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La Maraîchine Normande
26 décembre 2017

BEAUFOU (85) - L'ABBÉ HENRI-PAUL JOUSBERT DE LA COUR PENDANT LA GRANDE GUERRE

L'ABBÉ JOUSBERT PENDANT LA GRANDE GUERRE

Beaufou vue zz zz

Monsieur Henri-Paul Jousbert de la Cour, né à La Chapelle-Hermier, le 25 janvier 1737, ordonné prêtre en 1761, fut peu de temps après son ordination nommé à la cure de Beaufou.

 

Jousbert z

 

C'était un homme d'une taille au-dessus de la moyenne, d'une santé robuste. Infatigable à la marche, il faisait à pieds tous ses voyages au-dehors comme au-dedans de sa paroisse.

D'un tempérament excessivement nerveux, ce qu'il voulait, il le voulait bien ; et pour arriver à son but, il ne comptait ni avec les fatigues, ni avec les privations. Il bravait le péril jusqu'à la témérité, comme la suite le fera voir.

D'une nature aussi ardente, il aimait passionnément ses paroissiens. Né au sein de la grandeur, il oublia bien vite les douceurs de la vie qu'il avait partagées dans la maison paternelle, avec son frère alors curé du Grand-Luc, pour se dévouer corps et âme au salut de son troupeau. Pour gagner plus sûrement à Dieu ces hommes simples et francs mais dépourvus d'instruction, il se fit comme l'un d'eux. Bon, compatissant, parlant à tous, les visitant, fréquemment, il sut si bien gagner leur confiance' qu'ils l'affectionnaient comme un père. Cette affection réciproque du pasteur et des brebis parut avec éclat quand vinrent les jours mauvais. Rien alors ne put les séparer. Le pasteur demeura à la garde de son troupeau, et le troupeau, sans que personne n'y fit défaut, veilla à la sécurité du pasteur. Il n'y eut pas de traître dans cette petite famille. Ces heureux résultats, M. Jousbert les devait à sa piété, à son zèle pour le salut de ses brebis. Après son arrivée dans la paroisse, quand il eut acquis une connaissance suffisante de son troupeau, il lui procura une faveur exceptionnelle, dont dépend ordinairement l'avenir religieux d'un peuple.

Voulant faire revivre la foi des temps primitifs, pour l'asseoir sur des bases solides, il appela des missionnaires. Il fit donner une mission. Ce fut en 1769-1770. Elle dura deux mois. On y accourut de tout côtés. On y venait de la Génétouze, distance considérable à l'époque. Le jour de la clôture, on planta dans le cimetière une belle croix que la révolution a brisée.

Les vieillards aimaient à rappeler ce que leurs pères leur ont raconté des merveilles de cette mission à laquelle Beaufou a dû, sans aucun doute, cette réputation de piété qui fait si longtemps sa gloire.

La révolution de 1789 surprit M. Jousbert, tout occupé de son ministère aussi actif qu'il était consolant.

Comme beaucoup, il avait vu monter l'orage. Mais comme beaucoup encore, il n'avait pas mis dans son esprit que cet orage dût être aussi terrible, aussi épouvantable. Le récit des premiers évènements le fit tressaillir. Il s'indignait. Le sang bouillonnait dans ses veines. - "Oh ! si j'étais là, disait-il, en parlant de Versailles ! Oh ! si j'avais la puissance !" Puis quand ces sentiments d'indignation furent passés, plus calme, il pensa à son troupeau. C'était pour lui [là] qu'était le danger. Il redoubla ses prières, ses exhortations. Il multiplia ses visites et ses efforts pour prévenir ses chères brebis contre les périls qui menaçaient de toutes parts. Son zèle fut béni de Dieu. Son troupeau demeura fidèle.

L'orage révolutionnaire montait sans cesse chaque semaine, apportant de nouveaux actes d'impiété dictés par la Constituante. La Constitution civile du clergé, la confiscation des biens, la déportation des prêtres, se succédaient avec une rapidité effroyable.

