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La Maraîchine Normande
20 novembre 2018

VIRE (14) PARIS (75) - ARMAND-VICTOR LE CHEVALIER DIT SALMANGAR, CHEF CHOUAN DE NORMANDIE (1780 - 1808)

VIRE gravure z

2 mars 1780 - Baptême de Armand-Victor Le Chevalier, fils de Charles-François-Marin Le Chevalier, conseiller du Roi, garde marteau de la Maîtrise des eaux et forêts de Vire et de dame Marie-Anne-Jacqueline-Suzanne Dumont.

Témoin : Armand-Louis Dumont, Sr de la Rochelle, écuyer, représenté par dame Marie-Suzanne-Renée de Montbray, épouse du Sr Philippe Dumont, écuyer, secrétaire du roi, marraine de l'enfant.

baptême z

Le père d'Armand-Victor, Charles-François-Marin Le Chevalier était né en 1744 et avait épousé Mademoiselle Dumont (Marie-Anne-Suzanne) de la Rochelle, Dumont de la Bourdonnière, Dumont d'Urville, comptèrent quelques personnages illustres.

Le grand-père d'Armand-Victor, écuyer, avait épousé Françoise Hervieu, de la paroisse de St-Georges d'Annebecq.

La situation aisée de sa famille avait permis à Le Chevalier de recevoir une instruction étendue comme le prouvent les documents émanant de lui-même, dont nous aurons plus loin à faire état. Quant à son éducation, elle fut assez soignée pour que les personnes qui l'ont connu en aient remarqué la distinction. Malgré sa vie tourmentée, il ne s'en départit jamais ; et on notait encore ce caractère chez lui alors que son intrépidité et son sang-froid il faisait l'admiration de ses compagnons d'armes et de ses contemporains.

Nous en trouvons le témoignage dans le récit que renferme le manuscrit 453 de la Bibliothèque de Bayeux. Son auteur, Charles Le Sénécal, y raconte une entrevue qu'il eut dans sa jeunesse avec Le Chevalier. En voici les termes :

"J'ai assisté pendant une demi-heure à une conversation soutenue avec le meilleur ton et j'avoue que je n'ai rien compris ou retenu de ce qui fut dit, car j'étais en contemplation devant cet homme dont j'avais entendu tant de fois vanter le courage. Je ne pouvais concilier ce ton simple, modeste, distingué avec les actes de courage qu'on lui attribuait (ou plutôt d'énergie). Il était vêtu d'un habit noir, dans un costume correct, élégant qu'il était bien rare de voir à cette époque. Il était manchot, ayant eu un bras coupé en Vendée ; il avait environ 5 pieds 5 ou 6 pouces, mince mais parfaitement proportionné ...
Tout ce que je dis plus haut sur le caractère de Le Chevalier m'a été confirmé depuis par le commandant de Varennes qui avait servi avec lui sous M. de Frotté et le connaissait beaucoup".

Cette impression est corroborée par la teneur d'une pièce conservée aux Archives Nationales (A.N. F7 8471). C'est l'attestation des services rendus par Le Chevalier à l'armée "royale de Normandie". Elle lui fut délivrée à Caen le 1er mai 1806.

"Nous, officiers de l'armée royale de Normandie, soussignés, certifions que Monsieur Armand-Victor Le Chevalier a servi en qualité de Commandant de canton jusqu'au licenciement de ladite armée, qu'il s'y est conduit avec honneur et distinction, que depuis cette époque il a eu une conduite sans reproche, qu'il a en outre fait de très grands sacrifices pour conserver au Roi beaucoup de fidèles serviteurs ce que nous certifions véritable à qui il appartiendra."

Cette pièce est signée de seize officiers généraux et supérieurs de l'armée de Normandie.

Ayant dès son enfance le légitime orgueil de ses origines, chaque jour affirmé par l'aisance dans laquelle il voyait vivre sa famille, par les souvenirs qu'il entendait évoquer par les uns ou les autres, par l'éducation même qu'il recevait, c'étaient là autant de conditions favorables à maintenir chez un jeune homme le prestige familial. Le Chevalier est un de ces exemples très nombreux où se vérifie le vieil adage : "Ce sont les morts qui conduisent les vivants". Empreinte indélébile qu'il est nécessaire de ne pas perdre de vue quand il s'agit d'apprécier les actes et la vie d'un homme.

CHOUANS 4

 

Aussi ne faut-il pas s'étonner de le voir entrer dans la lutte, à seize ans, avec l'ardeur, l'enthousiasme et la témérité de son âge. En effet, où prenons-nous sa trace ? Dès l'année 1796 où il figurait dans un corps régulier de chouans. Nous employons ici à dessein le qualificatif "régulier" parce qu'il aide singulièrement à comprendre l'état d'esprit, dans lequel se trouvaient la population et la Société normandes au moment où Le Chevalier prit les armes. Le Chevalier n'était pas une de ces têtes chaudes qui, par gloriole ou pour mener une vie aventureuse, se joint à une bande de brigands, c'était une recrue qui venait s'engager dans "l'armée catholique royale du Bocage et de Normandie". Le comte Louis de Frotté en avait été nommé le général par les Princes en 1794. Cette armée recevait ses directives d'un conseil royal. Pour elle et jusqu'à la fin, les gouvernements successifs de la République ne firent que se substituer injustement au pouvoir Royal et Bonaparte consul ou Napoléon Empereur ne fut toujours aux yeux des chefs chouans qu'un usurpateur. C'est pourquoi quand de Frotté voulut organiser son armée en 1795, il n'eut guère de peine à composer ses divisions, dont chacune avait à sa tête un adjudant-général et pour siège un canton bien délimité. Seguin, historien très partial, mais exact quant aux faits qu'il rapporte donne aussi les raisons de cet afflux de recrues :

"Un grand nombre de jeunes gens distingués des villes formèrent les compagnies royales. Vannes en organisa sur le champ une de cinquante hommes commandés par Clobe, qui en imposa aux persécuteurs. Un certain nombre de jeunes hommes des bonnes familles de Caen et de Vire les imita quelques temps après. Les demoiselles même portaient l'uniforme chouannique."

