ST-LAURENT-SUR-SÈVRE (85) - BEAUPRÉAU (49) - CHARLOTTE-LOUBETTE-JEANNE-AMBROISE DU VAU DE CHAVAGNE, LA PETITE BRIGANDE
LOUBETTE DU VAU DE CHAVAGNE
3 documents pour un tragique destin
CHARLOTTE-LOUBETTE-JEANNE-AMBROISE DU VAU DE CHAVAGNE, née à Saint-Laurent-sur-Sèvre, le 27 juin 1789, de Messire Marie-Magdelon-François Duvau de Chavagne, seigneur de la Barbinière et de Dame Charlotte-Ambroise-Barthélémy-Prosper Sapinaud de Bois-Huguet, eut un tragique destin que l'on peut soupçonner grâce aux trois documents suivants :
DOCUMENT 1 - (Archives notariales de Saint-Laurent, déposées à Mortagne, du 30 octobre 1810 - David, notaire).
Madame Talour, "veuve de feu M. Sapineau de Boishuguet, propriétaire, demeurant ordinairement à Angers", enquête pour savoir ce que sont devenus ses enfants et petits enfants qui passèrent la Loire à la suite de l'armée vendéenne. Témoins appelés ; Marie-Anne Landreau, femme Pasquereau, métayer demeurant à la Maison-Neuve (Saint-Laurent), âgée de 36 ans ; Marie Chardonneau, veuve Bonnal, domestique chez Mme des Hommelles de la Verrie, 56 ans ; Victoire Brémond, ancienne domestique de la dite dame de Boishuguet ; Marie Bidoit, 50 ans, cuisinière de la dame de Boishuguet.
C'est le témoignage de Marie-Anne Landreau qui est le plus important. Le voici quasi intégralement :
"Ladite Marie Anne Landreau déclare qu'en mil sept cent quatrevingt treize elle était domestique chez M. et Mme Duvau de Chavagne, fille et gendre de la dite dame de Boishuguet, quelle demeurait avec eux à la Barbinière commune de Saint-Laurent, quelle était la gouvernante de leur enfans, et quelle soignait journellement demoiselle Loubette leur fille aînée agée à lors de quatre ans, quelle louchait un peu, que fort souvent elle l'habillait et aussi elle couchait avec elle ; quelle avait sur le col une petite marque de la grandeur et de la forme d'une lentille qu'on voyait sans baisser son mouchoir ; que cette petite marque était plus près de l'une des épaules que la racine des cheveux, et placée plus en avant qu'en arrière du col ; quelle l'avait vue plus de cent fois toute nue, et que jamais elle ne lui avait vu d'autres marques sur toutes les parties du corps ;
que lors du passage de la Loire par l'armée vendéenne elle Marie Landreau suivit et accompagna les dits M. et Dame Duvau ses maîtres et leurs enfans dont l'un était la dite demoiselle Loubette, et l'autre se nommait Célestin ; et qu'un domestique nommé St Jean les accompagna également ainsi que M. le Doyen de St Laurent ;
qu'ils arrivèrent tous à St Florent un matin au lever du soleil, et que jusque là, la dite demoiselle Loubette fut à cheval derrière M. le Doyen de St-Laurent, attachée avec des serviettes, et le petit Célestin derrière St Jean domestique ;
que le jour même qu'ils arrivèrent à St Florent environ midi, la déclarante tenant les deux petits enfans par la main, avec leur mère, passèrent la Loire dans un petit bateau et descendirent à Varade à la Grande Auberge où ils retrouvèrent M. Duvau et le dit St Jean domestique ;
et qu'aussitôt ce passage de la Loire, la fièvre prit les deux enfans ;
que de Varade ils suivirent l'armée vendéenne jusqu'à Laval, la déclarante tenait devant elle à cheval le petit Célestin, et le dit St Jean tenant devant lui, aussi à cheval, la dite demoiselle Loubette qui avait toujours la fièvre ;
qu'ils restèrent quatre à cinq jours à Laval chez Madame La Roche où le petit Célestin mourut ; et qu'aussitôt qu'il fut enterré Madame Duvau sa mère fit donner sa robe ;
qu'étant à Laval la petite vérole se déclara chez la dite demoiselle Loubette qui avec cela avait toujours la fièvre ;