M. Jousbert n'était pas un homme aux demi-mesures, aux ménagements. Il protesta, il prêcha contre le serment à la Constitution civile et dispensa ainsi les délégués de la nation de lui en faire la demande. Mis hors la loi comme rebelle, il fut chassé de son église, son presbytère et ses biens furent vendus à un sieur Ordonneau du Poiré, l'habit ecclésiastique interdit, le culte catholique prohibé.

Contre la force, il n'y avait plus de résistance possible, mais avant de céder à la violence, M. Jousbert jeta à la face de la révolution un défi digne de son caractère. Il annonça publiquement une messe solennelle pour le jour de l'Ascension, 13 mai 1792 ...

M. Jousbert chassé de son église et de son presbytère, résolut de demeurer quand même dans sa paroisse. Beaucoup de prêtres, saints et zélés, allaient alors demander à l'étranger un abri que leur refusait la patrie ; on les a appelés confesseurs de la foi. La première année de proscription se passa d'une façon assez monotone. Les chasseurs de prêtres fidèles n'osaient pas s'aventurer à sa poursuite au sein de sa paroisse.

Une fois, il eut bien peur. Il avait passé plusieurs heures dans un champ de genêts. Il se lève au même instant, à dix pas de lui, se lève un autre personnage. Ils se regardent, puis, sans prendre le temps de se demander leur passeport, ils prennent la fuite dans des directions opposées. Ce personnage était sans doute un autre prêtre proscrit. M. Jousbert en rentrant dans une ferme voisine, au village de la Cantrie, dit à la fille de la maison : "Ma fille, donne-moi un peu de lait - je viens d'avoir bien peur. Il était trop près de moi, à trente pas, je ne crains rien, car j'ai le pied bon." ...

Tous les hommes valides étaient enrôlés dans l'armée, sous le commandement du général de division SAVIN. Les vieillards, les femmes, les enfants étaient abandonnés à eux-mêmes. M. le curé pourvut à leur défense.

D'un caractère ardent, comme on l'a dit, et ne comptant jamais avec la fatigue, il ne confia sa garde à personne. Il était à lui-même sa sentinelle avancée. La nuit et de préférence dans les temps les plus mauvais, il allait en éclaireur sur les routes, dans les villages voisins de la paroisse, écoutant aux portes des maisons suspectes, pénétrant au milieu des bandes révolutionnaires, surprenant leurs projets, leurs complots. "Ces bigres-là ne m'ont pas vu, disait-il ; je leur ferai la barbe."

Par ces moyens et au prix de mille dangers, il a pu échapper et fait échapper aux massacres une foule de ses paroissiens.

Il y avait au bourg du Grand-Luc, un nommé PICHAUD, homme dangereux. Il s'était donné pour mission, ou il l'avait reçu d'autres, d'espionner les gens de Beaufou. Toujours par monts et par vaux, c'était un homme affairé à Beaufou, on l'appelait LA NAVETTE. Mais cette marotte était dangereuse. M. Jousbert qui le connaissait, avertit ses paroissiens, de s'en défier, et pour paralyser les mauvais rapports, il l'épiait activement et le suivait souvent jusqau'au lieu pour saisir les rapports et en prévenir les effets. Mais seul il ne pouvait suffire à toutes les éventualités. Il employa tout le monde dans la défense commune.