 

Villechien carte z

 

La première fois que le nom de Le Chevalier apparaît dans l'histoire de la Chouannerie, c'est à l'occasion du combat de Villechien, (sur les bords de la Sélune, au Pont Normand) commune du Département de la Manche, canton de Mortain, à quelque vingt-cinq kilomètres de Vire et de Tinchebray, centres d'activité des compagnies chouannes. Il fut livré le 28 janvier 1796, dans de mauvaises conditions numériques pour les chouans, qui au nombre de 5 ou 600 risquaient d'avoir contre eux près de 5.000 hommes de troupes républicaines cantonnées à deux heures à peine de marche. En outre, l'adjudant-général St-Quentin qui commandait le contingent royaliste avait choisi pour quartier général le château de Villechien et se trouvait, du point de vue militaire dans des conditions topographiques très défectueuses, entre la Sélune et l'un de ses petits affluents, au milieu de prairies inondées. Du reste, les chouans croyaient être au cantonnement de sorte qu'ils furent surpris par l'attaque des bleus commandés par le général Varin. Le quartier général et le château de Villechien subirent le premier choc et furent enlevés. Les chouans en retraite ne purent que se réfugier dans les marécages ou se jeter dans la Sélune. Leurs pertes tant par l'eau que par le feu furent relativement considérables. Un détail nous montre la composition de la Compagnie engagée. Elle comprenait nombre de jeunes gens de famille, si l'on en juge par le butin que rapportèrent les républicains : "carmagnoles de toutes couleurs à retroussis fleurdelysés, chapeaux ronds retapés à ganse, cocardes et rubans blancs, scapulaires, croix, broderie fleurdelysées, montres d'or en quantité".

Le Chevalier participa à ce combat ; il y fut blessé. Salmangar était son nom de guerre. Beaucoup de chouans portaient alors des surnoms ou des sobriquets, soit pour éviter que leur véritable nom fut prononcé dans les conversations, soit pour suivre une habitude régionale, commune d'ailleurs dans nombre de provinces, soit pour donner à leur correspondance un caractère énigmatique. Il est d'usage dans les Sociétés qui ont intérêt à ce que leurs actes restent secrets d'affilier leurs adhérents sous un surnom ou un simple numéro.

Le Chevalier s'est ressenti toute sa vie des suites de sa blessure. On en sait les conséquences, celles-ci étant consignées dans tous les signalements de police qui le concernent. Certains témoignages qui restent de personnes l'ayant connu le donnent comme manchot, pour les uns ayant eu un bras coupé en Vendée, pour les autres ayant eu l'épaule brisée par un accident fortuit, qui fit partir l'espingole qu'il tenait sous son bras au cours d'une patrouille dans les environs du Haras du Pin.

Ce furent les séquelles de cette blessure qui, dix ans après, le firent consulter le célèbre Depuytren et insister auprès de lui, pour qu'il lui amputât les doigts de la main gauche.

Aux archives nationales (F7 8171), est un certificat de Dupuytren déclarant "qu'il a vu Le Chevalier tous les jours du 1er au 20 juin (1807) ; celui-ci "lui demandant de lui couper les doigts de la main gauche qui le faisaient souffrir".

En 1797, un an après son enrôlement Le Chevalier avait donné assez de preuves de son courage et de ses qualités de commandement pour qu'on le chargeât de mission "non moins délicates que périlleuses" qu'il accomplit "avec autant d'honneur que de succès."

"Désigné quelque temps après avec plusieurs autres officiers pour aller dans le Perche former un noyau d'organisation sous les ordres de MM. Le Prévost de la Moissonnière et Clervaux, il réalisa toutes les espérances qu'on avait conçues de lui sous les rapports militaires, mais la province du Perche ne devant plus faire partie de l'armée du Comte Louis de Frotté, le colonel Picot fit rentrer ses détachements et les réunit à son corps de troupes". (Archives de famille Le Chevalier).

En 1799, Le Chevalier fut arrêté et incarcéré à Exmes (Orne). Il parvint à s'en évader. Pour échapper aux poursuites dirigées contre lui, il dut se réfugier à Argentan où il paraît avoir trouvé un asile sûr, qu'il ne quitta qu'à la pacification de 1800.

Grâce aux pièces conservées aux Archives Nationales et à des papiers de famille, nous pouvons, depuis 1800, à quelques lacunes près, suivre Le Chevalier dans sa lutte incessante contre Bonaparte.

Frotté z

Le 18 février 1800, une des plus nobles figures de la Chouannerie normande, Pierre-Marie-Louis comte de Frotté, général en chef des armées royalistes de Normandie, fut fusillé à Verneuil contrairement aux règles de l'honneur militaire, avec six de ses officiers. Bonaparte en ordonnant son exécution mit fin en Normandie tout au moins, aux actions véritablement militaires, après lesquelles, les chouans disséminés, réduits à l'état de minuscules corps francs, s'efforcèrent d'intensifier les moyens nécessaires à se procurer ce dont ils avaient le plus grand besoin : des armes, des munitions, des vivres et surtout de l'argent.

Ce fut donc dans cette période que se multiplièrent les attaques de voitures, et véhicules divers, fourgons, charrettes, etc., employés à transporter les fonds publics, et qu'on a trop souvent confondus avec des diligences occupées par de paisibles voyageurs. Les chouans, de soldats francs et rebelles qu'ils étaient, devinrent des conspirateurs, des voleurs, des brigands, même quand ils ne méritaient nullement une pareille mésestime.

A propos d'une accusation de complicité dans un enlèvement de fonds publics, Le Chevalier, le 24 floréan an IX (15 mai 1801), fut arrêté et traduit devant le tribunal d'Evreux. Celui-ci, jugeant sa culpabilité incertaine, l'acquitta. Le Chevalier resta en liberté jusqu'à la fin août ; mais à cette époque, le 14 fructidor an IX (1er septembre 1801) le ministre de la police donna l'ordre de l'arrêter "par mesure de sûreté". Dix jours après, il était réincarcéré à Caen.