que de Laval ils furent à Fougère où ils restèrent quatre à cinq jours à l'hopital, qu'ensuite ils furent à Dol où la petite demoiselle Loubette se trouva beaucoup plus mal de la petite vérole, qui ne pouvait parler à cause du froid et des autres misères ; que le dévoiment la prit aussi, la rendit extrêmement faible, faisant sous elle sans s'en apercevoir, et ne prenant qu'un peu d'eau de tems à autre, ce qui la mis si faible quelle ne pouvait plus se soutenir du tout ;
que de Dol ils furent à Avranche toujours à la suite de l'armée vendéenne et que pendant les différentes routes la déclarante et le dit St Jean domestique portaient chacun à leur tour à cheval, et devant eux, la dite demoiselle Loubette qui était toujours de plus en plus mal, et dont le dévoiment était si fort quelle faisait sous elle le long de la route, pour quoi on lui fit de petits coussin qu'on remplissait de foin et de paille et qu'il fallait changer souvent ;
que d'Avranche ils continuèrent de suivre l'armée jusqu'à Ancenis, toujours la petite demoiselle Loubette portée par la déclarante et le plus souvent encore par le dit St Jean ;
qu'en arrivant à Ancenis cet enfans était encore plus mal qu'à l'ordinaire, que sa petite vérole était enfin sortie, mais qu'ayant souvent couchée dehors le froid et les autres misères l'avaient sécher avant que le peu eusse peut sortir, que par cette raison les marques et trous de la petite vérole devinrent secs et noirs comme de l'encre ;
qu'en arrivant aussi à Ancenis la déclarante tenait sur ses bras la dite demoiselle Loubette Duvau, quelle lui dit nous allons retourner à la Barbinière voir grand maman, ne savez-vous pas que vous en avez une, et quelle répondit quelle savait bien que sa bonne maman était à Mortagne, quelle était bien aise de retourner à la Barbinière quelle avait cachez de ses saureaux (?) chez le bonhomme Mabit à l'étang le Blanc, quelle avait grand peur que son saureau à dents fut perdu ;
que la dite demoiselle Loubette lui avait demandé aussi, à elle déclarante, si elle savait ce qu'était devenue sa catin et si elle ne l'avait point ramassée.
La déclarante ajoute qu'ils restèrent environs vingt quatre heures à Ancenis, que pendant ce tems l'armée vendéenne fut presque détruite, de manière que chacun se sauva à la faveur de la nuit, les uns d'un côté et les autres de l'autre,
que dans ce moment de déroute, toujours avec ses maîtres, elle tenait la petite Loubette sur ses bras, quelle était encore plus mal que jamais, et quelle la remis au dit St Jean qui était à cheval sur la route de Nord, et que ses habits de calmones (?) couleur de fumée étaient salles et dans le plus mauvais état ; quelle avait un petit bonnet de laine broché couleur de cuivre ;
que peu d'instant après avoir remis cet enfant au dit St Jean, elle déclarante se sauva comme elle peut, et quelle n'a jamais revu ses maîtres ni la demoiselle Loubette leur enfans".
DOCUMENT 2 - G. Lenôtre - les noyades de Nantes - 3e édit. 1928 (Lib. acad. Perrin et Cie)
P. 205 ... où l'auteur cite le cas de charitables Nantais essayant de sauver des noyades de Carrier quelques femmes ou enfants en les faisant sortir des prisons (de l'Entrepôt)
"Bien d'autres Nantais ... apportaient une généreuse émulation à se fournir de petits "brigands" - ainsi, est-il besoin de le rappeler, les patriotes désignaient les royalistes. (...) Une maîtresse de pension, Mlle de la Brosse, se chargea d'une petite "brigande" qu'elle trouva mendiant à sa porte et qui ne connaissait, de son état civil, que son prénom de Clémentine. On parvint, plus tard, à la rendre à ses nobles parents les du Vau de Chavagne ; elle reprit ses droits héréditaires".