Il fit d'abord cacher en lieux sûrs tous les objets précieux et les choses nécessaires à la vie. Les maisons furent dépouillées de leur ameublements. On ne put conserver que le stricte nécessaire. Il fallait laisser le moins possible au pillage des bleus. De la sorte, à la première alerte, la fuite était prompte et facile. Chaque village devait veiller à sa propre sécurité et à celle de ses voisins. Ce fut aux jeunes gens, aux enfants alertes et courageux que M. le curé confia cette partie importante de la défense. Toujours, le jour comme la nuit, il devait y avoir des sentinelles avancées montées sur les arbres ou cachées dans les taillis ou dans les champs de genêts. Dès que l'ennemi apparaissait et qu'on avait découvert sa marche, les sentinelles se repliaient en silence, donnant le signal convenu aux fermes et aux villages menacés. Chaque village devait avoir plusieurs cachettes. Il fallait éviter de se rencontrer trop de personnes au même lieu ; on changeait souvent d'azyle ; de manière, en un mot, à dérouter les traîtres et n'offrir le moins de prise possible à l'ennemi. Ce système de défense assez compliqué au premier abord se simplifie bien vite par la pratique, au point qu'un petit nombre d'enfants espiègles et aux pieds agiles put le pratiquer avec une facilité étonnante. Par ce moyen, la population travaillait le jour et prenait la nuit un repos aussi tranquille que le permettaient les circonstances. On était assuré, sauf certains cas impossibles à prévoir, d'être prévenu à temps.

Le plus agile, le premier aux dangers, c'était le curé. On comprendra difficilement toutes les fatigues qu'il eut à supporter par des chemins impraticables, les périls qu'il eut à affronter, les privations qu'il dût s'imposer. Personne ne dira non plus les services qu'il rendit à son troupeau et de combien de malheurs il le préserva. Les bandes infernales n'y firent que peu de victimes ...

- Une nuit, c'était à la fin d'automne 1793, par un temps magnifique, la lune brillant au ciel dans tout son éclat, M. Jousbert, inquiet sans savoir pourquoi, quitte sa cachette et se dirige vers le Poiré où le bruit courait, depuis quelques heures, qu'on avait entendu les bleus. Il était important de connaître et leur nombre et leurs projets. La mission était périlleuse, le curé l'avait prise pour lui. Il s'achemine donc seul avec ses pensées. Arrivé sur le bord d'une vaste lande sur laquelle la lune répandait sa pâle clarté, il s'arrête, sondant du regard avant de s'y engager, l'espace qui s'ouvre devant lui, un bruit sourd frappe ses oreilles. Bientôt à sa gauche, à une assez grande distance, il voit jaillir comme des éclats de lumière ; c'étaient les shakos et les bayonnettes des bleus reflétant les rayons de la lune. Toute une colonne s'avançait. Il n'était pas possible de compter leur nombre. Leur marche aussi paraissait incertaine. A en juger par la direction qu'ils suivaient, c'étaient des gens égarés.

Après un moment d'observation, M. Jousbert les voyant se diriger vers lui, prend le parti de les attendre. Vite, il monte sur un chêne têtard dont l'épais feuillage le cache à la vue. Dix minutes après, la colonne des bleus arrive près de lui, fait halte, et met les armes en faisceaux. Le curé, comme il l'a dit après, n'eut pas, dans ce moment, cédé sa place pour un canon. Du haut de son observatoire, il voit se former un groupe d'officiers autour des soldats. Une assez vive altercation se fait entendre ... Des blasphèmes, des menaces, des rires ironiques. Le curé voyait un peu mais ne comprenait rien à cause du bruit. Le groupe enfin se sépare après un assez long débat, et trois officiers viennent à dix pas de lui s'asseoir sur un tas de landes, ne se doutant pas, assurément, qu'il y eut si près d'eux un gibier de guillotine. "Tiens, mon cher, dit l'un des officiers en déposant à terre son schako, je n'en démors pas. Pour le sûr, ce brigand-là nous a fourvoyés, c'est un traître. - Général, répond l'officier interpellé, il se sera trompé de route au village que nous venons d'incendier. Le feu et les cris de cette bonne femme qu'on a éventrée le faisaient pâlir. - J'ai horreur des traîtres, reprend le général. Je m'en sers par nécessité. Quand j'ai fini de leurs services, je les escofie tous. - Vous les récompensez comme ils le méritent, répond l'officier ; avec cela qu'il en fourmille en ce pays maudit".

Ces paroles de l'officier : "Avec cela qu'il en fourmille dans ce pays maudit" ont paru à plusieurs une calomnie, exagération, peut-être, si on donne au mot "fourmille" toute son acceptation ; mais au fond il n'y a pas de calomnie. L'histoire de la Vendée ne dit pas sur ce point toute la vérité ; c'est une faute, l'histoire devant toujours être impartiale et jamais le mensonge ne peut être bon à quelque chose. On l'utilise, mais ses fruits sont empestés.