Le 3 vendémiaire an XI (25 juillet 1802), "fatigué d'une détention de plus d'une année" il adressa au ministre, en son nom et au nom de deux de ses amis co-détenus, Challemel-Lacour Menilcoust et Michel Chauvin, une lettre dont le manuscrit autographe est conservé aux Archives Nationales sous la cote F7 8075 (ne 283. R). Dans cette lettre les signataires réclament justice et liberté, ne voulant pas "recevoir la justice sous la forme d'une grâce". Ils ajoutent que "en supprimant le ministère de la police, le gouvernement manifeste son intention que tout arbitraire cesse, que les prétendues mesures de sûreté soient abolies et que la sûreté réelle de l'État et des citoyens soit dans la justice et l'observation des lois, la punition du coupable et la protection du citoyen paisible. Ils attendent donc l'accomplissement à leur égard de ces vues sages et bienfaisantes du gouvernement".

Ce fut au milieu de tous ces soucis qu'Armand-Victor Le Chevalier se maria, probablement vers la fin de 1801. Il épousa Mademoiselle Françoise-Lucile Thiboust de Cormeilles (1774 - 1803), fille de Pierre-Nicolas Thiboust, directeur et receveur général des domaines du roi à Caen, puis successivement à Dijon et à Rennes, fonctions qu'il perdit en raison de son attachement à une cause dont son gendre devait périr la victime.

Pendant l'incarcération de Le Chevalier à Caen, sa femme lui donna un fils, Armand-Gilbert, né le 25 décembre 1802. Le Chevalier eut ce grand malheur de perdre sa femme quelques jours après la naissance de son enfant, le 6 janvier 1803. Sur ce petit, il reporta toute son affection ; il l'entoura des soins les plus attentifs, ayant le plus grand souci de son élévation morale. On le verra dans certaines pièces que nous aurons lieu de produire plus loin et particulièrement dans son testament, fait dans un moment critique, deux ans avant sa mort.

Le 6 frimaire an IX (30 octobre 1802), Le Chevalier toujours en prison à Caen s'adresse de nouveau au grand juge, ministre de la Justice. Il lui dit que vu l'inutilité de sa précédente requête et la nécessité pour que justice soit rendue de jouir de certaines protections, il préfère lui demander fièrement "la permission de quitter le territoire français, soit qu'on le conduise à la frontière, soit qu'on prenne de lui sa parole ou des cautions, promettant en outre de n'y rentrer jamais tant qu'il sera gouverné de manière qu'il ne suffise pas d'être pur pour n'avoir rien à craindre et qu'on y ait besoin de protection pour obtenir justice." Et il ajoute "Deux mois me suffiront après que vous m'aurez accordé ma demande pour vendre mes propriétés et partir". Cette manière hautaine Le Chevalier ne s'en est guère départi soit dans ses actes, soit dans ses écrits. C'est pourquoi nous nous sommes fait une loi de lui faire de larges emprunts pour que le lecteur puisse y prendre une plus grande connaissance du caractère de Le Chevalier que nous n'eussions pu l'obtenir en les résumant dans une narration plus ou moins précise. Son altière franchise eut un résultat. Le Chevalier fut mis en liberté par décision du Grand Juge à la condition de quitter la France après avoir mis ordre à ses affaires. Il ne semble pas cependant qu'une fois libre il se soit expatrié, car un rapport adressé au conseiller d'Etat Réal, daté d'août ou septembre 1804 lui rappelle que Le Chevalier a été libéré à la suite de cette décision du Grand Juge.

En 1805, Le Chevalier était à Caen, où il possédait une maison, 55 rue Saint-Sauveur. Il y était sous la surveillance de la police. Il fit des démarches pour s'y soustraire, car on trouve à la date de pluviôse an XIII (janvier-février 1806) une lettre de Le Chevalier à Fouché (A.N. F7 8075 ne 283 a).

Cette lettre est un document primordial pour l'histoire de Le Chevalier. Nous tenons à la reproduire in extenso, comme nous reproduirons plus loin une lettre qu'il écrivit en 1807 à Fouché au cours des derniers épisodes de sa vie. Mieux que tout ce que nous pourrons dire ces deux lettres mettent dans un jour éclatant la véritable personnalité du chef Chouan.

