitaine, expliquait que la jument proposée par le citoyen Bouvier de Nismes est en état de monter le cavalier, mais qu'elle avait été réquisitionnée par le District, si bien qu'il avait dû prendre des engagements envers ses membres. On la lui avait cédée, vu l'urgence, mais à charge de la payer ou de la remplacer. Le Breton déclara aussi avoir reçu la selle des mains du sellier. L'Assemblée applaudit à toutes ces mesures.

Le 26 ventôse, le même frère Le Breton annonçait que l'équipement du cavalier de la Société est prêt et qu'il désire se rendre le plus tôt possible au poste de l'honneur et demander que la Société s'occupe de cet objet. La Commission, chargée de la question du cavalier, fut invitée à se retirer au Directoire du District, vers le Commissaire des guerres, pour régler la route de Mauny.

Comme il y eut quelque retard, Moulland, dans l'intervalle, le 2 germinal, demanda qu'on "invite tous les frères qui n'ont pas contribué dans la dépense que fait la Société ... à le faire et à se présenter au bureau à cet effet."

Le 14 germinal, le frère Moutier, Gilles-Thomas-Robert, perruquier, qui s'impatientait de tout ce retard, demanda "que l'on envoyât députation au Directoire pour savoir quand le cavalier armé par la Société partirait". Le Breton et Jouet, Pierre-François, y furent envoyés ; de retour, ils firent savoir que Leforestier, Lambert-Léonard, chargé de cette affaire, était à la campagne, et qu'il répondrait à la question quand il serait de retour. Le lendemain, Moutier, revenant à la charge, demanda que l'on écrivit au ministre pour faire partir le cavalier. Mais on décida d'attendre "le retour de Leforestier, pour qu'il rende compte à la Société des opérations qu'il a faites à cet égard, sauf à députer vers lui, s'il ne venait pas."

Leforestier n'étant pas venu le 16, Le Breton fit décider qu'il rendrait compte le 17. Mais ce jour, qui était le septidi, le club reçut des Administrateurs du Directoire du District une lettre relative au départ du cavalier. Satisfaction était donnée aux réclamations de la Société qui chargea son Comité de correspondance d'écrire à Mauny de "se rendre à Bayeux choisir le corps où il veut entrer et prendre un ordre de route".

Déférant à la lettre qui lui était adressée, Mauny se présenta à la séance du décadi, 20 germinal an II, réitérant qu'il était prêt à partir et demandant à entrer dans le régiment ci-devant Conti, ou tout autre que la Société lui indiquera. On arrête que le frère Mauny se concertera avec la Commission et que cette Commission s'adjoindra le Commissaire des guerres, s'il est nécessaire.

Le lendemain, Le Breton, un des membres de la Commission, dit qu'il était nécessaire que la Société écrivit au citoyen Estienne, commissaire des guerres, pour qu'il donnât, suivant la loi, une route au cavalier. C'est donc cet officier qui dirigea Mauny sur l'armée du Nord, commandée par Moreau.

Mauny, rien que par le choix qu'il indiquait du régiment de Conti-cavalerie, semble avoir servi antérieurement dans ce corps : c'était, d'ailleurs, un homme d'un certain âge, puisqu'il était en dehors des réquisitions. Le frère Groult, dans la séance du 22 germinal, exposait que le "cavalier de la Société, mû du désir de défendre la patrie, se serait fait un devoir de partir, quand même il ne lui aurait été rien remis". Il accepta toutefois le reliquat de la recette faite pour lui et son cheval, recette dont Groult rendit un compte qui fut adopté de confiance.

Bouvier, alias Nismes, éprouva des difficultés pour obtenir du District le paiement de la jument dont il se réputait propriétaire. On ne voulait pas lui en verser le prix sans le consentement du Département. Il s'en plaignit le 26 germinal. A son retour de l'expédition de Granville, il fut obligé de requérir une expédition du procès-verbal de son rapport pour être réglé.

Dès floréal, Mauny avait rejoint le 1er régiment de carabiniers de l'armée du Nord, car le primidi de ce mois, il écrivait déjà une lettre à la Société populaire.

En prairial, le frère Malherbe, membre du District, lisait, en séance du club, une seconde lettre du cavalier de la Société. "Les récits satisfaisants que présente cette lettre par rapport au succès des armes de la République, dit le procès-verbal, et à la conduite du cavalier Mauny, ont fixé l'attention de la Société et il a été arrêté que mention en serait faite au procès-verbal, duquel extrait serait remis à Malherbe pour la transmettre à Mauny".

Le 5 messidor suivant, "le frère Letual, président, donna lecture d'un rapport fait aux frères de Bayeux, par le citoyen Mauny, cavalier au 1er régiment de carabiniers de l'armée du Nord, en date du 30 prairial, de la prise que les soldats de la République ont faite d'Ypres, après quinze jours de siège, et de toutes les munitions de guerre et de bouche dont ils se sont emparés. Le citoyen Mauny demande que le président donne l'accolade fraternelle de sa part aux citoyens et citoyennes de la Société de Bayeux. Cette accolade a été reçue pour les frères et citoyens par Lacauve, aîné, et par la citoyenne femme Vitard (menuisier-architecte), pour les citoyennes, le tout aux plus vifs applaudissements de la part des sociétaires et des tribunes".

En thermidor, le 7, Moulland, Gabriel, qui présidait la séance, lut une autre lettre du frère Mauny, cavalier, à la Société, datée au départ de Malines. On la souligna par des applaudissements frénétiques et on décida d'y faire une réponse. Les registres du club n'étant plus qu'au nombre de 2 ou 3, il est impossible de connaître cette correspondance.

Le 9 fructidor an II, le 3 vendémiaire et le 13 brumaire an III, furent lues par le président, le frère Malherbe et par Le Roy, du Comité des rapports, trois nouvelles lettres du cavalier Mauny, retraçant encore des succès nouveaux pour les armées de la République, et pour ce, toujours applaudies.

Ce furent les dernières.

Depuis, on ne trouve aucune trace du cavalier Mauny, ni aucun acte à lui relatif, soit dans les registres d'Asnières, sa commune natale, soit dans ceux de Bayeux.

Tout porte à croire qu'il fut un des innombrables inglorieux qui moururent pour la patrie et pour le triomphe des idées nouvelles.

Société des sciences arts et belles lettres de Bayeux - 9ème volume - 1907

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