Les bleus comptaient dans leurs rangs bon nombre de chevaliers qui sous la restauration et depuis ont fait les zélés. Sous leur déguisement, plusieurs ont été reconnus à Beaufou. On pourrait en faire une petite liste. Un jour, l'un d'eux était au pillage à la Vésinière chez Mlle de la Forêt et se voyant reconnu leur dit ces paroles que l'histoire devait enregistrer : "Il y en a qui aiment mieux raccourcir leur tête que leurs titres. Moi, j'aime mieux raccourcir mon titre".

A vrai dire, il n'aimait ni l'un ni l'autre. Sous la restauration, il a fait sonner bien haut son titre que peut-être il ne tenait pas de ses pères et, qu'assurément, il n'avait pas mérité à la guerre. C'était un zélé du premier degré. Il a fait même beaucoup de bruit ; on pourrait le nommer, et d'autres encore ... par compassion pour les familles qui n'en peuvent pas, on ne le fait pas.

Que de poitrines ont porté la croix de Saint-Louis cachant sous ce symbole de l'honneur et de la fidélité des coeurs de traîtres ! Il fut un temps où cette croix coûtait deux mille francs. - On en a vu les preuves écrites chez un haut magistrat qui vendait par ordre supérieur.

Après quelques moments de silence, le général regardant à sa montre : "Il avait juré, dit-il, de nous conduire à Beaufou en deux heures, et voilà minuit !" Capitaine, ajoute-t-il, en s'adressant au troisième officier, "qu'on m'amène ce brigand !" Un instant après, le capitaine traînait par le collet devant le général un paysan suivi de plusieurs soldats. "Tu es un traître", s'écrie le général, d'une voix colère. "Mais tu vas porter la peine de ta trahison. Qu'on le garotte et qu'on le pende à cet arbre" et désignait l'arbre sur lequel était monté M. Jousbert. Le frisson de la mort passa sur le coeur du curé. D'un bond, il allait s'élancer à terre, quand le transfuge élevant la voix dit au général : "Si vous me tuez, vous êtes perdus. Sachez que vous êtes ici entre deux corps de brigands campés dans ce bois. Si vous m'en donnez le temps, je vais explorer la route et avant le jour, vous serez à Beaufou. - Oh ! monstre, s'écrie le général. Eh ! bien, marche. Mais si tu manques à ta parole, je le jure par mon épée, tu seras pendu après que je t'aurais fait écorcher tout vivant. Capitaine, suis-le avec vingt hommes. Tu réponds de lui sur ta tête !. Ainsi soit, répond le perfide transfuge, qu'un mensonge venait de sauver ; et il court à la recherche de son chemin.

Cependant, la position du curé était des plus critiques. Les soldats allaient et venaient. Le moindre bruit, le plus léger mouvement au milieu d'un feuillage à moitié desséché, pouvait attirer leur attention. Il retenait son haleine ; son coeur battait avec force. Il était tout yeux et tout oreilles. Les officiers parlaient peu et presque à voix basse. Tout ce qu'il put comprendre c'est qu'on allait à Beaufou massacrer les habitants et incendier le bourg. Cependant, la nuit avançait et le transfuge n'arrivait pas. Pour peu que l'aube vint à paraître, le curé était perdu. Les minutes étaient des heures. Enfin, le transfuge arrive. Le général frappe en ses mains. Les soldats reprennent leurs rangs.

Le curé saute à terre et par des routes connues arrive au bourg et donne l'alerte. Une demi-heure après, les bleus arrivaient. Toutes les portes étaient ouvertes. Il n'y avait rien à piller, rien à massacrer. l'incendie seul fit son oeuvre de destruction. L'église, la cure, deux maisons voisines devinrent la proie des flammes que contemplaient d'un champ voisin les habitants éplorés. Le bourg fut préservé d'une ruine complète par une fausse alerte qui attira les bleus vers les Lucs.