"A son Excellence le Ministre Général de la Police (Fouché).
Monseigneur,
La première grâce que j'attends de votre Excellence est qu'elle veuille lire jusqu'au bout le mémoire qui s'offre à ses yeux ; j'ose assurer qu'il ne contient rien d'inutile et que s'il n'apporte auprès d'elle la faveur d'aucune apostille, c'est que j'ai pensé que le langage de la raison y était la recommandation la plus pressante.
A 18 ans, je suis parti dans l'insurrection de l'Ouest ; peu de temps après, une blessure accidentelle et très-grave, puisqu'elle m'a enlevé l'usage d'un bras, me retint dans un état de maladie qui dura jusqu'à la pacification.
Je ne me croyais pas coupable d'avoir pris les armes contre un gouvernement que le 18 brumaire avait anéanti et, en recevant des consuls mon amnistie, aux conditions de trouver tous les droits de citoyen, je pensais pouvoir d'autant moins être regardé comme ennemi de ce nouveau gouvernement que je n'avais point servi depuis son institution et que j'avais d'ailleurs su conserver, même dans les chouans, un honneur sans tâche, même dans une insurrection ou trop souvent l'Angleterre fit sentir sa funeste influence, le patriotisme et l'esprit national, le sentiment enfin de prédilection qu'un honnête homme doit avoir pour son pays.
J'employais les jours tranquilles auxquels je me félicitais d'être rendu, à l'étude des sciences et des arts et je trouvais dans ce genre de vie le bonheur qu'elle procure et l'espoir de pouvoir un jour m'utiliser pour mon pays. Je perdis bientôt cette tranquillité précieuse.
Un peu plus favorisé de la fortune que beaucoup de mes camarades qui avaient perdu la leur ou qui n'en avaient jamais eu, n'ayant point le goût dispendieux et pénible des plaisirs brillants, je pouvais souvent leur être utile et je me trouvais heureux de le pouvoir.
Quelques-uns de ceux que j'avais secourus se trouvèrent impliqués dans une procédure criminelle pour enlèvement de fonds publics ; les rapports que l'humanité, la vertu même, j'ose le dire, avec eux, parurent des rapports criminels et parce que j'avais été leur bienfaiteur, je parus leur complice.
Traduit au tribunal spécial de l'Eure, mon innocence y fut consacrée par un jugement ; j'étais libre ; je ne le fus pas longtemps ; un ordre décerné par vous me remit dans les fers.
Le prétexte dont on s'était servi pour vous arracher cet ordre était l'intérêt extraordinaire que j'avais témoigné pour un de ces condamnés ; Gilbert (c'est son nom) était mon ami ; je le croyais et me plais encore à le croire innocent. Pouvais-je et devais-je l'abandonner ? Plus sa perte me paraissait assurée, plus je fis briller mon amitié pour lui ; abandonne-t-on le malheureux sur son lit de mort ? Je voulus la recevoir avec lui ; on me la refusa. Les juges se prononcèrent sur ma conduite et non sur mes sentiments.
Cette loyauté devait-elle m'attirer les soupçons de la police ? Elle m'acquit l'estime de ceux qui la connurent et me valut les fers.
Éclairé sans doute sur mon compte, vous alliez, Monseigneur, me rendre à la liberté lorsque Mgr Requier vous succéda. Je ne pus l'obtenir de lui ; et dédaignant de supplier pour me faire rendre justice, je demandai la permission de quitter la France. Il me l'accorda ainsi que le temps nécessaire pour l'arrangement de mes affaires.
Voilà ma position actuelle et voici ce qu'elle me fait vous demander :
Cette permission de quitter la France est-elle, en effet, l'obligation de m'expatrier ?
Devenu père depuis que je l'ai demandée, chargé seul d'un enfant dont j'ai eu le malheur de perdre la mère, propriétaire dans les départements de l'Orne et du Calvados, attaché à mon pays par la propriété, par la nature, je le verrais avec douleur, mais je ne murmurerai pas contre un traité que j'ai proposé moi-même.
Dans ce cas, je vous prierai, Monseigneur, d'autoriser le maire de la ville de Caen en laquelle je suis en surveillance, à m'accorder chaque fois que mes affaires le rendraient nécessaire, la permission de voyager pour elles.
Mais si, au contraire, Votre Excellence a la bonté de considérer que je n'ai point émigré, que j'ai porté les armes contre l'ex-directoire et non contre la France ; si elle veut informer sur ma conduire et, si de ces informations, il résulte que je fus royaliste, mais constamment patriote, que j'ai toujours conservé la probité la plus scrupuleuse, que je suis autant incapable de manquer à ma parole que de souffrir sans m'en plaindre la violation de celle qu'on m'a donnée ; si jamais mon nom ne fut inscrit dans ces conspirations sourdes que l'intrigue et la perfidie fomentent et que l'honneur désavoue ; si de ces informations enfin il demeure constant que je suis réellement un citoyen quoiqu'on m'en refuse les droits, j'espère alors obtenir d'y être rendu ; et de voir exécuter en ma faveur le traité d'amnistie que je n'ai point violé, traité que je n'aurais pas accepté si ces droits ne m'avaient été garantis, préférant la mort ou l'exil à une proscription civile si humiliante et si imméritée."

Cette requête eut comme effet un élargissement de la zone d'action de Le Chevalier. Il résulte d'une pièce datée d'août 1806 que sans cesser d'être sous la surveillance de la police, Le Chevalier avait obtenu l'autorisation de se rendre et même de séjourner à Paris pour régler certaines affaires de famille.

Le Chevalier arriva à Paris en novembre 1806, puis, croyant le moment favorable pour reprendre la lutte contre le gouvernement impérial, il retourna dans le Calvados "pour renouer les fils de l'organisation militaire. Il y répandit de l'argent, vit les chefs des cantonnements, donna des instructions et concerta toutes les opérations avec M. Berthier de Sauvigny qui résidait alors à Saint-Germain-en-Laye" (Archives de la famille Le Chevalier). Sur ces entrefaites survint l'affaire du Quesnay.

De cette affaire deux narrations très explicites ont été faites, d'une part par Ernest Daudet dans son excellent ouvrage sur la Police et les Chouans, d'autre part par G. Lenôtre dans Tournebut. Rappelons-la en quelques mots.

Le Chevalier avait, de concert avec la fille de la marquise de Combray, Madame Acquet de Férolles, passionnément dévouée à la cause des Chouans, recruté une poignée de gens déterminés afin de s'emparer d'une charrette chargée de fonds publics que la recette d'Alençon envoyait à Caen. Le lieu de l'embuscade avait été très judicieusement choisi entre Falaise et Caen, en avant du village de Langannerie, au point où la route traverse le bois du Quesnay. La voiture portait outre les cinq caisses de numéraire provenant d'Alençon (environ 33.500 f.) une sixième caisse, prise en charge à l'hôtel au Point de France, sur la route d'Alençon, et remplie d'or et d'écus de la même valeur que les précédentes, ce qui portait la valeur totale de son chargement à 66.000f. environ.

C'était le dimanche 7 juin 1807. Huit chouans dissimulés dans les fourrés du bois du Quesnay l'attendirent au passage, arrêtèrent le camion et s'emparèrent du contenu. Ils allèrent aussitôt enfouir la plus grande partie de leur butin dans le jardin d'un complice avant la dislocation de la petite troupe, dont l'objectif immédiat était de quitter le département pour tâcher d'échapper aux poursuites.

Le Chevalier qui était retourné à Paris dès le 10 mai 1807 n'assistait pas à cette attaque. Il l'avait, il est vrai, combinée d'accord avec un chef chouan des plus actifs, le vicomte François-Robert d'Aché. Ces deux hommes, tous deux dévoués à la même cause, aussi intrépides l'un que l'autre, différaient cependant sur les moyens de mener la campagne. L'un, d'Aché, avait mis toute sa confiance dans l'Angleterre, l'autre, Le Chevalier, ne voulait pas entendre parler de l'aide étrangère, n'avait aucune sympathie pour les Anglais dont il se méfiait et dont "l'assistance, dit-il lui-même, et l'influence lui étaient insupportables".