DOCUMENT 3
Dans Nouvelles notices sur la Vendée faites dans un voyage en 1820 (faisant suite à Elégies vendéennes, dédiées à Madame la Marquise de La Rochejaquelein, par M. Sapinaud de Boishuguet, chevalier de Saint Louis - 1820), l'auteur, fils de Mme de Sapinaud, l'auteur des Mémoires, et frère de Madame Duvau de Chavagne, évoque la visite qu'il fit à la Barbinière chez son neveu Charles Duvau de Chavagne. Il poursuit :
"Je quittai la Barbinière un jour de fête, et je me séparai à regret de M. Duveau de Chavagne ; son malheureux sort l'avait fait orphelin dès le berceau (...). Quoique très jeune et marié avec sa cousine germaine, Pauline de Sapinaud, il fut aux cent jours un des premiers au rendez-vous des Vendéens fidèles. M. Duveau et toute sa famille avec lui croyaient que sa soeur, âgée de cinq ans, avait succombé en 1793 à deux maladies mortelles, la petite vérole et la dyssenterie ; maladies qui étaient une suite des fatigues qu'elle avait éprouvées en suivant sa mère. La cour royale d'Angers lui a prouvé le contraire en 1818, et a décidé qu'une demoiselle, nommée Clémentine, était Mlle Duveau. Ma mère, quoique très religieuse et très tendre, n'a pu la reconnaître volontairement pour sa petite-fille, et jamais mère n'a plus désiré retrouver son enfant." (p. 36-37)
En 1793, M. et Madame Duvau de Chavagne furent contraints d'abandonner leur château, situé dans le département de la Vendée, et de suivre l'armée vendéenne, lorsqu'elle passa sur la rive droite de la Loire.
Trois enfants étaient issus de leur mariage ; Charles Duvau, le plus jeune, avait été confié au soin d'une nourrice : les deux autres Célestin Duvau et Charlotte-Loubette Duvau, alors âgée de quatre ans, furent emmenés par leurs parents, et suivirent avec eux l'armée.
Célestin mourut à Laval.
Après la déroute du Mans, M. et Madame Duvau, fuyant vers Savenay, et passant par le bourg de Nort, obtinrent de la veuve Adam, aubergiste dans ce village, qu'elle voulût bien se charger momentanément de leur fille Charlotte-Loubette, alors malade de la dyssenterie.
Ils lui laissèrent une somme d'argent, et plusieurs objets précieux.
La veuve Adam ne garda l'enfant que trois semaines. Elle le remit à des femmes vendéennes qui faisaient partie d'un convoi de prisonniers dirigés sur Nantes, l'une de ces femmes s'écria, en prenant la petite Loubette : "Eh bien ! elle mourra avec moi". Dans ce moment, l'enfant avait un petit bonnet d'indienne à fleurs rouges et blanches, et était enveloppé d'un jupon brun.
Ici on perd la trace de la demoiselle Loubette Duvau ; le convoi partit de Nort le 15 janvier 1794, on ignore ce qu'il devint depuis ce moment.
Dans l'intervalle, M. et Mme Duvau étaient morts, de telle sorte que leur plus jeune enfant, Charles Duvau, restait seul de toute la famille.
Cependant, vers la fin du mois de janvier 1794, M. le comte Lepic, alors lieutenant-colonel d'un régiment de chasseurs, aperçut sur le chemin de Mortagne, à la suite d'une charge exécutée contre une troupe de vendéens fugitifs, une femme qui avait été tuée d'un coup de feu, elle tenait encore une petite fille dans ses bras.
Le lieutenant-colonel Lepic prit cette enfant, l'apporta à Nantes, la confia à une dame Duchêne, en lui recommandant de conserver avec soin les vêtements dont l'enfant était couvert, et qui consistaient en un petit bonnet à fleurs rouges et blanches, et en un jupon brun. Cette petite fille était alors malade de la dyssenterie ; elle fut traitée par un pharmacien appelé par le lieutenant-colonel Lepic.
La femme Duchêne étant tombée dans une extrême indigence, accepta l'offre qui lui fut faite par les demoiselles de Labrosse, de se charger de la petite fille, elle leur remit les vêtements qu'elle portait à son arrivée à Nantes.
Les demoiselles de Labrosse lui donnèrent le nom de Clémentine, et l'élevèrent avec un soin particulier.
A peu près vers la même époque, c'est-à-dire en 1796, la dame Boishuguet, mère de feu madame Duvau de Chavagne fit des recherches à Nort et à Nantes, pour savoir ce qu'était devenu le convoi parti de Nort en janvier 1794. Ses démarches, ainsi que celles d'une dame Huet, furent infructueuses, au reste, les demoiselles Labrosse n'en eurent aucune connaissance.