Ces colonnes incendiaires, semblables à un ouragan, sont passées treize fois sur la paroisse de Beaufou, non compris les ravages des bandes détachées.

- Une autre fois, debout dans un chemin, les bras croisés sur la poitrine, et tout absorbé dans ses pensées, il voit tout-à-coup, à dix pas, cinq bleus. "Quel diable vous pousse à la mort ?" leur crie-t-il d'une voix terrible. Les bleus surpris se crurent sans doute, tombés dans une embuscade et prirent la fuite sans faire usage de leurs armes.

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Quand M. le curé Jousbert fut obligé par les persécution d'abandonner son église et sa cure, on était dans les jours chauds du printemps. Il put pendant l'été se tenir caché dans la campagne et visiter assez facilement les villages, administrant les sacrements et remplissant envers tous, sans exception, et plus même que les circonstances ne le permettaient tous les devoir de son ministère.

La nuit habituellement, il couchait dans une ferme. Il ne reparut que rarement à la cure pour ne pas attirer trop l'attention des ennemis. La même prudence l'empêchait également de dire la sainte messe dans l'église. La cure et tous les biens de l'église ayant été vendus (ce fut un sieur Ordonneeau du Poiré qui consentit à cette vente sacrilège, qui ne lui a pas porté bonheur), M. le curé fut bien forcé de toute façon de s'en éloigner. Après que l'église eut été incendiée, M. le curé s'y rendait fréquemment pour prier et pleurer sur les ruines.

Pendant l'hiver qui se vit d'une manière très rigoureuse, M. le curé fut bien forcé de chercher d'autres abris.

Toutes les maisons de ses paroissiens lui étaient secrètement ouvertes et tous regardaient comme une cause de bénédiction sa présence au milieu d'eux. Mais, il était trop prudent pour profiter de ces bonnes dispositions. Il savait que sa présence attirerait de préférence les bleus dans les villages où ils le croiraient caché. De plus, quand l'incendie eut promené les ravages de tous côtés, les quelques maisons restées debout n'étaient pas assez grandes pour abriter tous les malheureux. Afin donc de ne compromettre et de ne gêner personne, il se fit plusieurs cachettes en divers endroits de la paroisse. On a conservé le souvenir de quelques-un de ces asyles dont la vue, aujourd'hui, arracherait des larmes de compassion.

Dans le bois de la Grève, du côté du petit ruisseau, il s'était pratiqué une petite retraite, sous terre. C'était un vrai trou, arrondi comme un four, assez grand pour que trois personnes puissent s'y étendre de tout leur long. Il fallait s'y tenir couché. On y entrait en rempant par un trou dont la vue était dérobée aux passants par les bouillées d'ajoncs. M. le curé a passé bien des heures et de longues nuits dans cette tanière, seul, sans feu, ni chandelle, étendu sur un tas de feuilles sèches ramassées dans le bois. Encore, se trouvait-il heureux d'avoir cet asyle. Là, au moins, il était en paix et n'avait aucune crainte d'être surpris par les bleus, seuls quelques hommes très fidèles connaissaient son gîte. Ce qui l'ennuyait le plus, surtout l'été, c'était la crainte des vermines dont il n'aimait pas du tout la compagnie.

Ardouinière z

Il avait une semblable retraite dans les landes qui s'étendent entre le bois des Rivières et la Courollière. Mais on a oublié le nom du champ où elle se trouvait.

Quand il apprenait que les bleus couraient à sa recherche, pour ménager les paroissiens, il alla se cacher, plusieurs fois, à la Tulévrière.

On lui avait creusé deux autres refuges, l'un au bas du village de la Caunière, l'autre près du ruisseau qui coule entre la Bisière et la Brouardière.

Les habitants de l'Ardouinière lui avaient construit une toute petite chaumière en pierres, assez grande pour y faire tenir debout une dizaine de personnes, recouverte d'un amas de pierres et de décombres, cette cahute offrait un abri très sûr. Les bleus ne pouvaient s'en douter ; et de fait, quand ils sont passés par là, ils l'ont toujours épargnée. Le seul inconvénient était son éloignement du reste de la paroisse.