Le Chevalier fut impliqué dans l'affaire du Quesnay, malgré les attestations produites par une dizaine de personnalités fort honorables, dont le célèbre Dupuytren, certifiant qu'il était resté à Paris en juin 1807. Le 11 juillet, il fut arrêté sur l'ordre de Fouché. Il dut probablement son arrestation à la trahison d'un certain Flierlé, bavarois peu recommandable, vivant en parasite parmi les chouans.

Nous retrouvons du reste cet individu, visé incidemment dans la lettre suivante adressée à Fouché. Le Chevalier y fait en quelque sorte le résumé de sa carrière, expose les raisons qui ont déterminé ses actes, s'en glorifie et avec une audace superbe accepte même son châtiment. Arrêté à Caen, au café royaliste Hervieux, il fut interrogé devant le Préfet, puis conduit à Paris et incarcéré au Temple.

Lettre à Fouché (sans date) sans doute juillet ou août 1807. (AN F7 8171)

"Monseigneur,
Vous avez désiré savoir la vérité concernant la déclaration de Flierlé sur mon compte et sur le projet qu'il a dévoilé dans sa déclaration ; je vais vous le dire. La dénégation convient à un criminel qui redoute l'oreille de la justice, mais son système est étranger à mon caractère qui ne redoute rien que le mépris et pour lequel le premier succès de ses entreprises est l'estime de ses ennemis mêmes.
Votre Excellence voudra bien ne voir en moi un homme tremblant devant la mort, ni une âme séduite par l'espoir d'une récompense ; je ne demande rien pour dire ce que je pense parce qu'en le disant je me satisfais.
J'ai projeté une insurrection contre Napoléon ; j'ai désiré sa ruine et si je n'ai pu la tenter, c'est parce que j'ai été toujours mal secondé et trompé souvent.
Mais en me déclarant envers lui aussi coupable que je le suis, je ne dois pas paraître davantage qu'en effet je peux l'être. L'idée d'un assassinat ne s'est jamais présentée à mon esprit et lorsqu'on me l'a offerte, je l'ai réprouvée avec indignation parce que je trouve indigne d'un homme d'honneur de se servir contre ses ennemis des moyens qu'ils trouveraient méprisables contre lui-même.
L'assistance et encore moins l'influence des Anglais ne m'a paru supportable ; j'en ai donné des preuves constantes et mes ennemis particuliers, mon dénonciateur même n'ont pu vous le cacher.
Quels étaient donc mes moyens pour concevoir au moins l'espérance d'un succès ? ne voulant pas paraître tout à fait insensé à vos yeux, je vais vous les faire connaître, ne voulant pas trahir la confiance de ceux qui m'auraient servi, je vous en tairai les détails.
Ma fortune, sans avoir jamais été considérable, a été au-dessus de l'aisance ; je suis né généreux et amoureux de gloire ; ma fortune m'offrit les moyens de satisfaire quelque temps à l'un de ces penchants et me présenta des espérances pour l'autre.
Peu après l'amnistie de l'an 8, je m'aperçus que j'étais le plus riche de mes anciens camarades dans l'insurrection ; je n'étais pas le moins habile ; mon argent adroitement et justement donné me procura la jouissance du bienfait et me promit des partisans. Je cherchai dans ma province et dans quelques autres des hommes du parti royaliste malheureux et estimables ; afin qu'ils fussent reconnaissants, je prévins leurs besoins.
Plusieurs années s'écoulèrent pendant lesquelles je tins la même conduite, toujours épiant le moment favorable à une insurrection et toujours empêché par les projets conçus en Angleterre et que je n'ai point partagés.
Enfin la dernière campagne d'Autriche m'offrait une occasion favorable, je l'avais prévue ; j'en avais jugé l'issue à la durée près. Chacun dans les départements de l'Ouest, croyait à la défaite des armées françaises ; je n'y croyais pas ; mais j'allais profiter de cette opinion. La victoire fut trop rapide, j'eus à peine le temps de projeter.
La guerre (alors future) de la Prusse, soit hasard, soit calcul, entrait dans mes espérances ; je ne crus point au triomphe de Frédéric, mais je crus à l'inquiétude des Français, à une guerre beaucoup plus longue. Je crus surtout à un parti républicain. Pour m'en aider dans mes projets et après avoir établi quelques correspondances dans divers départements, je partis pour Paris.
Là, quelque temps, tout concourut à fortifier mes espérances. Les républicains partageaient mes vues ; ils paraissaient en mesure. Je traitai avec eux de la réunion des deux partis pour une action plus sûre et une réaction moins forte. Le mouvement devait s'opérer dans la capitale. Un gouvernement provisoire devait être établi, des commissaires envoyés dans chaque département, en vertu d'un décret projeté, auraient en peu de temps, communiqué ce mouvement à toute la France et elle eût presqu'entièrement passé sous un nouveau régime avant que l'empereur pût être de retour avec partie de son armée.
Nous espérions d'ailleurs la déclaration de l'Autriche et la très grande difficulté d'une retraite. C'était vers le temps où se livrait la bataille d'Eylau.
Mais je ne fus pas longtemps à m'apercevoir que ces républicains n'avaient pas les moyens qu'ils vantaient, ni les ressources qu'ils avaient annoncées par leur intelligence dans les autorités.
Je me retournai vers les royalistes de la capitale ; ils étaient désunis, sans plan, attendant les évènements comme doit le faire tout mécontent qui raisonne ; je les ai vus trop peu pour les avoir parfaitement décidés.
Je n'avais à moi dans Paris qu'un petit nombre d'hommes pleins d'une confiance aveugle, mais en trop petit nombre, même pour servir de sous-chefs à mes opérations.
Je suspendis à regret ou plutôt j'abandonnai mes projets sur Paris, je retournai vers la province. Dans divers départements, je pouvais par un mouvement spontané et des invasions subites, réunir quelques mille hommes (2 à 3.000) ; j'aurais aussitôt après leur réunion député vers les princes Bourbon pour les engager à se rendre à la tête de mes troupes. Leur présence m'assurait de grandes ressources, une insurrection générale et la fortune qui, souvent plus que les pouvoirs humains, influe sur les évènements, venait à se joindre à ces motifs d'espérance ; mais à l'ouverture de la seconde campagne, je jugeai qu'il n'y en avait plus et mes desseins furent indéfiniment ajournés.
Cependant, les mesures qu'il m'avait fallu prendre, les instructions que j'avais données ne peuvent partout rester secrètes et dans quelques endroits se feront connaître par leurs effets.
Quelques conscrits réfractaires, quelques déserteurs parurent armés sur différents points. Il fallut les soutenir, et sans ordres ad hoc, mais en vertu d'instructions générales, un de mes officiers entr'autres s'empare de fonds publics pour y subvenir.
Cette expédition qui a fait connaître mes desseins a donné lieu à beaucoup d'arrestations et d'inquiétudce dont la plupart sont mal fondées et si l'officier de gendarmerie chargé de la poursuite de cette affaire eût été tant soit peu habile, il se serait bien gardé de lui donner autant d'importance et la paix qui survint vers ce temps aurait tout fait rentrer dans l'ordre.
De ce que je viens de dire, il résulte que, dans les troubles ou l'intention de trouble manifestée dans cette expédition faite sans mon avis, il y a quatre classes de coupables envers le gouvernement :
1° Ceux qui ont reçu les auteurs du délit. Ils ne sont coupables que d'ignorance ou de faiblesse. - 2° les soldats y employés, machines d'autant plus excusables que leur position de proscrits les forçait de recourir aux armes ; - 3° l'officier qui les commandait ; son zèle à me servir l'a porté plus loin que je n'aurais dû le prévoir et je prie Votre Excellence de solliciter sa grâce ainsi que celle de ses soldats ; - 4° moi-même pour lequel je ne demande rien, non par orgueil, puisque la fierté ne saurait être humiliée de recevoir des grâces de celui qui en fit aux rois, mais par l'honneur. Votre Excellence, sans doute, voudra savoir quel motif a pu me déterminer à concevoir et nourrir de pareils projets.
Ce motif, le voici : j'ai vu le malheur des amnisties et ma propre infortune ; peuple proscrit dans l'état, classe en servage, exclue non seulement de tous les emplois mais encore tyrannisée par les agents subalternes de l'autorité, méprisés par ceux mêmes auxquels n'a jadis manqué que le courage pour faire cause commune avec eux. Les amnistiés, quoiqu'en général pleins d'honneur et de loyauté, se voyaient le rebut de la Société.
Plus qu'aucun d'eux j'ai senti notre malheur commun et je me suis dit : périssons du moins avec gloire puisque nous ne pouvons vivre avec honneur.
Telle fut, Monseigneur, la cause de mes projets et de ma conduite. Je les avoue avec fierté parce que je les conçus généreusement et si puissant est son pouvoir sur mon âme que je n'accepterai pas la vie pour recommencer une pareille existence.
Quel que soit le sort qui m'est réservé, je vous prie de considérer que je n'ai point cessé d'être français, que j'ai pu succomber dans une noble folie, mais non chercher un lâche succès et par ces motifs j'espère que votre Excellence voudra bien m'accorder la seule faveur que je réclame pour moi :
Que mon jugement si j'en dois subir un, soit militaire ainsi que son exécution.
(signé) : LE CHEVALIER."