Quinze années s'écoulent ; et la dame Boishuguet, le sieur Charles Duvau de Chavagne et toute leur famille restent persuadés que la jeune Charlotte-Loubette a cessé d'exister.
Cependant en 1810, la dame Huet qui avait aidé et accompagné en 1796 madame de Boishuguet, dans ses recherches apprend que les demoiselles Labrosse élèvent une jeune vendéenne inconnue ; elle se transporte chez elles, et parmi plusieurs jeunes demoiselles rassemblées, elle fixe ses regards sur Clémentine, frappée de la ressemblance qui existe entre elle et feue madame Duvau et elle s'écrie : voilà bien le portrait de la maman.
La dame Huet prévient madame de Boishuguet de sa découverte ; sur-le-champ, celle-ci envoie M. Jules de Boishuguet son frère, et M. Charles Duvau lui-même pour voir Clémentine ; ils sont frappés l'un et l'autre de son extrême ressemblance avec madame Duvau, ils reconnaissent de plus des signes particuliers qu'avait la jeune Loubette.
Enfin Clémentine est conduite chez madame de Boishuguet, où M. de Cumont, ancien ami de la famille et tuteur de Charles Duvau atteste que la ressemblance est frappante. Charles Duvau lui-même convient qu'il y a du rapport entre son propre regard et celui de Clémentine.
On promet de faire des recherches pour constater l'identité ; mais ces promesses restent sans effet. Alors la demoiselle Sophie Labrosse se transporte avec sa protégée Clémentine à Nort, la veuve Adam était morte ; mais un grand nombre d'habitants du village s'accordent à reconnaître dans Clémentine l'enfant qui avait été déposé en 1794, chez la veuve Adam.
A Saint-Laurent-sur-Sèvre, dont M. Duvau avait été seigneur, et dans les lieux environnants, une foule de personnes, des domestiques même de M. Duvau, reconnaissent dans Clémentine les traits de Loubette, une ressemblance parfaite avec M. et Madame Duvau, et le son de voix de madame Duvau, même celui de M. Charles Duvau.
Tandis que Clémentine est occupée à rassembler encore d'autres preuves, une jeune fille, nommée Rose, se disant fille de M. Duvau de Chavagne, assigne Monsieur Charles Duvau pour se faire reconnaître en cette qualité.
Clémentine intervient dans l'instance, et demande à être déclarée seule fille des défunts M. et Mme Duvau de Chavagne, et à ce que M. Charles Duvau fils, soit tenu de la reconnaître pour sa soeur ...
S'ensuivit un procès aux multiples rebondissements qui dura jusqu'en 1818 où Clémentine est reconnue comme étant Loubette Duvau.
LOUBETTE épouse, à Paris, en mai 1818, Michel-Louis Crucy et après quelques années à Paris, au Havre et à Nantes, le couple vient habiter à La Touche (Beaupréau) en 1825.
De ce mariage sont nés :
- Louis-Léon, né le 13 février 1820, à Nantes (3ème canton) ; marié en premières noces avec Esther Thoinet (de La Turmelièure), dont Ambroise, et en secondes noces avec Claire Lorois, dont Alice et Pauline ; décédé en 1906 ;
- Albin né le 7 janvier 1823 à Nantes (3e canton), décédé le 18 novembre de la même année ;
- Alfred-Albin, né le 14 décembre 1824, à Nantes (5e et 6e canton), décédé sans alliance le 1er avril 1869.
MICHEL-LOUIS CRUCY DE VAU est décédé, aux Touches, à Beaupréau, le 13 juin 1854.
CHARLOTTE-LOUBETTE-JEANNE-AMBROISE DU VAU DE CHAVAGNE est décédée en son domicile, aux Touches, le 25 août 1860, à l'âge de 72 ans.
La tombe de la famille Crucy-Duvau n'existe plus depuis 2007.
Histoire de Saint-Laurent-sur-Sèvre - Bernard Raymond - Noël Roul - 1987
Recueil général des lois et des arrêts ... 1818 - Tome XVIII - p. 149 à 160.
Photo de la tombe : Gilles Leroy - Les inventaires dans les Mauges - 2007 - Les Éditions d'Ici.
AD85 - Registres paroissiaux de Saint-Laurent-sur-Sèvre
AD49 - Registres d'état-civil de Beaupréau
AD44 - Registres d'état-civil de Nantes