C'est ainsi que ce saint prêtre a vécu pendant trois années. Au lieu d'aller chercher le repos sur une terre lointaine, il a préféré partager toutes les souffrances de ses paroissiens et leurs continuels périls. Il a voulu vivre en languissant au milieu de son troupeau, et mourir à la peine pour le sauver.

En 1795, bravant le danger, il vint fixer sa demeure dans une masure dans le bourg, à laquelle il donna le nom de cure. Il n'en sortait qu'au moment des alertes. Alors il rentrait dans ses trous et rentrait au bourg après l'orage passé.

Ce genre de vie impossible dépourvu absolument de tout plaisir, de toute consolation et n'offrant chaque jour que de nouvelles perplexités et de plus grandes souffrances, avait pourtant le grand avantage de mettre le pasteur en continuelles relations avec son troupeau. C'est ce qui explique comment il se trouvait partout où il y avait un service à rendre, un malheur à conjurer. Doué d'une santé robuste et d'un courage indomptable, il ne comptait point avec les peines et les privations. Quand l'âge et les infirmités enchaînèrent enfin son corps dans un repos forcé, son âme ardente rêvait encore de plus grandes fatigues. Et cependant, elles avaient été bien grandes ses fatigues et ses souffrances dépensées au salut de ses brebis. Très nombreux encore, avaient été les périls, les dangers qu'il avait courus ! Lui seul pourrait tout nous apprendre.

Quelques exemples conservés dans la mémoire reconnaissante de ses paroissiens, sont bien propres à nous édifier :

 

Beaufou le bois rond z

 

- Les bleus étaient cantonnés à Legé et rançonnaient les villages des alentours. Un jour, une patrouille enleva dans un village de Beaufou, le Bois Rond, des moutons avec deux enfants qui les gardaient, un garçon d'une huitaine d'années et une petite fille de dix ans, frère et soeur.  Inutile de parler du désespoir des parents et de la douleur du curé quand, dès le soir même, on lui apprit la triste nouvelle. Mais tandis que les gens de la ferme se livraient tout entiers aux larmes et aux gémissements, lui, il rêva toute la nuit aux moyens de sauver ces petits malheureux, s'ils étaient encore en vie. Un tel projet paraissait insensé et absolument irréalisable. Tout ce que le curé pouvait espérer, était de se perdre lui-même en voulant sauver les autres. Le souvenir des autres dangers auxquels il avait toujours échappé fit taire toutes les appréhensions ; et oubliant encore une fois toute prudence, il résolut de tenter l'aventure. M. le curé Jousbert prudent à l'excès quand il s'agissait des autres, était d'une impulsion extrême pour sa propre personne.

Le lendemain matin, sans rien dire à personne, M. le curé, sous un costume complet de métayer, chapeau à larges bords cachant une tête couverte de longs cheveux, vieille et longue barbe grise, cravate bleue au cou, une veste de droguet, gilet de flanelle, pantalon barré, de vieilles chaussettes dans de gros sabots, prend la route de Legé, portant sur son épaule un panier de magnifiques pommes. Les jours précédents, il était tombé beaucoup d'eau, et ce jour-là, passaient encore de fortes giboulées.

Arrivé gaillardement au poste, il demande à parler au général qui le reçut, pensant, sans doute, avoir affaire à un dénonciateur. Il s'arrange de façon à lui faire accepter les pommes et en récompense il en obtient un permis écrit de se promener toute la journée dans le bourg. Muni de ce papier, dont la rareté faisait tout le prix, il circule par ci par là, il va, il vient, il parle aux soldats, il accoste les officiers et lie enfin amitié avec un capitaine qu'il amuse par ses bons mots et ses plaisanteries. C'était tout juste le capitaine de la compagnie dont faisait partie la patrouille qui avait enlevé les enfants.