Après cinq mois d'emprisonnement il s'évada du Temple. L'évasion eut lieu dans la nuit du 13 au 14 décembre 1807 dans des conditions assez singulières. M. G. Lenôtre, dans Tournebut l'a ainsi reconstituée d'après le procès-verbal de la prison du Temple conservé aux Archives Nationales. F7 8171 et les Registres du Temple.

"Le Chevalier avait pratiqué dans le mur épais de deux mètres de son cabinet une ouverture assez large pour s'y glisser. On reconnut qu'il avait mené à bien ce travail sans autre outil que sa fourchette ; deux morceaux de bûche coupés en forme de coins avaient servi de leviers pour ébranler et retirer les moellons. L'opération avait été conduite avec tant d'habileté que tous les gravats avaient été soigneusement retirés à l'intérieur ; au dehors ne se voyait aucune trace de démolition. Le détenu Vaudricourt, logé immédiatement au-dessous n'avait perçu aucun bruit insolite, quoiqu'il eût l'habitude de ne se coucher qu'à onze heures du soir. Le Chevalier dont le cachot se trouvait à une élévation de seize pieds environ du sol de la cour, avait dû, en outre, fabriquer une corde pour effectuer sa descente ; il l'avait tressé de longues bandes découpées dans une culotte de nankin et dans la toile de son matelas. Sorti par ce moyen dans les cours pendant la nuit, il avait attendu l'heure très matinale, où l'on apportait, du dehors, le pain des prisonniers. Le concierge du Temple avait l'habitude de se recoucher après avoir reçu le boulanger et la porte restait ouverte un quart d'heure et plus pendant que la livraison du pain se faisait aux guichets".

En commentant cette évasion, Lenôtre émet l'hypothèse que Le Chevalier avait été mystérieusement aidé.

Il semblerait que ce ne fut que pour mieux le perdre en apportant contre lui une nouvelle charge, car l'évasion à peine constatée, il fut immédiatement l'objet d'actives recherches. N'ayant pas quitté Paris, Le Chevalier parvint à y dissimuler sa présence. Pressé toutefois de le ressaisir, Fouché employa alors un moyen que sa connaissance du caractère chevaleresque et indomptable de Le Chevalier lui promettait infaillible. Il fit arrêter et emprisonner sa belle-soeur, Madame Thiboust qui avait la garde du fils de Le Chevalier, Armand-Gilbert, jeune enfant de cinq ans, que son père chérissait ... Le Chevalier écrivit aussitôt à Fouché que s'il rendait la liberté à Madame Thiboust, il se présenterait immédiatement à la police. Fouché savait bien qu'il le ferait comme il le disait. Aussi remit-il en liberté Madame Thiboust en "lui délivrant lui-même un sauf conduit de huit jours pour Le Chevalier avec l'assurance positive et réitérée de lui donner un passeport pour l'Angleterre". Piège infâme.

Le lendemain matin, 6 janvier 1808, Le Chevalier fit ses adieux à son enfant et à Madame Thiboust. "C'est aujourd'hui la Fête des Rois, dit-il à sa belle-soeur en l'embrassant, c'est un beau jour. Faites dire une messe pour nous et préparez le déjeuner, je serai de retour dans deux heures." Deux heures après, il était réincarcéré au Temple et mis au secret. (Arch. Le Chevalier).

