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La Maraîchine Normande
4 novembre 2018

22 DÉCEMBRE 1793 - TURREAU ET SON PLAN GÉNÉRAL DE DÉFENSE ET D'ATTAQUE

TURREAU ET SON PLAN GÉNÉRAL DE DÉFENSE ET D'ATTAQUE, 22 DÉCEMBRE 1793.

TURREAU 37z


Turreau est surtout connu parce qu'il a commandé les colonnes infernales en Vendée. Suspendu, puis confiné à Belle-Isle qu'il mit en état de défense, décrété d'accusation, acquitté à l'unanimité par le tribunal militaire qui déclara qu'il avait dignement rempli ses fonctions comme homme de guerre et comme citoyen, il eut divers commandements de peu d'importance jusqu'à l'an XII où il fut chargé d'une mission diplomatique aux États-Unis. De retour en 1811, il fut employé en 1813 dans une division militaire, puis dans un corps d'observation, et mis en non activité le 1er septembre 1794. il eut sa retraite un an plus tard, et mourut à Conches, dans l'Eure, en 1816.

Ses débuts sont curieux. Il était surnuméraire aux gardes d'Artois, dans la compagnie d'Alsace, en 1786, à l'âge de vingt ans. Sous la Révolution, il commande en chef la garde nationale d'Évreux, sa ville natale, devient adjudant-général de la légion du district d'Évreux, et, le 16 septembre 1792, il est élu, par 384 votants sur 506, premier lieutenant-colonel du 3e bataillon de l'Eure. On lui demande alors "s'il a servi dans les troupes de ligne en qualité de capitaine et s'il en a fait le service" ; il répond qu'il a le brevet de capitaine sans en avoir rempli les fonctions.

Il est en Vendée, lorsque, le 5 juin 1793, il envoie au ministre un mémoire que nous ne connaissons pas, mais que les députés Garnier, Maure, Châles, Tallien, ont apostillé. Il est nommé le 30 juillet général de brigade et le 18 septembre général de division. En même temps qu'il devient divisionnaire, il reçoit le commandement en chef de l'armée des Pyrénées-Orientales ; l'avant-veille, le Conseil exécutif mande sa nomination à la Convention qui l'approuve. Or, Turreau n'avait sollicité d'autre place que celle d'adjudant-général, dans le dessein d'apprendre son métier. Il n'accepta donc qu'à contre-coeur le commandement de l'armée des Pyrénées-Orientales et il assurait qu'il avait peu d'expérience, qu'il désirait s'instruire encore.

Les jugements qu'il portait sur les hommes et les choses méritent d'être cités. Il trouvait la Convention "vraiment effrayante par l'immensité de ses pouvoirs et le défaut de contre-poids", et il déplorait que les rois eussent moins de crédit que les orateurs, que l'assemblée "fit des décrets de colère" et que le gouvernement n'agit que par saccades. S'il fréquentait les clubs, il leur reprochait de "se mêler de la discipline intérieure des régiments", et il assurait que l'armée serait totalement désorganisée si les harangueurs ne restaient pas sur les derrières. Il se moquait des officiers qui se mettaient, selon leur expression, à la hauteur des circonstances et qui, naguère petits-maîtres, étaient alors sales et mal tenus. "Beaucoup de bras et point de têtes, avait-il dit en Vendée, nous n'avons ni officiers supérieurs ni officiers généraux, et la plupart de nos soldats ne sont pas formés."

Il ne manquait donc pas de clairvoyance et il avait une haute idée de ses nouveaux devoirs. Le ministre Bouchotte ne se bornait pas à louer son sans-culottisme, "seule manière d'attirer la confiance du soldat" ; il ajoutait que Turreau avait montré de la capacité et de l'activité dans la Vendée, que l'armée des Pyrénées-Orientales ferait sous les ordres de ce vrai patriote "des choses bien utiles et bien courageuses".

Mais les représentants que Turreau trouva à Perpignan lui firent grise mine. Ils avaient confié le commandement à d'Aoust, et, sous le nom de d'Aoust, c'était Fabre de l'Hérault qui dirigeait les opérations. Turreau trouva, pour tirer son épingle du jeu, un ingénieux prétexte. Les bureaux ne lui avaient pas envoyé son brevet de général en chef. Il déclara que tant qu'il n'aurait pas reçu sa nomination officielle, il laissait d'Aoust à la tête des troupes, qu'il ne pouvait d'ailleurs exercer le "suprême généralat" avant de connaître parfaitement la région, l'armée et les principaux agents militaires.