En se promenant bras dessus et bras dessous dans les rues, ils arrivent à la cantine. C'était là qu'on avait enfermé les deux petits enfants. Le curé le savait. "Tiens, dit-il, en faisant l'étonné - Ah ! dit l'officier, ce sont deux petits gibiers qu'on nous a apportés hier, je ne sais pourquoi faire, j'en ai la garde, mais je ne m'en occupe guère. La petite fille, sous son déguisement, avait reconnu son bonhomme curé. Ouvrant ses petits bras, elle s'approche en s'écriant : "Ah ! mos... D'un revers de main bien appliqué sur la bouche, le curé, hors de lui, la réduit au silence. "Comment tu les caresses ! dit en ricanant l'officier. - Vois-tu, répond le curé, moi, je connais ces oiseaux-là, de vraies cigognes ... des hiboux, quoi ! Il faut bien faire leur éducation. Ah ! si je les avais en garde ! - Qu'à cela ne tienne, reprend le capitaine aussitôt et très content de se débarrasser de cette marmailles. J'ai bien le pouvoir de les tuer, j'ai bien le pouvoir de te les donner. Prends-les et fais en de bons diables comme toi. - Tu ne t'en plaindras pas, dit le curé. Puis s'adressant à un soldat : "Camarade, conduis ces oiseaux à mon logement, vis-à-vis de la porte de la ci-devant église. Et s'approchant de la petite fille qui sanglotait de douleur à cause de la jolie tape qu'elle avait reçut : "Eh bien, petite fauvette, vous ne chantez plus ... vous pleurez. Ne faut-t-il point un plat d'argent pour recevoir les restes de vos petits yeux. Ah ! Ah ! Ah ! Auriez-vous faim par hasard ? ... Camarade, dis à la citoyenne qui fait ma cuisine de donner la becquée à ces petits oiseaux. Allons ! marche. Tout en parlant, en ricanant, en grimaçant, le curé avait glissé tout bas à l'oreille de la petite fille : "Méchante, ne parle pas de moi ; je viens vous sauver."

Le curé reprend le bras du capitaine et sans faire semblant de penser aux enfants, s'en va se promener d'un autre côté. Mais tout en se livrant à ces joyeux ébats, le curé était rongé d'inquiétudes. Comment sortir de Legé avec ces enfants ? La pluie qui était tombée et tombait encore par moments avait tout inondé. La rivière qui coule au bas était débordée. Le pont, les petites planches étaient gardées. La nuit approchait. Coûte que coûte, il fallait partir. D'ailleurs il courait tous les risques d'être reconnu, les gars de Legé l'ayant souvent vu chez eux. Il ne fallait qu'un mot, et lui et les enfants étaient perdus. Il profita enfin du moment où l'on donnait la soupe aux soldats. Suivi des enfants, il va, revient, passe dix fois devant les mêmes postes, sort de Legé du côté opposé à Beaufou et après avoir rôdé une bonne heure autour du bourg, trouve une petite planche qui n'était pas gardée. Les voilà passés. Mais la nuit était venue, sombre et pluvieuse et pleine des plus grands dangers. Les chemins étaient impraticables ; des patrouilles qui profitaient du mauvais temps pour faire de bons coups, erraient par les villages. D'un ton qui n'admettait pas de réplique, le curé défend aux enfants de parler et de ne proférer aucun cri, place sur ses épaules le petit garçon et traînant par la main la petite fille ou la portant sous son bras dans les endroits difficiles, se dirige, à travers champs et à l'aventure, vers Beaufou.

Il faisait jour, quand tout couvert de boue tout ruisselant d'eau et de sueur, les vêtements déchirés, il arrive au Bois Rond. Il jette plutôt qu'il ne donne aux parents les deux petits et tombe presque sans connaissance sur un coffre. On s'empresse autour de lui ; on le change de linges de vêtements ; on lui prodigue en pleurant les soins les plus affectueux et qu'il méritait bien. Il revient à lui et raconte à la famille éplorée ce qu'il vient de faire. Quelques jours d'une forte fièvre furent le résultat de ce grand acte de charité.