Le 8 janvier 1808 Napoléon signait un décret traduisant Le Chevalier devant une commission militaire, nommée par le général divisionnaire Hullin, commandant d'armes de Paris et de la 1ère division militaire, composée de neuf officiers généraux et supérieurs. Le 9 janvier la commission reconnaissait qu'Armand-Victor Le Chevalier coupable, non pas d'avoir pillé une voiture du Trésor Public, mais "d'avoir formé le rassemblement armé qui le 7 juin 1807 a sur la route de Caen à Falaise volé les fonds publics et de s'être constitué le chef, d'avoir été l'instigateur de ce rassemblement". Et s'appuyant sur l'article III de la loi du 30 prairial an III ainsi conçu : "Les chefs, commandants et capitaines, les embaucheurs et les instigateurs de rassemblements armés sans l'autorisation des autorités constituées, soit sous le nom de chouans, soit sous telles autres dénominations, seront punis de la peine de mort", la Commission prononça la peine de mort et en ordonna l'exécution dans les 24 heures. Ce jour même, sur les six heures du soir, à la nuit tombante, Le Chevalier fut fusillé à la plaine de Grenelle. (Moniteur Universel ne du 10 janvier 1808).

signalement z

Peu de temps avant son exécution, il  déclarait au Ministre de la Police :  "Périssons du moins avec gloire puisque nous ne pouvons vivre avec honneur !"

Pour clore cette étude, nous donnons la copie d'une pièce où se révèle d'un seul coup le caractère intime d'Armand-Victor Le Chevalier. C'est le testament qu'il fit le 4 août 1805, alors qu'il était à Caen sous la surveillance de la police et qu'il s'attendait à être bientôt traqué et arrêté. Ce testament qui fait partie des Archives de la famille Le Chevalier est écrit sur un petit carnet à couverture verte qui avait dû servir à prendre des notes sur des pages qui ont été ensuite déchirées. Sur la couverture est écrit le mot "testament". Celui-ci peut être rapproché de la lettre que Le Chevalier écrivit à sa belle-soeur, Madame Thiboust, quelques heures avant sa mort pour lui recommander son fils. Cette lettre a été publiée par M. G. Lenôtre dans Tournebut p. 291.

TESTAMENT D'ARMAND-VICTOR LE CHEVALIER - Aujourd'hui 16 thermidor an XIII, moi, Armand-Victor Le Chevalier, incertain de l'avenir et inquiet sans autre cause qu'un sentiment vague et peut-être trompeur, j'ai écrit le présent testament comme une émanation de ma volonté libre et franche. Je prie Dieu qu'il veuille recevoir mon âme qui n'est, j'ose le dire, souillée d'aucun crime et qui n'a que des fautes à se reprocher. Je le prie de veiller sur mon fils, seul être que j'aime dans le monde et que je constitue de nouveau, s'il en est besoin, mon unique et général héritier de mes biens présents et à venir - meubles et immeubles. Je me prosterne devant la divine Providence pour la supplier de former mon âme aux vertus et d'en chasser les vices.
J'ordonne à mon fils de ne jamais rien faire qui ne soit digne d'un homme libre, qui ne craint que Dieu par amour et que le vice par horreur. S'il est libre de choisir un état, je lui conseille de prendre celui de l'agriculture.
Qu'il ne néglige pas non plus les sciences, surtout celles qui ont rapport à la morale, comme celle de Dieu et des hommes, celles qui ont rapport à la nature comme la physique en général et celles enfin qui ont rapport à la Société, comme l'histoire et les lois - qu'il ne néglige pas non plus les Arts d'agrément qui rendent la vie plus douce et heureuse.
Qu'il fuie la corruption, la séduction et toutes les passions honteuses et violentes - qu'il soit ami comme on l'était dans l'antique Grèce ; amant comme on le fut dans l'antique Gaule, mais qu'il soit aussi difficile dans le choix d'un ami que dans celui d'une maîtresse.
Je désire que mon oncle soit son tuteur et qu'il confie mon fils à M. Guilbaux d'Evreux et comme sa fortune est peu considérable, qu'on la vende pour l'augmenter par la spéculation, soin que je laisse à mon oncle et que je prie de vouloir s'en charger, l'assurant que j'eusse fait pour son fils ce que je le prie de faire pour le mien.
Je veux qu'autant que mon fils sera dans l'enfance, Marie Hamon, sa bonne actuelle, reste auprès de lui et qu'on lui paie deux cents francs par an. Je prie qu'on ait pour cette fille estimable beaucoup d'égards.
Je désire que les langues étrangères soient connues à mon fils dès son enfance, si cela est possible. Mes connaissances savent la manière dont je voulais les lui apprendre.
Je vais joindre à la suite du présent testament un état de mon avoir et de mon devoir le plus juste que je vais pouvoir me le rappeler :
Suivent quelques notes et chiffres se résumant ainsi : Dettes = 10.000 fr. ; Avoir = 12.520 fr.
Mon avoir sera plus considérable si beaucoup d'autres gens qui me doivent et dont je n'ai pas de titres peuvent et veulent me payer.
Mes meubles valent au moins 2.400 fr., ainsi cela ferait un capital mobilier excédant les dettes de 4.500 fr., environ, mais je préférerais qu'on vendit ma maison de Caen pour payer les dettes et qu'on garde l'argent pour augmenter, comme j'ai dit ci-dessus, la fortune de mon fils. Néanmoins avant de la vendre, je veux que l'on fouille dans la cave voûtée sur la rue Saint-Sauveur, qu'on la défonce d'au moins 6 pieds et plus avant même ; qu'on creuse aussi sous tous les escaliers qui y conduisent et notamment sous le pas de la porte de cette cave ; Je veux aussi qu'on cherche dans la voûte, surtout à l'endroit où il y a un anneau de fer. Si l'on ne trouve rien, on fouillera dans le magasin et caveau à côté, car il est presque certain qu'il y a un trésor enfoui ou caché dans quelque endroit de la maison.
Pour la terre d'Argentelle, on l'a gardera ou vendra selon qu'il paraîtra le plus avantageux à mon oncle. On vendra la petite maison de Beauvais, qui vaut au moins 4.000 francs ; on ne vendra pas le bois de la Masurau, mais je prie mon oncle et mes parents de tâcher que la terre de sur le Mont ou est ce bois appartienne à mon fils qui, s'il est agriculteur y trouvera sa fortune.
Je termine et vais m'endormir plein de confiance en la divinité. Je la prie de vouloir recevoir mon âme et de servir de mère à mon cher fils.
signé : LE CHEVALIER.