Au bout d'un mois, il quitta le Roussillon sans avoir rien fait et regagna la Vendée. Mais il passa par Paris. Il y raconta ce qu'il avait vu, et, de retour dans l'Ouest, il rédigea le 22 décembre, le plan que nous publions et que nous avons tiré des Archives de la guerre.

Ce plan est fort intéressant et il renferme nombre de vues judicieuses et utiles. Turreau l'a sûrement écrit sous l'impression encore fraîche des choses qui l'ont frappé pendant qu'il était au quartier général de l'armée des Pyrénées-Orientales. Lorsqu'il demande, par exemple, que les officiers des armes spéciales restent dans leurs spécialités, il se rappelle Delattre, Bernède, Chaillet de Vergnes qu'il a rencontrés à l'état-major : Delattre, à peine sorti de l'École des Ponts et Chaussées, lieutenant du génie au 1er mai et capitaine au 1er juin, était, grâce à la protection du représentant Fabre, général de division au 3 novembre, bien qu'il n'eût pas la moindre expérience, et il laissa les Espagnols prendre Collioure et Port-Vendre ; Bernède, capitaine du génie et adjudant-général, était, avait dit Turreau, dangereux par sa souplesse, et on serait trop heureux s'il était nul ; quant à Chaillet de Vergnes, capitaine d'artillerie, devenu, comme Bernède, adjudant-général et chef de l'état-major, il n'avait quitté son arme que pour parvenir plus rapidement et, disait Turreau, il affectait trop de patriotisme "pour que ses opinions soient à la hauteur de la Révolution".


VUES GÉNÉRALES PRÉSENTÉES AU COMITÉ DE SALUT PUBLIC PAR LE RÉPUBLICAIN TURREAU, CI-DEVANT GÉNÉRAL EN CHEF DE L'ARMÉE DES PYRÉNÉES-ORIENTALES, COMMANDANT MAINTENANT L'ARMÉE DE L'OUEST.


Toutes les mesures que la Convention nationale a prises jusqu'ici pour se procurer des renseignements exacts sur la position de toutes les armées de la République, n'ont offert que des résultats insuffisants et bien souvent mensongers ; le Comité de Salut public n'a pu jeter qu'un coup d'oeil rapide sur l'ensemble des opérations militaires relatives à la guerre que nous avons à soutenir contre les despotes coalisés ; il n'a point été à portée d'adopter le plan vaste de défense et d'attaque qui pouvait seul assurer des succès avantageux et décisifs.

Ce travail ne pouvait s'opérer que par la réunion de tous les généraux en chef de chaque armée à Paris. On a trop tardé à sentir l'importance de ce grand conseil militaire dont les délibérations eussent servi de base à des décrets dont la Convention n'a pu deviner la nécessité.

Toutes les armées qui occupent nos frontières, ne sont que des divisions du grand camp de la liberté et la tyrannie est le seul ennemi que nous ayons à combattre. On doit donc agir sur tous les points limitrophes de la République avec la même unité d'action qui doit diriger une seule armée bien organisée et cela ne peut être qu'autant que le Comité de Salut public aura fixé à chacun des généraux en chef, en présence les uns des autres, la marche qu'il devra suivre, les entreprises qu'il aura à tenter, les précautions défensives qu'il devra prendre. Les mouvements du Midi seront ainsi combinés avec ceux du Nord et la tactique de chaque ennemi en particulier sera déjouée par cette grande mesure.

Après avoir reconnu l'importance bien démontrée de cette assemblée de généraux, la Convention nationale doit au plus tôt l'ordonner.

Elle décrétera que chaque général en chef, à une époque très rapprochée, se rendra à Paris, y apportera les renseignements relatifs à la partie de la frontière qu'il est chargé de défendre, à la force, aux besoins de son armée, à la position de l'ennemi, à ses moyens, ses ressources, aux talents présumés de ses généraux, aux projets qu'on leur suppose, et répondra sur sa tête de la vérité des faits qu'il aura avancés.

Alors le Comité de Salut public, en présence et sur les observations des généraux, décidera les questions suivantes :

1° Que la campagne doit s'ouvrir sur tous les points de manière à prévenir et surprendre les ennemis de la République. Que la guerre offensive doit être faite contre la puissance la plus faible et que si, sous ce rapport, on veut tenter une invasion, ce doit être plutôt en Espagne qu'ailleurs, cette puissance offrant plus de moyens de payer à la République les frais de la guerre - on devra, il est vrai, prendre des précautions particulières, la guerre contre l'Espagne présentant une plus grande difficulté, en raison de la pénurie des subsistances.