Il fallait, plus tard, entendre cette petite fille, devenue vieille bonne femme, raconter elle-même son histoire ! Toujours elle finissait son récit par ces paroles qu'elle savait bien par coeur : Oh ! le bon Monsieur ! y l'aime-z-y ! Il me donnet une jolie tape, pourtant ! mais, tenez, y en trouverai jamais in autre comme lui.

Cependant, M. le curé n'était qu'à deux pas de la mort. Les habitants de la ferme pleins d'une juste reconnaissance pour leur généreux bienfaiteur voulurent le soigner ou au moins à lui rendre la santé qu'il avait perdu pour eux. Pour un plus grand repos, ils lui cédèrent la chambre de décharges dans laquelle il couchait seul.

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- Un matin que les gens de la ferme étaient occupés dans les champs, il était demeuré seul et au lit, dévoré par une forte fièvre. Soudain un grand coup retentit à la porte : les bleus ! Ce cri terrible ne l'a fait point tressaillir, assoupi par le mal, il rêvait comme rêvent les malades, à ce qu'il allait faire quand la porte principale de la maison vole en éclats. Sauter tout en chemise, à bas du lit, se blottit dans une excavation du mur dessous la pierre de l'évier fut l'affaire d'une seconde. La chambre heureusement était obscure. Les bleus envahissent la maison en poussant des cris de mort ; ils pillent, saccagent, brisent tout, meubles, vaisselle, tout ce qui leur tombe sous la main ; percent les lits de camps de coups de bayonnettes ; se précipitent dans la chambre, renversent les meubles et les mettent en pièces ; ils montent dans le grenier où ils ne trouvent rien à briser, mais qu'ils remplissent de blasphèmes. Ils passent à côté du curé tremblant comme un mendiant dans son trou, sans l'apercevoir.

Après le pillage, ils amoncelèrent dans la cour, instruments de labeur, outils, débris de meubles, tout ce qui peut devenir la proie des flammes et allument un immense bûcher ; puis ils mettent le feu dans quatre endroits de la maison qui bientôt n'offre plus qu'un énorme brasier. Le curé dans sa cachette voit l'oeuvre de destruction au-dessus de sa tête. Il entend tout, aperçoit tout. Il frémit à la vue de la charpente qui s'écroule enflammée. Il recommande son âme à Dieu et ferme les yeux pour mourir sans le voir. Cependant les bleus poussent encore un cri de joie féroce et s'en vont.

Le curé n'était point mort ; mais il se trouvait atterré de souffrances physiques et morales. Peu à peu, il ose lever la tête du milieu des ruines fumantes ; puis, il rentre dans son trou pour cacher sa nudité ; car pour tout vêtement, il n'avait qu'une chemise de grosse toile, encore on la lui avait prêtée. Jamais il n'avait été si pauvre. La nuit était venue, il quitte enfin cette triste retraite et pieds nus, laissant les traces de son sang aux ronces et aux épines, il court à travers les champs à l'une de ses cachettes où il a la consolation de trouver des vêtements.

Dix jours après, délivré de sa fièvre et oubliant ce qui venait de se passer, il s'exposait avec le même courage à un danger non moins grand. Sans doute quel ange du Bon Dieu veillait tout spécialement à sa garde pour qu'il ait pu s'échapper à tant de périls.

Cent fois, il a vu la mort en face et c'est dans son lit, dans sa pauvre cure, auprès de son église en ruines que tranquillement et paisiblement il a rendu sa belle âme à son Créateur, le 5 vendémiaire an VIII (27 septembre 1799). Ceux que le Bon Dieu garde sont bien gardés, surtout quand ils s'exposent à son service.

Jousbert décès z

Histoire et légendes pieuses : Beaufou sous la Révolution - Cahier, 191 p. - AD85 - 1 Num 396/3 - vues 38 à 42

Du Clergé à Beaufou, Cahier, 80 p. - rédigé entre 1861 et 1872 - AD85 1 Num 396/1

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