décès z

 

Ces deux dernières pièces corroborent la description que nous avons faite de la personnalité de Le Chevalier. Toute sa vie ne fut qu'une démonstration de son courage civique et militaire, de son patriotisme ardent, de sa fidélité à ses princes, dont l'énergie était loin d'aller de pair avec les dévouements dont ils étaient l'objet. Aussi en considérant la longue théorie des gens de courage et d'honneur qui se sacrifièrent à leur cause, on est amené à conclure que, rebelles à un régime dont une des plus éminentes qualités était la volonté du maintien de l'ordre à tout prix, ils couraient eux-mêmes au devant d'un châtiment fatal ; mais que ce châtiment ne comportait aucune idée de flétrissure, pas plus de la part des vainqueurs que des vaincus.

Louis XVIII, une fois rétabli sur le trône, en jugea de même, se contentant de dire que "le zèle de ses serviteurs était allé parfois trop loin dans les moyens d'exécution". Il s'efforça d'ailleurs de reconnaître de son mieux les services que les chouans lui avaient rendus. Il récompensa les uns, rétablit autant que possible la fortune compromise ou détruite des autres et en employa en diverses fonctions. Il s'agit de la sorte pour le fils de Le Chevalier, donna au jeune Armand-Gilbert des marques de réel intérêt, se chargea de son éducation, le plaça au Lycée Henri IV et l'admis ensuite parmi ses pages. (Bayeux, juin 1932 - A. Létienne - Société des sciences, arts et belles lettres de Bayeux - 17ème volume - 1932)

 ___________________

Son fils : ARMAND-GILBERT LE CHEVALIER (1802 - 1873)

Avocat - Avait créé sous le Second Empire une maison d'édition, 60 rue de Richelieu, et, avec son associé Paulin, fondé l'Illustration. Il avait noué des relations d'amitié avec Lamartine au moment du lancement du Cours familier de littérature.

marié avec Félicie Boissin, née à Givet (08) le 3 septembre 1811, décédée en 1893.

dont 2 fils :

LUCIEN-JOSEPH-BERNARD (1830 - 1903), licencié en droit, associé de son père, éditeur de La Revue Catholique de la Jeunesse, de l'Ami de la Maison, gérant de La Cloche et "auteur de nombreuses brochures socialistes" ; condamné deux fois pour délits de presse ; sous la Troisième République, il est entreposeur des tabacs, puis receveur principal des postes et télégraphes ; époux de Marie-Gabrielle Houzé, dont une fille, Jeanne Le Chevalier (1862 - 1933), épouse de Julien-Hippolyte-Eugène Barois (1849 - 1937), inspecteur-général des Ponts et Chaussées, chevalier de la Légion d'honneur, fils de Charles Barois (1816 - 1907), professeur ; dont Armand Barrois (1888 - 1967), diplomate et poète, époux d'Eva Di Gaeta ; Germaine Barois et Gabrielle Barois.

GEORGE-VICTOR, né le 11 novembre 1839 à Paris IIIe, Mort le 7 mars 1909 à Paris - non marié.

Nommé Préfet de la Sarthe le 6 septembre 1870
1862 : clerc d'avoué ; 1863-1864 : barreau de Paris : secrétaire de Sénard, ancien président de l'Assemblée constituante en 1848 ; secrétaire de la conférence des avocats à Paris ; 1864-1870 : avocat, participe à plusieurs procès politiques, souvent avec Gambetta ; également avocat de la Cie Parisienne du Gaz ; 1869-1870 : actif dans la campagne électorale de Thiers à Paris et dans la campagne anti-plébiscitaire ; 20 août 1870 : défend Eudes, futur dirigeant de la Commune, après l'affaire de la Villette ; mars 1871 - décembre 1873 : reprend sa place au barreau parisien ; défend plusieurs dirigeants de la Commune ; 10 mai 1871 : membre de la Ligue d'Union républicaine ; arrêté à Tours sur l'ordre de Thiers, pour avoir protesté contre le bombardement de Paris et le massacre des communards ; emprisonné à Versailles pendant dix jours ; décembre 1873 - 1880 : inscrit au barreau de Constantinople ; cabinet florissant ; devient bâtonnier et initie plusieurs réformes importantes ; avril 1882 - juillet 1893 : délégué de France à la Commission de la dette égyptienne au Caire ; 1889 : candidat républicain dans la Sarthe aux élections législatives, non élu ; 1893 : nommé ministre plénipotentiaire honoraire, et devient administrateur de la Cie du Canal de Suez grâce à son amitié avec de Lesseps ; 1893 : se fixe à Saint-Maixent (Sarthe) ; 4 avril 1895 : élu conseiller général de la Sarthe (Montmirail), maire de Saint-Maixent ; 1898 : réélu conseiller républicain de la Sarthe ; 4 janvier 1903 : sénateur de la Sarthe, siège avec l'Union républicaine ; soutient le ministère Combes ; 1903 - 1909 : président du conseil général de la Sarthe, il est "impartial, spirituel, de décision prompte et hardie, il savait prévenir les incidents, vider les querelles et calmer les susceptibilités" ; 3 janvier 1909 : réélu sénateur de la Sarthe.
Chevalier de la Légion d'honneur le 12 juillet 1880 ; officier le 24 juillet 1890.



AD14 - Registres paroissiaux de Vire

État-civil de Paris en ligne

Correspondance inédite d'Alphonse de Lamartine : Février 1848 - 1866 - tome 2 - Christian Croisille - Cahier n° 6, Clermont-Ferrand, 1996

Les Préfets de Gambetta - Vincent Wright - 2007

Les Royalistes et Napoléon - Jean-Paul Bertaud - 2009

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