2° Que pour combiner les opérations militaires contre l'Espagne, en assurer le succès, les armées des Pyrénées-Orientales et Occidentales doivent être soumises à la même unité d'action, c'est-à-dire commandée par un seul et même général.

3° Que l'on doit limiter les Espagnols dans les fabrications des affûts de canon de quatre à deux roues qu'un seul cheval peut conduire, attendu l'extrême disette des chevaux et des fourrages.

4° Que les généraux, une fois chargés du commandement d'une armée, instruits des localités, resteront au même poste pour ne pas rendre inutiles les connaissances particulières qu'ils ont acquises.

5° Que le nombre des généraux de division et de brigade doit être considérablement diminué et qu'à cet effet on doit porter une attention toute particulière sur leur patriotisme pour ne conserver que le petit nombre de vrais sans-culottes qui se trouvent parmi eux, la surveillance de la Convention n'ayant jusqu'ici frappé en grande partie que les généraux en chef.

6° Que l'on doit recevoir difficilement dans les états-majors les officiers d'artillerie et du génie, peu propres, en général, à être officiers-généraux et dont le patriotisme peut être suspect par cela seul qu'ils désertent par ambition, dans un moment où la Révolution en a diminué les ressources, des corps dont autrefois ils s'honoraient tant d'être membres.

7° Qu'il est urgent de diminuer le nombre des corps dont les armées de la République sont composées, en portant les bataillons à 1.200 hommes, les demi-brigades à 3.600 hommes, opération que l'embrigadement et l'encadrement rendent très facile. Par la même raison, il faudrait porter tous les régiments de cavalerie à 900 hommes, opération également facile.

8° Que l'on doit avoir soin que les corps se trouvent réunis dans chaque armée pour éviter les doubles emplois, dépenses extraordinaires et l'indiscipline que ce morcellement occasionne presque toujours.

9° Que les précautions les plus strictes doivent être prises pour prévenir la dilapidation des munitions de bouche qui a lieu depuis longtemps par le défaut d'orcdre dans leur distribution, afin d'assurer les subsistances pour la campagne prochaine.

10° Que les plus grandes mesures seront prises pour fournir aux armées de la République tout ce qui peut leur manquer en habillements et en chaussures. - Nota. Tant qu'il en existera dans les villes de l'intérieur, les soldats ne doivent point en manquer. C'est à ceux qui restent tranquillement dans leurs foyers à se déshabiller et déchausser pour ceux qui les défendent aux frontières. Pour y contraindre les égoïstes, il faut que la Convention nationale décrète que dans chaque municipalité il sera fait une visite domiciliaire, que tous les habits, vestes et culottes d'uniforme, souliers, seront pris aux citoyens sans exception et en remboursant la valeur, pour être envoyés sur le champ aux armées.

11° Qu'il est important que la Convention nationale rapporte le décret relatif à la régie des charrois qui a confondu des parties dont le service ne peut être assuré qu'autant qu'elles seront distinctes et séparées. - Nota. Le service des équipages des vivres, par exemple, qui jusqu'ici s'est fait avec assez d'exactitude sous son ancienne organisation, peut être compromis par la nouvelle.

12° Que le mode d'élection des officiers dont l'abus n'est que trop démontré, doit être supprimé.

13° Qu'il doit être fait un épurement général parmi le grand nombre des chirurgiens attachés aux hôpitaux des armées, qui pour la plupart n'ont pas même les premières notions de l'art qu'ils prétendent professer.

14° Qu'il doit être établi le plus grand nombre possible d'académies militaires dans lesquelles les vieillards et les hommes devenus par leurs blessures incapables de servir la République, seront chargés d'instruire les jeunes gens qui n'ont point encore acquis l'âge de la première réquisition, au maniement des différentes armes, de former tous les jeunes coeurs par l'exemple de leurs belles actions.

Il est mille autres objets sur lesquels le général Turreau appellerait l'attention du Comité de salut public, si le grand conseil militaire qu'il propose, et qu'il croit indispensable dans les circonstances actuelles, avait lieu.

A Angers, le 2 nivôse, l'an 2 de la République française une et indivisible.

TURREAU, général en chef.

Renvoyé au Comité de la Guerre par celui du Salut public le 30 nivôse, an 2 de la République française une et indivisible.

SAINT-JUST, CARNOT.

A.C. - Annales révolutionnaires - T. 1, n° 2 (Avril-Juin 1908), pp. 307 - 313.

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